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De la séduction des lieux sordides : autour de l'Hôtel Jolicœur

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DE LA SÉDUCTION DES LIEUX SORDIDES : AUTOUR DE L'HÔTEL JOLILCŒUR

Convenons-en une fois pour toutes, Montréal est une ville laide. Depuis quarante ans, les différents conseils municipaux qui se sont succédés ont essayé de la rendre attrayante en démolissant ses entrepôts grouillants de vermines, ses lieux de réfrigération éventrés, ses hangars recouverts de feuilles de métal qui absorbaient la chaleur du soleil en été et allumaient des incendies à partir des structures de bois imbibées d’huile, ses trottoirs crevassés et ses rues remplies de nids de poule dans lesquels on se tord les chevilles, accidents pour lesquels la municipalité se dégage de toutes responsabilités. Montréal reste, malgré tous ces efforts, une ville laide, à peine urbanisée dans le sens architectural. Usant périodiquement d'une thérapie au botox bitumineux, l'imaginaire urbain enduit de vieilles maisons ouvrières d'un mica qui les transforme en chaumières petite-bourgeoises pour bobos du Plateau Mont-Royal ou résidents de l’ancien Faubourg à m‘lasse, aujourd’hui centré sur le quartier gay.

À un pâté de maisons de chez moi, au coin des rues Rachel et Iberville, il y a un édifice converti depuis quelques années en condos. Il y a 20 ans, lorsque je suis venu résidé à l’endroit où je demeure présentement, c’était un bunker, un édifice dont les fenêtres, du sous-sol au dernier étage, étaient murées de ciment. Avec raison, car c’était un entrepôt où s’entassaient des dizaines de milliers de pneus usagés. Et avant ça, cet édifice n’était nulle autre que la manufacture de chaussures Lagrenade, où les felquistes, le 5 mai 1966, lors d'un conflit ouvrier, avaient fait sauter un colis piégé, tuant une secrétaire. C’est à la fois troublant et mystérieux chaque fois que je vois ce vieux bout de film en noir et blanc des actualités de l’époque qui nous montre la civière portant le cadavre de Mme Morin passant par la porte par où, aujourd’hui, défilent les «branchés» qui habitent l’endroit. La plupart d’entre eux, j’en suis sûr, ignorent le drame terrible qui s’est passé là, bien avant même leur conception! De la manufacture Lagrenade au bunker de tires, au condo de bobos c’est un demi-siècle d’évolution de l’histoire d’un bâtiment que nous détenons-là. Est-il plus «beau» aujourd’hui qu’à l’époque? Son style s’est adapté à chaque nouvelle fonction. Seulement, il est toujours aussi laid.

Voilà maintenant qu’un groupe d’artistes s’unit pour créer un album esthétique sur un édifice qui s’apprête également à être renippé en condos, au coin des rues Ontario et Papineau; l’ancien hôtel Jolicœur. Cet hôtel au joli cœur était en fait un bazar de corps humains. L’hôtel Jolicœur, en effet, était un hôtel de passe. Moi, qui ai habité quelques années au coin des rues Ontario et Des Érables, il m’arrivait de passer devant quotidiennement. C'était au temps où la rue Ontario était encore une rue peu recommandable, avec un vieil entrepôt reconverti en quincaillerie qui avait conservé sur son mur en briques extérieur une vieille publicité peinte de Quaker Oats du début du XXe siècle! Les «bineries» étaient minables. Les commerces délabrés. Les magasins d’antiquité, de vrais ramassis de marchés aux puces. On y trouvait un marchand de tabac célèbre, qui y réside toujours, et l’Association des Père Noël qui n’y est plus. Au milieu trônaient deux grandes églises aux dimensions de cathédrales et qui étendaient le pouvoir clérical sur cette masse d’habitants pauvres, esseulés ou dotés de familles nombreuses, des travailleurs ou ouvrières des manufactures du quartier. À partir des années 90, le quartier gay est venu s’établir sur la rue Sainte-Catherine. La prostitution féminine se trouva repoussée sur la rue Ontario. Comme les endroits sombres et les arrières-cours y sont nombreux, il y a de la place pour toutes les passes possibles. L’hôtel Jolicœur n’était pas le moins fréquenté de la place. Pendant qu’au rez-de-chaussée on buvait à profusion, les chambres aux étages étaient occupées par des prostituées en fin de carrière, alcooliques ou droguées, battues, violentées et même probablement tuées. De tout le quartier, il y avait là le cercle le plus profond de l’Enfer, où les damnées venaient y pousser leur dernier râle. Le temps de nettoyer les murs ou les planchers souillés, et une autre venait prendre la place de celle qui n’était plus.

C’est une sensation beaucoup plus qu’un sentiment, et donc difficile à définir avec des mots. Je me souviens l’avoir ressenti une première (et une rare) fois en regardant, vers l’âge de 16 ans, la photo de la pièce, dans la cave de la Maison Ipatiev, où la famille du tsar Nicolas II avait été exécutée à coups de pistolets (1918). La porte fermée, les trous de balles dans les murs, les morceaux de boiseries fauchés par la mitraille, les débris de toutes sortes jonchant le plancher. Je me suis senti sur le coup envahi par une stupeur, une stupeur au sens étymologique du terme, comme un petit animal fasciné par un serpent. La Mort. La mort violente avait été là. Et Elle était encore visible sur le vieux cliché. Depuis, j’ai revu cette scène bien souvent et dans le compte-rendu de l’enquête Sokoloff, tous les clichés photométriques de la scène y sont. De sorte, que je ne ressens plus guère cette première sensation quand je regarde aujourd'hui la photographie tragique.

En Amérique, toutes les villes ont leurs quartiers sordides. New York, Chicago, Los Angeles ont leurs lieux maudits où ont été assassiné ou suicidé telle ou telle personne. Il m’arrive de recevoir, parmi mes «sources de trafic» sur mon blogue, des gens qui demandent à voir le 10050 Cielo Drive, la demeure Polanski, où fut jadis éventrée et tuée l’actrice Sharon Tate ainsi que quatre autres personnes. Là aussi, surtout sur les clichés en noir et blanc, nous percevons la même sensation de la Mort présente, même une fois les cadavres évacués.

Peut-être, effectivement, la technique du noir et blanc rend-t-elle ces scènes de crimes plus «efficaces» dans la perception sensorielle du spectateur. Les clichés en couleurs du 10050 Cielo Drive, avec les corps sanglants encore sur la moquette du tapis, ne me donnent pas la même sensation. L’horreur, le dégoût certainement, le pathos, mais pas la sensation de la présence inscrite de la Mort. Même chose lorsque je regarde des clichés couleurs du garde-manger de Jeffrey Dahmer, le cannibale de Milwaukee. Par contre, que dire des scènes en noir et blanc du film Being at home with Claude, de Jean Beaudin (1992), montrant la rencontre du prostitué avec un étudiant en littérature - dont il deviendra l’amant et finira par l’égorger au cours d’une scène de baise torride -, qui présente le «petit parc des Portugais», coin Saint-Laurent et Marie-Anne, pendant que se déroule le Festival de Jazz? Jamais, je crois, un cinéaste a réussi à rendre aussi bien compte par ces quelques séquences, les meilleures du film, de cette inquiétante étrangeté qui hante Montréal, la nuit, sous la moiteur de l'été.

Les policiers qui, au printemps 2012, découvrirent le tronc mutilé de l'étudiant chinois emballé dans une valise à Côte-des-Neiges durent éprouver une stupeur semblable, et encore bien plus traumatisante. Mais ceci dit, ayant vu la vidéo de Luka Magnotta, je n’ai rien ressenti d’une pareille stupeur semblable à celle éprouvée devant la photo de la cave de la Maison Ipatiev. Pourquoi? Parce que la vidéo était en couleur me direz-vous? Non. Je ne le pense pas. Même en noir et blanc, ce film me fut resté long, ennuyeux, et sauf respect pour la victime, d'une banalité de l’horreur sordide et obscène. Même la Mort, semble-t-il, n’aime pas être mêlée à des exhibitionnismes de ce genre. Peut-être a-t-elle un certain respect d’elle-même qui fait que bien peu d’entre nous allons mourir à la manière d’un Jun Lin. C’est parce que cette sensation de stupeur qu’elle provoque en nous est difficile à traduire que, pour la saisir, les films et les séries d’horreur sont-ils obligés d’amplifier les scènes de torture morale et de meurtre. Détailler les corps dépecés, décapités, démembrés, écorchés. Ce sont-là des morts beaucoup plus fantasmatiques et littéraires que réelles. Ayant vécu de près la mort de ma mère, je dois reconnaître aujourd'hui, que tout se fait paisiblement, grâce sans doute aux médicaments qui assurent la transition de la souffrance vers «l'état cadavérique», mais la mort de la personne n’a plus rien d’horrifiant en soi. Ce n’est que lorsque la peau commence à se déshydrater et à coller aux muscles et aux os que toute la laideur du cadavre apparaît et qu’il vaut mieux partir afin de ne pas laisser cette image devenir la dernière de la personne aimée. Mais même, je me répète, le moment de sa mort n'a pas suscité en moi une sensation pareille. La Mort qui se laisse voir a besoin d’une atmosphère qui lui est propice. Les lieux où ont été commis des crimes inouïs - nous pensons à Auschwitz plus particulièrement -, laissent voir la grimace de la Mort, peut-être parce que nous savons que ces morts n’ont pas été «naturelles». Que ces morts ont été le fruit de la méchanceté humaine, de la psychopathologie de grands criminels. Mais la banalité de l’horreur ne cède en rien à l'inquiétante étrangeté des lieux. L’hôtel Jolicœur, pour ne pas être le motel Bates, n’en était pas moins un lieu où se sont commis les transactions de corps entre des clients, violents ou honteux, et des prostituées droguées et moralement suicidées.

Lorsque nous regardons ces premiers clichés de l’hôtel Jolicœur, nous voyons bien que cet endroit a été, autrefois, il y a bien longtemps, un lieu plutôt luxueux. C’était sans doute du temps où il y avait, à proximité, là où se trouve aujourd’hui la Polyvalente Pierre-Dupuy, le Stade Delorimier, domicile des défunts Royaux de Montréal, équipe de baseball dans laquelle avait débuté le célèbre Jackie Robinson dans les années 40, avant d’aller jouer pour les équipes américaines. Le Stade Delorimier attirait aussi bien les matchs de baseball que les réunions politiques. De 1928 à 1965, année où il fut démoli, il amena au quartier des sportifs, des politiciens et des partisans qui durent faire les grandes heures de l’hôtel Jolicœur. Situé à la sortie du pont Jacques-Cartier, à partir des années 30, il était le premier hôtel venant s’offrir aux touristes arrivés de l’extérieur de l’île. D’hôtel chic avec réservations et suites élégantes, l’hôtel Jolicœur n’était plus qu’une taverne parmi d’autres, avec des étages pour faire la passe lorsque j’habitais le quartier. Maintenant qu’il est en chantier, nous voyons les appartements réduits à leur plus simple expression.

Qu’un groupe d’artistes venant de la photographie et des arts graphiques, de comédiens, d’écrivains se soient promenés dans ce lieu pour y trouver une source d’inspiration majeure, pourquoi pas? Mais qu’y cherchaient-ils réellement sinon que d'éprouver cette sensation de stupeur devant l'horrible? Faire un livre «esthétique» centré sur un bordel d’un autre âge n’est pas usité. Je remarque que ce sont de jeunes gens, très souvent issus de l’extérieur de Montréal. Sans doute ont-ils connu eux aussi, d’une façon ou d’une autre, des moments tragiques, ou encore des moments qui confinent à l’extase, voire au myste. Des individus, des lieux, des instants où la vie et la mort se confondent par une extrémité ou une autre. Mais, à première vue, ils semblent aborder l’hôtel Jolicœur davantage comme un bordel onirique qu’un lieu réel de souffrances misérabilistes de la petite pègre. Pour eux, il peut s'avérer bon de rappeler que le sublime n’a rien de la beauté, pas même de cette laideur esthétique dont Umberto Eco a fait un magnifique volume. Le philosophe Edmund Burke (1729-1797) a bien su distinguer le beau du sublime : «Relevant du beau, dit-il, les objets menus aux surfaces lisses, dont les lignes ne s’écartent qu’insensiblement de la ligne droite. Le beau ne peut pas être obscur, il est léger et délicat; il se fonde sur le plaisir». Décidément, comment peut-on penser faire du beau, littéraire ou artistique, avec les murs craquelés, le plâtre décollé, les planchers défoncés des vestiges de l’hôtel Jolicœur? Une poésie de l’érotisme de Fabien Loszach, telle qu'on peut la lire sur le site Web du livre ne peut qu'apparaître mièvre (ou niaise) :
Je regardais la plus belle
avec les yeux du gars
qui s’imagine plein de choses,
mais qui a bien trop peur
de tomber dans l’abîme
du péché s’il les réalisaient [sic!]

Blonde, 45-50 ans, des fesses
et des jambes de danseuse.
Elle [sic!] doivent être faites en titane
avec tout ce qu’elles ont vécu.
Il est vrai que les péripatéticiennes
marchent beaucoup,
leur gym c’est le bitume.
Mais si l’on poursuit la définition de Burke : «Relèvent du sublime, au contraire, les objets dont les dimensions sont vastes et rappellent la notion d’infini. Leurs surfaces doivent être rugueuses, irrégulières et donner l’impression de négligé. Leurs lignes sont souvent toutes droites ou, si elles dévient, le font brusquement et totalement. Le sublime ne se conçoit qu’entouré de pénombre, il est toujours compact et massif et se fonde sur la douleur ou la crainte de la douleur. Tout ce qui évoque un danger quelconque, c’est-à-dire tout ce qui est terrifiant, est donc générateur de sublime» (Cité in Maurice Lévy. Le roman “gothique” anglais 1764-1824, Paris, Albin Michel, Col. Bibliothèque de l’Évolution de l’humanité, # 11, 1995, pp. 70-71). Des quelques photos que les concepteurs du livre nous offrent sur le Web, c’est la photographie du lieu # 4, celle du lavabo qui est placée en tête de ce texte, qui peut faire surgir en moi la sensation déjà éprouvée de stupeur, mais aussi, comme Burke la qualifie, un sentiment de sublime.

Car c'est à la définition que Burke donne du sublime que ce lavabo renvoie. Il domine bien tout le plan de l’image avec sa vidange obstruée par les détritus accumulés et la fourchette levée qui apparaît comme une menace dérisoire devant un accès bloqué à l’infini. Sa surface est rugueuse, irrégulière parce que souillée. Des générations d’accumulations de cheveux de femmes, de sang, de souillures, compactées, sédimentées les unes sur les autres, autant de témoignages des épreuves endurées par les prostituées et les forts sentiments de déchéance des clients qui se sont suivis dans cette antichambre de la Mort. La vidange de ce lavabo menacée par une fourchette renversée sur le dos renvoie également à une sexualité forclose. Ici, symboliquement à un vagin qui, même sollicité, ne sécrètera jamais plus de cyprine, par où ne passent déjà plus les menstrues depuis longtemps. Des lèvres séchées, noircies à jamais. Un clitoris disparu, enfoui dans les sédiments de craie, de plâtres, de savon, de pâtes dentifrices, de moisissures. Ce lavabo est un puits sans fond de douleurs et de craintes, comme l’écrit Burke. Pour moi qui regarde, je ressens la stupeur qu’étant adolescent, j’avais ressentie à regarder les murs mitraillés de la salle de la Maison Ipatiev. C’est terrifiant. C’est sublime.

Seules les prostituées souffrantes ayant «travaillé» ou traînées leurs misères à l’hôtel Jolicœur peuvent donner un sens réel à cet endroit, par tous ces drames qu’il n’est pas besoin d’imaginer pour savoir qu’ils ont bien existé. Affronter le sublime est terrifiant par définition comme l'enseigne la pensée esthétique de Burke, aussi, est-il beaucoup plus facile de glisser sur le sujet, avec un poème nubile, et se retrouver dans le néant plutôt que de parvenir, par la versification ou la prose, à dominer la terreur et accéder au sublime. Je suis pour la conservation des bâtiments historiques, même des bordels, comme ceux de la rue De Bullion. Ils font partie du non-dit de l’histoire de la bourgeoisie montréalaise comme des milieux ouvrier et interlope. Le problème avec ce projet de création collective, c’est que l’hôtel Joliecœur n’aurait jamais existé, n’aurait jamais été ce qu’il a été durant tant de générations, que ces photographies, ces arts graphiques, ces poèmes se seraient exprimés de toutes façons, gravitant autour d’une autre place suintant le sordide⌛
Montréal
18 mars 2013

Une visite au Musée de Cire Ville-Marie, 1966

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La Belle au bois dormant
UNE VISITE AU MUSÉE DE CIRE VILLE-MARIE, 1966

Nous sommes en pleine belle saison. Il pleut. Je dois avoir dix ou onze ans tout au plus. On venait d’annoncer l’ouverture d’un musée de cire à Montréal. Non pas le mausolée exécrable devant l’Oratoire Saint-Joseph, mais un vrai musée de cire de la chaîne de Joséphine Tussaud. Au début, lors de ma première visite, j’y allai seul avec mon père. On devait se rendre à Montréal par train, de la gare du Canadien-Pacifique, rue Foch, à Saint-Jean-sur-Richelieu. Ce sera mon premier voyage en train. Nous sommes en 1966, nous utiliserons donc le métro pour nous rendre visiter le Jardin des Merveilles, au Parc Lafontaine. Pas idéal pour une visite d’un petit zoo, sous la pluie. Mais le clou de notre voyage, ce sera bien de visiter le Musée Tussaud, au 1198 rue Sainte-Catherine ouest, à l’angle Drummond. Ce musée de Cire Ville Marie Ltée loge dans un édifice assez étroit. L’entrée est remarquable par une cage de verre dans laquelle dortla Belle au Bois Dormant, véritable princesse dont la poitrine se soulève légèrement. Bien qu’admirable, le premier étonnement sera au comptoir où deux préposées aux billets nous attendent. L’une est celle qui manipule le tiroir-caisse, l’autre n’est qu’une réplique de cire. Vraiment extraordinaire, c'est à s’y méprendre!

Assurez-vous, s’il vous apparaît que ma mémoire est trop détaillée pour être sincère, c’est que j’ai, sous les yeux, le guide-souvenir que j’ai conservé. C’est grâce à lui que je vous amènerai, avec moi, faire la visite de ce musée, voilà près de quarante-cinq ans en arrière. C’était la première, et la dernière fois, que la multinationale Tussaud de Londres allait tenter l’expérience au Québec, car ce musée sera un échec et fermera quelques années plus tard, alors qu’on conservera l’horreur de Côte-des-Neiges encore pendant des années. Ici, contrairement aux statues Tussaud, c'étaient des mannequins recyclés qui étaient attifés de toutes sortes de manières pour laisser croire que c’était le général de Gaulle ou Pierre Elliott Trudeau que nous avions devant nos yeux. Des scènes où s’entassaient des mannequins qui ne ressemblaient en rien aux individus qu’ils étaient censés représenter. Au sous-sol, c'était la foire au péplum. Dans les catacombes, des lions empaillés s’apprêtaient à dévorer des chrétiennes tout aussi empaillées. Une scène d’histoire du Canada : Mère Marguerite d’Youville dissimulant un soldat anglais, dont on ne voyait que les bottes qui sortaient dessous un lit, afin de le soustraire à la furie d’un Indien. Ce qui faisait rire la foule, c’était que le pleutre portait deux bottes du même pied!

Rien de ces niaiseries au Musée Ville Marie. En page 4 du guide, on nous présente la fabrication des statues.
«LA CIRE utilisée est une cire d’abeille ordinaire, mélangée à un produit chimique secret qui durcit le matériel et augmente sa résistance aux températures extrêmes. La Cire tout comme la peau est quelque peu translucide; la couleur est imprégnée sous la couche finale, expliquant ainsi la mystérieuse ressemblance avec la peau humaine.

LES CHEVEUX sont des cheveux d’êtres humains, importés d’Italie, chaque mèche est insérée séparément avec une aiguille spéciale, ce n’est seulement qu’avec ce procédé laborieux, que nous pouvons obtenir ce réalisme tant recherché. Tous les visages d’hommes ont de la barbe; si vous regardez attentivement les visages frais rasés, vous verrez une faible couche de duvet sur leur peau.

LES YEUX sont des yeux de verre médical de la plus haute qualité. Ils sont importés d’Allemagne, un pays depuis longtemps reconnu par sa suprématie dans la fabrication du verre optique.

L’EXCELLENCE de ces têtes sculptées crée une ressemblance frappante des personnages actuels, décrits, comme l’histoire l’a enregistrée, et comme seule l’habileté humaine peut reproduire. C’est notre politique de présenter ces fameux personnages comme ils apparaissent au temps de leur apogée dans ce monde, un fait qu’il faut se rappeler; le portrait de ces personnages dans ce musée vieilliront, mais les figures de cire, non! Des recherches ont été faites, afin que les traits des figures soient d’une conformité et d’une exactitude absolues. Quelquefois les gens sont étonnés des menus détails dans ces figures. Cependant, malgré que leur immobilité semble donner une certaine illusion, on doit se rappeler que la race humaine ait gagné en taille durant l’histoire, les plus gros progrès ont été enregistrés durant le dernier siècle.

Depuis plusieurs siècles déjà, l’humanité a émerveillé les gens avec la mystérieuse magie du Musée de Cire. Dans l’ancien Babylone, les figures de cire étaient connues; Alexandre le Grand avait à son service son propre sculpteur de cire, trois cents ans avant Jésus-Christ, et les romains pratiquaient aussi cet art. Aucune foire de l’Europe médiévale n’était complète sans sa collection de figures de cire. Nous croyons que le Musée de Cire Ville-Marie, d’une conception nouvelle dans ce nouveau monde, est un successeur digne de cette tradition longue et bien enracinée».

La guide présente ensuite chaque scène avec une photo encadrée de la statue, accompagnée d’un bref historique. On ne rappelle pas seulement le conte de la Belle au Bois Dormant, mais aussi que le conte est des frères Grimm et date de 1812. Une fois passé l’étroit guichet, nous entrons par la droite dans un corridor étroit où alternent les différentes scènes historiques ou actuelles. Suivons-les par numéro, quitte à revenir sur nos pas (côté chiffres pairs d'abord, puis impairs ensuite) La scène 2 présente «la Cour de France», c’est-à-dire François Ier recevant Jacques Cartier et l’Indien Donnacona. Même en noir et blanc, la reproduction montre toute la différence entre la qualité esthétique de la reproduction scénique où l'on voit que la statue de François est inspirée du tableau célèbre de Clouet, et l'aspect frustre et peu esthétique de la scène de la rencontre de Cartier et de Donnacona reproduite sur une carte postale couleur du musée de Côte-des-Neiges.


La scène 3, tout à l’opposé, est une scène de Gigi, film de Vincent Minelli de 1958, avec Leslie Caron et Maurice Chevalier. La scène 4 présente les communistes célèbres de l’heure : Nikita Krouchtchev, Fidel Castro et Mao Tsé-Tung. Vient ensuite la scène 5 avec des vedettes «nationales» : le gouverneur-général Georges-Philias Vanier et son épouse accueillent la reine Elizabeth II et le prince Philip en présence du Premier Ministre canadien de l’époque Lester B. Pearson. Toute différente est la scène 6 qui présente la Conférence de Casablanca à laquelle participaient (14 au 26 janvier 1943) le Président Franklin D. Roosevelt, le Général de Gaulle et le Général Giraud, enfin Sir Winston Churchill. Vingt-trois ans après les événements, la Conférence de Casablancaévoquait encore un souvenir pour ceux intéressés par la Libération de la France.

La scène 7 présente des «femmes en vedette», des stars. Elizabeth Taylor, Marlene Dietrich et, s’apprêtant à entrer sous la douche, Brigitte Bardot : du temps où elle était belle et se fermait la trappe pour ne l'ouvrir que pour ses répliques bêtes. La scène 8 par contre, est exclusivement réservée à Marilyn Monroe dans sa très célèbre scène du métro de The Seven Year Itch (Sept Ans de Réflexion), film de Billy Wilder de 1955. Enfin, la scène 9, qui nous conduit à l’entrée de l’escalier étroit qui doit nous mener au sous-sol - la chambre des horreurs - se termine par l’assassinat de Lincoln (en présence de sa femme, Mary Todd et de l’assassin, John Wilkes Booth), scène sombre, comme si nous étions dans la loge, derrière le président assassiné.

De l’autre côté du mur, nous retrouvons la scène 10, celle de l’Empereur et de l’Impératrice, c’est-à-dire Napoléon Bonaparte et Joséphine. La scène la plus majestueuse reste sans contredit la reproduction de la dernière Cène par Léonard de Vinci, qui couvre tout le mur permettant au visiteur de tourner la galerie pour se rendre vers la porte donnant au sous-sol. À coté, la scène 12, présente le nouveau pape Paul VI, tandis que la scène 13 nous montre la statue de Léonard de Vinci, le peintre du chef-d’œuvre.


La scène 14 s’intitule La librairie hantée où quatre personnages sans liens entre eux se retrouvent sur fond d’étagères de livres : Albert Einstein, le physicien; le peintre Toulouse-Lautrec; le compositeur Jacques Offenbach, enfin Louis Pasteur. La scène 15 nous offre une «scène de deuil», l’une des plus célèbres sans doute, Jacqueline Bouvier Kennedy et se deux enfants devant le cercueil du Président assassiné. La scène 16 présente 4 explorateurs le Français Samuel de Champlain, le Viking Lief Ericson, les Italiens Christophe Colomb (pour l’Espagne) et John Cabot (pour l’Angleterre). Étant au Québec, hockey oblige et une scène nous montre le Rocket, Maurice Richard du Canadien affrontant le joueur Glen Hall des Blawk Hawks, le musée s’adressant aux deux «peuples fondateurs», il en fallait pour tous les goûts!

La scène 18 présent le Président actuel, Lyndon Baines Johnson, et son épouse - Lady Bird -, sur le ranch au Texas en train de faire rôtisserie. La scène 19 par contre, est un épisode du conte de Lewis Carroll, Alice au pays des Merveilles, qui se situe au chapitre 6 : Dans une cuisine en désordre, Alice trouve un cuisinier qui tourne du poivre dans un pot, un bébé changé en petit cochon, une monstrueuse duchesse qui étonne Alice en lui chantant cette tendre berceuse :
Parlez rudement à votre petit garçon, et battez-le quand il éternue;
Il ne le fait que pour taquiner, car il sait que cela nous ennuie.
Je parle sévèrement à mon fils, je le bats quand il éternue;
Car il peut se régaler du poivre quand il veut. 
Décidément, on ne saurait omettre le mathématicien Dodgson parmi les précurseurs du surréalisme!

Une fois le tour du rez-de-chaussé effectué, nous sommes invités à descendre dans la Chambre des horreurs. Un panneau d’avertissement nous informe : «Attention aux marches. Elles sont étroites, elle ne sont pas raides. Ces quelques marches vous conduiront aux profondeurs de l’inhumanité de l’homme à l’égard de son semblable. Donc, attention aux marches, et tâchez d’avoir le cœur solide». En effet, les têtes des femmes de Barbe-Bleue nous accompagnent le long de la descente, mais, quand nous sommes retournés une deuxième fois au Musée Ville-Marie, l’année suivante, accompagnés de ma mère et de ma grand-mère, celles-ci avaient davantages peur pour leurs sacoches que pour leur cœur!

La scène 1c présente La torture des fourmis, un individu immobilisé sur une fourmilière, le corps enduit de sirop ou de miel est dévoré vivant. La scène 2c montre Marie-Antoinette devant la guillotine. scène héroïque qui contraste avec la scène 3c qui présente le heurt d’une automobile avec une motocyclette. À la scène 4c, c'est Jeanne d’Arc sur son bûcher et la scène 5c «Le croc algérien», utilisé par les pirates barbaresques, qui suspendaient leurs victimes à un crochet qui s’enfonçait dans leur corps.

La scène 6c, une des plus macabres, nous montre les voleurs de cadavres William Burke et William Hare déterrant les cadavres pour les vendre à l’école de médecine. Ils finiront par être submergés de demandes au point qu’ils «précipitèrent» la mort de certains clochards pour les envoyer plus vite à la table de dissection. La scène 7c s'intitule «Vengeance fanatique», qui n'est que la reprise de la scène captée en directe par les caméras de télévision du meurtre de Lee Harvey Oswald par Jack Ruby.

La scène 8c exhibe «Le chevalet», où l’inquisiteur Torquemada soumettait Jacques Grivet à la torture. La scène est en fait tirer d’une pièce de théâtre. De même la scène 9, qui nous présente le monstre de Frankenstein, tel qu’incarné au cinéma par Boris Karloff, assit sur une grande chaise de bois plongée dans une pénombre verdâtre. C’est la dernière scène de la série des horreurs. Il ne nous reste plus alors qu’à revenir sur nos pas et remonter l’étroit escalier et sortir du musée.

Les musées de cire ont souvent inspiré des films d’horreur, présentant des sculpteurs fous qui, plutôt que de sculpter professionnellement la cire, préféraient tuer un ou une malheureuse et l’habiller pour lui permettre de reproduire une scène d’horreur quelconque. C’était le cas du filmL'Homme au masque de cire (House of Wax), avec l’incontournable Vincent Price. L’histoire commençait à Londres, au début des années 1910, lorsqu’un artiste, sculpteur d’exception, présentait son musée de cire. Son chef-d'œuvre, c'était la reine Marie-Antoinette, envers laquelle il éprouvait un lien inquiétant. Son associé, trahissant sa confiance, mettait le feu à ses œuvres et à son musée, le malheureux geignant sur sa statue de la reine en train de fondre, semblait s'affaisser avec elle dans l'incendie. Dix ans plus tard, à New York, il réapparaissait, apparemment guéri de ses brûlures, inaugurant son deuxième musée centré sur l’horreur d’assassinats, d’exécutions publiques, de tortures célèbres ou d’actualités morbides. Le tout accompagné d’inquiétantes disparitions dans le quartier. Ce film américain réalisé par André De Toth en 1953, tourné en relief stéréoscopique, fut une des premières tentatives de faire un film 3D. Dans le genre, on y retrouvait l’assassinat de Marat dans son bain par Charlotte Corday, Jeanne d’Arc sur son bûcher, William Kemmler sur sa chaise électrique, etc. Le macabre et l’horreur ont ainsi toujours accompagné le fantasme réaliste du musée de cire, déjà même à travers le musée Grévin en France et le premier musée fondé par Mme Tussaud, au Palais-Royal à Paris, au moment même où la Révolution française se déroulait sous ses fenêtres. Ce n’est qu’après que l’artiste déménagea son musée en Angleterre où l’entreprise finit par devenir cette multinationale toujours en opération dans les grandes villes du monde.

Or, faut-il le croire? Montréal, en 1966, n’était pas encore une grande ville du monde, malgré les palabres de Jean Drapeau, son expo et ses Jeux Olympiques qui germaient déjà dans sa tête. Ce musée, de bon goût et de qualités incomparables mourut au bout de quelques années, les touristes et les Montréalais préférant se rendre encore voir ces scènes médiocres et mal faites du Musée face à l’Oratoire. Le bon goût, malheu-reusement, n’est pas ce qui qualifie le plus les Montréalais. Si les Américains ne sont guère mieux dotés en fait de goûts, leurs grandes villes peuvent au moins se targuer, avec raison, d’avoir de grands Musées d’art, d’histoire naturelle, d’anthropologie, etc. Ici, notre goût pour la «sainte Ignorance», la vulgarité, la grossièreté, est sans contre-poids. Nos musées sont pitoyables. Mal financés, ils ne peuvent payer ne serait-ce que les assurances pour faire venir des expositions de grandes œuvres et non seulement les restants des grands maîtres. De même, le monde du livre ne cesse de s’épuiser autour des best-sellers alors que le livre numérique annonce la disparition de millions de livres qui ne seront jamais «recyclés». On a parfois l’impression que le temps du grand cinéma québécois est derrière nous. Que nous n’avons plus rien à (nous) dire et qu’il faut aller chercher dans l’ailleurs, dans l’exotisme géographique ou temporel des histoires à se raconter qui, en fait, ne sont pas les nôtres. On nous bourre le crâne en nous répétant que les Québécois s’ouvrent au monde! En fait, ils s’entr'ouvraient au monde dans les années 1960, mais depuis 1980, il semblerait qu’ils aient refermés la porte sur eux-mêmes et leurs jeux interdits⌛
Montréal
22 mars 2013

Chronique du mouvement automatiste québécois, 1941-1954 : une critique

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CHRONIQUE DU MOUVEMENT AUTOMATISTE QUÉBÉCOIS,
1941-1954

(NDLR) Cette critique a été produite pour un journal néo-démocrate qui devait paraître en 1998. Comme il n'a jamais paru, ce texte est resté dans mes tiroirs. Alors, pourquoi vous priverais-je d'un autre produit de ma substantifique moelle cérébrale?


Dans la foulée du cinquantième anniversaire de la parution du manifeste Refus global, co-signé par un groupe de quinze jeunes artistes québécois peu connus à l'époque - mais non pas inconnus -, l'historien de l'art François-Marc Gagnon de l'Université de Montréal, publie une chronique détaillée et les [extraits de] correspondances des différents membres du groupe automatiste et de leurs critiques.

Avant de pénétrer plus avant dans cette chronique et soulever les éléments qui pourraient s'avérer toujours aussi pertinents cinquante ans plus tard, établissons un distinguo. À propos de Borduas et du Refus global, il y a l'historique et il y a le mythique. Côté historique, il n'y a que l'impact social inexistant de l'événement, le renvoi mesquin de Borduas de l'École du meuble, l'indifférence des penseurs, même des plus libéraux (lire les commentaires insignifiants de Pierre Vadeboncœur [J'aurais des choses à dire sur Borduas et ses disciples, qui représenteraient assez fidèlement, semble-t-il, l'école de Breton. En dépit de quelques œuvres assez belles, leur naïveté, leur messianisme ridicule, leur prétention, leurs rengaines me les faisaient tenir, avec leurs maîtres européens, pour les types les plus parfaits de gens qui se servent de leur autorité, de leurs vérités et du prestige de quelques noms célèbres pour proclamer des sottises et les gober eux-mêmes. -«Les dessins de Gabriel Filion», Liaison, février 1949, p. 109. Ajout 27 mars 2013] et franchement imbéciles de Gérard Pelletier [Car M. Borduas vaticine comme un prophète, avec un mépris total pour toute démonstration et toute preuve "rationnelle". Il affirme, sans cligner de l'œil, au détour d'un paragraphe, que "les mathématiques succèdent aux spéculations métaphysiques devenues vaines" et les lecteurs (je suppose aussi les disciples) doivent avaler ce vin clairet sans se préoccuper de la vigne ni du tonneau? Voilà qui n'est plus jeune ni tout à fait surréaliste et encore moins honnête. Voilà qui tend à nous fixer dans un climat sectaire et qu'on ne saurait trouver amusant. Ce dogmatisme nouvelle manière ressemble encore trop à celui que l'auteur condamne. - «Deux âges, deux manières», Le Devoir, 25 septembre 1948, p. 7. Ajout 27 mars 2013] pourtant futurs artisans du mythe Borduas), au cœur d'une époque qui reste, dans la mémoire collective des Québécois, l'une des plus intolérantes et des plus unanimistes de son histoire (la publication de Refus global précède de moins d'une année la répression sauvage des mineurs en grève d'Asbestos).

Côté mythique, il y a ce processus téléologique - très whig -, de récupération a posteriori des tragédies humaines transformées en représentations sociales psychologiquement inhibitrices, c'est-à-dire le créateur persécuté ou ostracisé par l'intolérance de son milieu et qui fuit. Soit dans l'exil intérieur, au pire la folie, et le mythe prend nom de Nelligan ou de Gauvreau, l'un des signataires du manifeste; au mieux dans la mélancolie, et le mythe prend nom de Saint-Denys Garneau, mythe inventé par Jean Lemoyne dans le courant de la Révolution tranquille des années '60. Soit dans l'exil extérieur, en désertant la création pour sombrer dans l'alcoolisme comme le pianiste André Mathieu, dont un très beau [film] documentaire de Jean-Claude Labrecque, nous rappelait récemment la triste fin, ou en s'expatriant comme le fit Borduas, mort à Paris en 1960, l'année même où une entreprise politico-idéologique devait balayer les institutions vétustes contre lesquelles, lui et les signataires s'étaient rebellés. On reconnaît assez bien la valeur des symboles que prennent ces noms : Nelligan, Saint-Denys Garneau, Gauvreau pour la poésie, Mathieu pour la musique, et Borduas pour la peinture. Ne nous y trompons pas. Comme Edgar Poe est un mythe français créé à partir d'un poète américain malheureux, ces noms ne sont que des mythes et n'ont valeur que de références idéologiques à un jugement moral qui fait porter à une élite cléricalo-nationaliste, anachroniquement ultramontaine et puritaine (Refus global disait janséniste en pensant à la bigoterie des notables), la responsabilité de leur victimisation, manière d'innocenter une société qui "ne savait pas" - et qui ne veut toujours pas savoir. C'est le mythe Borduas, le mythe Refus global, qu'ont célébré les commémorations de 1998, mais du même souffle, l'auto-célébration d'une société satisfaite d'elle-même, dirigée par une classe de yuppies fière de ses illusions de progrès et qui voudrait se convaincre que de telles tragédies humaines ne pourraient se reproduire à l'ère de l'Aide Sociale et des subventions d'État à la culture. C'est ici qu'intervient la Chronique de Gagnon.

Rue Ontario coin Saint-Laurent, ± 1910
Qu'y a-t-il au-delà de ce mythe québécois de Borduas et du manifeste Refus global? D'entrée de jeu, Gagnon nous évite toute mise en scène contextuelle qui s'appesantirait sur "la grande noirceur" du temps. Le fond d'obscurantisme viendra bien assez tôt. Commençant sa chronique en 1941, sept ans avant la parution du manifeste, ce sont les origines du mouvement qu'il cherche à cerner, et en particulier la prise de contact de Borduas avec la philosophie et la poésie surréalistes. Ce que nous découvrons, c'est une élite intellectuelle québécoise relativement (bien) informée des débats de Freud, de Janet et de Breton autour de l'inconscient et de son rôle dans le processus de création artistique. Les Québécois de l'époque, contrairement à un préjugé tenace, ne sont donc pas ignorants de ce qui se passe à l'extérieur des frontières de la province. Bien plutôt, c'est dans un refus culturel pathologique de cette
Claude Gauvreau et André Breton
connaissance que se pose l'incommu-nicabilité entre ces apports extérieurs, accélérés par le contexte de la guerre (pensons aux expositions itinérantes des trésors nationaux européens venus se réfugier en Amérique et à la visite de Breton à New York et au Québec en 1944), moralement objectivés par les autorités cléricales et professionnelles, et la curiosité d'une jeunesse avide de participer aux grands courants mondiaux de pensée et de création. C'est à cette jeunesse surtout que l'on doit, dès 1944, l'idée de la formation d'un mouvement automatiste (l'impulsion provient essentiellement de Fernand Leduc) en rupture avec l'institution officielle de la Contemporary Arts Society. Avant d'être une rupture sociale, le mouvement automatiste se présente bien comme une crise au sein du milieu des arts contemporains. Pour le reste de la société, une phrase laconique de Thérèse Renaud-Leduc résume tout : «Nous faisons peur».

La chronique suit le cours des années, mais déjà des malaises se laissent entrevoir. D'abord, le rendez-vous manqué : Breton vient au Québec, mais c'est Pellan, le rival de Borduas, qu'il rencontre - plus par hasard d'ailleurs que par intention. Ensuite, le mouvement, dès son tout début, apparaît structuré à l'éclatement. Considérons déjà le conflit Borduas-Riopelle moins comme un conflit de théories de l'art qu'un conflit de personnalités entre un maître adulé et un élève "vaniteux" qui semble ne pas avoir apprécié que le maître le corrige (pp. 114-116). Rendez-vous manqué et conflit de personnalités se rejoignent en 1947 à Paris, lorsque Borduas refuse de participer à une exposition de nouveaux peintres surréalistes patronnée par Breton, seul Riopelle y contribuant d'une œuvre. Les deux destins sont désormais orientés pour de bon : celui de Riopelle vers la reconnaissance internationale, celui de Borduas vers la mythologie québécoise. La courte réunion des deux peintres, ne serait-ce que le temps de signer Refus global, ne changera rien à ce double destin où s'opposent la réussite sociale et la fréquentation des milieux artistiques mondains («"Jean-Paul" avait du talent certes, mais il avait aussi de très influentes relations!», p. 938) d'une part, et le chômage (mais non l'ostracisme), la pauvreté (mais non la faillite) et la désertion familiale (avant l'exil) de l'autre. Ces deux pôles d'attraction sont si forts que tous les autres membres du groupe automatiste se verront à leur tour happés et entraînés, bien malgré eux, vers des issues imprévisibles.

Borduas. Sous le vent de l'île
Riopelle. Hommage à Rosa Luxemburg, (détail)
Les Automatistes voulaient être deux choses : ils voulaient être l'expressivité formelle surréaliste au Québec, et ils voulaient être la voix québécoise du mouvement surréaliste international. Il s'agissait d'établir un pont à double sens qui unirait l'apport culturel québécois à un débat philosophique et artistique auquel participaient déjà des penseurs et des créateurs de différentes nations occidentales. C'était doublement inacceptable, car d'une part, ils devenaient une menace pour les cadres culturels d'une société qui se sentaient menacés dans leur pouvoir hégémonique par l'afflux de visions nouvelles et étrangères; d'autre part, parce qu'ils s'arrogeaient le droit, sans passer par les institutions nationales, de se prononcer, de créer, et d'entretenir un dialogue avec des porte-parole étrangers, ce qui revenait à faire fi de l'aval ou de la supervision de ces dites institutions chargées de maintenir la cohésion homogène de la société et qui se croyaient seules autorisées à parler en son nom dans l'ensemble du processus civilisationnel. Nous voici donc face à une double transgression. La première circonvenait la célèbre devise de Maria Chapdelaine : qu'au pays du Québec, rien ne doit changer, - et c'est sur cette première transgression que le mythe Borduas a brodé, faisant de l'artiste et de son mouvement les annonciateurs des réformes libérales et modernisatrices des années '60 et '70. Ce mythe devait, par conséquent, servir à dissimuler la seconde transgression, c'est-à-dire qu'au pays du Québec, il ne doit pas y avoir une tête qui dépasse les autres sous le regard du monde entier. Et cela est resté impardonnable. Pellan était un gentil garçon parce qu'il ne demandait qu'à rentrer dans le rang; Borduas, Leduc, les Gauvreau, Mousseau, étaient des têtes fortes qui dépassaient la haie. Ce qui, pour l'Église, apparaissait comme un dialogue avec des courants athées et anarchistes, apparaîtrait aujourd'hui, à l'institution héritière de l'Église, au gouvernement du Québec, comme une ingérence dans son «privilège» de se prononcer au nom du peuple québécois tout entier. À une conception monolithique de la morale traditionnelle et de l'ordre social ont succédé une conception solipsiste de la démocratie et l'uniformisation indifférenciée des originalités (et des personnalités).

Corno. Après une pipe (?)
Bref, aujourd'hui, il s'agit de faire comme Borduas, se faire peintre frondeur ou designermultimédia inspiré de Magritte ou de Delvaux, afin d'éviter d'être le Borduas d'une époque qui, au lieu d'envoyer «au diable le goupillon et la tuque!», enverrait «au diable la subvention et [le mortier]!». Les subventions, toujours retournées de moitié sinon de trois-quarts en impôts, souvent conditionnelles à une mise de fonds de capital privé, jamais suffisantes de toute façon (des «prêts sur gages» selon Claude Gauvreau, p. 638), investissement d'apparat et revenu illusoire, elles n'ont d'efficacité que comme liens de dépendance aux ministères pourvoyeurs autorisés; le diplôme, quant à lui, n'a de réelle valeur sociale que comme inféodation à une corporation professionnelle, ce qu'on appelle une «carrière» («Notre enseignement est sans amour; il est intéressé à fabriquer des esclaves pour les détenteurs des pouvoirs économiques», écrivait (déjà!) Borduas dans Projections libérantes, 1949, cité p. 626). Paresse et incompétence sont les deux enfants dégénérés de ce couple taré… En effet, en quoi l'Université serait-elle davantage apte que l'Église catholique ou le gouvernement de l'Union Nationale pour accréditer ou sanctionner la création littéraire et artistique? Si, comme le disait Borduas en 1947, «les lois [en art] sont toujours tirées des œuvres et non pas les œuvres des lois» (p. 413), comment l'impératif catégorique du post-modernisme, que martèlent les théoriciens
Marc Séguin. Ruin-Angels
universitaires sur l'esprit des jeunes créateurs, serait-il moins aliénant que les impératifs de la morale cléricale ou du nationalisme? Les créateurs doivent-ils se laisser diriger par les orientations théoriques? Pourtant, ce Borduas tant célébré ne réclamait-il pas «le droit de l'artiste de penser, de prendre intellectuellement position sur les problèmes de son temps» (p. 467)? Et le post-modernisme quant à lui, s'est-il doté d'un manifeste social précisant son orientation esthétique comme l'ont fait le dadaïsme, le futurisme et le surréalisme? Ce diktat de la critique sur la création est, aujourd'hui comme en 1948, tout aussi inacceptable, mais comme il s'agit toujours de sacrifier la liberté pour la sécurité, voilà pourquoi il est important de maintenir Borduas dans le caveau de son mythe… Espérons que la Chronique du professeur Gagnon aura servi à l'en retirer… pour quelques instants⌛

Montréal
(1998) 27 mars 2013

Printemps des Rameaux, Printemps du Golgotha

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Georges Rouault. Christ dans la banlieue
PRINTEMPS DES RAMEAUX, PRINTEMPS DU GOLGOTHA

Cette année, le printemps est plutôt tardif à Montréal. Il est vrai que depuis les manifestations étudiantes, il est difficile de trouver un spectacle de qualité en ville. Il faudra attendre le mois de juin, avec les Francofolies, puis le Festival de Jazz, le Festival Juste Pour Rire et celui des feux d’artifice, qu’on appelait, du temps où les compagnies de tabac pouvaient commanditer un événement populaire, le Festival Benson & Hedges, sans oublier le Métropolis bleu (qui fut le Métropolis rouge [sang] lors de la proclamation de l’élection du gouvernement du Parti Québécois en septembre 2012) et, pour les snobs, le Festival des Films du Monde qui coiffe le tout. Puis, au mois d’août, ce sont les festivals de province qui attirent tout leur lot de festiveaux : le Festival du cochon de Sainte-Perpétue; Festival de la Gourgane; Festival du Bleuet; Festival des traditions du monde de Sherbrooke, et ce ne sont là que quelques titres parmi tant d’autres. Il est vrai que nous avons perdu le Festival international des châteaux de sable du Parc Lafontaine, mais… bon… Ça faisait trop de bruit et ça dérangeait les voisins. Il y a un prix à payer pour devenir «universel».

Évidemment, rien de comparable avec les manifestations populaires du printemps 2012. Des grands rassemblements du 22 de chaque mois aux défilés nocturnes et aux parades de casseroles après souper, la tension s’est soutenue au-delà de ses capacités de mobilisation et le succès réside là où la conscience a trouvé son chemin. Aussi, la débandaison québécoise devient-elle lente à s’instiller dans les esprits survoltés. La tristesse érode péniblement son chemin dans la pinède des passions, des festivités conviviales, des espérances de régénération de nos vaisseaux sclérosés par tant de corruptions, de lâchetés, de veuleries, de violences policières gratuites et de complicités médiatiques abjectes. Aucune diète de la corruption n'est prescrite par les hygiénistes ni par les médecins spécialistes. Les grumeaux se promènent dans les artères de la ville de Montréal, ébranlent les bretelles de Turcot et l'autoroute surélevée Crémazie. Le cœur du centre-ville est bloqué, les globules avancent au pas à pas. Ici, les policiers de Pâques se montrent moins efficaces à diriger la circulation qu'à disperser une manifestation pour l'avorter avant son départ.

La sérénité des premières manifestations de l’an passé s’est transformée en morgue pesante sur les visages. Pourquoi tant d’efforts pour des résultats si maigres et incertains? Se résigner à voir ces salopards de libéraux, dirigés maintenant par Monsieur Coucou à Québec, propice à s’installer dans les nids vautrés par le gros Arthur Porter, s’opposer à la Dame en Béton armé, engendrée du pont de Farnham, c'est une vie publique de serpent ouroboros. À Ottawa, probablement menés par Justin Trudeau, qui dément à lui seul la phrase de Pascal (Blaise, et non le magasin de meubles qui n’existe plus d’ailleurs) qui affirme que la nature a horreur du vide, les Libéraux se présenteront comme la seule alternative à cette face de plâtre brachiocéphalique de Stephen Harper. Voici donc, surgissant entre les lapins de Pâques, les œufs en chocolats, les poules et leurs poussins, ces Couillard, Marois, Trudeau, Harper, Guy A Lepage, Mario Dumont, la clique des Desmarais-Chrétien dans leur château de poupées où ténorise le gros Hervieux, le troupeau des damnés de l’Agence Goodwin, les putes de l’Hôtel Jolicœur recyclées au Lion d'Or, les cendres du foyer d’Isabelle Gaston, les larmes de remords embouteillées du docteur Turcotte (qui remplacent l’eau de Pâques), la dyarchie PKPimp et du nabot Labaume de l’amphithéâtre de Québec, Appleboum, et tout ce qui décompose l’humus québécois sous les chauds rayons de la Commission solaire Charbon-No. Les lettres des mots se détachent et s’écoulent comme des feuilles séchées emportées par l’eau de fonte des espérances-désespérantes de ce printemps funèbre. Les dernières gouttes de sève sont congelées, comme le sperme fétide de René Angelil, afin de faire d’autres petits mitrons d’argent à la grande Celine lorsqu’elle trouvera que le temps s’étire en langueur, comme dans les tableaux d’Avida Dollars.

C’est là un effet de l’interminable débandaison de ce printemps de l’an passé. Tout ce qui reste, ce sont les crapules : Monsieur-Trottoir qui n’est pas Net. Monsieur 3% qui nie tout (comme Louis XVI à son procès). Zambino, Zampino, tous applaudis à Tout le Monde en Parle, qui perd - enfin, ce n’est pas trop tôt - ses cotes d’écoute de spectateurs automatiques conduits par le marionnettiste qualifié d'entraîneur de foules. Des éructations sorties de la radio X de Québec embranchée à Montréal, comme si nous n’avions pas assez de nos Martineau-gorlot, Dutrisac-percé, Denise Boomerdier, du gros Réjean Tremblay et autres écrivassiers du‘ournal de Mont’éal, scandant les litanies quotidiennes, les spectres hertziens et autres manifestations surnaturelles mais non spirituelles qui ont remplacé les merveilleux personnages des frères Grimm dans l’imaginaire de nos enfants. De plus, il y a ce maudit Magnotta, tout de blanc vêtu, pareil au docteur Lecter, enfermé dans la cage où il éventre un policier dans Silence of the Lambs. Il est vrai que bébé-Magnotta est loin du génial docteur, esthète cannibale, rêvant de sa Florence de la Renaissance, où les monstres étaient également intelligents, cultivés, raffinés, mais pas moins meurtriers ou sadiques pour autant : ces condottieri, dont la mémoire fut perpétuée par l’enseignement historien de Jacob Burckhardt à son confrère et élève, Nietzsche, qui fit de cette esthétique du passé l’anticipation de celle de l’avenir, appelant ainsi à l’éternel retour que nous ne cessons volontiers de reconstituer. Car, le condottieri, c'est le surhomme de nos fantasmes contemporains de «petits hommes». Les Marvel Super Heroes de nos commentateurs politiques et de nos universitaires. Ces mercenaires que sont ces nouveaux chefs salariés du Parti Libéral du Québec. Ces ambitieux qui cachent leurs gloires personnelles derrière le fantôme de la souveraineté-association. C’est de cet enseignement et de nul autre, enseignement que les prof de philosophie de nos universités dissimulent régulièrement afin d’amplifier l’originalité du philosophe-fou au détriment de cette maudite connaissance historique qui domine toutes les autres branches de la rencontre du Singulier et de l’Universel, en commençant par l’histoire de la philosophie même, que sont nés nos escrocs qui défilent devant la Commission, fiers d’avoir roulé ce peuple si faible et taré.  

Car les faibles, comme il est convenu, ne demandent qu’à se laisser dominer, qu’à se laisser réifier au niveau de l’objet. Ils se lamentent, maudissent les puissants, envient les riches, méprisent les créateurs, vomissent leurs inutiles ressentiments sans jamais faire le moindre effort, se doter du courage qu’exigent la connaissance et la conscience comme défis souffrants de l’existence humaine. Se comportant comme des enfants, ils méritent d’être traités en enfants, méprisés avec condescendance par les puissants de ce monde. Lorsque la peur de la liberté s’achève dans la servitude volontaire, nul pardon, nulle pitié, nulle compassion - et c’est terrible à dire - ne peuvent rédimer les damnés.

Et n’est-ce pas cela le vendredi saint des chrétiens? Le jour où l’on célèbre le triomphe du Mal dans la destinée terrestre. Le sort du Nazaréen crucifié au Golgotha. Comme les Juifs n'entendent rien au destin tragique, ils ont inventé une résurrection le surlendemain afin d’ajouter un happy-endà ce qui n’était qu’une lente descente aux enfers d’un malheureux qui pensait qu’en cette cité humaine, il suffisait d’être bon, humain, généreux envers ses semblables pour que triomphe un mode d’être différent de celui de la violence et de la ruse qui trônait dans l’empire romain. Il en fut remercié en étant précipité dans les profondeurs de l’abject et du néant. Un caveau, par charité, fut offert à sa dépouille par un bien-pensant pour qu’on l’ensevelisse et qu’on n’entende plus parler de lui. Tout le reste, c’est de la mythologie, et les Pâques ne peuvent compenser ce qui a été perdu au Golgotha un jour et demi plus tôt.

Le printemps 2012 fut celui des rameaux. Le printemps 2013 est celui du Golgotha. À la place des centurions romains, des policiers menteurs, fraudeurs, voleurs, assassins. À la place du Sanhédrin, TVA, Radio-Canada, la Presse, le Devoir, le ‘ournal de Mont’éal ou de Québec, le Soleil, les radios et tous ces blogueurs, facebookers, twitters du ressentiment qui bafouent, ridiculisent, crachent, fouettent les manifestants qui osent dénoncer la brutalité de leurs persécuteurs, pendant que ceux-ci cachent hypocritement leur face d’ombre derrière la lumière du Code de Lois. Jouant le rôle de Pilate, les politiciens se bousculent au lavabo. La prêtresse du culte d’Isistendantiste se lave au Purel pour être certaine qu’aucune particule alimentaire du vieux rêve mangé ne lui soit restée collée entre les dents. Bachand, Couillard, Moreau rachètent les bouts de bois commandés par Charest. L’insignifiance ici a un nom : François Legault. François, comme le nouveau pape, qui, lui aussi, «parle» aux oiseaux du financement, aux thérapeutes de la petite et moyenne entreprise, aux fossoyeurs des économies régionales. Ce «panel» de Pilates se dispute clous, marteaux, épines…

La farce ne serait pas complète sans les faux apôtres, ceux qui dorment au gaz ou avec un ticket pour la prochaine croisière payée par Acurso aux Bahamas. Les chefs syndicaux, les politiciens de gauche incertains, même ce technocrate à lunettes qui s’est fait payer les chips et la bière lors du dernier scrutin par Son Excellence Jacquo de La Lotto-Parizeau, Jean-Martin Aussant, qui y va de son commentaire digne des huit fromages d'ici : «Je ferai d’abord l’hypothèse que vous êtes des manifestants de bonne foi et que vous marchez dans les rues de votre ville avec des intentions pacifiques, pour soutenir une cause à laquelle vous croyez, et qui se situe elle-même à l’intérieur d’un certain domaine du gros bon sens. Parce que si vous n’êtes dans la rue que par manque d’émotions fortes, le visage masqué, à la recherche d’une vitrine à fracasser ou d’une altercation défoulante, vous appartenez à la catégorie des oligophrènes et, de toute façon, vous ne vous êtes sans doute pas rendus jusqu’ici dans le texte (pas assez d’images et trop de mots)». Wow! En effet, qu’est-ce qu’un oligophrène? Ici, les dictionnaires ne s’entendent pas. Pour les uns, c’est un mot masculin issu «du Grec "oligos" : "rare" et "phrenos" : cerveau. Se dit d'un individu qui a peu de jugeote, qui est gentiment limité du bulbe, voire qui est d'une bêtise - feinte où réelle - crasse. "Oligophrène" est un mot élégant qui permet d'insulter publiquement un individu tout en conservant la hauteur de ton de bon aloi que ne permet pas l'usage de "demeuré", "gros con"», bref, en bon Québécois, un arriéré. Mais un dictionnaire médical, plus spécialisé, moins «vulgaire», rappelle que l’oligophrénie est un «terme qui désigne tous les déficits intellectuels, allant de la débilité mentale à l'idiotie. C’est le cas de certaines insuffisances du développement psychique dues à des malformations ou à des dysmétabolies cérébrales. Il existe une oligophrénie particulière dite phénylpyruvique ou maladie de FÖLLING ou PCU (phénylcétonurie), dans laquelle la phénylalanine est augmentée dans le sang dès le 4e jour de la vie du nouveau-né. Sa recherche est systématique et elle se fait par le test de Guthrie […] Oligophrène : qui est atteint d'oligophrénie». Ce nouveau juron du capitaine Haddock proféré par un Pierre au coq Saint-Hubert, cachet versé à la Souveraineté du Québec et à l’aliénation des Québécois, montre que le temps des Judas est passé de mode. Il n’y a même plus de Mickey Mouse pour servir de monnaie d’échange et montrer à quel point la foule est ignoble lorsqu’il s’agit d’exécuter au Golgotha. Oligophrène comme insulte ou oligophrène comme défaillance métabolique? Dans le premier cas, c’est un pré-requis essentiel pour devenir député ou sénateur conservateur à Ottawa; dans le second c’est une maladie dont cet oligophrène d’Aussant ne serait pas capable d’expliquer lui-même la genèse.

Certes, me diront les plus négatifs, il y a encore la «cravate» du juge Boisvenu et les cendres des enfants Turcotte/Gaston, et la tête de Jun Lin, et tout un ensemble d’objets macabres qui alimentent les débats de la clique des ex ou de Larocque/Lapierre. Un bavardage incessant qui ressemble aux battements d’ailes des abeilles dans la ruche, à la seule différence qu’elles travaillent, elles. Ce bourdonnement incessant, angoissant, amplifié par les décibels qui se rapprochent de nous, suffit à rendre fou. Ajoutez-y les média sociaux, les i-phones, les i-pads, les I don’t know et, comme les moutons de Panurge, vous vous précipitez dans le vide. On ne peut plus trouver à fuir dans un lieu épargné de tous ces déchets qui vont de la couche emmerdée de Guy Laliberté dans l’espace à la publicité de la Swiffer du Téléjournal du midi. Le Québec, c’est la nouvelle Pologne d’Alfred Jarry. C’est l'opéra des cantatrices chauves. Le «monologue» de Pogo dans La Petite Vie, ce téléroman haineux des Québécois cogité entre deux référendums et justifié par les résultats du second. Ces épisodes que l’on se repasse sans cesse depuis 20 ans, avec les mêmes injures, le même ton méprisant, les mêmes cris de haine de soi hystérique qui se dit elle-même comme une reine de carnaval. On surprendrait Bonhomme passer la porte! Et on se répète : les Tarés, les Tarés, Famille tarée. Non, rien n’a changé dans le merveilleux monde des oligophrènes de Maria Chapdelaine.

On pourrait assurément en appeler aux oligophrénies des autres peuples : il Cavaliere en Italie, les chicanes de corridas en Espagne, les démêlés Sarkozy/Bettencourt en France, Vladimir Poutine, le sang sur les mains et la face dans le yogourt, les milliers de représentants chinois qui défendent le capitalisme avec les lois communistes, l’état de guerre dans lequel s’est placée la Corée du Nord. Qui croit au sérieux de tout ceci? Même dans la sottise, nous restons des médiocres, et ce peut-être une chance, parfois, que d’être médiocre lorsqu’on vit dans un monde d'oligophrènes gigantesques.

On ne peut en être fier si moindrement nous partageons une estime de soi collective. Sauf au Québec. La gloire, ici, est pour les médiocres. Autrement, l’exil. Mais lorsque les médiocres s’exilent, que reste-t-il? Voilà où nous ramène le printemps 2013. Au retour à cette médiocrité qui a permis le four dans lequel nous sommes rendus : corruption, manque absolu d’équité sociale, mépris des artistes et des artisans sur lesquels les prédateurs font leur argent, mépris des enfants dont la conscience est quotidiennement violée par la publicité, les jeux vidéo et les enseignements nians nians pourvu qu’on ne touche pas à leurs petits corps angéliques. Surcompensation morale pour une hystérie incontrôlée. Parents insouciants, enfants mal élevés. Tout cela enrobé d’amour, de câlins, de calinours, de psy squad. Combien de familles québécoises font du bungie sans élastique? On a qu’à se consoler en disant que les travailleurs sociaux ramasseront tout ça.

Tout ça, c’est la misère au quotidien, blême, blafarde, sans l’éclat étincelant et pétaradant des fusillades des écoles américaines. Voilà ce que ça donne un peuple platte. Platte jusque dans le fond de sa misère. N’essayez pas d’écrire Les raisins de la colère au Québec : investissez surtout dans votre libido perverse, dans les amours sordides, les incestes surtout. Une famille québécoise est un état d’orgie permanent entre ses membres, voilà pourquoi nos familles du passé étaient si nombreuses qu’elles débordaient dans les crèches et les orphelinats. Les pouvoirs cléricaux et politiques y puisaient leurs meilleurs coups quand ce n’étaient pas la tuberculose ou la poliomyélite qui dévoraient tout ce surplus de chairs, de muscles, de nerfs et d’os. Qu’a-t-on, après tout ceci, à pleurnicher pour des balles de plastiques ou des bombes assourdissantes? Revenir à la normalité, c’est revenir aux bobos individuels, aux maladies physiques et nerveuses. Le temps de la crise étudiante a vu disparaître la crise des urgences dans les hôpitaux, les conflits entre corporations médicales et infirmières, les manques de ressources humaines et matérielles en chirurgie. La crise finie,  nous voyons à nouveau les docteurs se chicaner entre eux, les infirmières sortir dans la rue, les urgences se remplir comme si elles s’étaient vidées les mois précédents, et en prime, cerise sur le sunday, le gros Arthur Porter, renvoi d’ascenseur des Rois Nègres du Sierra Leone à l’entrepreneurship capitaliste occidental, se sauver en empochant une petite fortune après avoir conseillé, avec Couillard, les Services canadiens de Renseignements et de Sécurité (SCRS). Beau fleuron patriotique! C’est bien sûr par racisme qu’on a décidé de ne pas nommer la rue qui devait lui être consacrée! Crossés par un Porter, fourrés par des Libéraux, enculés par des fédérastes, baisés à Disneyland, nous prenons place auprès des autres peuples par le plus grand dénominateur commun de l’hommerie, l’abus de confiance. Et dans l’abus de confiance, il n’y a que des coupables, aucun innocent⌛

Montréal
Pâques 2013

Les détournements de l'enseignement de l'histoire au Québec

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Docteur Freud, j'ai un problème. Je ne reconnais plus ma progéniture

LES DÉTOURNEMENTS DE L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE AU QUÉBEC

En France, on a écrit beaucoup de livres sur «la crise de l’histoire». Celui de P. Noiriel en est sans doute celui dont l’exposé est le plus clair et le plus complet. Aux États-Unis, la parution du livre d’Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, a suffi à créer une onde de choc qui a traversé le monde entier. Au Québec, en 1997, une onde de choc semblable était déclenchée par le pamphlet de Ronald Rudin, Faire de l’histoire au Québec, qualifiant de «révisionniste» la tendance enracinée par Jean-Pierre Wallot, Louise Dechêne et les auteurs des manuels d’Histoire du Québec contemporain, paru chez Boréal, Paul-André Linteau, Jean-Claude Robert, René Durocher et François Ricard. Rudin les qualifiait de «révisionnistes» dans la mesure où ils ne poursuivaient pas la tradition «nationale» de Groulx à Frégault et Séguin, c’est-à-dire en livrant le récit d’une survivance  orientée vers une finitude par des aspirations idéologiques messianiques, nationalistes ou autonomistes, mais en insistant sur les moyens utilisés pour asseoir cette survivance. D’où l’apparition des «tranches d’histoire» telles que les manuels précités offraient aux étudiants universitaires : de grandes tranches : économie, politique, idéologies; de plus petites en sous-catégories : économie rurale, économie urbaine, voies de transports; institutions constitutionnelles, personnel politique, évolution de la carte électorale; le catholicisme, l’institution cléricale, les discours marginaux et contestataires; l’organisation du travail, la syndicalisation, l’émergence du féminisme, etc. Après l’échec du référendum de 1995, peu de gens avaient encore sur le bout des lèvres «le goût du Québec», et le discours nationaliste se trouva pour un temps subverti par le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard qui suffisait à lui asséner, à lui seul, le coup de grâce. De là, le triomphe des libéraux et le retour aux valeurs canadiennes, c’est-à-dire à un Québec modernisé, multiethnique, baignant dans la pensée unique du conformisme ouvert sur la mondialisation, avec sa lingua franc (l’anglais), son économie de masse (néo-libérale), sa démocratie ronronnante (la tournée quadriannuelle électorale) et la résignation à être le Québec dans le Canada comme le Canada pourrait très bien se retrouver dans les États-Unis.

Évidemment, la crise est née de ce double constat : l’impossible indépendance du Québec (du moins dans les conditions actuelles, démocratiques et unanimistes) et l’inacceptable assimilation (anglicisation des Québécois, clientélisme auprès d'Ottawa). L’éternel Jacques Lacoursière, de tendance nationaliste, fut commandité à plusieurs reprises afin de rédiger des rapports sur l’état de l’enseignement de l’histoire au Québec. Lui-même a écrit plusieurs volumes sur la nécessité de cet enseignement quand les plus forcenés considéraient qu’il était préférable d’oublier le passé pour fixer ses yeux vers l’avenir. À cela, les nationalistes avaient répondu par une série de textes sous la direction de Robert Comeau et Bernard Dionne, À propos de l’histoire nationale (1998). En l’an 2000, de l’Université Laval, Jocelyn Létourneau répliquait par Passer à l’avenir, qui appelait à rien de moins qu’à une «révolution de la mémoire collective». Il est vrai qu’au début du siècle, la mémoire était une thématique majeure dans la pensée historienne en Europe. Dix ans plus tard, le même historien publiait Le Québec entre son passé et ses
passages, la problématique des voies de passage se posant à partir de l’impact de la mondialisation, tant au niveau démographique qu’au niveau de l’extension des moyens de communication informatiques. L’année d’après, Éric Bédard, celui que l’on place au centre de la «réaction nationaliste» mais que Jean-Marc Piotte associerait au groupe des «Contre-Lumières» identifié par Zeev Sternhell, répliquait par Recours aux sources. Nous pouvons bien refuser de croire à l’idiotie qui veut que l’histoire se répète, mais il faut avouer qu’il y a un air de déjà vu dans ces chicanes; le vieux débat entre l'abbé Maheux de Québec et l'abbé Groulx de Montréal. La tradition de l'Université Laval (canadienne) opposée à l’École de Montréal (québécoise nationaliste). Jusqu’à une certaine époque, ces débats restaient propres au milieu universitaire. Aujourd’hui, c’est au tour du milieu des enseignants au secondaire que se diffuse la querelle.

Alors qu’aux États-Unis et en Europe il semble tellement facile de s’entendre sur les grandes lignes de l’enseignement de l’histoire nationale, au Québec, c’est un autre lieu de sempiternelles disputes. Cette tradition d’un enseignement de l’histoire confus, disputé, rejeté ou porté aux nues a fait l’objet d’une volumineuse étude publiée cet automne, L'histoire nationale à l'école québécoise. Regards sur deux siècles d’enseignement, Septentrion, 2012), par des didacticiens et historiens dirigés par Félix Bouvier, Michel Allard, Paul Aubin et Marie-Claude Larouche. Tous les programmes, les manuels, les objectifs selon les époques sont admirablement exposés. Il y a bien une histoire de l’enseignement de l’histoire au Québec. La tendance nationaliste et cléricale de Lionel Groulx s’est maintenue à peu près intacte tout le siècle, et lorsque la Révolution tranquille de 1960 a voulu laïciser cet enseignement sans toucher à sa portée nationale, le célèbre manuel Canada-Québec a relayé le manuel dont il s’était inspiré des clercs de Saint-Viateur dont l'expertise dans le domaine remontait au début du XXe siècle. Depuis la Réforme Parent, c’est le manuel autorisé partout dans la Province de Québec, de génération en génération, avec des modifications périodiques sur le matériel iconographique, la mise à jour et les notes en marges. Donc, quelle que soit la querelle qui présentement déchire les enseignants, c’est à partir de ce manuel que l’histoire s’enseigne au Québec.

Et c’est peut-être l’une des raisons de ces déchirements. Non pas que le Lacoursière, Provencher, Vaugeois soit un mauvais manuel. C’est qu’il est là depuis un demi-siècle. Pour un manuel scolaire, avouons que c’est une excellente prestation. Toutes les autres disciplines voient leurs manuels changer régulièrement. Non seulement les sciences, pour des raisons évidentes, mais aussi le Français, dont les linguistes ont senti la (fausse) nécessité de reformuler de manière absconse les anciennes formulations des règles grammaticales; la géographie, pour les bouleversements géo-politiques incontournables d’un demi-siècle d’existence après la décolonisation; la religion, qui a été mutilée jusqu’à devenir un menu à la carte; et l’histoire, elle, demeure ce récit érigé sur les trois unités de la Poétique d’Aristote : unité d’espace, unité de temps, unité d’intrigue : le territoire du Québec, de 1534 à l’an 2010, la formation et la défense de la nation canadienne-française, maintenant québécoise. Il n’y a pas à s’égarer. Le manuel est parfait pour la compréhension d’un récit qui fonctionne un peu comme les contes de fées dans la psychanalyse de Bettelheim, qui avait une conscience historique née de l’épreuve des camps de concentration nazis. Cette perpétuation d’un manuel, malgré les programmes des gouvernements successifs, donne l’impression d’une solidité de béton devant les crises qui agitent le milieu des historiens depuis un quart de siècle. Que retiendront les aspirants maîtres d’école de leur formation pédagogique actuelle lorsqu’ils se retrouveront dans leurs classes avec le manuel dans lequel eux-mêmes ont appris l’histoire sous le bras?

Avouons-nous qu’un manuel est un outil de base. Ce n’est pas une question de glamour ou d’accessoire complémentaire à l'enseignement du professeur. Le professeur ne peut pas s’assoir devant ses élèves et lire platement les pages du manuel. Ça causerait une émeute dans la classe. Le professeur est donc amené à tirer l’essentiel de chaque chapitre et de remplir son cours avec son art propre. C'est l'enseignement magistral que nous avons tous connus, jadis. Contre lui se dresse une pédagogie post-moderne enseignée dans les facultés universitaires de sciences de l'Éducation. De là provient la dimension exagérée qu’ont prises les nouvelles bibles de la didactique scolaire. C’est ainsi qu’un jeune aspirant maître en didactique de l'histoire de l’Université de Montréal, Frédéric Yelle, s’en prend-t-il à la «Coalition pour l’histoire» dirigée par Éric Bédard et Gilles Laporte : «des études démontrent (voir Monte-Sano, Wineburg, VanSledright, le projet de l'Université de Standford et bien d'autres) que la transmission magistrale d'idées, de savoirs et de connaissances à [sic!] ses limites et qu'il existe d'autres approches didactiques qui fonctionnent, surtout si notre objectif n'en est pas un d'endoctrinement, mais plutôt un de développement de la citoyenneté et du sens critique nécessaire à son exercice». Les références de M. Yelle sont appropriées à une nation qui a toujours inscrite son histoire dans la foulée de l’Histoire d’Israël - de l’Israël ancien, s’entend -, les États-Unis. Là où nous demeurons un peuple incertain, les Américains, malgré leurs différences régionales, leurs capacités d’absorption des nouveaux immigrants, leurs rivalités partisanes et religieuses, sont passés, avec la Guerre Civile, de l’Union à la Nation. Aucun Américain sérieux ne songerait à remettre cela en question, pas même Howard Zinn.  Or tel n'est pas le cas du Canada, et à peine mieux au Québec. Aussi, passer de l'enseignement magistral, par définition doctrinale, voire propagandiste, déterministe, au relativisme des expériences personnelles que suggère Sam Wineburg par exemple, où chaque élève pourrait se mettre «dans la peau» des hommes et des femmes qui se sont succédés dans le passé, serait l’équivalent d’un sociodrame traumatisant sans pour autant enseigner la connaissance historique aux jeunes Québécois. Aussi, peut-être serait-ce salutaire sur d'autres plans? Il en va de même pour Bruce VanSledright. «Penser historiquement» est une didactique relativement nouvelle. Mais que veut dire penser historiquement, lorsque nous savons que la dimension du temps apparaît tardivement chez l’adolescent (contrairement à celle de l’espace), car il n’a pas la distance vécue suffisante pour avoir la conscience réfléchie de toutes les modifications de sa personne, et encore moins du milieu environnant. Ce n’est pas la rapide succession des modèles de jeux vidéo qui peut combler ce manque de distance. Déjà Geneviève Racette écrivait au début des années 1970 :
La notion de passé commence à se charger de signification quand l’élève découvre l’existence d’un passé dans sa propre vie : son enfance appartient déjà au passé. Dans l’esprit de certains élèves, le passé a des significations bien distinctes. Pour les unes, il existe deux passés dissemblables : l’un est proche et vécu, l’autre est lointain, impersonnel et inconnu. Pour d’autres, cependant, la minute qui vient de s’écouler appartient au passé au même titre que la lointaine préhistoire. Le passé s’oppose non seulement au présent mais aussi au futur, et le présent même appartient au temps puisque demain il sera passé. Les élèves de neuvième année perçoivent ainsi le caractère fragile et précaire du présent. Certaines soulignent aussi, de façon pertinente, l’irréversibilité du temps. Une affirmation comme celle-ci : “un fait qui est terminé et que l’on ne peut pas recommencer exactement pareil” définit bien l’originalité de chaque geste, de chaque action humaine. (p. 106)
Malgré cela, nous percevons la relative faiblesse de la conscience du passé; un temps où il est facile de confondre le réel et le fictif, imaginaires merveilleux ou fantastiques. Les jeux à la donjon/dragon ont capitalisé sur cette confusion, et bien des enseignants ont trouvé tellement ça cute qu’ils ont à peine démenti, tant il apparaît difficile de faire comprendre la notion de féodalité à des élèves qui ne comprennent même pas le rapport de la production et du salariat! Voilà pourquoi beaucoup de ces didactiques nouvelles nous ramènent à d’anciennes didactiques qui ont échoué par le passé. Non pas parce qu’elles étaient mauvaises, mais parce qu’elles n’étaient pas supportées par les enseignants eux-mêmes, puisqu’elles exigeaient parfois des tours de force intellectuels extraordinaires. C’est ce qui est arrivé avec le projet des enseignants en histoire du Département d’Histoire de l’Université du Québec (avant qu’ils ne fassent sécession au début des années 1970), l’enseignement de l’histoire à partir du monde actuel. Le défi du programme, piloté par Michel Allard et André Lefebvre et toute une équipe de didacticiens, était une dissolution des références habituelles : Espace, Temps, Intrigue, pour établir les bases d'une étude comparative historique. Ici, il s’agissait bien d’enseigner à penser historiquement. Côte à côte, le manuel pouvait présenter une image de la ville de Montréal et une autre de Santiago du Chili ou de Buenos Aires en Argentine. L’élève, comparant les photos, distinguait les ressemblances des différences. Bref, il y a un phénomène urbain partout sur la terre, mais partout les villes ne sont pas les mêmes. Ou encore, on pouvait présenter deux images, l'une montrant les Forges du Saint-Mauriceà côté d’une autre montrant un haut-fourneau du XIXe siècle. D'où qu'il y a une transformation qualitative et quantitative dans la façon de travailler le fer. Une nativité occidentale et une icône russe juxtaposées montraient la différence de l’expression artistique à partir d'un même thème. On tenta d’appliquer le programme dans la commission scolaire de Chambly (il me semble) et il n’y eut pas de suite. Le Lacoursière, Provencher, Vaugeois revint au triple galop sur les pupitres des élèves.

Ce n’est donc pas la nation, comme phénomène ni comme concept qui impose le manuel en question, mais les cadres de références psychologiques, où l'absence de cadres dont le but du cours est, précisément, de les acquérir. L’espace, le temps et l’intrigue atteignent plus vite au sens de l’unité qu’une longue démarche comparative qui ne serait qu'un long détour, où l’on enseignerait l’unité par la diversité. Or, sans les coordonnées psychologiques, ces comparaisons demeurent suspendues entre l’Être et le Néant. Les villes existent bien mais leurs différences s’annulent. Montréal et Buenos Aires ne prennent «consistances» dans l'esprit que si l'élève connaît à la fois l'Histoire du Québec et l'Histoire de l'Argentine, qui serait une pré-condition à penser historiquement les différences. C’est un peu ainsi que le multiculturalisme de Taylor et l'interculturalisme de Gérard Bouchard en viennent à créer un enseignement de/par la diversité qui précipite tout dans le néant de la relativité. Que sont les cultures religieuses lorsqu'on a aucune connaissance historique ou géographique de leurs croyants? Le jeune Sikh a un kirpan, la musulmane un voile et le catholique un scapulaire. Tout cela, simule le même rapport qu’un idolâtre à son gri-gri. Je peux donc me dire catholique et penser que la réincarnation, c’est beaucoup plus trippant que la résurrection à la fin des temps. Le végétarisme s’accorde mal avec une religion qui donne le corps de son Dieu à manger en signe de communion fraternelle. La foire aux religions n’a donc qu’un commun attrait : la tolérance entre groupes distincts dans une école d’intégration qui vise en fin de compte l'uniformité. Pourtant, on a jamais enseigné, à ce que je saches, les particularités physiologiques et anthropologiques des races qui se côtoyaient. Pourquoi? Car là où la notion de race est condamnée, celle de religion est valorisée, et l’école laïque devient dispensatrice d’un enseignement religieux «au choix», selon le principe de la liberté commerciale (à condition de ne pas faire de vagues au niveau criminel). Heureusement que les religions ne voient pas plus loin, car c’est le néant qui, là aussi, va finir par rattraper toutes ces «diversités» religieuses.

Le jeune M. Yelle, malgré ses références à la post-modernité de l’enseignement de l’histoire, ne fait que le ramener aux expériences des années 70. Bien sûr, apprendre à «penser historiquement» est une nécessité intellectuelle pour tous les citoyens. Expérimenter le sociodrame, se mettre, par exemple, dans la peau des explorateurs de la Compagnie de la Baie d’Hudson, fait déjà partie desrealityshows présentés à la télévision. Et comme souvent par le passé, comme pour la religion, l’histoire finit par s’enseigner auprès du foyer. Il y a celle, officielle, du Parti, et il y a celle, perpétuée secrètement par la famille, remplacée ici par le roman historique ou les séries télé. On a connu ça dans toutes les dictatures au XXe siècle, pourquoi pas dans les démocraties dépolitisées du XXIe? Il y a beaucoup plus de chance que les didactiques post-modernes deviennent des occasions de jeux et de banalités plutôt que des processus d’acquisition de connaissances.

Le problème essentiel de l’enseignement de l’histoire, depuis qu’il existe au Québec, c’est qu’il vise à acquérir trois choses qui ne sont pas la connaissance historique même. L’une est la mémoire. Remplaçant la rhétorique après la disparition des cours classiques, l’enseignement de l’histoire s’est structuré selon le processus mnémotechnique : date/personnage/événement. La chronologie, si utile pour repérer les événements, devient le but essentiel de la mémorisation. Si un étudiant répond 1534 à la date de la fondation de Québec, l’erreur sanctionnée est moins la mauvaise date que le fait qu’il n’a pas retenu en mémoire la bonne. Cette pédagogie fut à l’origine du mépris de la connaissance historique par la plupart de mes condisciples de classes et si je me suis tôt intéressé à l’histoire, ce n’était pas particulièrement à cause de la mémorisation des dates, des personnages historiques et des événements. En définitive, c'est un automatisme behavioriste qui donne peu de culture et une mémorisation passagère. À la rigueur, nous sommes confinés au catéchisme historique.

Avec le niveau secondaire, la mnémotechnie devient moins importante mais est remplacée par la propagande idéologique qui envahit les cours d’histoire. Mon professeur d’histoire en secondaire IV était, à l’époque et comme tant d’autres, souverainiste et militant du Parti Québécois. Dans les années 1970, il était difficile de ne pas s’étendre encore exagérément sur le régime français, franchir la conquête, les étapes constitutionnelles de 1774 à 1840, les Rébellions et s’achever avant la Confédération. La période 1760-1840 était au cœur des recherches socio-économiques de Fernand Ouellet, Jean-Pierre Wallot et Jean Hamelin. C’est au niveau collégial qu’il devenait possible d’avoir un cours d’histoire du Québec post-1867. Évidemment, il y avait beaucoup de rétroprojection des événements de 1970-1976 dans la querelle des gouvernements Craig et Dalhousie avec la Chambre d'Assemblée. Cette histoire nationale n’était plus celle du manuel Farley-Lamarche des Clercs de Saint-Viateur, où subsistaient des relents cléricalo-nationalistes, mais plutôt du militantisme politique engagé dans le processus de l’Indépendance du Québec. La réédition de la somme historique de Gérard Filteau sur les Patriotes de 1837-1838 marqua un moment dans la bibliographie québécoise. Mais tous les professeurs d’histoire n’étaient pas nécessairement indépendantistes, et certains, partisans du fédéralisme, s’engageait avec la même ardeur à enseigner une histoire du Canada coast to coast. Finalement, il ne s’agissait pas de penser historiquement un problème politique ou social, mais d’adhérerà une option politique, celle du professeur. Le nationalisme partisan, de fait, remplaçait notre ancien catholicisme clérical. Le projet innovateur de Allard et Lefebvre arrivait en pleine effervescence nationaliste; il le contredisait, le prenait à revers, le refusait. Mais il n’était pas de taille à gagner. Une fois de plus l’enseignement de l’histoire se voyait détourné de son but et investi dans la culture politique comme l'ancienne l'était dans la culture religieuse.

Aujourd’hui, le jeune M. Yelle s’inquiète des pressions des membres de la «Coalition pour l’histoire» auprès de la ministre péquiste de l’Éducation, Mme Marie Malavoy : «L'offensive des historiens de la Coalition pour l'histoire dans le dossier de la “refonte” du programme d'histoire nationale est inquiétante. Préférant pourfendre ceux qui s'opposent à leur vision conservatrice et instrumentale de l'histoire que d'exposer et de proposer clairement un projet bien argumenté, ils s'attaquent tant à la qualité de la formation des maîtres qu'au Programme de formation de l'école québécoise (PFÉQ) en superposant les sophismes d'autorité aux omissions d'informations cruciales au débat». On retrouve dans la coalition des mentors comme Robert Comeau, des activistes nationalistes comme Gilles Laporte et des historiens «boréalisés» comme Éric Bédard. Il est évident que ces historiens, liés à l’Action nationale et à d’autres organismes nationalistes beaucoup plus radicaux que le Parti Québécois, dénoncent le troisième détournement de l’enseignement de l’histoire, c’est-à-dire l’association établie par le gouvernement Libéral entre l’étude de l'histoire et l'éducation à la citoyenneté. Ici, comme pour le cours de cultures religieuses, il s’agit de travailler à l’intégration des immigrants sans les astreindre à s’engager dans la voie nationaliste québécoise (l'endoctrinement dénoncé par M. Yelle) ou les confronter dans leur adhésion automatique au Canada. Il s’agit d’enseigner l’histoire du Canada, centrée sur le Québec, mais dans une dynamique où le sens de l’unité relève de l’unité canadienne et non de la nationalité québécoise. Plus que le triomphe de l’option fédéraliste sur l’option nationaliste, il s’agit d’utiliser les cours d’histoire pour exposer des comparaisons fumeuses entre notre passé et celui des régions d'où proviennent les élèves nés à l’étranger (Haïti, le Vietnam, les pays latino-américains, le Maghreb).

Face à ce nouveau détournement, les partisans de l’ancien détournement identifient, avec M. Laporte, «10 trucs pour écœurer les élèves» de l’histoire. Truc #1 : revoir cinq fois la même matière durant tout le secondaire. Cette tendance à la répétition de la même matière relève surtout de la mauvaise articulation des programmes entre les différents niveaux, problème vécu ailleurs, dans d’autres disciplines, et pas spécifiquement l’histoire. Truc #2 : l’insistance sur les relations entre Iroquoiens et marchands de fourrures. Ce thème, surexploité, vise à insérer le passé amérindien dans l’histoire canadienne ou québécoise. Au-delà des peuples fondateurs, il y avait les Premières Nations, les autochtones qui survivent aujourd'hui - mais en quel état! -, et avec lesquels, jadis, les Anglais faisaient commerce aux comptoirs tandis que les Français vite voulurent les coloniser et les acculturer. C'est la fameuse thèse libérale défendue par les historiens Bruce Trigger et Denys Delâge. Truc #3 : évacuer l’histoire du Québec contemporain. Le Québec d’après la Confédération n’a jamais été abordé au niveau secondaire. Pourquoi? Parce que la matière est trop ample pour seulement deux ou trois années de cours. Truc #4 : la méthodologie historique, c’est-à-dire demander aux élèves de s’habituer au travail d’historien en exerçant leur esprit critique sur des «bouts de textes» cités et des reproductions iconographiques. À cela, M. Laporte oppose sa nostalgie de l’apprentissage par dates et par faits. Nous sommes au confluent des trois détournements : la mnémotechnie (qui ouvre sur l’érudition); la propagande nationale (qui ouvre sur la conscience politique) et la volonté de développer un sens critique de la citoyenneté. Cette initiation à la profession d'historien n'est pas mauvaise en soi. Dans les années 1950, Frégault, Brunet et Trudel avaient publié deux recueils de documents, l'Histoire du Canada par les textes. Il était possible des utiliser au secondaire. Le problème, pour M. Laporte, c'est que les extraits d'aujourd'hui sont enrobés d'une interprétation qui ne convient pas à ses aspirations nationalistes puisqu'elle insiste sur la relativité des cultures. Les écrits de Marie de l'Incarnation sur les autochtones ou le procès de Marie-Angélique, l'esclave noire accusée, jugée et pendue pour avoir mis le feu à la ville de Montréal sous le Régime français ne représentent en rien la vie des habitants de la Nouvelle-France. C'est exact. Mais la leçon de «citoyenneté» contenue dans ces exercices vise par contre à désamorcer les situations de discrimination. Truc #5 : l’évacuation des personnages et des événements marquants. Ici, c’est le vieux reproche adressé par la première génération des historiens des Annales contre l’histoire-bataille, qui était celle que contenaient les manuels de mnémotechnie de ma petite enfance, histoire-bataille que le nationalisme, le socialisme et le féminisme reprennent allègrement. Truc #6 : dénationaliser l’histoire du Québec, c’est-à-dire perdre l’intrigue qui tient dans le territoire québécois des origines à nos jours. Perdre l’intrigue nationale, dans tous les pays occidentaux et non seulement au Québec, c’est perdre l’épine dorsale qui unit les régions (souvent en rivalités) et les périodes (souvent marquées de ruptures) les unes aux autres. On comprend que c'est le sens de l'unité nationale qui est en péril pour les membres de la Coalition et qu'il n'y en a aucune autre de préférable ou même de pensable. Truc #7 : la formation de pédagogues au détriment d’enseignants de l’histoire. Ce truc dénonce la formation pédagogique des divers départements d’Éducation, jugée trop théorique pour les exigences quotidiennes de l’enseignement pratique, qui font du professeur un artisan plutôt qu’un applicateur de grilles et de modèles. Truc #8 : truffer l'histoire de «citoyenneté», de «retour au présent» et autre «ailleurs», qui marque à la fois un come-back du projet de 1970 de l’enseignement de l’histoire à partir du monde actuel et d’autre part l'installation à demeure de pratiques post-modernes telles que celles défendues par M. Yelle qui torpillent le sens de l'unité si difficile à acquérir. Il s’agit de «se mettre à la place» des esclaves dans les cales puantes de navires du XVIIe siècle; de «se mettre à la place» d’un autochtone dans sa tribu; de «se mettre à la place» d’une Fille du Roy qui épouserait un soldat du Régiment de Carignan. De «se mettre à la place» d'individualités alors que l'histoire est une discipline avant tout du collectif. Apprendre la relativité des cultures, c'est bien, mais au détriment de l’identité collective, ce ne l’est plus. Truc #9 : combattre la recherche de l’excellence. Évidemment, M. Laporte est un élitiste. Il met de l’avant les grandes figures historiques au détriment des petites gens. Il y a toutefois des moyens d’aménager le tout sans réduire à l’uniformisation telle que le prône le projet libéral et auquel sera astreint à se soumettre le nouveau programme péquiste (si jamais il voit le jour). L’historiographie française, par exemple, a su propulser les petites gens au devant de la scène sans pour autant oublier rois, reines, héros et autres figures nationales. Truc #10 : une épreuve synthèse qui ne récapitule rien, car il n’y a pas de contenu à mémoriser, ni de leçons patriotiques à promouvoir, ni même de règles de citoyenneté à justifier. Créé pour lutter contre l’endoctrinement nationaliste, le programme établi par l'ancien gouvernement Charest se résumait à un éclectisme de considérations morales sur la façon de bien se conduire entre citoyens : mon ami l’autochtone; mon ami l’immigrant; mon ami le musulman; mon ami le fédéraliste; mon ami le panda de Chine. On ne peut pas apprendre toutes les histoires de tous les ressortissants en même temps. Mais cette ouverture sur l’histoire universelle est désormais incontournable, et ce n’est pas en revenant aux méthodes mnémotechniques ou propagandistes qu’on y parviendra. Notre pensée historienne québécoise doit accéder à une maturité qui lui a échappé jusqu'à présent. Et l'éducation à la citoyenneté n'a rien à voir là-dedans. Bref, la didactique moderne, telle que récupérée par le programme libéral du gouvernement Charest, est une didactique inappropriée à l'acquisition des connaissances historiques de demain.

Tout n’est donc pas mauvais dans les 10 «trucs» condamnés par M. Laporte. Le problème est, comme toujours, qu’aucune des méthodes proposées ne vise à développer l’histoire comme connaissance empirique et comme méthode d’analyse de l’actualité. À l'inverse d'il y a 30 ans, on se plaint du manque de connaissances au nom des méthodes d’analyse : les deux ne sont pas exclusives, elles ne sont que mal arrimées. On se plaint de la disparition des figures d’avant-scène, mais on ne peut négliger le fait que ce sont des groupes humains qui font l’Histoire et non seulement des figures, isolées ici et là, et qui sont davantage faits par les événements que par leur qualité intrinsèque. Avant d’être le sauveur de la colonie en 1690, Frontenac n’était qu’un arriviste - par le biais de sa femme à la Cour de Louis XIV -, un commerçant aux pratiques douteuses, en rivalité commerciale sur l'alcool avec les Jésuites, et rappelé pour son manque de doigté avec l’évêque Laval. Je doute que ce soit là les aspects que M. Laporte voudraient que l’on enseigne, prioritairement, de Frontenac, bien qu’ils soient aussi importants que la bouche de ses canons! Faire des esclaves noirs de la Nouvelle-France les «ancêtres» des Noirs actuels qui peuplent le Québec, c’est une sottise. Il y a eu interruption génétique des Noirs au Canada après leur extinction à la fin du XVIIIe siècle. Ceux qui habitent le Québec présentement sont des exilés des tyrannies de Haïti et de quelques autres pays de l’Afrique noire francophone venus ici dans la foulée des missionnaires du XXe siècle. L’histoire des Noirs au Canada n’a aucune commune mesure avec celle des Noirs aux États-Unis, au Brésil ou dans les Antilles. Apprendre le martyre de l’esclave Marie-Angélique ne tissera pas nécessairement chez le néo-québécois de couleur un lien d’appartenance historique avec les autres Québécois, francophones ou anglophones. Il y a de la naïveté, sinon de la niaiserie dans ce programme bon enfant des Libéraux.

Il est donc difficile de partager l’une de l’autre trois méthodes qui détournent de la connaissance historique pour des objectifs qui laissent supposer que cette connaissance n’a aucune valeur ni en soi, ni pour soi. L’erreur entretenue depuis la fin du XIXe siècle par le clergé ultramontain nationaliste, repris par les nationalistes laïques, enfin par les méthodes post-modernes de didactiques ne sont que des expériences sur la psychologie de l’adolescence, à la fois dans la formation de la personnalité et dans sa capacité à s’ouvrir à l’altérité. Il n'existe aucune méthode gagnante pour transmettre à tous la passion d'une connaissance, à moins d'être un enseignant honnête, objectif mais nullement étranger aux attentes de ses élèves et de leur société commune. Voilà pourquoi l'enseignement restera toujours le plus grand des arts, et que le problème des Québécois ressort assez clairement de cette histoire : ne pas savoir quoi faire avec son Histoire. On pourrait tout aussi bien prendre les règles de civilité, la bienséance, l’hygiène et l’éthologie pour faire la même affaire que le programme histoire et citoyenneté. Le cours d’histoire ne sert que de laboratoire expérimental de psychologie de l’adolescence, et dans la mesure où nous en restons à une psychologie simpliste, behavioriste, ces expériences ne nous apprennent rien de ce que nous savons déjà. Au cours d’histoire, il n’y a que la connaissance historique qui y perd …et quelques élèves.⌛

Montréal
2 avril 2013

Sur la tête d'Anarchopanda

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D'après Lucas Cranach. Salomé et la tête de Jean-Baptiste

SUR LA TÊTE D’ANARCHOPANDA

Nous avons du mal à ne pas considérer les événements de ces dernières semaines autrement que comme un accroissement de violence discrétionnaire autorisée à ses policiers par le maire de Montréal et probablement entériné par le gouvernement péquiste à Québec. Les hommes d’affaires se sont concertés et, avant que ne débute la saison touristique et ses nombreux festivals qui s’achèveront dans le vomi de hot-dogs à la salmonellose et de bière en fût des festiveaux, les policiers ont reçu l’ordre d’éradiquer une fois pour toutes les manifestations gênantes, même si celles-ci ont perdu une partie de leur justification idéologique liée à l’augmentation des frais de scolarité universitaires.

Usant de violence gratuite, par manque d’intelligence des coordinateurs des services policiers qui croient que l’intimidation suffit à abolir une meute, les policiers ne cessent de cultiver des sentiments haineux à leur endroit. Dans le courant de la semaine, un graffiti sur un mur extérieur d’un commerce du quartier Hochelaga-Maisonneuve reproduisant la figure du porte-parole du service de police de la ville de Montréal, Ian Lafrenière percée d’une balle dans le front,  entraîna une réaction virulente de la part du service de police. À défaut de saisir le malicieux graffitiste, les policiers se rendirent à Rosemont, chez la militante Jennifer Pawluck, qui avait photographié la figure et mise en partage sur les réseaux sociaux, avec quelques commentaires sans doutes peu avenants. Elle se retrouve maintenant avec une accusation d’avoir : «agi à l’égard de Ian Lafrenière dans l’intention de le harceler ou sans se soucier qu’il se sente harcelé [...] ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité [...]». Une autre manifestation, comme il y en a à peu près à toutes les semaines, s’est tenue à la célèbre place Émilie-Gamelin, centre de ralliement de presque toutes les manifestations depuis l’année dernière. Bientôt encerclés par les forces policières, les manifestants se sont vus pris dans une souricière, impuissants à s’échapper des agents casqués. Des autobus sont arrivés servant de bureaux d’enregistrement des manifestants prisonniers du cul-de-sac où la police les avait ceinturés. Parmi eux, la mascotte, Anarchopanda, qui fut de toutes les manifestations étudiantes de 2012. Symbole à la fois de la philosophie anarchiste et de la non-violence des participants, le professeur de philosophie du cégep Maisonneuve qui revêt son costume a reçu cette fois-ci un «ticket» pour avoir manifesté «masqué». Le règlement P6, contre lequel la manifestation était organisée, vise à interdire le port de masques pendant une manifestation. Écœuré sans doute de voir cette figure grimaçante de Guy Fawkes sur toutes les faces des Black Bloks, le maire Applebaum entend maintenir ce règlement contesté devant les tribunaux.

Il est facile d’élaborer sur la sottise policière tant celle-ci est évidente. On peut souligner sa méchanceté puérile telle que démontrée dans l'affaire 728, sa mauvaise foi, sa violence gratuite, sa corruption politique, son mercenariat, protégée à la fois par un service qui la transforme à son gré en «police politique» et par un syndicat suffisamment puissant pour éponger toutes les conséquences criminelles des bavures qui ont conduit tant de malheureux innocents à une mort violente prématurée. Son inimputabilité la déres-ponsabilise «naturel-lement» des consé-quences de ses actes. La police de Montréal n’est pas une fierté. Certes, comparée à la police d’autres municipalités, elle nous apparaît bien penaude. Elle évite les bains de sang qu’on retrouve ailleurs aux États-Unis ou en Amérique du Sud. Elle a pris un temps énorme à trouver des stratégies efficaces pour dissoudre, pour faire avorter les manifestations populaires. Elle a été saisie de court par les événements importants du Printemps 2012. Maintenant, elle dépasse les organisations contestataires qui ne renouvellent plus leur stratégie et gaspillent inutilement l’énergie qu’elles pourraient investir ailleurs, dans d’autres tactiques, car dans la lutte insurrectionnelle, il faut toujours être un pas en avant des forces répressives, ce que les «sages» qui conseillent les organisateurs de manifs semblent ne pas avoir très bien compris. Ce gaspillage des forces énergiques des manifestants lié à la reprise de l’initiative stratégique par les forces policières achèvent, à la satisfaction des fournisseurs de paradis fiscaux - qui sont les mêmes qui imposent et surtaxent les classes moyennes et les plus pauvres de la société - de «pacifier» la métropole du Québec. En soi, de l’antagonisme des parties, nous confinons ici à la complicité tacite.

Le fait d’avoir «décapité» l’Anarchopanda avait sans doute une portée symbolique précise pour la police - venger le trou de balle dans le front du portrait d’Ian Lafrenière -, il avait aussi une charge symbolique encore plus profonde : décapiter À MORT le mouvement contestataire, c’est-à-dire la jeunesse québécoise qui refuse le confort et l’indifférence de la minorité dominante qui s’impose partout, dans un consensus qui cultive l’ignorance et la bêtise financière. Certes, comme toujours, cette jeunesse militante n’est pas la majorité de la jeunesse québécoise et beaucoup de Québécois d’âges différents partagent cette «insurrection» assez passive malgré tout. Nous ne pouvons pas prendre la violence banale dont a fait preuve le spvm depuis un an en le mesurant à l’extrême violence des corps de polices étrangers dans leurs milieux. Nous ne pouvons que la confronter à la violence exposée par les manifestants qui se présentaient devant eux, et force est de reconnaître que la violence policière n’a jamais cessé de déborder progressivement les limites défensives du convenable pour devenir foncièrement provocatrice et de plus en plus excessive. Devant des manifestants inquiets et stupéfaits devant cette furioso policière, nous devons nous avouer que nous sommes en présence de policiers peureux devant la rage manifestée par certains manifestants. Bref, tout le monde sue la peur dans cette confrontation. Ce qui veut dire, dans les faits, que personne n’est sûr de lui-même. Voilà pourquoi les coordi-nateurs pensent moins pour agir plus vite, mais sans mesurer les conséquences de cultiver un terrorisme latent qui ne fera qu’entraîner toujours plus de terrorisme patent lorsqu’il se réfugiera dans le maquis, les sociétés secrètes, les actions gratuites, car c’est vers cette issue incontournable que la stratégie imbécile de la police de Montréal nous conduit : une décennie de terrorisme à l’image de celle des années 60, avec bombes dans les boîtes aux lettres, enlèvements de personnalités politiques, voire assassinats des deux côtés. Car, nous le savons d’expérience, les agents infiltrateurs poursuivent la stratégie du terrorisme d’État lorsqu’ils parviennent à noyauter des cellules d’esprits surexcités, pas plus intelligents que le commun des coordinateurs de la police. C’est par son action inconsidérée que la police conduit présentement Montréal et le Québec vers une résurgence d’un terrorisme intérieur, favorable à l’instauration d’un climat dictatorial, à la suspension de l’Habeas Corpus - déjà pas toujours respecté d’ailleurs -, à des arrestations et des détentions arbitraires, enfin à des violences physiques et psychologiques insondables. Actions massives opérées par des policiers qui échappent à l'imputabilité et à l'impunité tacite, nous sommes assurés que nous n'aurons plus besoin de l'armée canadienne cette fois-ci, car nos bons policiers sont déjà tout suréquipé, légalement et illégalement, pour accomplir tout ce qui leur passera par la tête.

Tous les éléments sont présentement rassemblés pour que le chemin pris par les forces policières conduisent à ce beau résultat. Il favoriserait le fédéralisme dans une rencontre Harper ou Trudeau/Couillard pour précipiter l’adhésion du Québec à la Confédération, sans passer par le référendum tant il n’est pas prescrit par le processus démocratique même, puisque la Confédération elle-même ne s’est jamais soumise, entre 1864 et 1867, à un quelconque processus référendaire sur la question. Et l'exemple de Terre-Neuve montre qu'on peut faire autant de référendums qu'il est permis pour obtenir ce que l'on veut. La Constitution de 1982 n'en a pas appelé davantage au processus référendaire non plus.


Même chose face à la crise sociale qui suit la perte de contrôle de l’économie de marché par les organismes issus de Bretton Woods. Ni la Banque mondiale, ni le Fonds monétaire international n’ont de solutions à proposer à la crise engendrée par le capitalisme lui-même, par son manque de discipline dans sa voracité et la retenue de l’avidité de ses promoteurs. Les mouvements populaires ne peuvent venir à bout de ce Protée historique, et seules les générations de capitalistes parviennent à se succéder en se liquidant elles-mêmes les unes les autres. Les révélations concernant les paradis fiscaux où s’accumuleraient des sommes inimaginables détournées dans la plupart des États du monde au moment où la monnaie virtuelle exige son équivalence en monnaie sonnante et trébuchante, va obliger les gouvernements à agir pour sauver le capitalisme contre lui-même. Comme une espèce organique, le capitalisme vit des capitalistes comme il a vécu des travailleurs et vit aujourd’hui des consommateurs. Et dans la nature, les espèces détruisent parfois certaines de leurs branches afin de permettre à d’autres de survivre et de se développer. C’est à une liquidation de ce genre à laquelle nous assistons présentement. La forte croissance des économies émergentes oblige les économies pantouflardes, peinardes, à liquider leurs vieux dinosaures, quitte à leur tordre le cou et à obliger l’argent détourné à revenir dans le coffre des États fraudés afin de conserver l’avantage du capitalisme occidental devant l’agressivité de ces puissantes économies émergentes. Puissantes pour plusieurs raisons : la vitalité démographique contre la baisse des naissances en Occident; les capacités de production aux plus bas coûts en se servant d’une main-d’œuvre servile jumelée à une haute technologie en développement; la surproduction envisageable comme stratégie de «dumping» dans les pays occidentaux de manière à étouffer leurs secteurs industriels nationaux et renverser l’impérialisme de manière à transformer les anciennes métropoles en colonies de ces nouvelles puissances. Le secteur énergétique est sans contredit le pivot de renversement qui permettra ainsi le retour du balancier historique. D'où la position «privilégiée» du Canada dans cette guerre civile entre capitalistes. Autant les prochaines décennies nous apparaissent inquiétantes pour l’avenir de l’économie capitaliste occidentale, autant elles apparaissent pleines de promesses pour des civilisations étrangères et peu amènes à l’égard des anciennes métropoles occidentales.

Tout cela précipite les pays occidentaux dans la déprime, le cynisme et la violence. Le goût du fascisme revient sur les lèvres et plutôt que de laisser les mouvements anarchiques de droite ou de gauche faire le travail, les États suivent le conseil de Danton et espèrent résoudre le problème par l’ordre policier et les tribunaux. De plus, multiplier les infractions est une façon de renflouer les coffres municipaux vidés par les détrousseurs, les corrompus et les anges des paradis fiscaux dont la plupart ont d’étroites relations avec les hommes politiques de tous partis confondus, comme le montre les malheurs qui s’abattent sur le nouveau Président de la République française, François Hollande. Imaginez si D.S.K., s’étant tenu la graine dans ses culottes à New York, était devenu l’actuel Président!

Cette structure économique de l’économie de marché en voie de basculer de la géographie atlantique à la géographie pacifique jumelée à cette conjoncture des crises politiques et sociales, à une époque où les idéologies sont vidées de toutes substances et où le nihilisme tient la place du vide intellectuel, l’état du monde n'est rien de moins que certains. Chacun exprime donc ses angoisses - et parfois ses peurs réelles - devant les menaces potentielles de l’avenir. Voilà ce qui motive les actes de violence de la police puisque c’est elle qui sert de garde-fous aux minorités dominantes qui leur transmettent leurs paniques intérieures. La violence effrontée, partagée unanimement par les Libéraux, des personnages aussi pitoyables qu’un Jean Charest, un Jean-Marc Fournier, un Raymond Bachand et maintenant le doucereux Philippe Couillard; des équipes aussi pathétiques que celle du Parti Québécois de Pauline Marois, la désolation que sont François Legault et ses caquistes, enfin la pauvreté stratégique et tactique de Québec Solidaire, avouent l’impuissance totale et incontestable du personnel et des partis politiques québécois à bien naviguer dans la tempête. À Ottawa, l’élection de Justin Trudeau à la tête du Parti Libéral confirmerait Stephen Harper dans sa mainmise sur le Canada. Agissant déjà comme un gouvernement fasciste, c’est-à-dire qu’il fait ce qu’il avait promis de faire sans dévier de sa ligne - même si elle est tordue -, il est le seul à pouvoir venir à bout de la mafia des fournisseurs de paradis fiscaux, comme Mussolini jadis en Italie, en exerçant une pression judiciaire et politique sur les capitalistes canadiens qui ont abusé des lois de l’État. À ce seul compte, il peut parvenir à sauver le capitalisme des capitalistes.

Mais l’encolure policière de Harper s’applique aussi bien à la population qu’aux provinces et aux capitalistes fraudeurs. La loi sur l’Assurance-chômage en est un exemple. L’écho recueilli par la politique Maltais contre les Assistés sociaux en est une preuve indiscutable. C’est par la violence des crises que le capitalisme peut passer d’une figure de Protée à une autre, c’est donc en recourant à la violence, encore une fois, qu’il va procéder pour éliminer cette couche de capitalistes devenus dangereux pour son avenir. La question maintenant consiste à se demander quelle frange du capitalisme va sortir gagnante de cet affrontement. Le trou de balle dans le front de Ian Lafrenière ou la tête de l’Anarchopanda?

L’historien québécois d’origine germanique, Heinz Weinmann avait écrit un livre fascinant Du Canada au Québec Généalogie d'une histoire, que les historiens québécois ont boudé, comme ils boudent toujours ce qui dépasse la limite étroite de leurs petites compétences, dont la thèse était centrée autour du fantasme de la décapitation. Imbu des thèses de Jung et de Girard, Weinmann analysait l’archétype de la décapitation comme un effet de l’identification inconsciente des Québécois. Le culte voué à Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin, célébrerait aussi bien la pendaison des Patriotes de 37 et de Riel que la décapitation de McLean, un espion américain sous le régime du Harper de l’époque, le gouverneur Craig, enfin du roi Louis XVI, en tant que figure paternelle. La question ne serait plus alors faut-il ou non décapiter, mais qui faut-il décapiter? La Figure de l'Enfant (McLean, les Patriotes, Riel?) ou la Figure du Père (Louis XVI, John A. Macdonald)?

Car en 1992, pour célébrer le jour de la pendaison de Riel, des plaisantins ont décapité la statue de John A. Macdonald, père de la Confédération et du Canada. Ce geste, qui avait alors amusé le Premier ministre du Québec, l’indépendantiste Jacques Parizeau, avait, bien entendu, traumatisé les partisans du Canada, surtout les anglophones, considérant que la statue est au Parc Dorchester, à côté de la cathédrale de Montréal. Comme la tête ne fut pas retrouvée, il fallut en sculpter une autre et la mettre sur les épaules du malheureux. Cette décapitation symbolique venait trente ans après que l’explosion d’une bombe ait fait sauter la tête de la jeune reine Victoria au Victoria Hall de l’Université McGill, sur la rue Sherbrooke. Entre les deux attentats symboliques, le meurtre de Pierre Laporte, en octobre 1970, a opéré le passage du symbolique à l’historique. Le Québec contemporain n’hésiterait désormais plus à décapiter ses figures de Père. L’État n’a plus la signification absolue qu’il avait depuis le Régime français et sous la colonisation britannique. C’est ce que rappelle le trou de balle dans le front de Ian Lafrenière. Ni les premiers ministres, ni les hommes politiques, ni les policiers à plus fortes raisons, ne sont immunisés contre l’abus de la violence haineuse et meurtrière à leur égard. Aussi, en redoublant de violence, au lieu de l’apaiser, les coordinateurs jouent le rôle tragique des Capulets et des Montaigüs dans le Roméo et Juliette de Shakespeare, d’accroître la vendetta entre les partis. La violence utilisée par le spvm serait justifiable si les manifestants étaient de véritables vandales mus par la violence et la haine destructrice. Tel n’est pas le cas. Aussi, le fait d’utiliser le terrorisme d’État peut finir par se retourner contre eux, et ni le chef Parent, ni le chef de la Fraternité, Yves Francœur, ne pourraient sauver la tête du policier qui, détachée, roulerait dans le fossé avec son casque et sa visière.

D’où l’importance de surenchérir sur le fantasme de la décapitation en prenant la tête de la mascotte des insurgés. Dans ce vieux scénario, qui répète toujours le Totem et tabou de Freud, afin d'éviter la castration de la Figure du Père à laquelle s’identifie la minorité dominante, s’impose alors le besoin de décapiter la Figure de l’Enfant. L'angoisse de la castration sociale conduit à la pédophtorie d'État, cet avortement post-partum dont parlait le polémologue Gaston Bouthoul, par des guerres, par des massacres intérieurs, par des conditions de détentions homicides. La Rébellion de 1837 avait entraîné bien des morts, mais celle de George Weir, un officier britannique déguisé en civil, infiltré parmi les Patriotes lors de la bataille de Saint-Denis qui, capturé, est tué en tentant de s’évader, prit une dimension symbolique qui fit que le Remember Weir! fut lancé par les soldats anglais survoltés lors de la bataille de Saint-Charles. À la rébellion, réprimée dans le sang par Colborne, la mansuétude de Durham consista à expédier les prisonniers de 1837 aux Bermudes. Après la Rébellion de 1838, Colborne fera giguer les siens au bout d’une corde. Parce que Riel, s’étant enfui aux États-Unis après la première Rébellion des Métis en 1870, celle qui avait coûté la vie à l’orangiste fanatique Thomas Scott, son sort fut rapidement scellé en 1885, après la seconde Rébellion où avait dû intervenir l’armée britannique de l'incapable Middleton. Selon ce pattern simpliste qui voudrait qu'user de modération dans la répression invite au déclenchement d’une seconde manifestation plus violente, plus dangereuse, laisse supposer qu'il vaut mieux exciser le mal le plus rapidement possible. C'est en cela que l'action policière est proprement imbécile. Symboliquement, le successeur actuel de George Weir et de Thomas Scott, c’est Ian Lafrenière, tout le monde l’aura compris.

S’emparer de la tête d’Anarchopanda, c’est la vengeance tribale implicite. Le totem policier a été visé au front. Le crime doit être puni, judiciairement et symboliquement. Le soir de la manifestation du 5 avril 2013 a été l’occasion pour les forces du Père de régler ses comptes personnels. Bring me the head of Anarchopanda. Si les résultats des élections du mois de septembre 2012 ont fait rouler la tête de Charest (symboliquement), la corruption à l’Hôtel de Ville de Montréal celle du maire Tremblay, les porteurs de la Figure du Père ont de quoi se sentir inquiétés. La tête du chef de police, Marc Parent, a été à un doigt elle aussi de tomber. Dans la guerre civile que se livrent les capitalistes, l’intervention des manifestants n’est utile que s’ils revendiquent des objectifs précis. Ce qui a été le cas durant la première phase du mouvement étudiant du printemps 2012. La chose se serait réglée facilement si le représentant de la faction établie du capitalisme, corrompu par le pouvoir et les détournements frauduleux, ne s’était obstiné. L’ampleur de la manifestation a entraîné le débordement des revendications en même temps qu’il a fait s’évanouir la plupart des revendications réformistes. Perdant des objectifs précis pour se revêtir d’objectifs imprécis et vaguement utopistes, l'opposition à la brutalité policière est devenue le dénominateur commun des manifestants alors que le mouvement s’essouffle progressivement. Confondue avec le droit à la liberté d'expression, l'opposition à la brutalité policière est un enjeu ambiguë puisqu'on n'accepte pas l'existence de la police sans lui accorder l'usage d'une certaine force. Personne ne demande l'abolition du service de police, mais seulement que celui-ci ne serve pas, ne se prête pas, à la censure sociale.

Manifester contre la police est le dernier souffle d’un mouvement social revendicateur. La guerre d’opérations est devenue une guerre de tranchées. C’est cela qu’on appelle la souricière. Portant en triomphe la tête d’Anarchopanda comme les joueurs du Canadien, l’équipe de hockey de Montréal, porteraient la coupe Stanley, c’est le plaisir honteux des policiers qui n’ont plus à combattre pour vaincre. En retour, les raisons qui ont conduit à ces manifestations de l’été 2012 et qui s’étiolent en langueur, demeurent. La guerre civile à l’intérieur du capitalisme entre deux générations, deux modes conceptuels du développement économique, l’un, néo-libéral, qui est déjà usé et rendu menaçant pour la stabilité économique, incapable de redresser ses propres vices, l’autre, qui n’a pas encore reçu de nom, mais dont la présence se fait sentir dans les nouveaux secteurs de pointe et qui tisse déjà des liens étroits avec les économies émergentes afin d’avoir sa grosse part du gâteau. Cette nouvelle frange de l'économie capitaliste a besoin présentement de capitaux pour faire affaires avec des économies nationales vigoureuses qui ne peuvent manipuler l’économie virtuelle avec la même aisance et demandent, pour leurs transactions, de la monnaie sonnante et trébuchante afin de renflouer les coffres de leurs banques. Cet argent dort dans les casiers des «paradis» qui se sont placés en dehors de la justice internationale, précisément parce que ces pays n'ont aucune infrastructure économique solvable. Les capitalistes de la génération du baby boom, du néo-libéralisme, laissent dormir cet argent pour toutes sortes de raisons, plus irrationnelles qu'illogiques, tandis que cet argent serait nécessaire à juguler la crise des marchés financiers. C'est ici que cette nouvelle frange économique peut, en réclamant des réformes sociales, rendre possible l’établissement de leur nouvelle hégémonie. C'est ce rendez-vous que les deux parties derrière la crise étudiante de 2012 demandaient.

Il est pénible, encore une fois, de voir à quel point le discours économique des journalistes et des économistes universitaires est si arriéré, si aveugle aux fortes pressions qui déchirent les capitalistes entre eux. Les explications d’un Alain Dubuc ou d’un Pierre Fortin - un soi-disant «lucide» - et les bouffonneries didactiques du prof. Lauzon, nous ramènent aux principes dépassés du XVIIIe siècle. Ce retard, encore une fois, va nous coûter très cher. Stephen Harper, lui, accueille les pandas chinois avec une promesse de s’en prendre aux évasions fiscales tout en pratiquant des ponctions inhumaines de taxes, d'impôts et de coupures de services à sa population. Car ne nous y trompons pas, Harper s’est réfugié auprès de ses gentils pandas chinois pour mieux fuir ces manifestants autochtones qui arrivaient d’une marche de milliers de kilomètres, en plein hiver, pour venir de la Baie d’Hudson à Ottawa, réclamer le respect des droits ancestraux et plaider contre l’épouvantable misère qui afflige leurs peuples. Harper comprend mieux que n’importe quel vieux capitaliste néo-libéral issu de l’ère Reagan ce qu’il faut comme administration pour assurer le renversement de l’équilibre capitaliste. Voilà pourquoi il pratique une politique économique adaptée à cette classe montante de nouveaux capitalistes, en symbiose avec les économies émergentes.

Aussi, préfère-t-il l’État canadien aux peuples canadiens. C’est le cas de tous les dirigeants mégalomanes : si sa politique réussit, c’est parce que c’est sa politique et qu’il peut mettre l’archaïsme au service du futurisme. Il désole son propre territoire, ponctionnant les matières premières et les richesses pour les mettre dans le jeu des échanges mondiaux, à la manière du colonialisme du XIXe siècle. Si sa politique venait à échouer, la faute en retomberait sur le dos du peuple «sur lequel il s’est appuyé», qui n’était pas le bon matériau pour opérer la transition. C’est ce que Mussolini et Hitler convenaient, chacun séparément, des conséquences funestes de leurs politiques, à quelques heures de leur mort tragique. C’était les Italiens et les Allemands qui n’étaient plus dignes d’eux à l’issu de leur parcours. Voilà pourquoi la dictature conservatrice canadienne a été mise en place, non sans efforts, au cours de la décennie précédente. L’économie canadienne y gagnera-t-elle au change? C’est ce que souhaite Stephen Harper, mais l’économie canadienne ne sont pas les Canadiens. La France, l’Angleterre, les États-Unis peuvent bien être des pays riches mais ils possèdent chacun un quart-monde dont la situation objective est tout à fait comparable à celle des populations des régions les plus défavorisées de la terre. Au Canada, ce contraste peut très vite se manifester dans le temps. Pour Protée qu'elle soit, l'économie capitaliste, néo-libérale ou autre, reste toujours un mode d'exploitation où aux contraintes économiques s'ajoutent les contraintes extra-économiques, c'est-à-dire la violence des maîtres du jeu.

Cette guerre civile entre milieux d’affaires capitalistes, comme toujours par le passé, se joue, se livre sur le dos des peuples, trop divisés idéologiquement pour se concerter et éviter de se laisser entraîner comme «chair à canons» des impérialismes. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui que par le passé. Chacun livre le combat pour soi, n’ayant aucun véritable projet de société cohérent sinon que d’en profiter au maximum. C’est là l’immaturité du mouvement populaire de 2012. On abat pas un vieux système économique seulement en marchant dans les rues ou en cassant quelques vitrines. Il faut élaborer un programme idéologique qui ne peut reposer sur le nihilisme ni sur le cynisme; il faut une praxis cohérente et efficace, des stratégies, des tactiques de combat s’il n’est pas possible d’user autrement avec des forces déclinantes et prises de panique devant leur mort lente mais inéluctable, enfin il faut une projection utopique qui sert d’alternative et qui appelle à la vitalité et la reconstruction des dommages subis par cette agonie inouïe. Visiblement, tout cela ne résidait pas dans la tête vide de la mascotte, et l’Anarchopanda apparaît comme le symbole de ce manque. Quand les philosophes se mettent à jouer à la mascotte, il y a de fortes chances pour que le devenir de la communauté ne soit plus rien d'autre qu'une apparence gonflée d'air⌛


Montréal
7 avril 2013

Archéologie de la contre-culture québécoise

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Claude Péloquin, murale de Jordi Bonet au Grand Théâtre de Québec

ARCHÉOLOGIE DE LA CONTRE-CULTURE QUÉBÉCOISE

Depuis que mes années d’université sont passées, je ne cours plus les conférences intellectuelles. Si, ce jeudi soir du 11 avril 2013, je me suis rendu à celle organisée par la librairie Olivieri pour la sortie du numéro de la revue Liberté, c’était plus par un heureux hasard que par l’objectif d’y assister. J’ai d’ailleurs manqué les premières minutes de cette conférence portant sur le phénomène de la contre-culture québécoise dans les années 1960-1970. Une vingtaine d’auditeurs assistaient à la table de discussion animée par Olivier Kermeid. On y retrouvait trois collaborateurs à ce numéro, Catherine Lalonde, Jonathan Lamy et Jean-Philippe Warren.

Le placard d’invitation était formulé ainsi :
    Il est de bon ton de se moquer de la contre-culture aujourd’hui. Les communes, l’amour libre, le LSD et le patchouli, comme tous les clichés, sont en effet souvent risibles. Mais l’héritage de la contre-culture se limite-t-il bien à ces bêtises ?

    Le Québec moderne doit beaucoup, comme on le sait, à la Révolution tranquille, et bon nombre de figures de la contre-culture se sont permis de rappeler le point de départ politique, réformateur et rebelle de cette révolution dont les acteurs sont devenus, au fil du temps, trop dociles. Et si la contre-culture avait servi, entre autres, à pointer du doigt le début de l’endormissement des révolutionnaires tranquilles? Leur lente mais sûre institutionnalisation?

    Avec cette causerie nous désirons prolonger la réflexion aborder dans le dernier numéro de Liberté et nous nourrir d’une question essentielle: que s’est-il passé au juste pendant cette période qui, au-delà des jugements esthétiques ou éthiques, fut marquante pour l’art au Québec? Cette contre-culture existe-t-elle encore? A-t-elle été récupérée par l’industrie culturelle (ses détracteurs diraient qu’elle en a toujours fait partie)? A-t-elle disparu des radars? A-t-elle des héritiers, si oui, lesquels?
En fait, ce placard est passablement «caricatural» en lui-même. Qualifier de bêtises les stéréotypes des communes, de l’amour libre, du LSD et du patchouli, donne, tout en s’en défendant, une image quelque peu équivoque de ce que l’on entend parler. Autre élément dissonant : l’opposition entre la «bonne» Révolution tranquille (soudainement mise au pluriel) et la «mauvaise» contre-culture qui serait «le début de l’endormissement des révolutionnaires tranquilles; leur lente mais sûre institutionnalisation». Cette vision manichéenne est simpliste en soi tant la contre-culture a participé de la Révolution tranquille et que sans la Révolution tranquille, l'explosion de la contre-culture n'aurait pas été possible, comme le démontre l'échec de Refus global en 1948. Cette hypothèse de l'endormissement fait écho aux critiques des communistes de l’époque, mais dans les faits, l'endormissement révolutionnaire est venu de ceux-là mêmes qui se faisaient les défenseurs du prolétariat et les encaisseurs de l'État, comme le montrent, encore une fois, le scandale de l'îlot Voyageur, l'éloge de la richesse de «l'économiste» de La Presse et la rigidité centraliste démocratique qui a été celle du Bloc Québécois pendant 20 ans. Après avoir étalé les jugements pré-conçus, le placard nous invite donc à nous interroger sur ces années de contre-culture québécoise. Que s’est-il passé au juste qui déborderait les limites du jugement esthétique et éthique? La contre-culture a-t-elle été récupérée? Est-elle disparue des radars? A-t-elle des héritiers et si oui, lesquels, ce à quoi on associe une caricature de l’Anarchopanda!

Ayant manqué le début de la causerie, je suis arrivé au moment où les intervenants discutait d’une manière assez souple sur la contre-culture avec ses icônes : Denis Vanier, Josée Yvon; même Michel Tremblay y est passé. Ma première question en moi-même était «de quoi parlent-ils?» Et j’ai eu un moment de doutes lorsqu’un assistant leur a demandé d’où venait ce terme de contre-culture? Personne à la tablée ne pouvait y répondre et postulait, sur le mode de pensée analogique, à  l’origine anglaise de l’expression Quiet Revolution, qui, «traduit», nous a donné cette périodisation de l'histoire du Québec. J’étais un peu gêné, en tant qu’historien, de voir des gens qui discutent de la contre-culture, des intellectuels visiblement intelligents et passionnés par leur objet, ne s’être jamais posé la question de l'origine de l'expression.

Comme je suis paresseux, alors j’ai consulté Wiki afin de m’informer. Le terme (parfois écrit en un seul mot, contreculture - ce qui laisse supposer qu’il aurait pu être d'origine allemande -, provenait du sociologue Theodore Roszak (1933-2011), professeur d’histoire à l’Université de Californie, plus connu pour ses romans d’anticipations et quelques essais. Le mot, il l’aurait inventé en 1968 pour son essai Vers une contre-culture (The making of Counter Culture), de même qu’il inventa la notion d'écopsychologie en 1995. Pour Roszak, la contre-culture serait un «phénomène structuré, visible, significatif et persistant dans le temps».  Reste le plus difficile à faire : définir le phénomène. Pour Roszak, il lui arriva un malheur identique à celui de Christophe Colomb.  Le terme contraculture se retrouvait déjà en 1960, sous la plume de John Milton Yinger, dans un article de l'American Sociological Review, éditée par l'association américaine de sociologie. Yinger publiera en 1982 Countercultures: The Promise and Peril of a World Turned Upside Down, d’où que c’est à lui que certains attribuent la paternité du terme. Cela, aucun des participants ne le savait, ce qui faisait preuve d’un manque de méthode rudimentaire. Définir les mots, en faire l’étymologie et l’historique avant de les utiliser, c’est ce que le bonhomme Lucien Febvre enseignait à ses élèves.

Ne nous fâchons toutefois pas trop contre nos jeunes intellectuels. Wiki n’en dira pas plus long. Il associera la contre-culture à la façon dont Heidegger utilisait le concept de zeitgeist (esprit du temps, une mode), des expressions de l’éthos, des aspirations (idéologiques), des rêves (psychiques) d’une population spécifique (essentiellement la jeunesse) au cours d’une période donnée (ici les sixties et seventies). Enfin le paragraphe qui en appelle aux cultural studies, ramène au ton même du placard de présentation : «une contre-culture est une sous-culture partagée par un groupe d’individus se distinguant par une opposition consciente et délibérée à la culture dominante». Ma foi, c’est ce que j’attendais comme définition du phénomène. C’est bref, empirique, stricte, vidé de sens et de contenu. Mais c’est un outil délibérément pratique pour l’historien.

La seconde remarque qui me laissa songeur fut lorsque nos mêmes conférenciers convinrent qu’il n’y avait pas d'essais d’analyse et de synthèse de ce que fut la contre-culture au Québec dans ces années 60 et 70. Bref, le sujet est tellement vaste et tellement «éclaté» à la fois, qu’il apparaît difficile, audacieux ou prétentieux à un chercheur unique d’en saisir toute la portée. Pourtant, depuis le XIXe siècle, d’autres contre-cultures sont apparues ici et là, partout en Occident, qui autrement plus complexes, ont eu leurs chercheurs capables de donner d’excellentes synthèses. Le mouvement impressionniste en peinture, rejeté par l’académisme dominant, trouva en Napoléon III un protecteur qui leur permit un Salon des refusés, en 1863, où Manet exposa son fameux Déjeuner sur l’herbe. Dada et le Surréalisme relèvent de la contre-culture si l’on pense à l’académisme bourgeois (Barrès, France, Bourget) comme à la tradition réactionnaire (Claudel, Daudet, Maurras) de l'époque. Le Fascisme, par la définition que lui concoctèrent le Duce et son philosophe, Gentile, passait pour une contre-culture dont on connaît les effets politiques pervers et subversif. Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale ont ainsi multiplié les groupes marginaux dans les années 1950, en Amérique plus qu’en Europe, encore trop ébranlée par la reconstruction. Mais le Plan Marshall, qui imposait la consommation des produits culturels américains, en particulier les films hollywoodiens, allait offrir l'opportunité de lancer plusieurs contre-cultures nationales. C’est contre cet «impérialisme culturel», importé, imposé, que des mouvements nationaux, puis proprement contre-culturels se développeront au tournant des années 60 dont le cinéma de la Nouvelle Vague française, avec Truffaut, Rohmer, Varda, Eustache, Rivette, Chabrol et, bien entendu, Godard, allait être la réponse. Il apparaît possible, avec les documents que nous avons, de se lancer dans une première étude historique et analytique de la contre-culture québécoise. J’ai même sous les yeux, le livre de Steven Jezo-Vannier, San Francisco L’utopie libertaire des sixties, publié aux éditions Le mot et le reste, en 2010, sur la contre-culture américaine.

Le phénomène de la contre-culture des sixties couvre sans doute toute la civilisation occidentale, mais chaque nation, chaque localité y apporte sa spécificité. Les influences sont grandes d’une contre-culture à l’autre, et cela tient à son éclatement et au fait qu’elle est bien une culture relevant d’une minorité créatrice. La Nouvelle Vague du cinéma français s’oppose moins à la tradition cinématographique française qu’à l’avalanche de films américains des années cinquante. En ce sens, elle joue un rôle identique à celui du Néo-Réalisme italien, qui, après la déroute du fascisme et après la guerre, a établi son nid dans la Cinecitta. Rosselini, Visconti, de Sica vont non seulement aborder des thèmes condamnés par la morale bourgeoise italienne, mais des thèmes franchement contre-culturels. Chez Pasolini surtout, avec Teorema (1968) qui sera diffusé par la contre-culture du monde entier. On peut dire que son film posthume, Saló ou Les 120 journées de Sodome (1975), marque, dans l’esprit du cinéaste italien, le triomphe de l’establishment sur la contre-culture, où le sexe et la joie de vivre inspiraient ses dernières œuvres cinématographiques avant de sombrer dans l'univers morbide du marquis de Sade et de la république sociale des fascistes nazifiés. De même, ce n’est pas sans raison que Antonioni ait été tourner son film le plus contre-culturel, Zabriskie Point (1970), aux États-Unis. L’explosion finale de la maison en plein désert où se sont réfugiés les riches après la mort du jeune rebelle qui a tué un policier, apparaît clairement comme une prophétie cataclysmique des valeurs du régime établi en Europe par l’«occupation» américaine.

Les Britanniques ont réagi de même. La décennie 1960 a été vécue comme une véritable révolution culturelle : au cinéma, en littérature, en arts et à la télévision. Si le phénomène des Beattles peut apparaître à prime abord une culture du fond de tavernes de Liverpool, les jeunes aux cheveux longs ont quand même bonne mine et ne se révèlent pas des opposants politiques dangereux dans cette ère de Guerre Froide. Ce ne sont pas les Beattles qui vont lancer la vague contre-culturelle, pas même les Rolling Stones. C’est la contre-culture américaine, l’underground, qui bientôt va les entraîner, sous la direction de John Lennon, vers des chemins inspirés ailleurs, dans les Indes ou au Népal. Qu’un cinéaste américain comme Stanley Kubrick ait trouvé en Angleterre des auteurs comme Anthony Burgess et Arthur C. Clarke pour l'inspirer, n'est pas un hasard. Pour lui, il y avait là, en Angleterre, une antithèse à la société américaine comme Henry James en avait trouvé une au début du XXe siècle.

Performance avec lièvre mort
L’Allemagne aussi fut un foyer contre-culturel, mais sa défaite de 1945 et sa division la plaçant au cœur de la Guerre Froide, cette contre-culture attendit le mouvement étudiant des années 1960 pour apparaître autre chose que des créateurs isolés, à l’exemple de Joseph Beuys (1921-1986), sans véritables liens entre eux. C’est au cours des années 1970 que l’Allemagne vécut, avec un certain retard, une vague contre-culturelle assez forte dont Peter Fleischmann avecScène de chasse en Bavière (1970), et R. W. Fassbinder au cinéma, apporteront un équivalent au Néo-Réalisme italien.

Ces rapides survols de la contre-culture européenne n’avaient pour but que de montrer la spécificité nationale de chacune d’entre elles. Anti-américaine dans l'ensemble, parfois tentée par la mobilisation communiste ou ouvriériste, les questions sociales sont généralement au cœur de ses thèmes et de ses problématiques partout en Europe. L’Angleterre, qui a vécu de façon un peu moins tragique les effets de la Seconde Guerre mondiale, s’est reprise en se mettant en garde contre l’influence américaine en investissant dans une culture anglo-saxonne propre, radicale, avec des cinéastes comme Lindsay Anderson et plus tard, Stephen Frears. À l’opposé d’une littérature cinématographique commerciale ou kitsch des James Bond, on peut trouver Georgy Girl (1966) de Silvio Narizzano, mais surtout les extravagants films de Ken Russell dont La symphonie pathétique, inspirée librement de la vie et de l'œuvre de Tchaïkovski et Women in love, d'après le roman de D. H. Lawrence, restent ses meilleurs. L’essentiel pour la Nouvelle Vague britannique, encore plus que pour son équivalent français, c’est de se distinguer des productions américaines, non seulement commerciales, mais parmi ce qui peut se produire de mieux dans le cinéma des États-Unis.

Car, pour les Britanniques, la contre-culture devait s'imposer contre le monopole américain, y compris en matière d'art underground. L'effort était double, à la fois linguistique et culturel. Déjà la culture des fiftiesétait nettement marquée par une littérature, des arts plastiques, un cinéma nettement en guerre avec la tradition littéraire et académique. Si San Francisco, comme le dit Steven Jezo-Vannier, marque le point de repère de l’utopie libertaire des sixties, la contre-culture des fiftiesétait essentiellement itinérante. Elle commença avec les beatniks aux blousons de cuir, dont Marlon Brando a rendu la tenue iconologique. C’est après avoir observé la décennie des années 50 que Yinger a sorti pour la première fois l’expression, définissant par la négative, un mouvement qui se voulait une «renaissance» des thèmes moraux et artistiques américains les plus ancrés dans l’histoire. «Ils furent les premiers à protester contre ce qu’ils considéraient comme la fadeur, le conformisme et le manque d’objectifs sérieux sur les plans social et culturel de la vie que menait la classe moyenne américaine. Si une grande partie du pays participait joyeusement au vaste mouvement migratoire vers les banlieues, eux, en revanche, rejetaient ce nouveau style de vie, né de l’aisance, et s’inventaient un autre mode d’existence, ils étaient les pionniers de ce que l’on allait bientôt appeler la contre-culture. Si bien des jeunes gens de leur génération avaient envie de se marier, d’avoir des enfants, de posséder automobiles et maisons, de fréquenter des voisins au même train de vie que le leur, ces jeunes gens considéraient la banlieue comme une vraie prison. Ils ne voulaient pas d’un avenir avec retraite garantie, mais recherchaient avant tout la liberté - celle de faire sa valise pour partir sur-le-champ à l’autre bout du pays, s’ils le désiraient. Ils se voyaient comme des poètes dans un pays de philistins, comme des hommes et des femmes à la recherche d’un destin spirituel et non matériel». Ce paragraphe de David Halberstam (Les Fifties, Paris, Seuil, 1995, p. 214), définit très bien le concept et l’esprit de la contre-culture qui nous concerne, y compris au Québec.

Réaction esthétique à la fadeur et au conformisme de la culture américaine corsetée par l’anti-communisme du sénateur McCarthy. Un film comme Rebel without a cause (1955), où l’on voit le jeune James Dean en révolte confronter un père (joué par Jim Backus, Thurston Howell III dans Gilligan’s Island) portant un tablier, penché à quatre pattes, ramassant le plateau et l'assiette jetés sur le tapis, traduit cette réaction devant des Américains «émasculés» par la vie de banlieue et dont les fils se débattent à mort contre des mères qui les étouffent avec le verre de lait et la jarre à biscuits. La lutte à cette dévirilisation de l’Américain en devenir appelait non à une consommation plus grande, plus féroce, mais à un retour aux origines de l’Amérique : la vie simple, la transhumance, la lutte pour se faire une place au soleil, dans la nature plus que dans les villes industrielles où le salariat aliène les corps et les esprits, la liberté sauvage des mœurs qui n'impose pas à une nuit une quelconque promesse de mariage. Lointain héritiers de la pensée de Emerson et de Thoreau, pour eux, contrairement à la contre-culture européenne qui aura toujours une façade politique mettant aux défis les régimes de De Gaulle, de Willy Brandt ou de Aldo Moro, les beatniks américains seraient intégralement réactionnaires, c’est-à-dire non ouverts sur un projet idéologique portant vers une utopie de société à créer, mais partisans d'un retour à la source de l'américanité contre une certaine trahison bourgeoise des valeurs profondes américaines : «Leur premier groupe [de Beatniks] s’était constitué à l’université de Columbia, à Manhattan. Les étudiants qui y réussissaient le mieux, ceux qui n’auraient aucun problème à faire partie de l’Ivy League, les considéraient comme des parias. Leurs manières de s’habiller, leurs comportements, leurs origines, chez eux, rien n’allait. En vérité, c’était un groupe d’amis assez improbable. Allen Ginsberg, a 17 ans, était un jeune homme du New Jersey timide et maladroit, mais enthousiaste, qui ne savait pas encore trop s’il devait prendre l’université au sérieux ou non. En décembre 1943, il fit la connaissance de Lucien Carr, venu récemment de l’université de Chicago. Carr écoutait du Brahms dans sa chambre; Ginsberg, qui était seul et s’ennuyait, frappa à la porte. “J’ai entendu de la musique”, dit-il. “Elle te plaît?” demanda Carr. “Je crois qu’il s’agit du quintette avec clarinette de Brahms”, répondit Ginsberg. “Tiens, tiens! Une oasis dans ce désert!” Carr ouvrit une bouteille de vin. Ginsberg était ébloui, y compris par la beauté de son hôte» (ibid. pp. 214-215). Rien là qui n’appelle aux caricatures évoquées par le placard de nos conférenciers. Carr était déjà tout entier dans Greenwich Village lorsqu'il présenta Ginsberg à William Burroughs qui tenait une position de «sage». Kerouac s’ajouta au groupe. Le but de celui-ci, comme des Futuristes italiens du début du siècle, était de vivre intensément, donc à l’opposé de l’univers concentrationnaire banlieusard qui s’installait progressivement dans l’Amérique triomphaliste.

De là le milieu antithétique qu’ils vont se forger. Comme l’écrit encore Halberstam : «Les beatniks, ou beats, pour leur donner le nom qui leur est resté, n’avaient de respect que pour ceux qui étaient différents, qui vivaient en dehors du système et en particulier en hors la loi. La vie criminelle les fascinait et ils croyaient que les hommes qui avaient connu la prison avaient fait l’expérience de la plus grande liberté par rapport au  système. Dans son livre [Go], Holmer décrit leur monde : “Des turnes minables d’arrière-cours, des cafétérias à Times Square, des boîtes à be-bop, des myriades de bars dans le coup, les rues elles-mêmes. Un monde habité par des gens accros aux drogues ou à d’autres habitudes, cherchant à s’enfoncer un peu plus dans leur folie; et reliés entre eux par les fils invisibles du manque, d’anciens menus délits, ou par l’étrange reconnaissance d’affinités. Ils avaient constamment la bougeotte, vivaient la nuit, se précipitaient  pour prendre un contact, puis disparaissaient soudain avalés par la prison ou la route, et réapparaissaient tout aussi brusquement, se cherchant les uns les autres. À leurs yeux, la vie était clandestine [underground], mystérieuse, et ils semblaient n’avoir conscience de rien d’autre en dehors des réalités des coups, des piaules où coucher, de s’éclater au jazz le plus frénétique et de continuer comme ça”» (ibid. pp. 218-219). On a là l’essentiel du modèle de vie opposé à la sécurité bourgeoise, qui faisait craindre à chaque père, à chaque mère de famille, que l’un des membres de sa progéniture se fasse beatnik. Avec le roman de Kerouac, On the road (1957), la mystique beat trouva son Jean de la Croix et sa montée du Carmel. Comme le dit le titre de l’étude sur le phénomène hippie par Michel Lancelot : Je veux regarder Dieu en face (Paris, Flammarion, Col. J’ai lu, #396, 1968), il y a beaucoup de ce souhait qui s'exhale dans l'ensemble de l'œuvre de Kerouac.

Une fois l’Amérique traversée à pied, en auto ou en train, c’est à San Francisco - Frisco - que la contre-culture américaine trouva son foyer. Tour à tour, ou en même temps, Beatniks, Diggers, Merry Pranksters, Hippies, Hell’s Angels y vinrent s’y établir. Ces groupes se voyaient accompagnés d’artistes de toutes sortes de qui sortirent les mots qui allaient faire le tour du monde : Don’t trust anybody over thirty de Jack Weinberg, leader du Free Speech Movement, qui indiquait clairement le «conflit des générations» qui fondait la contre-culture contre la culture bourgeoise dominante; Today is the first day of the rest of your life de Gregory Corso, auteur beatnik, qui fit du carpe diem le fondement de la morale de vie contre-culturelle; Can you pass the acid test? défiaient les Merry Pranksters à leurs postulants, ce qui montre combien la contre-culture exigeait des rites initiatiques apparentés à ceux des sociétés primitives; Power to the Imagination, All power to the people, inspirés probablement de l’imagination au pouvoir des soixante-huitards français et repris par le Berkely Liberation Program de 1969; de même Create your own reality, inspiré des écrits de Jane Roberts et qui traduit un certain existentialisme sartrien; Turn on, tune in and drop out, credo de Timothy Leary, le théoricien du LSD. Be here now, formule de Richard Alpert, alias Ram Dass. Si Frisco était le port  de la contre-culture, Haight-Ashbury en était le cœur, et est resté jusqu’à nos jours avec Greenwich Village à New York, les pôles d’attraction de la mémoire contre-culturelle américaine.

Avec la guerre du Vietnam et l’enlisement des troupes américaines dans la jungle indochinoise, la contre-culture trouva matière à déborder les paramètres éthiques et esthétiques pour se faire volontiers politique. Les hippies devinrent des yippies avec le manifeste de Jerry Rubin, Do it, auquel le Yes we can du candidat Obama apparaît comme un lointain rappel d’un demi-siècle perdu. Si, en France, l’Internationale Situationniste de Guy Debord dénonçait la société du spectacle, pour Rubin, la révolution, c’était le théâtre dans la rue:

Tu es le théâtre.
Tu es l’acteur.
Il n’y a pas de chiqué.
Pas de spectateur.

Julian Beck et le Living Theatre
À l’heure où le théâtre délaissait la scène à l’italienne pour devenir le happening, où l’impro-visation non encadrée, non réglementée à la différence de nos actuelles soirées d’impro, le scénique et le politique se fondaient l’un dans l’autre. Alors que des politiciens, aujourd’hui, acceptent de paraître dans des téléromans ou des sketches télévisés, c’était le commun des individus qui se hissait au pouvoir, comme dans une fête des fous démocratiques, brandissant sa pancarte, s’opposant à la conscription militaire ou à la politique réactionnaire de Reagan, alors gouverneur de Californie. Le yippie de Rubin était anarchiste et non communiste, libre-penseur, libre-discoureur, libre-créateur. L'usage de ses drogues n’était pas perçu comme un accroc et ses expériences visaient les limites de la psyché humaine. Les drogues contribuaient à la socialisation de la contre-culture, alors que dans notre monde actuel, elles consacrent la solitude de l'isolisme individuel.

Le paradoxe sur lequel il faut maintenant insister, c'est la reconnaissance de l’aspect purement régressif de cette démarche, résumé laconiquement par Rubin : «Notre message, c’est : ne grandissez pas. Grandir, c’est abandonner ses rêves». À première vue, comment conseiller à des jeunes gens tout feu tout flamme, qui ont fuit la maison de banlieue de papa et le verre de lait et la jarre à biscuits demaman, de ne pas «grandir»? Cette contradiction réactionnaire est la contradiction qui porte en elle la défaite de tout le mouvement contre-conturel occidental. Du point de vue idéologique, il est possible d'expliquer la chose : l’américanité, en abandonnant ses rêves fondateurs, s’était reniée à travers la petite-bourgeoisie de banlieue. La sauvagerie de la vie libre exprimait la vérité profonde de l’Amérique. Les destins tragiques, ceux de James Dean et de Marilyn Monroe, de Jimmy Hendrix comme de Jim Morrison et Janis Joplin, confirmaient la mythologie des westerns et des films de gangsters : vivre dangereusement, vivre intensément, mourir jeune avant que l’âge ne vous ait rendu sénile et vulgaire, il y avait là un lointain écho au «théorème de Théognis» de l'ancienne Grèce, qui disait qu'il n'y a pas de mort plus belle que celle d'un jeune homme sur le champ de bataille. Du point de vue symbolique, ce mode de vie appelait, inconsciemment, à retourner dans le sein maternel, celui de la terre où se creuse la tombe des morts. Mourir jeune, mourir beau, avant que le sida injectée par une seringue souillée où un coït non protégé, ne pouvait être qu'une chimère éphémère. Car, au-delà des exhibitionnismes, du nudisme, de la violence, la contre-culture était motivée par cette quête infantile de la pureté, de la décence et de l’honnêteté. À BAS L’OBSCÉNITÉ. GLOIRE À DIEU. BANNISSEZ LE MOT «FUCK». (J. Rubin. Do it, Paris, Seuil, Col. Points Actuels, # A4, 1971, p. 220). Parce que les bourgeois huppés de banlieue ne cessent de le répéter à toutes les phrases… Voilà pourquoi, lorsque la peste des temps modernes se conjugua avec le néo-libéralisme conservateur de l'ère Thatcher et Reagan, elle finit par balayer l'essentiel des rêves infantiles véhiculés par la contre-culture.

Qu’il se soit mêlé aux groupes contre-culturels les revendications des Noirs pour l’égalité des droits civils (avec Eldridge Cleaver), le féminisme le plus radical (Angela Davis), les mouvements de reconnaissance des homosexuels comme des êtres sains et moraux (Harvey Milk), tous ces apports ne modifiaient en rien les principes de base de la contre-culture établis au cours des fifties. Les sixties ne firent qu’ajouter une profondeur liée à l’immanence des conditions politiques et sociales. La récupération ne commença qu’à la fin de la décennie, après la convention démocrate de 1968 tenue à Chicago, lorsque la répression sauvage avec laquelle les policiers américains tabassèrent les yippies de Rubin finit de rompre toute attente politique des mouvements contre-culturels.

Parallèlement, la contre-culture artistique finissait par rejoindre certains milieux de la grande bourgeoisie américaine. Des artistes déjà cotés, comme Andy Warhol, servaient de pont entre une culture acceptée pour son excentricité, le Pop Art, et une culture underground dont les films de Warhol lui-même et ceux de Paul Morrissey dont les titres : Flesh, Trash et Heat, mettant en vedette l’acteur Joe Dallessandro, icône de la culture gay, présentait pour la première fois à l’écran un prostitué mâle tapinant afin de permettre à l’amie (lesbienne) de sa femme d’avorter. En un seul film, c’était plus ce que la bonne conscience américaine pouvait en prendre! Si le réalisateur John Schlesinger, avec Midnight cowboy (1969) put reprendre le thème de la prostitution mâle, et y substituer l’usage des hallucinogènes à la place de l’avortement, rendant le film plus acceptable pour le grand publique, la culture de l’underground américain trouvait ainsi une voie commerciale pour transiter vers la culture de masse. Désormais, le monde des paumés n’était plus seulement celui des ruelles et des hôtels de passe des fifties, mais des demeures de millionnaires, des orgies de capitalistes issus des romans de Sade, des endroits où se rencontraient des vedettes de cinéma, des modistes internationaux, des coiffeurs homosexuels, mais aussi des poètes maudits, des dandies bientôt rongés par le sida et des starlettes promises à une overdose. La rencontre fatale du 10500 Cielo Drive, en juillet 1969, lorsqu'une soirée d'intimes tenue à la résidence Polanskià Los Angeles, où les drogues dures pimentaient une veillée déliquescente, fut perturbée par l'invasion de domicile par les disciples de Charles Manson, tout aussi sous l'effet des speed et autres LSD, s'acheva dans une boucherie sanglante rarement vue. Le monde bourgeois converti à la contre-culture voyait la contre-culture sauvage se présenter sous sa forme la plus hideuse. Si tous pouvons régresser, nous ne régressons pas tous avec la même délicatesse. Une fois de plus, le rêve américain retrouvait sa pente fatale de la destruction et de l’aliénation morbide.

Et la contre-culture québécoise dans tout ça? Lors de la présentation à la librairie Olivieri, j’ai exprimé que si Michel Tremblay pouvait être associé à la contre-culture, c’était dans la mesure où sa dramaturgie était inspirée de la tragédie grecque, de ce théâtre antique qui précède la loi aristotélicienne des trois unités à la base de tout le théâtre classique que l’on produisait au Québec depuis des décennies, le seul autorisé par le clergé catholique. Quittant les malheurs des héros tragiques et des dieux méprisants, le coryphée devient, dans Les Belles-sœurs, Germaine Lauzon, la gagnante d'un lot impressionnant de timbres Gold Stars, et le chœur est constitué des femmes qui, avec elle, collectionnent (et se volent) les timbres, se lamentant sur leur condition humiliante et rêvant à des rêves aussi médiocres que le fut leur existence. C’était la tragédie grecque appliquée au petit peuple prolétaire et sous-prolétaire des petites rues de quartiers de Montréal. Il y a là une piste qui permet de mieux comprendre ce que fut la spécificité de la contre-culture québécoise.

Je fis en plus référence au recueil de poésie de Paul Chamberland, Le prince de Sexamour, ouvertement pédophile, m’interrogeant à savoir si un tel livre serait publié aujourd’hui? Non pas que le poète le réécrive ou non, mais serait-il publié sans entraîner une censure ou un scandale des Mères indignées du Québec aux téléjournaux? Une répétition du scandale qui avait accompagné la présentation des Fées ont soif, à la fin des années 1970? Bien sûr, tout le monde convint qu’un tel livre ne serait pas publiable aujourd’hui. Les participants attribuaient à la réaction morale développée depuis plus de vingt ans qui rendrait impossible cette publication, alors qu’elle permet des obscénités et des grossièretés retenues comme de mauvais goût mais banales sur les heures de grande écoute à la télévision.

Un large pan de la problématique se découvre ici. Si nous conservons à l'esprit que la publication du Prince de Sexamour est de 1976, préfacée par Josée Yvon et Denis Vanier qui, deux ans plus tôt, avait publié un recueil de poésie au titre provocateur du Clitoris de la fée des étoiles, profanant l’innocence et la pureté de l'enfance par le voyeurisme de la zone érogène féminine jusque-là tenue «cachée»; si nous acceptons le fait qu'en remontant à seize ou quatorze ans plus tôt, alors que Baudelaire, Victor Hugo et Jean-Paul Sarte osaient à peine sortir le bout du nez hors des enfers des librairies du Québec; nous saisissons mieux la violence du renversement symbolique et moral de la psyché québécoise. Ce qu’elle n’aurait pu tolérer en 1960, sauf sous la supervision d’un directeur de conscience, devenait permis, voire impératif quinze ans plus tard. La pression morale se relâchait soudainement et la tension énergétique refoulée depuis près d’un siècle et demi se libérait à travers une formidable explosion à laquelle ne résistait aucune censure, aucune limitation, aucun interdit. Toutes les transgressions, même celles qui nous semblent aujourd’hui inacceptables, étaient franchies. Dans la mouvance de la Révolution tranquille, dans un contexte d’anomie où l’on savait ce qui se perdait et qu'on ignorait encore ce qui s’en venait, la levée des interdits apparaissait nécessaire pour ne pas que l’effondrement psychologique et morale soit traumatisant et destructeur pour la mentalité québécoise.

Le théâtre, qui se développe toujours au moment des crises anomiques des sociétés, devint le lieu où se passa l’essentiel de la transgression. Les problèmes moraux et sociaux abordés par un Marcel Dubé, dans la droite ligne du théâtre américain de Tennessee Williams et d’Arthur Miller, où les fils homosexuels et les relations incestueuses étaient évoqués tragiquement mais avec pudeur, débouchaient dans l’hystérie de la duchesse de Langeais et de Hosana, pièces de Michel Tremblay. Toute une série de pièces hors normes, publiées à l’époque par les éditions Léméac, autorisait des scènes de nu, de masturbation, de meurtres sur scène. La plupart de ces pièces, aux titres parfois longs ou flamboyants, eurent une vie assez brève, mais elles appartenaient à la contre-culture des années 1960-1970.

Le cinéma underground restait limité. Inspirés davantage par les cinéastes de la Nouvelle Vague française ou les documentaristes de l’O.N.F., le cinéma commercial québécois, sombre et morbide, se voyait entremêlé avec des thèmes contre-culturels. Deux historiens, Denys Arcand et Denis Héroux produisaient, dès 1961, Seul ou avec d’autres, sur le milieu universitaire où figuraient deux des futurs membres du groupe Les Cyniques (dont Marc Laurendeau, fils d’André) et le sociologue Guy Rocher, qui allait participer à la Commission Parent chargée de réformer l’éducation. En 1965, Denis Héroux, et un autre historien, Noël Vallerand au scénario, réalisait Pas de vacances pour les idoles, avec Joël Denis. En 1968, Héroux devait réaliser le premier film de fesses, Valérie, un film d’ailleurs très moralisateur. La nudité, l’une des enseignes de la contre-culture passait progressivement dans la conformisme le plus bourgeois de la scène québécoise. La contre-culture se retrouvait chez des cinéastes moins courus par le grand publique. Gilles Groulx, Jean-Pierre Lefebvre et André Forcier, avec L'eau chaude, l'eau frette(1976)s'inscrivaient en dehors des cercles mondains.

À la jonction de l’Amérique et de l’Europe, la contre-culture québécoise tendait à s’appuyer en alternance sur l’une et sur l’autre. D’une part, il s’agissait de conserver une formation culturelle appuyée sur la langue française et ses défauts (le joual), une culture incomplète, trop longtemps dictée par des impératifs religieux et surtout moraux; de l’autre il y avait la tentation de l’américanité comme transgression, récupérant les mythes américains comme valeurs québécoises : la fuite, la drogue, l’émulation de Jack Kerouac (interrogé par le très sérieux scientifique Fernand Séguin au Sel de la semaineà Radio-Canada, en 1967, deux ans avant sa mort), le besoin de s’éclater, d’atteindre les situations limites tant au niveau psychologique qu'au niveau social.

En 1948, un groupe d’artistes, déjà contre-culturels, avait publié le manifeste Refus global. Il n’eut aucun succès publique. Prématuré pour l’époque, le manifeste annonçait ce que serait la grande libération des années 1960. C’est l’échec de ce premier mouvement contre-culturel qui rendit possible la formidable floraison d’œuvres dans les sixties. Si la guerre du Vietnam eut un impact sur la contre-culture québécoise moindre qu'aux États-Unis et en Europe, c’est surtout parce que le nationalisme québécois avait investi cette contre-culture de sa charge politique. L’indépendance et le socialisme devinrent, en effet, des éléments qui transformèrent les hippies en yippies et qui se conclut le soir du 20 juin 1980, avec l’échec du Oui au référendum. Pour Jacques Godbout, le Québec d’après le référendum devenait un microcosme de la Californie, et surtout de la Silicon Valley et de ce qui allait devenir l’informatique domestique et démocratique. En ce sens, les blogues que je fais sur mon ordinateur, sur lequel j’applique mes leçons de dactylographie, serait l’héritage le plus commun et le plus authentique de la contre-culture, le reste ayant été dissous par la culture commerciale, qui a su absorber génération après génération de contestataires, et l’usure de ses survivants qui ont trouvé à se placer ici ou là, dans les appareils de l’État. Un poète-rocker comme Lucien Francœur, produit de la contre-culture, s’est vite laissé «enfirwaper» dans la culture de consommation jusqu’à se faire porte-parole télévisée d’une chaîne de burgers alors qu’il se plaint, aujourd’hui, que ses élèves, au collégial, ne savent pas écrire, bien que lui-même ne soit pas capable d’écrire au tableau sans faire de fautes!

Le regain d’intérêt pour l’épisode de la contre-culture des sixties est sans doute commandé par le cynisme et la morgue qui caractérisent notre époque, mais il apparaît impossible de créer un mouvement semblable. Le répéter est devenu impossible, considérant que les voyages initiatiques sont aujourd’hui commandités par des agences de voyages; la drogue un produit de consom-mation courant; le sexe pratiqué hors de tout interdit. Le viol des enfants et les meurtres sadiques ne peuvent quand même pas devenir porteurs de valeurs ni de symboles positifs. La contre-culture fut une ouverture attendue et espérée (de Réjean Ducharme, la pièce Inespéré et Inattendu) afin de se libérer d’un lourd fardeau moral pharisien devenu insupportable, d’où l’importance accordée aux changements de comportements moraux aussi bien dans la bourgeoisie que dans la petite-bourgeoisie québécoises. L’effondrement du pouvoir clérical et ses interdits coupables se réalisa en une décennie, laissant la place à toutes les éventualités culturelles. Si la plupart d’entre elles restèrent marginales ou furent éphémères, certaines donnèrent des œuvres qui passeront à l’histoire. Aujourd’hui, les ouvertures semblent encore obstruées, comme en 1948 pour l’équipe du Refus global. C’est ce qui nous exaspère et nous désespère à la fois. La quête continue. Pour l’intellectuel, ne reste que cette phrase qui m’est apparue en rêve : Arbre lisant, de quel point regardes-tu le palais?


Montréal
14 avril 2013

Frédégonde/Ravary, ou comment lire un commentaire du Journal de Montréal

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Chilpéric Ier et Frédégonde dans le Recueil des rois de France de Jean du Tillet (1602).

FRÉDÉGONDE/RAVARY, 
OU COMMENT LIRE UN COMMENTAIRE DU JOURNAL DE MONTRÉAL

ami artiste qui m'a fait
découvrir ce bijou de barbarie

Qualifier Jean-Jacques Samson de journaliste «barbare» est un impair, surtout si l’on n’a pas clairement identifié ce qu’on entend par «barbare». Le barbare est quelqu’un qui a des idées simples qu'il concrétise par un acte de violence. Ainsi, à un mari comblé il dit : «je veux ta femme», et il le tue. À un honnête commerçant juif, «tu as un nez de Youpin», et il lui met son poing dans la figure. À un type gai et primesautier, «t’é rien qu’une christ de tapette», et il lui fourre un coup de genoux dans les schnolles. 728, la barbarie en uniforme du Service de police de Montréal, criait : «c'toute des ostie de carrés rouges là, toute des artistes astie de, de, en tous cas des mangeux de marde» - sa simplicité d’esprit et ses émotions hystériques lui faisaient chercher ses mots -, qu’elle traduisait par des encolures ou de la vaporisation abondante de poivre de Cayenne. Voilà ce qu'est la barbarie. Les textes de Samson, comme les conséquences qui en sortaient implicitement, ne sont que des variations littérales de ces quelques échantillons fort en demande au XXe siècle, à l’époque des totalitarismes, et même des démocraties libérales québécoises corrompues, sous Taschereau, sous Duplessis, sous Jean Drapeau et, depuis, sous le gouvernement Charest.

Maintenant, à tout Chilpéric, il faut une Frédégonde, et celle-ci dévergonde assez bien l’éthique journalistique et l’esprit d’enquête qui veut que l’on s’interroge et que l’on fouille avant d’affirmer et d’écrire. La paresse intellectuelle proverbiale des Québécois trouve dans ces échantillons de barbaries instruites des émetteurs d’idées simplistes qui sont un déni du réel et des appels à la haine feutrés par des tournures de phrases à peine sophistiquées. La pensée barbare repose sur une série de clichés hors contextes liés par une rhétorique qui donne l’impression au premier venu que c’est là l’expression de l’évidence, de la lucidité et de la vérité. Plus c’est simple, disent nos barbares, plus c’est proche de la réalité. «L’évidence» n’a plus qu’à servir de pont. Mais voilà, dans le vieux quiz Family Feud, il arrivait que la majorité puisse s’exprimer et dire que la pelure des concombres était de couleur rouge, et ainsi la famille partait avec le bundle, bénit par le pronunciamiento démocratique.

Notre Frédégonde, c’est Lise Ravary. Au départ, je l’avais confondue avec la comédienne Francine Ruel. Évidemment, ressemblance n’est pas garantie d’excellence. Enfin. La nouvelle «Appelez-moi Lise», à bien lui regarder la tronche, c’est Germaine Lauzon qui collectionne les dépôts directs Péladeau comme l’autre les timbres Goldstar. Aussi, on ne doit pas s’attendre à grand chose de spirituel émanant de ses quelques paragraphes, et comme je ne me nourris pas de ces produits frelatés, c’est par l’entremise d’un ami que j’ai reçu l’adresse de son blogue du 23 mars 2013. Comme on insistait, puis que c’était ma fête hier, puisque… puisque… puisque… J'ai profité de l’occasion pour donner un cours de «Lecture 101» d’un commentaire du Journal de Montréal. En même temps, nous obtiendrons la confirmation de la composition de ce type de «pensée barbare» journalistique généralisé aussi bien dans l’Empire du Baril de Nouvelles Frites que chez son adversaire du Royaume de Sagard-les-Kétaines.

Donnons d’abord la parole à Frédégonde/Ravary :

PERSONNE NE VEUT LE RETOUR DES MANIFS
Lise Ravary - 23 mars 2013

«Les manifestants, quelques centaines tout au plus, qui souhaitent prendre à nouveau d’assaut les rues du centre-ville de Montréal se heurtent cette année à des policiers déterminés à faire régner l’ordre. Qui appliquent désormais, et pas trop tôt,  le règlement municipal P-6 au sujet des itinéraires et du port de masques.

Je ne vois pas beaucoup de citoyens dans la rue armés de casseroles pour protester contre les nouvelles stratégies du SPVM.

Des person-nalités publiques pro-mani-festants en sont rendus à les encourager à remettre les itinéraires, juste pour voir ce qui arriverait.

Entre nous, qui s’est ennuyé de la casse annuelle de la manif du 15 mars contre la brutalité policière, à part les casseurs ?

Qui veut d’un printemps comme celui de l’année dernière, à part une poignée d’anarchistes, de pseudo idéalistes en mal de sensations fortes plus que de justice sociale.

Qui ?

UNE MINORITÉ D’ENRAGÉS

Nul besoin de s’appeler CROP ou Léger Marketing pour savoir d’instinct que les Québécois, les Montréalais en particulier, en ont ras-le-bol des manifestations à répétition pour des motifs rendus illégitimes aux yeux de la majorité par la victoire des étudiants.

Tout le monde sait ça, sauf les enragés de la rue qui vomissent sur les aspirations de quiétude et de normalité de la majorité tranquille. Et les intellectuels égarés qui alimentent une dérive quasi fasciste en leur fournissant des arguments vides de substance, mais qui paraissent songés aux oreilles des ignares cagoulés qui font office d’agents de la révolution. Sans oublier les illuminés de l’ASSÉ qui espèrent toujours imposer la gratuité en troublant à répétition la paix sociale.

Charte des droits du Québec, Charte des droits de l’Homme de l’ONU: les manifestants et leurs commanditaires s’abreuvent à des sources nobles pour justifier l’ignoble en osant se comparer aux opprimés de la Terre. À entendre les ténors du free for all , les Québécois subissent aux mains de leurs gouvernements des exactions aussi graves que ce que les Syriens ou les Congolais endurent au quotidien. Et que la terreur étatique au Québec justifie la contre-terreur de la rue.

Élections, tribunaux, manifestations organisées, référendums ne servent que la propagande du pouvoir établi. On n’y croit plus. Surtout que la violence de l’an dernier a fonctionné.

JUSTIFICATIONS TORDUES
Si les réseaux sociaux ne transmettent pas l’opinion de la majorité, on y trouve par contre d’amples justifications pour les gestes illégaux rêvés ou posés. Quelques exemples glanés:

Les commerçants du centre-ville qui veulent gagner leur vie sans problème ne sont que des courroies de transmission du Grand Capital. Les citoyens qui espèrent retrouver leur auto intacte après l’avoir stationnée le temps d’une soirée au théatre [sic!] ne sont que des pollueurs qui méritent qu’on vandalise leur bien. Les restau-rateurs qui se plaignent du manque de clients ne sont que les lèche-culs de la bourgeoisie, et j’en passe.

Par contre, je n’ai pas encore découvert pourquoi certains manifestants blessent les chevaux de la police. Celle-là, elle m’échappe.

L’Humanité souffre. La planète aussi. Tant de choses exigent notre attention et notre engagement dans une quête active de solutions réalistes.

On a pas de temps à perdre avec ceux et celles qui veulent reprendre le chemin des manifestations illégales quotidiennes».
Ce qui m’étonne, à première vue, c’est que l’on puisse verser un salaire pour un article aussi réduit en termes de quantités de lignes et de qualité du travail. Il est vrai que les très longs romans d’Alexandre Dumas étaient payées à la ligne, d’où ces dialogues interminables à faire tomber les louis dans la cassette à chaque point : «Qui êtes-vous?» (Kling!) «D’Artagnan, madame!» (Kling!) «Je ne vous connais pas». (Kling!) «Je suis mousquetaire du roi, madame» (Kling!) «Ah, bon!» (Kling!)… Ce n’est sûrement pas le cas ici. Des paragraphes appris dans les cours modulés en journalisme : courts, brefs, avec un vocabulaire réduit au stricte minimum de l'alphabétisme, un découpage éditorial avec des titres chocs et faussement dramatiques. Un mauvais travail de cégépienne. Les universités et autres écoles vont en former encore 15 à la douzaine de ces faiseux de bouttes de textes ignares et sans substance. C’est facile après à transposer dans un télésouffleur et à le ruminer au bulletin de nouvelles TVA. À l'ère du copier/coller, c'est, et l'expression est juste, un «jeu d'enfants» que fabriquer de tels textes. À l'exception, que les enfants, on ne les paie pas.

Mais, c’est tant mieux pour nous. Car la démonstration sera plus rapide et plus «évidente». Ce texte est un non-dit, c’est-à-dire un déni du dit qui est renversé comme l'écriture des carnets de Léonard de Vinci qui étaient faits pour être lus à l’envers. Lorsque Frédégonde/Ravary «affirme», en fait, elle nie ou dénie; il faut donc considérer que ce texte est bien un texte négatif, repensé, repris, recorrigé pour être lu comme un texte affirmatif, positif. C’est essentiel pour donner au lecteur l’impression de la concordance de ses points de vue avec ceux de la critique. Frédégonde nous dit ce que nous pensons tous, et nous pensons tous à la vérité de l’évidence. «Le bons sens est la chose la mieux partagée du monde», disait Descartes, et Pierre-Karl, qui s’agitait la casquette Lénine aux Foufounes électriques dans le temps de ses folles années, a retenu ça de ses cours de philosophie à l’université. (Eh! que Frédégone serait pas contente de savoir ça!).

Le titre de l’article «Personne ne veut le retour des manifs» se présente déjà comme un consensus suggéré au lecteur par notre Frédégonde et non une vérité tangible. Évidemment, c’est une ruse vieille comme Mathusalem! L’ambiguïté est dans le «Personne», car qui est «personne»? Un pronom indéfini associé à une affirmation négative (sic!). Personne, devient, inversé, «tout le monde», mais tout le monde n’est pas «personne». «Mon nom est Personne», titrait, en français, un mauvais western-spaghetti des années 1970. Personne, devient alors un solipsisme, qui, selon le philosophe Lalande, serait une pensée «présentée comme une conséquence logique résultant du caractère idéal (idéel, ici l’évident Tout le monde) de la connaissance». En fait, cette pensée soutient à elle-même l’idée que le moi individuel dont Lise Ravary a conscience, avec ses modifications subjectives (femme du peuple, journaliste, mère (ou non) de famille, etc.) est toute la réalité (universelle), et que les autres moi dont elle a la représentation n’ont pas plus d’existence indépendante que les personnages des rêves, ou au mieux, à admettre qu’il est impossible de démontrer le contraire. L’utilisation de «Personne» apparaît ici comme la première barbarie, à la première ligne du titre, utilisée par notre Frédégonde de tabloïde. Elle violente déjà le lecteur afin de lui faire épouser ses évidences qui lui sont personnelles et dont l'avis sincère compte peu. Personne, c’est elle comme tout le monde et tout le monde comme elle. Position indémontrable, mais qu’on ne peut également réfuter. Subversion ou perversion de l'impératif catégorique kantien, c'est un «truc» sémiotique pour faire avaler une (grosse) couleuvre. Dans ce vide existentiel, s’affirme que plus «personne veut de manifs». Évidemment, si «le néant» (personne) ne veut plus de manifs, c’est qu’il y a de l’«Être» qui continue à en vouloir. Tout le texte vise donc à démontrer ce sophisme qui s’appuie sur un solipsisme et qui est la façon de prendre le réel à contre-champ de l'idéel.

Voyons comment Frédégonde construit son argumentaire. Voici «quelques centaines» qui veulent poursuivre les manifs de l’an dernier se heurtant, cette fois-ci, à des «policiers (enfin) déterminés à faire régner l’ordre. Évidemment, «quelques centaines», ce n’est pas «quelques milliers», mais ce ne sont pas non plus quelques individus isolés, donc «personne». Pourtant, les policiers de l’an dernier étaient aussi féroces dans la répression que cette année. Deux étudiants ont perdu chacun un œil, des étudiantes se sont faites agresser sans ménagement, alors qu’aujourd’hui les policiers ne font que distribuer des tickets pour engraisser les coffres vidés - par on sait qui - de la ville de Montréal! Cette réalité, trop complexe, Frédégonde/Ravary n'en veut pas. En fait, son premier paragraphe propose un commentaire sans objet placé là afin d'ouvrir sur une dénonciation viscérale, comme nous le verrons plus loin.

Une phrase-paragraphe où Lise Ravary constate qu’il n’y a pas de casseroles dans les rues qui se font entendre pour s’opposer au SPVM. Comme si le mouvement des casseroles avaient été l’épine dorsale des manifestations de 2012.

Une autre phrase-paragraphe parlant des pro-manifestants qui encourageraient à remettre les itinéraires, n’affirme rien de plus que ce qui a été dit précédemment.

L’autre phrase-paragraphe est plus intéressante : «Entre nous, qui s’est ennuyé de la casse annuelle de la manif du 15 mars contre la brutalité policière, à part les casseurs?» Le ton de confidence repose toujours sur le solipsisme du «Personne» : «entre nous», formule également indéfinie qui agresse le lecteur et le force à s'associer au solipsisme de l'auteur avant toute réflexion critique. Or, la casse du 15 mars n’a eu lieu que parce que les forces policières, sans doute sous l'ordre de cette crapule d'Applebaum, ont provoqué là où elles ne provoquaient pas d’abord. Si la provocation est niée pour porter la responsabilité de la casse sur le dos des manifestants, et cela sans s'informer préalablement à savoir qui, des policiers ou des manifestants, ont brisé vitrines ou amoché des autos stationnées, Frédégonde plonge son lecteur dans son monde idéel où la casse était déjà attribuée avant même qu'elle ne se produise, c'est-à-dire à des casseurs anonymes, toujours indéfinis, de vagues groupes sans discours idéologiques ou projets sociaux. Ce sont des «entités» qui troublent la tranquillité, comme elle l’affirmera plus tard.

«Qui veut d’un printemps comme celui de l’année dernière, à part une poignée d’anarchistes, de pseudo idéalistes en mal de sensations fortes plus que de justice sociale», autre phrase-paragraphe où enfin Ravary essaie de préciser des noms : anarchistes? Sait-elle ce que c’est? Un anarchiste de droite ou de gauche? Pro-capitaliste ou pro-socialiste? Chrétien comme celui de Jacques Ellul ou brigand comme celui de Ravachol ou de la bande à Bonnot? Et ces «pseudo-idéalistes»? N’est-elle pas, elle-même, idéaliste en «affirmant» que «Personne», «entre nous», et les «casseurs», ont une quelconque réalité tangible dans son délire? Reste les «sensations fortes»? Et pour appuyer cette justification, d’un ton mélodramatique, son paragraphe le plus court quand elle redemande : «Qui?» En tous cas, le retour des manifestations, des casseroles, des défis lancés aux policiers lui donneraient matière à faire d'autres textes aussi courts, brefs, insipides afin de tirer des tickets Péladeau.

Après cette première dose de barbarie, de l’idée transformée en violence, nous passons à une seconde virée de phrases-paragraphes qui sont toutes autant d’insultes à l’intelligence, même moyenne.

Premier sous-titre éditorial «Une minorité d’enragés». Encore là un solipsisme car qui sont ces enragés, qui est engagé? La confusion des mots prête ici à réfléchir. Nul besoin d’être confirmée par un sondage CROP ou Léger Marketing puisque la réalité ou la vérification de l’affirmation ne sont pas de rigueur. Alors, on sait «d’instinct». Si tout n’est qu’une question d’instinct, pourquoi celui des «enragés» serait-il plus néfaste que celui des «résilients»? Toutes les autres affirmations reposent-elles sur cette farce? «Les Montréalais en particulier en ont ras-le-bol» - des manifestations où des révélations quotidiennes devant la Commission Charbonneau? Je crois que celles-ci ont plus de quoi «enrager» les Montréalais que les premières. «Motifs rendus illégitimes… par la victoire des étudiants», mais qui parle de victoire des étudiants sinon que ceux qui les ont embrochés avec «l'indexation qui est un gel» du gouvernement Marois? Qui prétend que ces motifs sont devenus, ou ont perdu toute légitimité, puisqu’il semble, à «l’instinct» des Montréalais, que ces motifs en ont eu une au moins, il y a un an? Les solipsismes se répètent au même rythme que les manifestations condamnées…

L’ouverture du paragraphe suivant, plus long, commence encore par une interpellation indéfinie propre aux solipsismes : «Tout le monde sait ça». Il semblerait que non, puisqu’il y a toujours des «enragés de la rue qui vomissent sur les aspirations de quiétude et de normalité de la majorité tranquille». Enfin, quelque chose à se mettre sous la dent. C'est ici que le renversement s'opère. Notre Frédégonde affecte un vomissent abject, signifiant de haine, qu'elle attribue aux casseurs qui n'est en fait que sa propre abjection, elle-même indéfinie, entre son monde idéel et la réalité qui le trouble. C'est donc dire que le vomissement des enragés sur les aspirations de quiétude et de normalité d’une majorité tranquille sont le reflet du vomissement de Lise Ravary sur les «casseurs», les «anarchistes», les «manifestants» et non l'inverse. Mais pas seulement. Ce renversement, nettement psychotique, s'il vise d'abord à démoniser les manifestants contre une angélique population béate dont les nobles aspirations se limitent à la quiétude et à la normalité; cette quiétude et cette normalité sont sérieusement mises à mal devant la commission Charbonneau, tant elles sont indispensables à la corruption et à la subversion légale de la légitimité démocratique. Lise ne fait donc pas que vomir sur les manifestants, mais également sur cette majorité tranquille qui appartient à l’idéel. En entrant dans le solipsisme de Frédégonde/Ravary, le lecteur finira par porter seul le fardeau de responsabilité dont notre reine du blogue journalistique se lavera les mains avec double dose de Purelle. Dans les faits, ce sont les aspirations de quiétudes qui sont précisément troublées par ceux qui usent et abusent des lois pour détourner des sommes colossales puisées à mêmes les prélèvements d'impôts et de taxes vers les paradis fiscaux où ils deviennent intouchables. Le docteur Porter, sans doute un héros il y a quelques mois aux yeux de «tout le monde» et de Frédégonde/Ravary, encore bercée par le bon sens commun de la majorité tranquille, se trouvait finalement bernée comme «Personne» lorsque furent révélées les magouilles du prestigieux ami du docteur Couillard, chef maintenant de la bande des Libéraux provinciaux.

Côté psychose, Frédégonde/Ravary se nourrit du même ressentiment que les radios-poubelles et autres V pour venin télévisuel. Encore là surgit la célèbre et incontournable «théorie du complot» fomentée par des «intellectuels égarés» qui alimentent une «dérive (quasi) fasciste» (volé à un titre d’un livre de Philippe Burrin portant sur le développement des mouvements fascistes en France durant l’Entre-deux-Guerres). En fait d’«arguments vide de substance, mais qui paraissent songés aux oreilles des ignares», Frédégonde n’a pas à parler, elle qui remplit de vide des colonnes de journaux jusqu’aux moments où ses «instincts» grégaires l’amènent à «vomir» sur des «aspirations» qui, pour n’être pas les siennes, peuvent se réclamer d’une légitimité acceptable. En ce qui a trait aux «cagoulés qui font office d’agents de la révolution», c’est sorti tout droit des romans de la baronne Orczy avec son Mouron rouge. Qui a représenté Cromwell, Robespierre, Danton ou Lénine revêtus d’une cagoule? Enfin, les «illuminés» de l’ASSÉ - qui rappellent la secte des Illuminés de Bavière comme ordonnant les horreurs de la Révolution française - viennent compléter la scène dramatique : imposer la gratuité scolaire en troublant la paix sociale. À l'ère de la société de consommation et de la régression sadique-orale, le ridicule ne tue plus, il nourrit.

L’usage de la dramaturgie romanesque apparaît comme une nouvelle preuve du solipsisme de Frédégonde/Ravary. Des bouts de phrases, des titres à sensations, des lieux communs tirés de Wikipédia ou de vieux manuels scolaires, des structures de composition de la meilleure sémiotique pour semer un climat qui n’est que le produit de ses «instincts» grégaires et violents. Il faut détruire les manifs par des moyens violents, s’il le faut, afin de permettre un retour à la quiétude qui lui permet d’encaisser et de jouir paisiblement des pitances que Péladeau lui sert. Sa peur doit devenir la peur de tous. Sa peur ne peut être que la peur de tous, et partant, la légitimité de ce qu'elle tient pour des évidences, démontrée et acceptée de soi-même. Or, nous venons de voir qu’il n’en est rien. Qu’il s’agit là, rien de plus qu’un «truc» servant à satisfaire ses employeurs et sa propre conscience inquiète ou angoissée.

Aussi, «Charte des droits du Québec et Charte des droits de l’Homme de l’ONU» deviennent-elles des chartes sans réalité tangible. Elles sont déviées de leurs objectifs par des manifestants et «leurs commanditaires» (qui sont-ils, ces commanditaires? Les Sages de Sion peut-être? Pourquoi pas les Jésuites?) Les Chartes, «sources nobles» (La noblesse est d’un caractère individuel qui s’affiche, qui s’affirme, et ne réside pas dans une feuille de papier issue d’une convention arbitraire; c'est dans l'application des Chartes que se révèle la vraie noblesse, ce qui n'est visiblement pas le cas de nos institutions). Les Chartes, donc, «sources nobles» sont souillées par «les ténors du free for all», et là nous tenons un effet de compassion honteuse propre aux «sanglots de l’homme blanc», apôtre agenouillée devant le quidam du Tiers Monde souffrant : «justifier l’ignoble en osant se comparer aux opprimés de la Terre», «les Québécois subiss[a]nt aux mains de leurs gouvernements des exactions aussi graves que ce que les Syriens ou les Congolais endurent au quotidien», etc. Il y a du Mordechaï Richler dans Frédégonde/Ravary passant au burlesque, autre genre mécanique assez simpliste, pour mieux transiter de la noblesse des causes lointaines à l'ignoble des causes immédiates. Où est l’ignoble dans les aspirations revendicatrices à plus de justice sociale, plus d’équité économique, plus d’honnêteté politique et plus d’éthique professionnelle? Après avoir connu les ignominies des gouvernements Bouchard et Landry; les coups de force du gouvernement Harper; les malversations douteuses de l’Équipe Charest; les lâchetés pitoyables du gouvernement Marois, il y a là plus qu’il en faut pour justifier la contre-terreur de la rue quand une bourgeoise imbécile se fait la porte-parole de la terreur étatique. Enfin, elle doit bien, Frédégonde/Ravary, écrire ce qui est malgré les dénis puisque le refoulé est plus fort que la censure: «Élections, tribunaux, manifestations organisées, référendums ne servent que la propagande du pouvoir établi. On n’y croit plus. Surtout que la violence de l’an dernier a fonctionné». Là, il est permis de la croire.

Mais le déni reprend sa position de force et tout cela, comme le dit le second sous-titre, ce ne sont que «Justifications tordues». Étranges paragraphes où le déni et la reconnaissance d’une certaine réalité se «tordent» effectivement. Frédégonde Ravary en appelle aux réseaux sociaux qui «ne transmettent pas l’opinion de la majorité» pourtant, moyens universellement reconnus de communication directe, mais qui, toutefois, ne peut transmettre «l’opinion de la majorité». D'où, la vérité réside ailleurs que dans «l’opinion de la majorité», donc contradiction flagrante avec ce que Frédégondeécrivait plus haut : «Personne», «Tout le monde», «Entre nous», «par instincts», et la «majorité tranquille» à laquelle elle s’identifie. Pour résoudre l'aporie, a-t-elle «glané» quelques exemples.

«Les commerçants du centre-ville qui veulent gagner leur vie sans problème ne sont que des courroies de transmission du Grand Capital. Les citoyens qui espèrent retrouver leur auto intacte après l’avoir stationnée le temps d’une soirée au théatre [sic!] ne sont que des pollueurs qui méritent qu’on vandalise leur bien. Les restaurateurs qui se plaignent du manque de clients ne sont que les lèche-culs de la bourgeoisie, et j’en passe». Avouons que c’est plutôt chiche comme récolte. Le jeune léniniste Pier-Karl aurait sans doute prononcé ce genre d’inepties propres à son époque mais qui n’est pas le discours dominant des manifestants d’aujourd’hui. Qui parle de cette foutaise des marxistes du «Grand Capital», ogre du discours socialiste du XIXe siècle et mort avec Daniel Guérin depuis plusieurs décennies. Qui va au théâtre en auto? Les billets de spectacle sont suffisamment chers pour ne pas avoir à payer en plus des tickets de stationnement, aussi s’y rend-t-on à pied ou en métro. Les restaurateurs, des lèche-culs? La phrase est trop expressive de la pensée intime de l’auteur pour ne pas qu'on lui serve une galette de poils la prochaine fois qu’elle se présentera à un restaurant, car c’est ainsi qu’elle s’imagine ce que sont les restaurateurs!

Épuisée après tant de travail, elle revient à des phrases-paragraphes, l’une pour se lamenter sur les pauvres bêtes utilisées par la police. Un manifestant piétiné par un cheval vaut moins qu’un malheureux cheval écorché. Où est le temps où les manifestants parisiens de l’extrême-droite accrochaient des lames de rasoir à des perches pour ouvrir les jarrets des chevaux des policiers parisiens et les condamner ainsi à une mort épouvantable par exsanguination. Avons-nous vu cela à Montréal? Bien sûr que non. Voilà pourquoi cela scandalise Frédégonde/Ravary.

Enfin, finale accordée aux tuyaux des grandes orgues : «L’Humanité souffre. La planète aussi. Tant de choses exigent notre attention et notre engagement dans une quête active de solutions réalistes». Évidemment, cela n’a rien à voir avec ce qui vient d’être exposé et affirmé dans le commentaire. C’est du phony baloney de journalistes et de commentateurs, rien de sérieux, car la presse, écrite ou télévisuelle, vit de manière rapace de ces souffrances - on a qu’à voir la couverture médiatique de l’effondrement récent d’une manufacture au Bangladesh pour remarquer combien les newsophages se déchaînent pour offrir des spectacles aux multiples rebondissements à chaque fois qu’un corps est dégagé des ruines du bâtiment. Et la planète? Soyons sérieux, Frédégonde n’en a cure. Elle sera prête, dès demain, à défendre puits de gaz de schiste ou accroissement du CO si c’est pour avantager «la création d’emplois».

«On a pas de temps à perdre avec ceux et celles qui veulent reprendre le chemin des manifestations illégales quotidiennes», de conclure notre barbare. Alors, pourquoi lui accorder une page? Pourquoi ne va-t-elle pas, d’elle-même, directement aux «vrais» enjeux de sociétés qui sont ceux de son commanditaire? Son sacrifice exemplaire à l'État par sa nomination à la présidence d’Hydro-Québec, la crise de l’information qui oblige à des compressions de personnels, comment renouveler les produits bas de gamme de TVA pour essayer d’attirer le plus de commanditaires possibles aupro rata  de la population?

Voilà comment lire un article du ‘ournal de Mont’éal. Une idée, un solipsisme idéel pris pour une réalité objective, une évidence partagée par tout le monde, et une théorie bête du complot avec des aspirations ignobles qui imposent des solutions policières ou militaires répressives, et, mieux peut-être, les mensonges de Frédégonde, les solipsisme de Ravary, les intérêts financiers dePier-Karl, l’abrutissement complet d’une population déjà anti-intellectuelle de nature et prête à sacrifier sa conscience sur les autels de la compromission morale et du fric.

Je sais qu’il n’est pas apprécié ni tenu au sérieux de mêler le style pamphlétaire à celui de l’analyse, le premier discréditant le second. Pourtant, il faut définitivement dépasser à la fois cette épistémologie positiviste qui exclut l’implication du sujet dans son rapport à l'objet, et l’éthique de la neutralité qui sont à l’origine du gonflement de l’incompétence et de l’inefficacité de la fonction sociale de la connaissance. Quand une collectivité en est rendue à confier son esprit, sa pensée, ses idées à des charlatans, des imposteurs, des fraudeurs intellectuels comme en regorgent les média québécois, de très graves dangers pèsent sur elle, et nous laissons faire par lâcheté et goût imbécile de l’ignorance et de la fausse tolérance. Il ne peut y avoir empathie pour quiconque si elle est construite à partir du mépris de soi et de l’abandon de son indépendance d'esprit à des brimades morales qu’on s’inflige afin de mieux se disculper à ses propres yeux. Que des Jean-Jacques Samson et des Lise Ravary se permettent de discuter publiquement, du haut d’une tribune privilégiée, alors qu’ils sont sans intelligence ni honnêteté, alors laissez passer les voyantes, les sorciers, les escrocs et les mafieux de tout acabit, nous ne méritons certainement pas mieux, et que nul d’entre nous ne vienne se plaindre.

Montréal
27 avril 2013

Coderville

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Le maire et la mairie de Coderville

CODERVILLE

Voici, en primeur, les paroles de la chanson appelée à être dans la tête de tous les Montréalais, au cours de l'été et de l'automne 2013, rythmant toutes les danses en ligne des cabanes western de la région.

Musique : Édith Butler,
Paroles retouchées : (comme disait Sacha Guitry) Mmwwwa.

Coderville Coderville
Tu peux ben dormir tranquille
Coderville Coderville
Tu vas t’faire fourrer facile.

Il va tout brader, et a tout vendu
Tu peux ben dormir tranquille
Il va te frauder va te faire cocu
Tu vas t’faire fourrer facile.

Des Fédérastes à renflouer
Tu peux ben dormir tranquille
Et des millionnaires prêt à tout téter
Tu vas t’faire fourrer facile.

Coderville Coderville
Tu peux ben dormir tranquille
Coderville Coderville
Tu vas t’faire fourrer facile.

Tes derniers chagrins il va provoquer
Tu peux ben dormir tranquille
Tu l’remerciera d’honneurs à tévé
Tu vas t’faire fourrer facile.

Il t'a fasciné, il t'a renversé
Tu peux ben dormir tranquille.
Il va t'violer, va t’déshonorer
Tu vas t’faire fourrer facile.

Coderville Coderville
Tu peux ben dormir tranquille
Coderville Coderville
Tu vas t’faire fourrer facile.

À côté de lui, Tremblay est un ange
Tu peux ben dormir tranquille
Il n’hésit’ra pas à t’rouler dans' fange
Tu vas t’faire fourrer facile.

Coderville Coderville
Tu peux bien dormir tranquille
Coderville Coderville
Tu vas t’faire fourrer facile.

Il va tout t’voler, va tout profaner
Tu peux ben dormir tranquille
Il va tout frauder, sans jamais payer
Tu vas t’faire fourrer facile
Il va tous nous jouer il va tout louper
Tu peux ben dormir tranquille
Il finit d’détruire et va encaisser
Tu vas t’faire fourrer facile.

Refrain


Refrain

Xavier Dolan : J'ai tué ma bourgeoise

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Xavier Dolan : vidéo-clip College Boy
XAVIER DOLAN : J’AI TUÉ MA BOURGEOISE

Ce matin, j’apprenais que la vidéo-clip réalisée par Xavier Dolan pour accompagner la chanson d’Indochine, College Boy, faisait tout un tabac en France. Les Français, dont l’histoire est particulièrement violente, surtout au XXe siècle, se plaignent de l’«ultra-violence» de la vidéo-clip. Rectifions. Certains «Français», car la vidéo n’est pas encore diffusée sur les réseaux publiques. Elle passe, en ce moment, devant le CSA, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, dont l’un de ses membres, Françoise Laborde, a déclaré sur les ondes publiques les raisons de son aversion pour le clip de Dolan/Indochine.

Il ne faudrait pas tirer des conclusions hâtives sur la réception du vidéo qui a été peu diffusé. Les journalistes de différents média écrits ne partagent pas la position de Françoise Laborde. Un tour de presse, rapide j’en conviens, permet de constater que la plupart d’entre eux ont apprécié la vidéo-clip de Dolan. L’article du Parisien, annonce : «Attention! Âmes sensibles s’abstenir. Le nouveau clip d’Indochine, “College Boy”, deuxième single de l’album paru le 11 février, est un électrochoc. La vidéo, à voir en avant-première sur notre site Internet aujourd’hui, met en scène des ados beaux comme des anges. Sauf qu’ils font vivre un enfer à l’un de leurs camarades». Les deux qualités qui suivent - révoltant et magnifique - ramènent au «scandale» dont se défend le leader du groupe Indochine, Nicolas Sirkis. Puis le texte résume assez bien l’intrigue de la vidéo : «Il y a d’abord des boulettes de papier lancées sur la victime en pleine salle de classe, puis son casier dégradé, une balle de basket envoyée en pleine figure. Au fil des minutes, la tension monte jusqu’à atteindre l’insoutenable. Le gamin est passé à tabac, à terre. Des coups de pied, des coups de poing. L’humiliation ne s’arrête pas là. Elle va même jusqu’au bout de l’horreur. L’adolescent est attaché à une croix puis exécuté à coups de revolver par certains élèves tandis que d’autres filment la scène avec leur téléphone portable. Les adultes autour, eux, préfèrent se voiler la face, un bandeau sur les yeux pour ne pas voir les atrocités en cours». Le clip dérange «malgré son propos sur le harcèlement à l’école, son esthétique en noir et blanc et sa réalisation virtuose signée Xavier Dolan, jeune Québécois branché à qui l’on doit le remarqué “les Amours imaginaires”». Suit une suite d’extraits des déclarations de Dolan : «Je voulais aller jusqu’au bout non pas pour choquer, mais pour montrer que cette situation est possible parce [que] rien ne l’empêche, explique le cinéaste. La question n’est pas de se demander pourquoi suis-je allé aussi loin mais qu’est-ce qui empêcherait un groupe d’adolescents d’aller aussi loin alors que le lobbying des armes aux États-Unis est très puissant. C’est ma vision nord-américaine, mais des gens se font lapider partout». Après quoi Le Parisien demande : «Faut-il néanmoins réaliser un clip ultraviolent pour dénoncer l’ultraviolence? La question ressurgira inévitablement en découvrant la vidéo. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), garant des images diffusées à la télévision, reste sceptique. Indochine et son réalisateur assument. "Dire que ça encourage la violence, c’est complètement stupide, s’insurge Xavier Dolan. Est-ce vraiment plus violent que tous les films qui arrivent sur nos écrans tous les jours? Il n’y a pas d’ambiguïté dans le message de non-violence du clip. On est immédiatement dans l’empathie avec le personnage". Le réalisateur défend l’idée d’un clip sur l’intolérance et l’indifférence des adultes, des autorités face à ce genre de situation. "Pour moi, la société fonctionne selon le concept de la meute. On en fait partie ou pas. Et c’est très difficile de s’y opposer, d’être contre un ensemble de personnes". Malgré tous ces arguments, il est peu probable que "College Boy" soit diffusé dans la journée sur les chaînes de clips. "Ça m’embête, rétorque Xavier Dolan. Sur ce genre de chaînes, on voit tellement de scénarios racistes, violents, dégradants notamment pour les femmes. Cela me paraît absurde que ce clip soit censuré". L’essentiel des propos de Dolan tient en ces quelques lignes.

Le propos de la chanson d’Indochine est le harcèlement à l'école. À cela la thèse de la meute reprise par Dolan illustre un jeune adolescent tenuà l'écart et persécuté par cette meute. Certains développent une agressivité qui monte en crescendo tout au long de la vidéo, les autres portent des bandeaux sur les yeux et continuent à jouer comme si rien n'était. La scène finale montre deux policiers qui interviennent, apparemment pour faire cesser le martyre, mais ils détournent leurs armes et finissent d’abattre le jeune crucifié. Progressivement, la vidéo devient insupportable pour le confort bourgeois aussi bien de la société française que pour la société québécoise. En fin d’après-midi, 2 mai 2013, la chaîne Musique-Plus de Montréal annonçait qu’elle ne présenterait pas College Boy sur les heures de grande écoute. Ce faisant, cette chaine de vidéo-clips, où sont présentées d’autres vidéos de rapeurs dont les textes et les images sont autrement plus violentes, et d’une violence gratuite que le clip de Dolan, relève de l'hommage que le vice rend à la vertu. 

Dire, comme Le Figaro, que «les images choc… ont suscité des réactions mitigées» résonne comme un pléonasme. «Si l'ancien ministre de l'Éducation nationale, Luc Chatel approuve le principe de “dénonciation du fléau du harcèlementà l'école”, Françoise Laborde, membre du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) souhaite, quant à elle, l'interdire aux moins de 16 ou 18 ans. “Ces images n'ont pas leur place en journée sur des chaînes musicales, c'est insupportable de montrer une telle violence. On ne dénonce pas la violence en montrant de la violence. (...) Il y en a assez de cette mode», a-t-elle déclaré sur Europe 1. En effet. Mme Laborde, c’est la voix bourgeoise des Français traumatisés par l'adoption par l'Assemblée nationale de la loi légalisant les mariages homosexuels.

Le Huffington Post, pour sa part, soutient la valeur du clip de Dolan. Sans doute inspiré des mass murders aux États-Unis, dont le plus récent à Newtown en décembre 2012, Sirkis affirme : «Nous ne cherchons ni la censure ni le scandale, ne visant que les problèmes d’éducation. Quand il est possible qu’une personne puisse acheter des armes sur Internet et qu’ensuite il l’utilise contre des innocents, il est urgent qu’on entreprenne là dessus une sérieuse réflexion politique». Dolan et Sirkis se sont donc entendus sur la réponse à donner aux journalistes, c’est évident, même si ce dernier soutient que «la chanson a été rattrapée par l’actualité, "avec toutes les manifestations qui ont eu lieu contre le mariage gay, les discours homophobes". L'artiste a souligné qu'il comprendrait que la vidéo ne passe pas en journée à la télévision». En effet, puisque College Boy n’est pas plus choquant que «La passion du Christ»!

Au Nouvel Observateur, François Jost, sémiologue, se penche sur la vidéo. «Depuis quelques semaines déjà, avec les deux morts de "Koh-Lanta" [télé-réalité française sur le modèle de Survivor, où l'un des participants à trouver une mort tragique dès le début de la saison 2013], les contempteurs de la violence télévisuelle avaient repris de l’assurance. Ils n’attendaient qu’un clip comme "College Boy" pour se déchaîner. À peine avait-on eu le temps d’analyser les images que Françoise Laborde était déjà sur Europe 1 à brocarder indistinctement l’escalade insupportable de la violence se déversant dans nos écrans. Au point que je ne sus pas très bien, à l’écouter, si elle parlait de fiction ou de réalité». La démarche de Jost paraît plutôt sommaire en situant le problème dans la distinction entre la fiction et la réalité : «Or, si l’on veut y voir plus clair, c’est évidemment par cette distinction qu’il faut commencer. J’ai écrit tout le dégoût et le malaise que m’ont inspiré les images de la jeune Iranienne saisie dans cet instant où la vie la quittait, lors des manifestations de 2009 à Téhéran, la révolte que suscite en moi ces photos de gens déchiquetés par des bombes, mais, en l’occurrence, il ne s’agit pas de cela. Le clip d’Indochine, comme beaucoup d’autres, construit une fiction à partir des paroles de "College Boy". Celles-ci raconte [sic!] l’histoire d’un garçon "trop différent", qui réclame le "droit [de lui] ouvrir [ses] jambes quand [il se] réveillera". Les images laissent à penser qu’il s’agit d’un jeune homosexuel qui va devenir le bouc-émissaire de ses camarades. Torturé d’une façon abjecte – ses codisciples le jettent par terre, urinent sur lui –, il finira en croix transpercé de plusieurs balles de revolver». Évidemment, la filmographie de Dolan précise ce que le texte de la chanson laisse en suspend. Lui, qui dans ses trois premiers films «personnels» pose la question de l’identité sexuelle et de l’ambiguïté des rapports d’objets, va continuer dans cette voie avec son prochain long-métrage, Tom à la ferme, adapté d’une pièce de Michel-Marc Bouchard. La question que Jost ne pose pas et qu’il devrait, ce qu’après la crise hystérique manifestée par une partie de la population française concernant le mariage gay, n’est-ce pas le contexte qui influe sur la réception négative du clip? Les déclarations incohérentes de Mme Laborde le suppose. Jost continue : «Si beaucoup de twittos remercient le réalisateur canadien, Xavier Nolan [sic!], pour la vérité de son film, il n’en reste pas moins qu’il se présente ostensiblement comme une fiction : le format carré de l’image, le noir et blanc, les décors faisant référence à bien des films américains, la représentation caricaturale de la famille anglo-saxonne et d’une mère abusive, tout renvoie à un univers cinématographique qui trouve ses modèles chez divers cinéastes». Il semble que M. Jost prend Dolan pour un Canadien-anglais qui reproduirait les bizutages reconnus des collèges anglo-saxons depuis le temps des films comme If de Lindsay Anderson (1968) qui s’achevait par des collégiens montés sur le toit de leur institution et tirant avec des fusils sur les directeurs, professeurs et policiers. Dans If, ce chef-d’œuvre de la contre-culture cinématographique britannique, l’homosexualité et le sado-masochisme occupaient une bonne part du traitement de l’intrigue. En ce sens, le clip de Dolan inverse la position finale des tireurs et des tirés à la fin de sa vidéo. Jost conclut de tout cela, contre Mme Laborde : «Dire cela, ce n’est pas justifier la violence par l’esthétisme, c’est simplement rappeler que la fiction peut se permettre des scènes qui seraient insupportables si elles figuraient dans un documentaire».

Pour le sémiologue, il s’agit tout simplement de «”La Passion du Christ" remis au goût du jour» : «Ces images sont-elles beaucoup plus choquantes que beaucoup de films américains? Le rapprochement est inévitable et il est facile d’opposer ici aux ennemis du clip que la plupart des films hollywoodiens d’aujourd’hui – de Tarentino aux frères Coen – comportent des scènes bien pires. Mais, là encore, c’est méconnaître le rôle du genre dans la réception des produits audiovisuels : ce qui choque les partisans de la censure, c’est qu’il s’agit en l’occurrence d’un clip et que le clip se regarde à des moments où le téléspectateur n’est pas préparé à la violence et que la chanson suppose généralement une réception légère à l’opposé de celle du film de fiction. En voyant les plans où le jeune bouc-émissaire est mis en croix et traversé de balles, j’ai pensé au film de Mel Gibson, "La Passion du Christ". J’avais été frappé en le voyant, non seulement par la représentation de l’acharnement des soldats, qui, comme on sait, le transperçaient avec leur lance, mais surtout par les litres de sang qui coloraient le sol à ses pieds. D’une certaine manière, la fin du clip, n’est ni plus ni moins choquante, si on la voit comme une adaptation de la même scène, actualisée, mise au (mauvais) goût du jour. Ces balles qui font éclater son thorax sont une version moderne des lances. L’énigmatique "Merci!" que prononce le jeune homme sur la croix serait la transposition de cette parole du Christ "Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font". C’est bien le sens, d’ailleurs, des bandeaux qui cachent la vue des tortionnaires. Si on le prend comme ça, la scène est acceptable. Sinon, bien sûr, on peut lui reprocher d’en rajouter un peu trop». Or le clip de Dolan est d’un goût sûrement plus sûr que le film gore de Mel Gibson. Ce rapprochement «esthétique» provient encore de l’idée que le réalisateur canadien serait anglophone. Le Christ-étudiant de Dolan ne descend pas du Christ gore de Gibson. Il descend des petits martyrs québécois, de ces Gérard Raymond et autres enfants qui s’offraient en sacrifices masochistes aux péchés de la société québécoise durant le premier XXe siècle.

Jost poursuit dans la ligne : «Disant cela, me vient en tête cette fameuse phrase de Rivette au sujet d’un recadrage dans le film "Kapo" de Gillo Pontecorvo : "Voyez cependant dans "Kapo", le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés; l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a le droit qu’au plus profond mépris», ce jugement esthétique n’est pas particulièrement le bienvenu, du moins dans le cas du clip de Dolan. Là où Gibson rajoutait dans le sens de celui qui a recadré la scène de Kapo, Dolan conclut sa Passion de l’étudiant-martyr par un Merci qui est plutôt un Mercy, exactement comme l'a compris Jost, une compassion pour ses bourreaux qui renvoie au célèbre : «Pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font». La christologie de Dolan n'est pas racoleuse, comme celle de Gibson. En ce sens, la journaliste de Métro voit plus juste que le sémiologue lorsqu’elle écrit : «Une crucifixion : dans la tête d'un élève harcelé, la métaphore n'est pas trop forte».

Jost concède, toutefois, que le clip «comporte une certaine vérité»: «De la même façon, on peut reprocher à Nolan [sic!] d’en faire trop et de se complaire dans une représentation de la violence stéréotypée, issue des plus mauvais films américains. Ceux qui identifient ce film à la réalité se trompent (on n’a jamais assisté à ce type de scène en France). En revanche, il est indéniable que, même dans son exagération, il porte une certaine vérité». Jost revient alors à la persécution subie par les homosexuels : «Tout le monde a en tête le visage ensanglanté des homosexuels battus par des gens qui leur reprochaient d’être "différents". En ce moment où le mariage pour tous déclenche des actes de violence insupportables, ce clip vient nous rappeler, sur le mode de la métaphore, que les condamnations dont sont victimes les homosexuels sont symboliquement à l’image de la violence du clip d’Indochine. Faut-il se fermer les yeux et mettre un bandeau, comme les jeunes qui y sont représentés? N’oublions pas alors que la censure est aussi représentée un peu partout par des yeux bandés». [En fait, ce n'est pas la censure qui a les yeux bandés, ce qui serait absurde : c'est la Justice, Thémis.]

Revenons maintenant aux déclarations négatives de Françoise Laborde, membre du CSA, à l’antenne d’Europe 1. Elle exprime assez bien l’opinion «mitigée» des opposants à la diffusion de la vidéo-clip. Pour elle, cette vidéo «n'a pas sa place sur les chaînes musicales». Bandée d’un œil? Ou des deux? Françoise Laborde, en plus d’être membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) est également présidente du groupe de protection du jeune public. Pour Mme Laborde : «Ça ne peut pas être diffusé sur les antennes», et elle ajoute : «On montre des images dont la violence est inestimable et il y en a assez de cette mode de la violence", a-t-elle déclaré. "La mort, ce n'est pas esthétique. la violence ce n'est pas esthétique. La torture ce n'est pas esthétique", a -t-elle ajouté, se disant indignée. "Quand c'est extrêmement violent, ça ne peut pas être diffusé sur les antennes, donc a priori, un document comme celui-ci sera étudié en groupe de travail [par le CSA, NDLR] et il devrait y avoir au minimum une interdiction aux moins de seize ans, peut-être même dix-huit ans", a-t-elle estimé.

Il faut dire que le CSA exerce un degré de censure assez sévère en France : «Le CSA avait interdit au moins de dix-huit ans un clip de Marilyn Manson il y a quelques années. "On pourrait refaire quelque chose s'approchant de cela", a ajouté Françoise Laborde. Mais le clip d'Indochine n'est pas le seul à poser problème au CSA. "Nous sommes aussi en train d'étudier le dernier clip de Booba, Jimmy, lui aussi extrêmement violent. Ces images là n'ont pas leur place dans des chaînes qui sont consacrées à la musique", a-t-elle indiqué. "C'est une chanson, ce n'est pas une œuvre d'art et d'essai donc ça n'a pas sa place en journée sur des chaînes de musique", a-t-elle conclu».

Que doit-on penser de la vidéo-clip de Xavier Dolan? L’argument de l’éducation des jeunes inspirée des publicités de sécurité routière est boiteuse. Ces publicités, et je pense ici aux publicités québécoises, présentent des scènes-choc d’accidents routiers, de piétons frappés par inadvertence, de motocyclistes heurtés par distraction du chauffeur, etc. La CSST, un organisme provincial pour la prévention des accidents du travail, a repris le mode de présenter une vedette qui interroge le public, les employeurs et les employés, sur la fréquence des accidents au travail, les conséquences pour les blessés, les survivants, l’économie québécoise, là aussi, avec des scènes-choc. Il s’agit bien d’une pédagogie catéchétique du ne pas faire et du faire. Avec le clip d’Indochine, invoquer l’usage «des images choc, pour interpeller les jeunes sur les problèmes de violence à l'école» procède en soi tout autrement. Là où les accidents du travail sont évoqués dans la pub de la CSST,  nous ne voyons pas les mutilations sanglantes de la main ou des doigts sectionnés du travailleur à sa scie mécanique, ni la malheureuse infirmière qui, après avoir glissé sur un plancher mouillé, se tortiller de douleur. L’ellipse efface l’insoutenable pour tomber directement sur la figure de Claude Legault, vedette masculine de la télé québécoise, nous faire la leçon sur les effets désastreux d’un accident du travail. Dans la vidéo-clip, il n’y a rien de cette leçon, sinon les paroles de la chanson d’Indochine. De plus, rappellent Sirkis et Dolan, la vidéo commence par un texte sur écran noir, une mise en garde, qui indique que les images sont susceptibles de heurter les plus jeunes. Il ne faut donc pas appuyer trop sur «le caractère éducatif» de la vidéo. La chanson seule peut porter le message dénonçant l’indifférence et l’intolérance. Sirkis parle de bande là où Dolan parle de meute et les deux artistes se rejoignent sur une conception assez tribale de l’humanité, à l’heure même où l’«empathie» est célébrée comme la motivation distinctive de la jeunesse du XXIe siècle portée vers l'universel!

On suppose, rapidement, que les paroles de la chanson College Boy identifient la cause du rejet de l’étudiant, par son orientation sexuelle, mais on pourrait considérer que la cause du rejet repose sur  d'autres raisons : la laideur du garçon et son désir pour une jolie fille. Ou vice versa. Ce pourrait être, aussi, un cas lié à l’identité ethnique, à la crainte haineuse du métissage. La dimension érotique du problème ne fait toutefois pas de doute:
J'apprends d'ici que ma vie ne sera pas facile
Chez les gens
Je serai trop différent pour leur vie si tranquille
Pour ces gens
I want to see you

J'aime pourtant tout leur beau monde
Mais leur monde ne m'aime pas, c'est comme ça
Et souvent j'ai de la peine quand j'entends tout ce qu'ils disent derrière moi
Mais moi j'ai le droit quand tu te réveilleras
Oui, j'ai le droit
De te faire ça quand tu te réveilleras

Le droit d'ouvrir tes jambes
Quand tu te réveilleras
Oui, j'aime ça
Le goût de lait sur ta peau, j'ai le droit

Là oui nous sommes en vie
Comme tous ceux de nos âges
Oui nous sommes le bruit
Comme des garçons en colère

Je comprends qu'ici c'est dur d'être si différent pour ces gens
Quand je serai sûr de moi
Un petit peu moins fragile, ça ira
I want to see you

Là oui, nous sommes le bruit
Comme un cerf en colère
Oui, nous sommes le fruit
Comme des filles en colère
Tu me donnes ta vie
Et nous traverserons les ciels

J'ai le droit à tous les endroits
De te faire ça, à tous les endroits
J'ai quand même bien le droit
Oui de te faire ça
Oui, j'ai le droit oui, de te faire ça

A nos gloires ici-bas pour se revoir
A nos rages
On a le droit de se voir
A la gloire ici-bas
Pour se revoir
A nos gloires...
Par contre, la vidéo-clip de Dolan situe le problème nettement au sujet de l’homosexualité du garçon qui est posée dès le début, lorsqu’on commence à lui lancer des boulettes de papiers en classe et qui le blessent. La larme de sang annonce déjà le martyre qui l'attend et son identification à une figure christique. Il se rend à sa case et retrouve son miroir brisé, meurtre symbolique de son ego. Puis, il reçoit le ballon dans la figure, amplification du premier geste de mépris. On le retrouve ensuite dans sa chambre, s’efforçant de reproduire des gestes d’auto-défenses. En société, il est entouré de femmes grimaçantes et inquiétantes. Le réalisateur de J’ai tué ma mère nous ramène aux causes sombres de l’homosexualité québécoise : surprotection d’une mère castratrice et absence positive d’identification masculine du père.

Une fois posé le set-up de l’intrigue, il ne reste plus qu’à y associer les stations du chemin de croix. On le jette sans retenue du haut des escaliers. D’autres élèves amènent des cordes pour le suspendre à une croix. On lui cloue les poignets au bois. Il est hissé devant les grandes portes du collège, entouré d’un câble de lumières, comme un sapin de Noël. Les autres élèves ont les yeux bandés. On commence à le filmer sur des appareils portables. Puis l’un sort un pistolet. Un autre un fusil et on le transperce de balles à l’exemple de la lance qui ouvre le flanc du Christ sur la croix. Des policiers, les yeux bandés, surgissent. Ils menacent de leurs armes les agresseurs, puis se tournent vers le crucifié et achèvent de l’abattre. Tout le monde se met en rang et retourne en classe tandis que l’élève-martyr laisse tomber sa tête en prononçant un «mercy» qui n’est pas dans la chanson. Plus qu’un vidéo-clip sensé illustrer les propos d’une chanson, il s’agit d’un court-métrage, et c’est ainsi que nous devons le prendre.


Comment, alors, le fait d’associer le supplice d’un homosexuel à la tragédie de la croix ne susciterait pas une colère sourde et aveugle. Tout le fondement de la déclaration de Mme Laborde réside précisément là. «Ça ne peut pas être diffusé sur les antennes». Le Ça ne peut pas impératif désigne l’inacceptable association. Ici Jost a raison. La haine d’une certaine bourgeoisie conservatrice française devant cette association de la crucifixion du Christ et de l'intolérance à l’homosexualité est une surcharge insupportable après la crise sociale et morale entraînée par le débat autour du mariage gay en France. Toute cette marge (importante) conservatrice qui grenouille dans la France depuis plus de deux siècles, à travers les réseaux de catholiques intégristes, de bourgeois libéraux qui gigotaient encore du temps de De Gaulle pour tenir procès à Pauvert pour la publication des œuvres de Sade que tout le monde lisait sous le boisseau, les nationalistes radicaux issus de Barrès, de Maurras et de son Action Française, des Vichystes et des Poujadistes jusqu’à nos actuels Lepennistes, réagissent comme la bourgeoisie italienne devant le célèbre film sulfureux de Pasolini, le Saló/Sade de 1975, qui entraîna l’assassinat du réalisateur avant même la sortie du film, suite à un complot néo-fasciste qui se servit d’un prostitué pour l’appâter et finalement le martyriser à l’image du jeune garçon suspendu à sa croix dans la vidéo de Dolan. Le rôle ingrat ici est assumé par Mme Laborde qui rend compte que puritanisme et perversion sont les deux mamelles de la culture bourgeoise.

«On montre des images dont la violence est inestimable et il y en a assez de cette mode de la violence». Mais qui cause ce goût pour les images violentes? Les homosexuels? Sûrement pas plus que les autres bourgeois de la société française qui se mêlent d’affaires louches, autant sous le gouvernement-scélérat de Sarkozy que sous l’inimaginable Hollande. Les séries hyper-violentes de la télé américaine trouvent preneurs aussi bien en France que dans les autres pays européens. Ici, au Québec, la version que nous regardons de Criminal Minds est doublée par des voix françaises! Même choses pour les C.S.I., dont le titre français est «Les experts». La pudeur impérative de la censure de Mme Laborde appartient à la même hypocrisie que l’on retrouvait sous De Gaulle. Ce ne sont pas toutes les violences qui sont «inestimables» - et l’utilisation du mot «estime» dénote bien la qualité affective qui offusque Mme Laborde. «La mort, ce n'est pas esthétique. la violence ce n'est pas esthétique. La torture ce n'est pas esthétique", a -t-elle ajouté, se
P. P. Rubens. Crucifixi
disant indignée». Ce disant, Mme Laborde condamne plus de 80% des œuvres d’art occidental - illustrations, bas-relief, gravures, peintures -  à un bûcher de vanités qui la hisserait bien au-dessus de Savonarole lui-même! Si Dolan s’est inspiré de la crucifixion pour conclure son intrigue, c’est que le thème du crucifié hante tous les artistes occidentaux depuis tant de siècles; les scènes des grands martyrs honorés par l’Église catholique si pleine de bondieuseries sanguinolentes, cet art saint-sulpicien où le sang pisse de tous les pores de la peau du Christ et qui trouve son origine dans le Christ verdâtre du retable de Matthis Grunwald? Là où Dolan nous présente, à l’exemple de L’Évangile selon saint Matthieu de Pasolini, une vie du Christ «en noir et blanc», a-t-on pensé interdire le guignolesque boucherie christique de Mel Gibson? Évidemment pas. Puisque ce Christ n’était pas homosexuel. Nous identifions ici l’association comme point axial de la réaction émotionnelle de Mme Laborde et de la bourgeoisie de sacristains du CSA. «Quand c'est extrêmement violent, ça ne peut pas être diffusé sur les antennes, donc a priori, un document comme celui-ci sera étudié en groupe de travail [par le CSA, NDLR] et il devrait y avoir au minimum une interdiction aux moins de seize ans, peut-être même dix-huit ans». La censure partielle empêche de crier à l’abus du censeur. Mais la censure ne réside pas tant dans le fait d’empêcher ou non la présentation de la vidéo-clip - et là-dessus Dolan a raison de se ficher des réseaux de télévision puisque You Tube va lui apporter une audience plus grande encore -, mais dans l’impossible confrontation entre le potentiel de haine amassé dans la société bourgeoise et son incapacité à la regarder sans rougir de culpabilité. Aussi, la violence «inestimable» de Mme Laborde dans la «fiction» rappelée par Jost, devient «banale» lorsqu’elle passe aux bulletins d’information - comme cette histoire d’il y a quelques années où un jeune homosexuel avait été crucifié dans des barbelés au Wyoming. Les parades anti-gays de parents en colère avec leurs enfants dans leurs poussettes pour sauver une définition du mariage obsolète et en déroute montrent en soi que le pathétique exprime des ressentiments inouïs.

Pour les Québécois, l’«inestimable» repose dans la scène finale. On se souvient que Xavier Dolan avait affiché le carré rouge à la croisette de Cannes, au moment où les étudiants manifestaient dans les rues de Montréal contre une hausse «inestimable» des frais de scolarité imposée par un gouvernement «inestimable» dans sa corruption et ses politiques douteuses. C'est en référence à la répression policière du mouvement de contestation de la jeunesse québécoise qu'il présente des policiers qui finissent par abattre l’élève crucifié. Le lendemain même du 1er mai, marqué par des arrestations de manifestants qui arpentaient les rues de Montréal vers l’Hôtel-de-Ville par les policiers de la SPVM, la sortie de cette vidéo a toutes les chances d'être perçue non sans gêne honteuse. Les religieuses voilées, sorties comme des fantômes d’un Québec depuis longtemps transformé, se précipitant aux pieds de la croix comme les femmes dans l’Évangile, troublent une conscience béate de la médiocrité québécoise qui accepte les explications les plus farfelues d’une violence brutale qui s’exhibe quotidiennement derrière les lois du travail, les lois de la sécurité publique, les lois de l’impôt sur le revenu, derrière les politiques de compressions budgétaires qui augmentent la souffrance «ordinaire» de tant de milliers d'individus sur lesquels les ressentiments de tout un chacun se déversent comme les balles tirées par les adolescents insensés sur leur victime.

La vidéo de Dolan, avec ou sans la chanson d’Indochine, est un chef-d’œuvre, à la fois d’écriture cinématographique et d’articulation entre la dit et le non-dit de la situation d’une conscience morale qui a perdu tous ses repères entre la violence brutale et la pitié dangereuse, pour reprendre l’expression heureuse de Stefan Zweig. Elle affiche, dans son jeune crucifié, non seulement les homosexuels mais tous ceux, qu’importe leur âge, que la société rejette ou qui servent de boucs émissaires pour ses auto-aveuglements et sa tolérance infinie de l’insignifiance politique. Elle est ce que fut, avec moins de complaisance dans la dégradation, le Saló/Sade de Pasolini voilà près de quarante ans. Si la justification pédagogique est boiteuse et difficile à soutenir, celle que l’«homosexualité noire», dont parle Frédéric Martel, n’est pas disparue depuis l’assassinat de Harvey Milk en 1978 et reste toujours bien vivante dans notre empathique monde occidental; cette justification est paarfaitement soutenable. Les marginaux, ceux que Foucault appelait les «anormaux», demeurent toujours sous surveillance, entre une police de plus en plus fascisante et un état d’esprit de plus en plus indifférent à l’existence réduite trop souvent à cette trinité du diable que sont le nihilisme, le narcissisme et l’hédonisme. Dans le jardin des refusés, les allées sont éclairées par des croix humaines illuminées, et elles ont de moins en moins envies de crier mercyà leurs bourreaux. Voilà de quoi la bourgeoise qu'est Mme Laborde s'effraie sur les ondes de Europe 1. Et c’est là l’«inestimable» qui surgit du chef-d’œuvre de Xavier Dolan.

Montréal
2 mai 2013

Une autre des Belles Histoires de Stephen Harper - La crête de Vimy - (The musical)

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UNE AUTRE DES BELLES HISTOIRES DE STEPHEN HARPER
- LA CRÊTE DE VIMY -
(The musical)

Stephen - Il était une fois, chers petits Canadiens et chères petites Canadiennes, un petit village du nord de la France qui s’appelait Vimy. Ce trou à rat perdu, où se cachaient de méchants soldats allemands qui méprisaient les valeurs canadiennes, était dominé par une crête. Alors, nos valeureux soldats…

Sophie (8 ans, levant la main.) - Mais, monsieur le Premier Ministre, il n’y avait pas de soldates dans ce temps-là?

Stephen - Non, Sophie. À l’époque, les femmes restaient à la maison pour prendre soin des petits enfants comme toi, pendant que papa était parti faire la guerre contre les terribles allemands et les méchants italiens.

Helena, (8 ans 1/2) - My grand-mother said to me que dans ce temps-là, she worked hard dans les shops pour making bombes…

Stephen - C’est qu’elle se trompe ma petite Helena. Les mamans canadiennes attendaient patiemment le retour de leurs maris en priant chaque matin, et chaque soir, pour la victoire de la Grande-Bretagne et du Canada contre les ennemis. Il ne faut pas croire tout ce qu’on te raconte sur le passé de notre beau pays. - Je continue. - Alors, nos valeureux soldats décidèrent, à partir du 9 avril 1917…

Sophie - Wow! Ça fait longtemps, ça, monsieur Harper.

Stephen - Ca va bientôt faire 100 ans, et mon gouvernement entend bien célébrer en grandes pompes la victoire de Vimy. Vous avez vu tout ce qu’on a fait pour célébrer le deuxième centenaire de la guerre de 1812?

Jean-Baptiste - Moi j’ai fait un tour de poney à Chrysler Farm!

Stephen - Tais-toi, petit polisson. C’est dire combien vous allez manger de beaux cornets de crème glacée Tim Horton’s et jouez dans les trous d’obus que l’armée canadienne fera sauter expressément pour vous amuser.

Les enfants : - Ooooh!

Stephen - Eh puis, vous pourrez vous instruire dans les tranchées, qui étaient de biens vilains trous creusés dans la terre et qui se remplissaient de rats, de boues et toutes sortes de méchantes vermines. Surtout dans les tranchées allemandes où il n'y avait ni chauffage central, ni air climatisé. Dans les tranchées canadiennes, nos vaillants soldats priaient le bon Dieu, la vierge Marie, (Se ravisant) non pas elle, mais beaucoup beaucoup le bon Dieu. Il y avait aussi l’excellent premier ministre du Canada, Robert Borden, monsieur cent dollars…

Sophie - Pourquoi était-il excellent?

Stephen - Parce qu’il était anglophone, conservateur et a entraîné le Canada dans une guerre juste et démocratique.

Samantha (9 ans) - J’ai entendu dire qu’il était parent avec Lizzie Borden,  celle qui, aux États, a tué ses parents avec une grosse hache.

Stephen (riant) - C’est des rumeurs, tout ça, ma petite. M. Borden était Canadien. Il n’était pas Américain. Mon Dieu, mais quelles histoires avez-vous appris à l’école, petits chenapans? Rien que du négatif! Il est temps que mon gouvernement rectifie tout ça. - Continuons. C’était le lundi de Pâques 1917. L’attaque était menée par les quatre divisions du Corps canadien, c’est-à-dire plus de 70 000 hommes.

Les enfants - Ooooh!

Stephen (acquiesçant) - Oui et constitués par toutes sortes de Canadiens fiers de leur pays : des pêcheurs du Cap Breton et de l’île de Vancouver, des commis de banque et des bûcherons de l’Ontario, des fermiers et cow-boys de l’Alberta. Personne d’autres… Ce fut un grand moment qui leur créa à tous, des sentiments d’attachement à leur beau pays, le Canada. Cela devait devenir des liens ineffaçables. Tous nos historiens sont d’accord avec moi : l’attaque de la crête de Vimy marque la naissance de l’identité nationale des Canadiens.

Jean-Baptiste - Mon papa dit que le lundi de Pâques 1918, des soldats canadiens-anglais ont tiré à la mitrailleuse dans les rues de Québec et ont tué quatre personnes, parce qu’on ne voulait pas de la conscription.

Stephen (fâché) - Balivernes que tout ça. Ton père est sûrement un séparatiste, ça se voit tout de suite à te regarder! Ne t’a-t-il pas donné ta double dose de ritalin avec ton jus ce matin? Eh puis. Même si c’était vrai, qu’est-ce que quatre malheureux badauds pour les 3 598 morts et les quelque 7 000 blessés de la crête de Vimy. Rien. Ces Québécois étaient des lâches et des tir au flanc. Ils ont eu ce qu’ils méritaient. (Se calmant) Revenons aux choses sérieuses. C’est dans une marre de boue que le capitaine Burns, officier des transmissions sur la Somme, et qui survivra à la Première Guerre mondiale pour commander le 1er Corps canadien en Italie durant la Seconde, nous rapporte : (Sombre) «La couche superficielle d’argile, saturée de pluie, mélangée à la craie retournée par les obus et les tranchées, forme une masse visqueuse qui colle à nos bottes par grosses mottes et recouvre tous nos vêtements; ce fardeau intolérable nous fait de plus glisser à chaque pas et occasionne de nombreuses chutes». Souvent, les hommes ne pouvaient se relever et y suffoquaient. Vic Syrett, sonneur de clairon, disait que «la boue à demi gelée recouvrant les vêtements forme une croûte si épaisse qu’avec les bottines et les jambières, ils pèsent jusqu’à 120 livres et à une occasion 145 livres».

Les enfants - Oooonnn!

Stephen - Car cet hiver-là, il faut le dire les enfants, avait été le plus froid depuis vingt ans. Le Corps canadien se trouvait devant la crête de Vimy, longue colline en forme de baleine qui domine la plaine de Douai.

Jean-Baptiste - Des baleines, mon père dit qu’on en verra plus bientôt dans le golfe Saint-Laurent, à cause du réchauffement climatique.

Stephen - Non, mais quels emmerdeurs vous faites, toi et ton père. Tu lui diras de ma part… (Se ravisant) Eh puis, non. Je le ferai moi-même… Reprenons! Les troupes de variétés des divisions, dont les célèbres Dumbbells de la 3e formaient la plus connue, faisaient leur part pour soutenir le moral. Les congés étaient encore plus précieux. Les blessés savaient, pour leur part, que même une bonne blessure ne leur épargnerait pas nécessairement le retour aux tranchées. En 1916, l’année d’avant, les quelques premiers déserteurs canadiens avaient été passés par les armes; ils seront plus nombreux à subir ce sort en 1917. (Fâchés) Tous des séparatistes et des communistes.

Mustapha (9 ans) - Racontez-nous la bataille, monsieur le Premier Ministre.

Stephen (en confidence) - La crête de Vimy n’était pas seulement une contrariété, pas plus qu’une simple possibilité, pour les méchants Allemands, de voir bien au-delà des lignes alliées; c’était l’objectif du Corps. Le commandant, lord Byngsavait comment se préparer. On construisit une énorme maquette de la crête et les soldats canadiens l’arpentèrent jusqu’à en connaître par cœur les moindres aspérités. Les artilleurs s’exerçaient avec des canons pris aux Allemands pour pouvoir se servir de l’artillerie dont on s’emparera au cours de l’assaut. En effet, il n’était pas possible de faire avancer à temps leurs propres pièces. On creusa d’énorme bunkers et abris, qu’on remplit d’approvisionnements et de munitions, et on perça des milles de tunnels. Le colonel McNaughton, un ancien professeur de génie chimique de l’Université McGill, découvrit comment déterminer l’emplacement des pièces allemandes grâce au son et à la lueur de départ, puis il se servit de l’artillerie lourde canadienne pour les supprimer.

Jean-Baptiste (narguant) - Dumbbells! Dumbbells! Ça c’est de la ruse, de l’attaque en sournois. Byng! Byng! Byng!

Stephen (furibond) - Tais-toi, petite graine de bandit, où je t’expédie en prison. Non, c'était de la haute stratégie doublée d'une fine tactique.

Mustapha - Mon oncle Ahmed dit que c’est comme ça qu’il faudrait s’y prendre… En creusant des tunnels sous le parlement… et le faire sauter!

Stephen - Vous voyez les enfants, comment l’histoire peut nous apprendre à faire de grandes et jolies choses! Je continue! Le jour de Pâques, à la première heure, les quatre divisions d’infanterie canadiennes, après plusieurs jours de bombardements par l’artillerie, montaient en ligne immédiatement derrière un barrage d’obus explosifs. Ils trouvaient les Allemands de la première ligne terrés - les lâches! - dans leurs abris, derrière ceux-ci, le combat était plus féroce. À huit heures du matin, ce 9 avril 1917, les hommes de la 3e Division atteignaient le sommet de la colline, d’où ils voyaient les Allemands, en pagaille, dévaler comme des lapins, l’autre versant. La 1ère et la 2e Divisions mirent plus de temps mais, au soir, elles avaient atteint leur objectif. La 4e Division, sur l’arête du saillant, essuyaient le plus dur du combat. Les Allemands, brillamment installés autour du Bourgeon, ainsi qu’on avait baptisé le point culminant de la crête, se battirent jusqu’au bout. - C’est comme ça quand on aime son pays, il faut tout lui sacrifier jusqu’à sa vie! De plus, ça évite au gouvernement de payer une pension d'ancien combattant. - Songez les enfants, il fallut attendre le 12 avril pour que le brigadier général Edward Hilliam, un brave éleveur de l’Ouest et ancien sous-officier britannique sorti du rang, puisse transmettre : «Je suis roi du Bourgeon» - Allez, les enfants, on applaudit nos valeureux soldats! (Tout le monde applaudit). Et la morale de cette histoire que vient de vous raconter, uncle Stephen, c’est que même si les divisions françaises et britanniques se sont battues sur les flancs, la crête de Vimy reste le triomphe du Corps canadien. N’est-ce pas une belle histoire, les enfants?

Tous les enfants - Si. Si.

Stephen - Et c’est comme ça que la bataille de la crête de Vimy a souder en un seul peuple, une seule vraie nation, la nation canadienne, des pêcheurs de l’île de Vancouver à ceux du Cap Breton; des caissiers de banque de Toronto aux éleveurs de l’Ouest. (Se tournant vers les membres du Comité Permanent du Patrimoine venus observer la leçon d’histoire.) Vous voyez que ce n’est pas si difficile que ça que d’enseigner la passionnante histoire du Canada aux petits Canadiens.

Les enfants - Racontez-nous d’autres belles histoires, monsieur le Premier ministre.

Stephen - Oh! J’en ai bien d’autres, mais ce sera pour une prochaine fois, tant il y a eu de belles batailles depuis la Confédération : je vous raconterai comment on a résisté tant qu'on a pu à accorder le droit de votes aux suffragettes, des femmes de mauvaise vie qui voulaient faire comme leur époux et avoir le droit de vote, ce qui a ouvert toute grande la porte au droit à l’avortement, ce mal cruel auquel vous avez tous échappé de justesse, heureusement. Puis il y aura les belles batailles de la Seconde Guerre mondiale, à Monte Cassino, où on a détruit tout le vieux monastère de saint Benoît, une relique qui ne servait plus à rien. Eh puis, la libération de la Hollande, la bataille d’Ortona, celle de l’Atlantique, où certains sous-marins allemands venaient jusqu’à accoster sur les rives du Saint-Laurent, où les nazis venaient danser avec des Québécoises - race de traitres séparatistes. Eh puis, il y a eu la Guerre de Corée, enfin le conflit en Afghanistan, et comment grâce aux méchants libéraux, nous avons manqué notre chance de laisser notre marque en Irak! (Fier, se retournant vers le comité.) Alors qu’en dites-vous messieurs du Patrimoine, vous voyez, même les enfants en redemandent

Le député NPD, Pierre Nantel - C’est que vous êtes obsédé par l’histoire militaire, rien que des batailles …et idéologiques en plus.

Le ministre du Patrimoine, Rob Moore - Je suis convaincu, on ne pouvait mieux faire, monsieur le Premier Ministre.

Le député libéral Scott Simms - Votre dernière allusion à propos de l’Irak et du gouvernement libéral était de trop. On sait bien ce que ça aurait été si vous aviez été premier ministre à l'époque!

Le député conservateur Ray Boughen - Il faut dire les choses comme elles sont.

La députée NPD Marjolaine Boutin-Sweet - My tailor is rich.

Le député conservateur Gordon Brown - Ça, c’est des histoires comme on les aime.

Le député conservateur Paul Calandra - Moi, en tant que député d’Oak Ridges-Markham, j’ai toujours trouvé que nous avions là une opportunité pour notre comité et les autres Canadiens de connaître ce que font le Québec et les autres provinces canadiennes. Quelle belle occasion de partager vous nous offrez, monsieur le Premier Ministre.

Le député NPD Andrew Cash - C’est de l’ingérance politique dans les prérogatives provinciales!

Le député NPD Matthew Dubé - Je dirais même plus, c’est de l’ingérance provinciale dans les prérogatives fédérales???

Les trois autres députés conservateurs, Jim Hillyer, Blake Richards et Terence Young se lèvent pour applaudir à tout rompre.

Stephen - Voilà, la majorité s’est exprimée. (Se mettant au synthétiseur tandis que les députés conservateurs se partagent les autres instruments du band. Les députés de l'opposition sortent en colère.) Allez les enfants, mettez-vous en rang deux par deux, vous savez que uncle Stephen ne fait pas que jouer en faussant au piano Imagine de John Lennon. Dans son jeune temps, son groupe préféré était K.C. and the Sunshine Band, un vrai groupe qui venait du sud des États-Unis. C’est merveilleux comment les Américains peuvent dire autant de choses si fondamentales et en si peu de mots! :

Trouver la musique sur un autre serveur :
 http://www.youtube.com/watch?v=IQJgAPTX7OY
Everybody, get on the field, the last chance
Don’t fight the feeling, give yourself a lance

Stephen - (Against the Fenians and the Boers!)

Shake, Shake, Shake
Shake, Shake, Shake
Shake your booty, Shake your booty …Aaah!
Shake, Shake, Shake
Shake, Shake, Shake
Shake your booty, Shake your booty …Aah!

You can, You must do it
Very Well
You’re the best in the world, I can tell

Stephen - (Against the Indians and the Half-breeds!)…Aah!

Shake, Shake, Shake
Shake, Shake, Shake
Shake your booty, Shake your booty …Aah!
Shake, Shake, Shake
Shake, Shake, Shake
Shake your booty, Shake your booty …Wow Ya!

(Shake, Shake, Shake, Shake)
(Against Germans and Austrians) …Aah!

Shake, Shake, Shake
Shake, Shake, Shake
Shake your booty, Shake your booty …Aah!
Shake, Shake, Shake
Shake, Shake, Shake
Shake your booty, Shake your booty …Aah!

(Nazis, and the jap.) shake your booty …Aah!
Don’t fight the feeling
(shake, shake, shake, shake) shake your booty …Aah!
Give Yourself a chance
(Against communists, separ'tists) shake your booty
You can do it, do it
(shake, shake, shake, shake) shake your booty
Come on. Come on Now

(shake, shake, shake, shake) shake your booty …Bouou…
(shake, shake, shake, shake) shake your booty …Aah! Run for your Queen’s

(Against Coreans and talibans) shake your booty …Aah!
do your duty …Ah Aah!
(shake, shake, shake, shake) shake your booty⌛

Montréal
6 mai 2013

Une autre des Belles Histoires du ministre Pierre Duchesne - Les femmes patriotes de 1837-1838 - (The musical)

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UNE AUTRE DES BELLES HISTOIRES DU MINISTRE PIERRE DUCHESNE
- LES FEMMES PATRIOTES DE 1837-1838 -
(THE MUSICAL)

Le ministre Duchesne (dans une classe circulaire, portant un sarrau blanc de laborantin, une trentaine d’étudiants des deux sexes, enchaînés des pieds et des mains à leur carcan au col, seuls quelques étudiants sont libres) - Aujourd’hui, en tant que ministre de l’Éducation Supérieure, je vais vous transmettre mes connaissances appliquées en histoire de la Rébellion de 1837-1838 des Patriotes du Bas-Canada. Je sais que la matière a déjà été abordée au secondaire, mais comme vous avez tous coulé vos examens et qu’il a fallu normaliser les notes pour vous permettre d’accéder au Collégial, je vais donc m’efforcer de compléter ce qui n’a pas été fait.

(Silence funèbre de la classe).

Le ministre Duchesne - Commençons. (Scrutant les étudiants). Tient, toi, le grand gêné qui se tient debout en arrière. Peux-tu me dire en quelles années ont eu lieu les Rébellion patriotes de 1837-1838?

Léo (le grand gêné, hésitant, se mordant les lèvres, garde un silence gêné).

Le ministre Duchesne - Tu ne le sais pas. Je m’en doutais rien qu’en regardant ta tronche de débile. Sais-tu que si tu étais un étudiant américain en ce moment, et que je te posais la question  : «En quelles années a eu lieu la Guerre Civile», il me répondrait, sans hésiter et fièrement : 1861-1865». Ça, c’est aimer son histoire, sa nation, son pays. Maintenant, je te repose la question : en quelles années ont eu lieu les Rébellions patriotes de 1837-1838?

Léo (hésitant, encore, puis risquant) - En 1861-1865?

Le ministre Duchesne (découragé) - Vous comprenez tous, maintenant, pourquoi il a fallu imposer un cours d’histoire du Québec souverain non-idéologique obligatoire au CÉGEP? Vous êtes, tous, pour la plupart, des ignares. Personne ne connaît ici son histoire. À l’exception du petit Viet, du frisé à la peau tamisée sombre et des jumelles dont je ne sais pas encore laquelle des deux est la méchante! Voilà plus d’un demi-siècle que mes prédécesseurs et moi nous nous interrogeons sur les raisons pour lesquelles les jeunes Québécois n'aiment pas leur histoire; les raisons qui font que vous reculez devant votre histoire comme vous refusez d’aller voir un film québécois en salle.

Justin - Ça coûte trop cher, les films en salle pour ce que ça nous donne!

Le ministre Duchesne (frustré) - Ça suffit. Sans être prétentieux, j’aimerais me citer en exemple auprès de vous. L’histoire est une connaissance merveilleuse, passionnante, pleine de richesses et de découvertes. Vous pouvez la lire comme un exemplaire d’Échos Vedettes. Toutes sortes d’anecdotes croustillantes pendant que se fait la grande Histoire. C’est passionnant. Je n’ai quand même pas écrit trois biographies de 600 pages chacune sur «Monsieur» Jacques Parizeau si ç’avait été ennuyant, non? Le quatrième volume attend même déjà sous presse le décès du biographié pour le lancer, et comme les autres, il sera tenu comme manuel obligatoire aux études d’histoire au collégial.

Félix (faisant la moue) - Quatre biographies de 600 pages à 40 ou 50 piastres le volume, ça commence à faire cher l’éducation supérieure gratuite non?

Le ministre Duchesne (vertement) - Chaque fois que j’ouvre la bouche, il y a un imbécile qui parle! Sachez, jeune impertinent, qu'il n’y a aucun sacrifice assez beau pour le savoir de sa patrie. (Reprenant son calme) Comme il faut bien vous intéresser à l’Histoire du Québec, j’ai décidé de cibler le cours d’aujourd’hui sur le rôle des femmes patriotes pendant la Rébellion patriote de 1837-1838. Et comme je sais que vous êtes des enfants du Millénaire, que vous avez été élevés avec des i-pod, des i-pad, des i-phones et des tweeties, je vais donc vous animer un cours interactif.

Agnès - Chouette. On va pouvoir texter avec madame Papineau?

Le ministre Duchesne - Non, mais proche. D’abord, mes chers élèves, il faut que vous reteniez que les femmes ont joué un grand rôle dans l’histoire des Rébellions. Sans elles, sans leur apport, sans leur secours, nous aurions probablement gagné la Rébellion. Et si je dis ça, c’est en me basant sur une étude comparative de toutes les révolutions en Europe et en Amérique latine, du temps  de nos propres Rébellions. Nos statistiques nous apprennent ainsi, qu’il y avait toujours moins de femmes que d’hommes sur les barricades, d’où des défaites assurées. Le modèle étant universalisable, nous pouvons, sans risquer de nous tromper, l’appliquer objectivementà la situation de la Rébellion des Patriotes du Bas-Canada de 1837-1838. C’est comme ça que nous faisons de l’histoire «scientifique».

La 1ère jumelle - Ma mère s’appelle Yvette!

Le ministre Duchesne - Bon! Ton commentaire répond à la question que je me posais tantôt. (À la classe) Reprenons. Les Québécoises de 1837-1838 n’étaient pas toutes aussi folles que la névrosée Julie Bruneau qui ne cessait de harceler son mari, Louis-Joseph Papineau, pour aller faire du shoppingà La Baie à chaque fois qu’un nouveau modèle de bonnet de fourrure était lancé sur le marché…

La 2ème jumelle - Avec maman, nous avons déjà vu Mme Frula et Mme Beaudoin en train de magasiner ensemble des petites cuillers d’argent chez Birks!

Le ministre Duchesne - (à part) Décidément, deux méchantes jumelles dans le même duo! Je vous rappellerai que la bataille de Saint-Denis a été gagnée autour de la maison d’une Madame Girouard, de Saint-Denis. Que les femmes tricotaient des bas de laine pour leurs maris pendant qu’ils s’armaient, afin de leur tenir les pieds aux chauds dans la neige du mois de décembre, aux cas où ils auraient à décamper vite devant les soldats. Certaines ont même pris le fusil de chasse …pour le remettre à leur époux. C’était déjà un signe d’encouragement indélébile et de support moral indéfectible.

(Les élèves baillent et gigotent sous leurs carcans.)

Le ministre Duchesne - Mais le pire, et ce que nous devons retenir, c’est comment elles ont souffert, ces pauvres femmes, pourchassées par les traîtres fédéralistes de l’époque et les troupes du général Colborne; chassées avec les vieux et les enfants, pieds nus dans la neige, à moins 20 degrés, tandis que la G.R.C. incendiaient leurs maisons et détruisaient leurs troupeaux.

Valérie - Ils étaient vraiment méchants ces Anglais.

Le ministre Duchesne - Oui, et pire encore. Voilà, qu'aujourd’hui, ils veulent vous enseigner une histoire complètement fausse. Une histoire idéologique. Sans finesse et …ni interaction.

Léo - Ouin! Elle vient quand l’interaction, j’commence à avoir les doigts engourdis.

Le ministre Duchesne - Patience. Vous savez qu’il faut parfois attendre son tour. Prenez moi, par exemple. Il a fallu statuer qu’un vrai «Patriote de l’année» devait mesurer plus que 5 pieds 3 pouces, de sorte qu’on expulse Bernard Landry de la compétition pour que je sois couronné, lundi dans deux semaines. C’est comme ça. Tout vient à point à qui sait attendre son tour. J’achèverai mon cours en vous parlant de mère Émilie Gamelin.

Fanny - C’tu la même qui a donné son nom à la place où on se rassemblait manifester l’an passé?

Le ministre Duchesne - Non. C’est nous qui lui avons donné son nom. Et fait sa statue. Mère Gamelin s’occupait de consoler les Patriotes détenus à la prison Au Pied du Courant, sous le pont Jacques-Cartier. Elle les encourageait à rester forts devant la corde qui les attendait, de se montrer fiers et nobles devant la disgrâce publique et le châtiment. Elle les encourageait à cultiver la vengeance parmi leurs enfants, ce que les mères transmirent …à peu près. De cette fibre sont nés les Hippolyte Lafontaine, George-Étienne Cartier, Wilfrid Laurier, René Lévesque, Jacques Parizeau, Paul Piché…

Fanny - C’es-tu ce qu’elle soufflait aussi à l’oreille des étudiants lors des manifs de 2012?

Le ministre Duchesne - Oui, mais jusqu’au début de septembre, lors de l’élection de notre gouvernement. Après ça, elle vous a dit de rentrer chacun chez vous. Ce que vous n’avez pas fait. Incapables que vous êtes d’obéir, même aux influences spirituelles qui viennent du fond de vos âmes. Graines de catholiques manqués.

Léo - Bon, on y arrives-tu à l’interaction?

Le ministre Duchesne (s’écartant légèrement) - Oui. J’ai ici, croyez-le ou non, le sarcophage que l’on a déterré d’une femme Patriote de 1837-1838, Madame Kimber, qui, à l’époque, se promenait avec un pistolet sous le bras. Grâce à un courant électrique puissant, nous allons réanimer son ADN et lui redonner la vie. Et elle pourra vous raconter d’elle-même ce que fut le rôle indispensable des femmes au cours de la Rébellion patriote de 1837-1838.

Les étudiants - Oooooh!

Le ministre Duchesne - C’est comme un Parc Jurassique de Patriotes! Et comme j’ai promis que le jeu serait interactif, je vais moi-même allumer le dispositif qui fera circuler le flux électrique à travers les cerceaux de verres autour du cercueil.

Fanny (excitée) - Est-ce qu’on va pouvoir lui poser des questions à savoir ce qu’elle utilisait comme tampons, à l’époque?

Le ministre Duchesne (S’activant) - Peut-être.

Sébastien - E’ as-tu des grosses boules?

Le ministre Duchesne (S’activant) - Je ne sais pas, je l’ai pas vue.

Les deux jumelles - Notre mère étaient avec les Yvettes en 1980.

Le ministre Duchesne (Aboutissant) - Mauvaises filles. - Tadam!

(Toutes sortes de gugusses se mettent à flasher, des lasers entourent le sarcophage. Le ministre Duchesne est en apothéose pendant que les cercles lumineux enveloppent de laser le cercueil et que les étudiants entonnent en chœur  :)

Pour suivre la musique, adressez à un autre serveur

Cage of freedom
That's our prison
Where the jailer and captive combine

Le ministre Duchesne (enlevé) : La voici la femme Patriote parfaite, excellente par-dessus toutes les excellences

Cage of freedom
Cast in power
All the trappings of our own design

Le ministre Duchesne (transporté) : …la libératrice du peuple Québécois opprimé et humilié, mes enfants!

Blind ambition
Steals our reason
We're soon behind those invisible bars
On the inside
Looking outside
To make it safer we double the guard

Le ministre Duchesne (hystérique) : Celle qui va enfin réaliser le rêve québécois du Parti!

Cage of freedom
There's no escaping
We fabricated a world of our own....
World of our own, world of our own.

(La porte du cercueil tombe dans la fumée.)

Cage of freedom, growing smaller
'Til every wall now touches the skin
Cage of freedom, filled with treason
Changing sides as the losses begin
Our suspicion tries escaping
But they step up the security
There's no exit--there's no entrance
Remember how we swallowed the key?

(La momie enveloppée commence à se débander, et la fumée à se dissiper.)

Cage of freedom, that's our prison
We fabricated this world on our own....
World of our own, world of our own.

Le ministre Duchesne : - Le voici le Patriote fait femme, celle qui va mener le Québec à la liberté, dans l'ordre, l’honneur et l’enthousiasme. (Apparaît la momie de Pauline Marois qui avance comme une zombie aveugle, derrière les étudiants qui la précèdent vers le porte d’entrée).

Big Mother
Is there a bigger one watching you
Or is there one smaller
Who I should be watching too
Infinite circles of
Snakes eating their own tails
For every one chasing
Another is on the trail
Is that a friend
Can you tell, is he on your side?
I spy with my little eye
Yet another spy... (fadeout)⌛


Montréal,
7 mai 2013

Le navet dans la navette

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Chris Hadfield pour sa vidéo-clip en direct de l'univers
LE NAVET DANS LA NAVETTE

Lorsque j’étais enfant, je m’intéressais à tout, ou du moins à presque tout. Et dans ce tout, il y avait l’astronomie. Un jour, je me rendis à la succursale de la librairie Claude Payette, sur la 5e avenue à Iberville, afin d’y acheter un album d’astronomie. C’était un endroit étrange que cette libraire. Vaste plancher avec plafond haut comme tous les vieux commerces de l'époque, et murs d’une couleur bleue foncée, sombre, quasi inquiétante. C’est, du moins, le souvenir que j’en ai gardé. C’est là que j’achetai mon premier exemplaire des Histoires extraordinaires d’Edgar Poe, dans la collection du Livre de poche, avec préface signée Alfred Hitchcock. C’est là aussi, je crois, que j’achetai, du vulgarisateur français Pierre Rousseau, toujours en Livre de poche, son volume sur L'astronomie.

L’album sur lequel s’arrêta mon regard, était un livre pour la jeunesse. On y voyait sur la couverture les grandes planètes, Jupiter et Saturne et les autres, plus petites. C’était un livre essentiellement truffé d’images dessinées et coloriées. Il y avait peu de photographies et toutes, évidemment, en noir et blanc. L’astronomie m’intéressait pour ce que j’en avais appris les rudiments dans ces fascicules scolaires de l’époque, les «Connaissances usuelles», celui de 3e année, Soleil, lune, étoiles et l’autre de 7e, Le système solaire. Dans tous ces livres, on nous apprenait que les hommes, depuis toujours, restaient fascinés par l’observation du ciel. Très tôt, dans ces vastes États que Lewis Mumford qualifiait de «mégamachines», les empires firent ériger de grands barrages sur le Nil, le Tigre et l’Euphrate, l’Indus et le Hoang-Ho, afin de régulariser le cours des eaux et profiter au maximum des sols limoneux pour étendre l’agriculture, et ainsi sortir du limon de la Terre les premières grandes civilisations. Aussi, le recours à des prêtres capables d’interpréter le mouvement des étoiles et des planètes donna-t-il naissance à ce premier art d’interpréter les mouvements du ciel : l’astrobiologie.

De tous temps, le ciel a été habité : les dieux et les héros, les saints et les anges, le destin et les sorts, les personnages fantastiques des zodiaques et les signes prémonitoires, les âmes des morts et celles à naître, les extraterrestres (au moins, depuis Cyrano de Bergerac, le vrai, au XVIIe siècle) et les étranges phénomènes célestes qu'enregistrait Charles Fort dans son Livre des damnés au début du XXe siècle. La capacité d’émerveillement des hommes anciens devant la beauté de la voûte céleste ne cède en rien à celui que nous éprouvons lorsque nous regardons ces images venues du fin fond de l’univers, nous présentant le Big Bangprimal, retransmises par le télescope Hubble. Nous sommes seulement plus difficiles à émerveiller. Le ciel nous est devenu un peu plus étranger depuis qu’il a quitté notre horizon, voilé par l’irisation des lumières de la ville. Pour le retrouver, si on a pas les moyens de se rendre à la campagne, loin de tous lieux habités, ne reste plus que l’écran du téléviseur ou de l’ordinateur.

Nous nous sommes séparés progressivement du ciel, comme de la Terre sans doute. Pour les anciens, avec leurs astrologues, leurs sourciers, leurs pythie et leurs alchimistes, la proximité du cosmos et des profondeurs telluriques opérait une symbiose autour de l’homme, un milieu - on dirait aujourd’hui un écosystème -, dont l’équilibre reposait sur des secrets impénétrables pour le commun des mortels. Pour les modernes, qui pensent efficacité, rentabilité, développement durable ou énergies verte, fossile ou biomasse, le rapport au cosmos a complètement changé. Lorsque nous allons dans l’espace, c’est pour une éventuelle mise à profit de celui-ci et des mondes qui le constituent. Contrairement aux vaisseaux spatiaux de la science-fiction, qui reprennent les noms des grands voiliers des XVIIIe-XIXe siècles, la station spatiale internationale est un point d’ancrage dans une extension impérialiste de la Frontierà l’américaine, c’est-à-dire une première marche vers la colonisation d’autres mondes. L’impérialisme extra-terrestre, si on peut l’appeler ainsi. Il s’agit, pour tous les peuples, de contribuer à la construction d’une vaste échelle de Jacob qui risque davantage de reproduire les échecs de la Tour de Babel que de parvenir à atteindre le véritable supralunaire des anciens.

Des anciens aux modernes, les visions de l’univers se sont transformées au gré des courants métaphysiques, physiques et mathématiques. De Thalès de Milet à Ptolémée, à Tycho Brahée, à Copernic, à Kepler et à Galilée, puis passant par Newton, Halley, Hubble et Einstein, le renversement des perspectives n’a non pas seulement changé notre vision du cosmos, mais également la valeur de l’homme. Lors de la Première Guerre mondiale (1914-1918), les pilotes d’avion étaient tenus pour la nouvelle chevalerie. Seuls, aux commandes de leur avion, pilotant en tête des escadrons (encore réduits à l'époque), ils franchissaient des distances, passant par-dessus les frontières fortifiées, les tirs d'artillerie et les troupes, pleuvant le feu sur les camps ennemis. À une époque où ils étaient encore peu nombreux, où les appareils étaient difficiles à manier, où les bombardements exigeaient des nerfs d’acier, le pilote dans sa carlingue, rappelait ce qu’était le guerrier médiéval dans son armure, alors que l’industrialisation et les mouvements de masse des fantassins éclipsaient toutes possibilités au soldat de se présenter sous son côté héroïque et vindicatif. C’est ce qui explique la renommée internationale de l’as de l’aviation militaire, le Baron Rouge, l’Allemand Manfred von Richthofen. Avec 80 victoires à son actif, il avait de quoi émerveiller même ses adversaires. Sa rapidité, son habileté à manœuvrer son appareil, à viser juste ses cibles, à s’éloigner en vitesse devant des ennemis supérieurs en nombre en faisaient un véritable chevalier des temps modernes. Jusqu’à ce qu’un pilote «démocrate», venu d’une colonie lointaine, le Canada, Arthur Roy Brown, l’abatte en retour de mission. Depuis, les expertises et les contre-expertises se disputent à savoir qui a vraiment abattu le Baron Rouge, et l’on s’arrête maintenant sur un autre pilote, un Australien, venu lui aussi d’une lointaine colonie démocratique, «Snowy» Evans. Saura-t-on jamais la vérité? Quoi qu’il en soit, bientôt c’est par escadrilles que les pilotes s’affronteront et la dernière image nobiliaire du pilote de combat sera effacée à son tour. Les héros ne peupleront plus le ciel.

Ce qu'on appelle, depuis Max Weber, le désenchantement du monde a consisté en un avortement de notre Imaginaire et le ciel s’est vu vider de ses étoiles, de ses planètes, ses novæ et ses super-novæ, ses comètes, ses astéroïdes, ses lunes, aspirés dans un sac de polythène. Ce qui reste, c’est le ciel du showbusiness. Le ciel des stars, des lancements de navettes ou de soyouz; lancements répétitifs, lassants, dont nous attendons, non sans un certain shadenfreude, une seconde explosion semblable à celle de Challenger en 1986, afin de mettre un peu de «piquant» dans ces spectacles devenus banals. Ne serait-ce que pour téter un peu plus du human interests des familles des astronautes en larmes ou de la stupeur inscrite dans le visage des figurants de la NASA… Et puis, il y a cette impayable station spatiale qualifiée d'«internationale», construite avec l’aide du «bras canadien» - Quel honneur, ma chère! -, qui prétend faire des cosmonautes en couches Pamper's les nouveaux chevaliers intergalactiques.

Soyons sérieux. Notre Imaginaire, ainsi vidé de sa substance créative par des avortements périodiques opérés par les média et les experts-spécialistes dissimulant, sous un positivisme schizophrénique, des conceptions tout aussi douteuses que bien des sciences spéculatives et analogiques du passé, est appelé à fonctionner par des syncrétismes aux résultats plus puériles que vraiment créatifs. Mêler à la fois le sens de l’honneur de la chevalerie féodale avec des androïdes venus de l’espace et rythmer le tout par des combats avec des épées au laser en prétendant reconstruire une «mythologie» à l’égale des anciens récits fondateurs des cultures, c’est une fraude culturelle. Le succès commercial n’est nullement garant de la qualité spirituelle de ces produits qui, associés à la consommation de masse, réduisent l’imaginaire de tout un chacun à des mêmes stéréotypes larvés.

Où se retrouve l’émerveillement face à la nature devant la représentation tonitruante d'un space operaà la Wagner? 2001 odyssée de l'espace, le film de Kubrick est sans doute un chef-d’œuvre, mais l’essentiel ne réside pas là. Aujourd’hui, c’est la station orbitale qui est le corps dont on cherche du regard la présence, à l’œil nu ou au télescope. Chaque astronaute qui va y faire son tour, de quel pays il provient, reçoit une couverture médiatique extraordinaire. Un millionnaire s’est déjà payé son voyage dans l’espace. Puis un autre, parce qu’il était fondateur et encaisseur du Cirque du Soleil. Il a même manqué de s’asphyxier en se mettant un nez rouge de clown au moment du décollage de la fusée. Guy Laliberté, aliasÉric du célèbre duo Éric et Lola, ou comment des millionnaires se chicanent autour d'une pension, n’avait pas grand chose d’original à dire de son expérience extraterrestre, à part que la Terre était «ben belle» vue de là-haut; que c’est «trippant» vivre une telle expérience et qu’il laisse toujours échapper un peu de pipi quand il fait caca dans sa couche. Tout cela a été pris au sérieux. Le film qu’il en a produit est d’une banalité sans art et, pour un homme de cirque, sans …magie.

La trans-formation de l’espace en une ridicule scène à spectacle atteint maintenant un nouveau degré avec la prestation de l’astronaute canadien Chris Hadfield qui nous lance une vidéo-clip sur You Tube, avec une guitare qui virevolte dans l’apesanteur. Ce n’est pas qu’il chante mal. Ce n’est pas non plus que la guitare ne manifeste pas une certaine grâce à tourbillonner dans l’air. Chris fait ainsi une propagande mièvre sur le bonheur de passer six mois dans la station internationale, ce qui pourrait allonger la liste des millionnaires heureux de financer la NASA en payant des millions pour aller se balader là-haut, à leur tour. Pour le gouvernement canadien et le parti conservateur, c'est là le seul type de héros qu'ils ambitionnent. Ce qui jette toutefois un goût plutôt amer sur le sérieux de toute cette propagande, c'est qu'elle est diffusée au moment où ces mêmes Conservateurs ont giflé le premier navet de la navette, Marc Garneau, devenu député libéral, qui n’a pas été invité, le 2 mai dernier, au Musée de l'aviation et de l'espace du Canada, alors que le ministre du Patrimoine, James Moore, inaugurait une nouvelle exposition mettant en vedette le célèbre bras canadien. Il est vrai que, pour courageux qu'il soit, Marc Garneau n'est pas ce qu'on peut appeler «une lumière». Nombre de ses déclarations passées ont fait de lui une véritable tarte à la crème, semblable à ce qui arrive lorsqu’une vedette de hockey ose se prononcer sur «le droit de veto»… Aussi, si courageux soit-on, lorsqu'on fait l'imbécile, il faut le faire jusqu’au bout et en subir les conséquences.

Dès ce soir, le nouveau Marc Garneau, la nouvelle icône Chris Hadfield, fera oublier le modèle. Lui, il a chanté, il a fait une vidéo-clip dans l’espace, captée par des millions de spectateurs. On lui redemandera de la chanter sur les plateaux de télé, dans les reportages, dans les soirées partisanes. Il a survécu 6 mois dans la station spatiale, il a participé à colmater une fuite d’amoniaque réfrigérant, il s’est montré sympa avec ses compagnons de cellule, et il va rentrer en grande gloire au Canada. Son bilinguisme «militaire» va en faire une vedette nationale que le gouvernement Harper, prompt à la propagande, va nous balancer pendant des mois. Il y aura un timbre Chris Hadfield, un pièce de monnaie Chris Hadfield, un musée Chris Hadfield, des photos autographiées de Chris Hadfield, du Chris Hadfield partout et le Ciel aura un nouveau nom, la sphère Chris Hadfield …jusqu’au prochain cosmonaute venu du Canada à répéter l'exploit.

L’espace, avorté de tout ce que l’Imaginaire des hommes y avait versé depuis des millénaires, depuis sa fragile apparition dans les gorges de l’Olduvai en Afrique, n’est plus qu’une autre scène de spectacles, réduite aux dimensions d’un happening perpétuel pour les festivalisés en manque d’inspiration. La société du spectacle, avec ses média de masse, ses organisateurs propagandistes, ses vedettes évoluant entre l’injection au botox et la liposuccion, a fait de la Terre un Disneyland qui finira bien par faire de la planète un véritable Lunapark; maintenant, c’est au tour du ciel, avec cette base spatiale internationale où seront affichés, s’ils ne le sont déjà, les panneaux publicitaires de la consommation américaine : Pizza Hut et Coca Cola. La station spatiale internationale? Le premier Centre d’Achats international du futur?

Le James Bond de Moonraker nous avait montré une «rentrée dans l’atmosphère» qui nous permettait d’imaginer ce que serait une scène de baise You Tube dans la station spatiale. «Le premier bébé conçu dans l’espace» sera sans doute au programme des chercheurs de la NASA. Ce qui nous amène à nous interroger sur la valeur de toutes ces expériences qui se déroulent dans cette station, qui n’est que le résidus du projet mégalomane du Président Reagan; une station à l’image de celle présentée depuis le milieu du XXe siècle dans les Comic Books et les bandes dessinées de science-fiction. De ces résultats, très peu filtrent. Il y en a pour les militaires, il y en a pour des entreprises privées, il y en a pour le gouvernement, il y en a pour tout le monde, mais pas toujours pour ceux qui pourraient devenir les déficitaires des sommes colossales investies dans ces résultats. Pour ces derniers, on les enchante en les amusant avec le crooner de l’espace, Chris Hadfield.

Suis-je jaloux? Pas du tout. Je n’aime pas voyager. Ça me stress et ça donne des gaz. Alors, pensez, faire un tour en navette, non merci. Comme disait le capitaine Haddock, on n’est jamais aussi bien que sur notre bonne vieille Terre. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas vider la sacoche de l’aspirateur et de renvoyer au ciel ce que nos imaginaires passés y avaient trouvé. Il faut lire le magnifique livre de Lucian Boia, L’exploration imaginaire de l’espace, paru aux Éditions La Découverte en 1987. Abondamment illustré de gravures et autres reproductions des siècles antérieurs, c’est moins un voyage dans l’espace interplanétaire que dans l’espace mijoté dans notre Imaginaire. Les informations que l’historien roumain nous livre sont du plus haut intérêt sur la façon dont est née notre actuelle conception de l’espace, malgré les dommages causés par la science et la technologie. Ces fantaisies, que certains prenaient au sérieux, ou qui passèrent un temps pour des faits avérés - ainsi, pour Schiaparelli, les canaux de Mars, construits par des martiens, pour irriguer la planète rouge désertique en partant des glaces polaires -, ne trouvent plus aujourd’hui d’équivalent, même lorsqu’on nous montre le sol d’Europa ou de Titan, la première satellite de Jupiter, la seconde de Saturne. Il n’y a pas jusqu’aux exoplanètes qui commencent à attirer notre imagination, mais toujours bien encadrée par les données recueillies par les projections astronautiques modernes.

Les OVNIs et les petits bonshommes verts n’ont pas grevé le sérieux de la recherche concernant la planète Mars. Sans déduire de l’inexistence des Martiens qu’il n’y avait nulle autre planète où la vie puisse se manifester, et même la vie anthropomorphique - aucun astronome ou astronaute sérieux n’est prêt aujourd’hui à écarter cette éventualité -, si l’emphase porte sur la recherche de planètes solaires ou extrasolaires, c'est précisément parce que la découverte de l’eau ou des traces d’eau, pourrait en venir à confirmer cette hypothèse de la vie importée d’un autre univers. Ce qui nourrit la cosmologie et la science-fiction se diffuse, malgré la plâtrification des visages des universitaires, dans l’Imaginaire des savants de la NASA comme de n’importe quel autre agence spatiale nationale. Il y a encore des questions angoissantes, liées au Familienroman de l’espèce humaine, qui cherche ses réponses dans l’impénétrable profondeur du vide intersidéral⌛

Montréal
13 mai 2013

Les synapses défaillantes de Pauline Marois

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Ha! Ha! Ha! Hi! Hi! Hoo! Ha! Ha! Ha!
LES SYNAPSES DÉFAILLANTES DE PAULINE MAROIS

Les schizophrènes positivistes doutent toujours de l'existence de l’inconscient collectif, même si cet inconscient se manifeste parfois parmi eux. Voilà pourquoi les historiens en sont souvent venus à confondre «mémoire» (subjective) et «histoire» (objective), ce qui est un leurre puisque la fabrication même de l’histoire est subjective, liée qu’elle est à leurs auteurs, les historiens et à leur publique lecteur. Mais ce n’est pas de cela dont je veux vous entretenir, aujourd’hui, en cette merveilleuse «journée des Patriotes» au Québec. En 2002, le premier ministre péquiste de LaBelle Province, Bernard Landry, décida que, désormais, le troisième lundi du mois de mai serait consacré à célébrer les Patriotes de 1837-1838. Il voulait ainsi substituer une fête véritablement nationale à la bonne vieille fête de Dollard des Ormeaux, enfant chéri de l’historien-chanoine Groulx. En même temps, nos frères-ennemis, les Anglo-canadiens, fêtent la reine Victoria, celle-là même qui gouvernait l’Empire britannique l’année où les Patriotes, tant dans le Haut que dans le Bas-Canada, se soulevèrent afin d’émanciper un peu plus leurs colonies de la tutelle britannique.

Dans l’un de ses commentaires sirupeux de l’émission Découverte, Charles Tisseyre nous dirait sans doute que ce sont-là des superpositions de couches sédimentaires dans l’inconscient collectif des Québécois. L’image, ma foi, me paraît bonne, mais au niveau des Québécois du XXIe siècle, tout cela risque d’entraîner du brouillard dans la communication des synapses cérébraux. L’inconscient collectif, comme l’inconscient individuel, amasse les différentes couches mémorielles sans les éliminer au fur et à mesure que s’en ajoutent d'autres. Bien au contraire, ces couches ne font pas que se superposer, elles s'interpénètrent même les unes aux autres, produisant des effets où le Symbolique et l’Idéologique pratiquent une valse musette qui n’est pas toujours endiablée.

Cette année est aussi spectaculaire à observer en ce domaine qu’elle le serait s’il y avait une éclipse de soleil totale ou le passage d’une comète à proximité de la Terre. Car d’autres fêtes, passées sous silence celles-là, et de manière très volontaire, donc très idéologique, rejoignent la date du 20 mai, le troisième lundi du mois. D’abord, l’échec référendaire de 1980, qui fut une gifle sur la tronche des souverainistes guidés par le Parti Québécois, parti présentement au pouvoir (minoritaire) à Québec. Ensuite, voilà que les autochtones réclament leur fête, à leur tour, et voudraient que ce soit aujourd’hui, ce à quoi Pauline Marois, la chef péquiste du gouvernement, a répliqué qu’elle serait bien d’accord, «mais pas aujourd’hui», c’est-à-dire pas le troisième lundi de mai! Comme vous pouvez le constater, il y a de quoi brûler quelques neurones.

Pour débroussailler un peu tout cela, faisons un peu d’archéologie. D’abord, le Victoria Day est toujours fêté le lundi précédant le 24 mai, jour anniversaire de la naissance de la reine Victoria, au pouvoir en 1867, lors de la proclamation de la Confédération. Mais la journée fériée était déjà célébrée à cette date puisque la Législature de la Province du Canada l’avait adoptée en 1845. Après la mort de la reine en 1901, le Parlement du Canada proclama, en 1905, fête légale le 24 mai, ou plus précisément le lundi précédant la fête anniversaire.

En fait, les Canadiens ont toujours célébré les fêtes anniversaires des monarques en puissance : Edward VII, George V, Edward VIII, George VI et même le premier anniversaire d’Elizabeth II, et ce, tout en fêtant le 24 mai. En 1952, les statuts du Canada furent modifiés et c’est là qu’on décida, afin de ne pas briser la semaine de travail, de porter la célébration le lundi précédant le 25 mai afin de célébrer le jour de Victoria, devenu «Fête de la Reine» (condensation entre Victoria et Elizabeth II). Voilà le premier sédiment mémorielle où se conjugue la fête de la Mère-Empire et la fidélité des Canadiens à la mémoire britannique. Lorsqu’à partir de 1967, on décida de fêter plus allègrement la fête de la Confédération, le 1er juillet devint la fête du Père-État canadien. 25 mai et 1er juillet sont donc les équivalents de la Fête des Mères (qui se situe elle aussi en mai) et la Fête des Pères (au mois de juin, une semaine avant les célébrations entourant la fête nationale). Feux d’artifices et indigestions de Barbe-à-Papa sont de mises en ces deux journées-là.

Voilà le fond sédimentaire sur lequel repose tout le reste, dirait notre Charles-du-Dimanche. La deuxième couche est venue plus tard, du moins pour les Canadiens Français, car le Canada anglais célèbre toujours la Fête de la Reine en ce troisième lundi de mai. Un historien ultramontain québécois, Étienne-Michel Faillon, un sulpicien, écrivit un premier récit mythique en 1865, du fait d’armes de Dollard des Ormeaux (1660) au Long-Sault. Ayant eu vent de l’intention des Iroquois d’éradiquer la colonie française par une invasion soudaine, Dollard et ses seize compagnons partirent à leur rencontre dans le but de les retenir au Long-Sault. La destruction du fort par un baril d’explosif et la mise à mort de tous ses occupants par les Iroquois sanguinaires devenaient l’illustration de la difficile implantation de la civilisation chrétienne au milieu de la barbarie païenne. Les historiens francophones subséquents insistèrent plutôt sur la tonalité religieuse, providentielle, de l'événement.
«En singularisant cette bataille comme un des principaux faits d’armes de l’histoire de la Nouvelle-France, l’abbé Faillon crée une des conditions de sa commémoration. Les chefs de file du mouvement national intègrent Dollard et son combat aux défilés des sociétés Saint-Jean-Baptiste de Québec (1880) et de Montréal (1884). L’événement apparaît de plus en plus souvent dans l’imagerie historique et devient un thème obligé des beaux-arts et des lettres. En 1895, Dollard est immortalisé dans un bas-relief en bronze du monument du fondateur de Montréal, Paul Chomedey de Maisonneuve. En 1908, il est le sujet d’un des grands spectacles historiques du Troisième Centenaire de Québec.

À Montréal, en 1910, la célébration du 250e anniversaire de la bataille marque un tournant. Piquées par l’intervention d’un quotidien anglophone, le Montreal Herald, qui souligne l’indifférence générale à l’égard de cet anniversaire, les élites francophones organisent une importante manifestation soutenue par le clergé catholique et le gouvernement du Québec. On décide alors d’organiser une campagne de souscription pour ériger un grand monument à Dollard.

Durant la décennie suivante se mettent en place le scénario et les acteurs de la commémoration. On profite de la fête chômée de la reine Victoria, au mois de mai, pour souligner l’anniversaire de la bataille. Les journalistes et conférenciers catholiques s’adressent aux jeunes pour les inciter à résister aux valeurs du matérialisme et de l’améri-canisme en suivant l’exemple de Dollard. En 1919, l’abbé Lionel Groulx prononce devant des étudiants montréalais une célèbre conférence sur ce thème, intitulée « Si Dollard revenait... » et diffusée dans les collèges et les séminaires de tout le Québec. L’inauguration de deux monuments, en 1919 à Carillon (lieu présumé de la bataille) et surtout en 1920 à Montréal, au parc La Fontaine, officialise la commémoration du héros.

À partir de cette date, et jusque dans les années 1960, la fête de Dollard est célébrée tous les ans à Montréal au pied du monument. Elle est soulignée également dans une foule de localités du Québec, ainsi que dans les communautés d’origine franco-québécoise des autres provinces canadiennes et de Nouvelle-Angleterre. La popularité de la fête de Dollard connaît des hauts et des bas, mais cette fête est désormais inséparable de celle de la reine.

La célébration prend diverses formes : veillées d’armes, messes commémoratives, défilés et discours patriotiques. Elle est accompagnée par la publication d’éditoriaux, de conférences et d’une imagerie populaire forte. Pendant près d’un demi-siècle, on rappelle ainsi à tous les jeunes francophones qu’ils ont le devoir de suivre l’exemple de Dollard dans le combat pour la sauvegarde des valeurs religieuses, sociales et politiques de la nation canadienne française». (Patrice Groulx. Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-17/Dollard%20des%20Ormeaux)
À partir des années 1960, les «néo-nationalistes» québécois entreprennent une guerre sans pitié au mythe de Dollard. Le romancier, dramaturge et polémiste, le docteur Jacques Ferron, lance une campagne de dénigrement envers Dollard, un bandit, pour le remplacer par le docteur Chénier, patriote tombé mortellement à la bataille de Saint-Eustache en décembre 1837. Le chanoine Groulx tente de résister et de sauver son protégé, mais, non sans certains «sanglots de l’homme blanc», l’élite nationaliste québécoise relève le défi et le héros de Faillon et Groulx devient bientôt ce qu’en dit officiel-lement le Dictionnaire biogra-phique du Canada : «Dollard serait donc en fait un pirate malchanceux et, de surcroît, maladroit avec les barils de poudre, mais encensé par les autorités religieuses, avides de héros et de martyrs propres à stimuler le sentiment patriotique et religieux». La première élection remportée par les néo-nationalistes en 1976, sous la gouvernance du P.Q. ne change rien à cela. Ce n’est que vingt ans plus tard, alors que les Péquistes sont de retour au pouvoir, que le premier ministre Bernard Landry effacera celui qui était déjà oublié des mémoires populaires, Dollard, par les Patriotes. De l’individualité (de la reine, de Dollard), on passait à une commémoration collective, celle des Patriotes, à laquelle s’identifient les nationalistes souverainistes et indépendantistes. Seuls, les francophones hors-Québec continueront à célébrer - si un tant soit peu il le célèbre encore - la fête de Dollard des Ormeaux. Un problème, et il est de taille,  c'est que les événements des Troubles de 37-38 se sont déroulés en décembre-janvier 1837-1838 et en novembre 1838. Au moins, la Bataille du Long-Sault avait eu lieu en mai 1660, mais ni la victoire de Saint-Denis, ni la défaite de Saint-Eustache, ni la proclamation de l’Indépendance de Bas-Canada en janvier 1838, ne coïncident avec cette journée. La raison officielle avouée par Landry était de ne pas grever le calendrier d’une journée fériée supplémentaire. Des patriotes comme ça, ça ne s'invente pas!

La dernière couche de sédiments mémoriels a été apportée, cette année, par les Autochtones du Canada qui demandent que la journée leur soit réservée! Cette année, une pétition a été envoyée au Premier ministre Stephen Harper pour qu’il rebaptise le jour disputé en Fête de la Reine et des Premières nations. Un groupe, dont font notamment partie l'auteur Margaret Atwood, la leader du Parti vert Elizabeth May et l'acteur Gordon Pinsent, a signé une pétition en ligne afin que la fête soit rebaptisée «fête de la Reine et des Premières Nations». Peter Keleghan, comédien et porte-parole du groupe, a indiqué que ce changement serait l'occasion d'honorer à la fois la monarchie britannique et les peuples autochtones du Canada. Enfin, selon lui, cela contribuerait à mieux faire connaître les divers peuples qui ont aidé à forger le pays. Il existe déjà, le 21 juin, une journée nationale des Autochtones, mais elle n’a pas de statut de fête nationale.

Avec l’accumulation des commémorations, le ridicule en vient à faire du troisième lundi de mai la fête «nationale» de tous les Canadiens : les Anglo, attachés au souvenir monarchique britannique; les Patriotes québécois (et qui, au Québec, ne se désignerait pas lui-même «patriote», surtout si c’est à peu de frais, même d’une journée fériée!); des Autochtones, et les Immigrants? Alors pourquoi ne pas faire de cette journée la journée nationale de l’Immigration au Canada! Bref, les 24 juin et les 1er juillet deviennent obsolètes avec ces recouvrements de mémoires à célébrer. Aux États-Unis, on a la fête de Colomb, la fête de Washington, la fête des Présidents américains, de Martin Luther King, mais on n’a qu’un 4 juillet! Ici, les 24 juin et 1er juillet sont des fêtes à parades de pantins de cartons ou de snowbirds aériens, joints à des spectacles de masse. Tout cela n’a guère de tenue, convenons-en, et laissons faire le passé pour ne plus penser qu’aux plaisirs du moment. Désinhibés comme nous sommes, pourquoi devons-nous encore chercher des justifications pour se souler la gueule et pelotter derrière un bosquet en suivant les accords de l’hymne national (celui de Basile Routhier ou de Raoul Duguay, peu importe). Bref, il y a de quoi faire sauter bien des synapses neuronales.

En effet, comment s'étonner que de telles surcharges de mémoires sédimentaires entraînent quelques défaillances au niveau des synapses lorsqu’il s’agit de mettre un peu de dendrites autour de la neurone. C’est ce que nous avons pu constater au cours de l’allocution de la Première ministre, Pauline Marois. Invitée à Saint-Eustache, lieu de l'importante et fatale bataille de décembre 1837, celle-ci y a été d’un petit discours dans la veine toujours gaie et primesautière de sa personnalité. À l’église de l’endroit, haut lieu de la bataille et de l'humiliante défaite, Pauline s’est empressée de rappeler que la liberté et la justice faisaient partie de l’héritage du mouvement des Patriotes de 1837. Que, afin de conserver la mémoire, il était de l’avis de son gouvernement d’appuyer sur l’enseignement de l’histoire à tous les niveaux, de la petite enfance à l’université! Ce soir, ici et là seront remis des prix à des personnalités ou à des députés qui ont fait de leur mieux pour mousser la propagande nationaliste. Enfin, pour célébrer le dixième anniversaire de la première Journée nationale des Patriotes, un nouveau circuit audio guidé s'ajoute à l'offre du circuit historique de Saint-Eustache, au manoir Globensky. Rappelons que Globensky n’était pas un Patriote et qu'il les a combattu dans le parti des Chouayens. Il reste quand même que son Journal des événements est d’une qualité documentaire incontournable. Mais, reconnaissons-le, on aurait demandé à Stephen Harper d’organiser la célébration de la journée, il ne s’y serait pas pris autrement.

C’est ici que les synapses s’entremêlent et se court-circuitent. Il est vrai que la bataille de Saint-Eustache demeure la plus célèbre des rébellions, par sa violence, l’héroïsme du docteur Chénier et des autres Patriotes de l’endroit qui combattirent les soldats de l’armée britannique dans des conditions hivernales épouvantables. Mais, Saint-Eustache reste la défaite la plus crève-cœur des défaites de 37-38. En cela, célébrer un 20 mai, jour anniversaire de la défaite du référendum de 1980 à l'endroit de la plus douloureuse défaite des Patriotes de 1837-1838, c’est la logique même de l’irrationnel. Pour l'inconscient collectif des péquistes, célébrer un 20 mai à Saint-Eustache, ce serait pour les Américains l'équivalent d’aller célébrer un 4 juillet au Vietnam! CQFD.

De plus, la mémoire n’est pas l’histoire, et le mot «histoire», dans la bouche de la Première-Ministre, c’est le lieu d’ancrage d’une mémoire qui se dissout progressivement depuis plus d’une génération. Nous avons vu, il y a dix ans, l’effet délétère sur l’enseignement de l’histoire, en France, du culte des «lieux de la mémoire». Depuis, des historiens n’ont cessé d’interroger cette confusion dommageable. La mémoire est un ensemble d’images, «des souvenirs», qui n’exigent aucune critique, aucun processus de construction autre que celui des émotions, de la sensibilité ou des traditions transmises plus oralement que par écrits. La mémoire se reconstruit souvent à partir de traumatismes mal assimilés, mal surmontés ou d’oublis également fort appropriés. L’histoire est une façon de revisiter de manière critique cette mémoire. Certes, elle oblige un effort intellectuel qui crée une distance entre la conscience et la connaissance des faits, des personnes ou des contextes, mais elle permet une authentification qui agit de façon thérapeutique sur le poids des mémoires lourdes ou gênantes. Une histoire centrée sur la «beauté des souvenirs» est une histoire partie du mauvais pied, mais qui débouche sur de belles légendes et une mythologie nationale que cherchent à se cultiver les petits-bourgeois indépendantistes depuis 40 ans. En tous cas, faut-il croire qu'ils s'y prennent fort mal, puisqu'ils n’y sont pas parvenus, tant les deux référendums rognés qu’ils ont imposés à la population les ont renvoyés, par deux fois, à leurs devoirs mal faits.

Évidemment, l’arrivée d’une fête des Autochtones, les peuples vaincus d’Amérique, ajouterait à l’aspect négatif et morose de la situation. On a beau célébrer, même nos défaites, mais plus il s’en rajoute, plus la célébration tourne au masochisme et à la tare psychique collective. Je ne crois pas que Little Big Horn soit une journée particulièrement heureuse dans la mémoire des Américains, et je doute qu’elle soit une fête «patriotique» du calendrier! Les Français peuvent bien célébrer la prise de la Bastille, mais ils ne fêteront sûrement pas Malplaquet ni Waterloo. Voilà pourquoi un esprit tel celui de Stephen Harper n’ira pas joindre la fête des Autochtones avec le Victoria Day. Stephen se veut posséder de l’esprit des vainqueurs, des winners, pas des loosers, ce qu’il laisse volontiers à Pauline Marois, qui, comme on peut le constater, sait en profiter «glorieusement». Après tout cela, il ne reste plus qu'à aller se recoucher, ce que la grande majorité des Canadiens et des Québécois ont fait en ce lundi 20 mai 2013⌛


Montréal
20 mai 2013

«Qu'est-ce qui ne va pas avec la France?»

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Émeute à Paris, 26 mai 2013
«QU’EST-CE QUI NE VA PAS AVEC LA FRANCE?»

C’est la question que posait Xavier Dolan lorsqu’il dut faire face à la controverse née en France concernant sa vidéo-clip sur une chanson du groupe Indochine, College Boy. Effectivement, qu’est-ce qui ne va pas avec la France? Qui sont donc tous ces jeunes manifestants qui prennent prétexte du mariage gay voté en Assemblée nationale pour chahuter et vandaliser les rues de Paris? Pour peu, on se serait cru de retour au 6 février 1934, lorsque les différentes ligues de droite et d’extrême-droite s’étaient données rendez-vous (rendez-vous manqué) afin de renverser le gouvernement de la République. Au moins, deux ans plus tard, les partis de gauche formant coalition avaient pris le pouvoir, le fameux Front Populaire de 1936, avec, à la présidence du Conseil, le sémillant Léon Blum. Évidemment, ce gouvernement de coalition ne donna pas tous les fruits qu’on en attendait et quatre années plus tard, amenée dans les fourgons de l’étranger, c’est-à-dire des Allemands, l’extrême-droite accédait au pouvoir avec le très sénile maréchal Pétain.

Dans la marche régressive de la civilisation occidentale, depuis trente ans, la France recule en avançant. De Blumà Mitterand, l’incurie de la gauche s’est montrée à peu près identique face aux pouvoirs d’argent. Puis, malgré les avis éclairés de l’abbé Pierre, qui avait été témoin des fraudes de l’ex-maire de Paris Chirac, les Français le portèrent à la tête de l’État, comme si Stavisky avait soudain pris sa revanche sur la «droite imbécile» de la IIIe République (le mot est de Léon Daudet, quand même!). Puis, à l’élégance verbeuse de Villepin, les Français portèrent à la tête de l’État la grossièreté incarnée, l’opportunisme bouti-quier, le métèque des hôtes de ses bois, Sarkozy. De fripouille en fraudeur, la minorité dominante française ne cessait de retourner à son vomi, c’est-à-dire à ses petites corruptions de famille. Enfin, un sursaut d’écœurement leur a fait voter Hollande, le socialiste terne et ennuyeux, qui se débat présentement entre les troubles intérieurs et les pressions extérieures de l’Europe unie. Décidément, c’est l’atmosphère IIIe République sans le panache de ses acteurs.

L’occasion de tout ce tintamarre : le mariage gay piloté par le Parti socialiste et voté par l’Assemblée nationale. Une mesure qui a déjà été acceptée dans plusieurs pays, tous occidentaux évidemment. Dix-sept pays reconnaissent un mariage civil avec des modalités différentes d’un pays à l’autre, mais conduisant au même résultat. Le Canada (malgré Harper), l’Afrique du Sud (après tant de décennies d’apartheid!), le Mexique (pourtant si machiste!), l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay  (pays métissés), Taïwan, la Nouvelle-Zélande (mais pas l’Australie), l’Islande, les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne, la Suède, le Portugal, le Danemark enfin la France. L’Allemagne, la Hongrie, la République tchèque, le Royau-me-Uni, la Finlande, le Luxembourg, la Slovénie et l’Autriche ont des statuts qui recon-naissent la légalité des unions homosexuelles sans que le terme «mariage» ne soit employé. Si on peut considérer que les États-Unis font partie du clan des 17, il faut noter que le droit constitutionnel américain laisse aux États le droit civil, dont seulement quelques  États reconnaissent le mariage gay : ce sont le Connecticut, le Delaware, l’Iowa, le Maine, le Massachusetts, le Maryland, le Minnesota, le New Hampshire, le New York, le Rhode Island, le Vermont, l’état de Washington, enfin le district de Columbia (la capitale, Washington). La plupart de ces États appartiennent aux treize États fondateurs de la Nouvelle-Angleterre. Les États du Sud et du Middle West sont les plus réfractaires à accepter l’idée des mariages entre conjoints de même sexe. La Californie est un état où les pressions pourraient finalement parvenir à faire entrer l’État dans le club des privilégiés. En fait, seulement 16 pays ont reconnu de facto l’union des conjoints de même sexe sur le mode du mariage hétérosexuel.

Nous nous sommes déjà demandés, ailleurs, pourquoi la nécessité de ce mariage. Le souhait, pour les couples gays, de se modeler sur le couple traditionnel, avec la possibilité d’être reconnus comme couples parentaux, est un incitatif majeur : le désir de reproduire le cocon parental à travers une famille constituée de membres du même sexe. Il y a aussi - sinon surtout - les avantages légaux que constituent l’union civile des membres du même sexe. La disparition d’un des deux partenaires laisserait les mêmes avantages au conjoint restant que celui que l’épouse hérite lorsque son mari meurt. Dans le cas des mariages hétérosexuels, comme le but est la procréation (indépendamment de toutes les coups d'archets romanesques), l’héritage de la pension ou l’accord d’une pension alimentaire en cas de divorce, vont tout à fait dans l’ordre des choses. Mais le mariage gay ramène ce principe à une dimension plutôt vile d’être «une prime à l’amour». Parce que X a aimé XX, si XX meurt, X reçoit la «récompense financière» de son amour. Ceci est, en effet, d’un ordre très vulgaire, qui ne compte sûrement pas pour la majorité des unions, mais qui est pris en compte par les gestionnaires des pensions et des héritages.

Ces cérémonies nuptiales n’apportent enfin rien de révolutionnaire à la condition homosexuelle. L’amour entre deux êtres ne nécessite aucune reconnaissance légale, contrairement aux sociétés féodales et bourgeoises traditionnelles. L’écla-tement des couples (hétérosexuels), les familles reconstituées, les demi-portions qui s’accumulent entre frères et sœurs, sont des agents de dissolution de la famille bourgeoise nucléaire beaucoup plus efficaces que les mariages gays. Ceci nous l’avons dit. Et ce n’est sûrement pas pour cela que les jeunes gens qui manifestaient devant l’Esplanade à Paris, le dimanche 26 mai 2013, se sont livrés à un affrontement avec la police.

Dans trois jours, en effet, aura lieu à Montpellier la première célébration d’une union gay en France et les organisateurs ont déjà indiqué qu’ils attendaient la participation d’au moins un million de manifestants pro, ce qui fait beaucoup d’invités à la noce. Selon la préfecture de police, 150.000 personnes auraient répondu à l'appel du collectif «La Manif pour tous», tandis que 2.800 à celui de l'institut Civitas, proche des catholiques intégristes, qui organisait un rassemblement distinct. Le subtil ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, afin de distinguer les deux groupes, a affirmé coup sur coup que «Manifester est un droit constitutionnel et il faut respecter ceux qui manifestent tranquillement, c'est leur droit» : ça, c’était pour les 150 000 «manifestants pour tous». Puis : «En même temps ils manifestent contre un texte de loi qui a été adopté par le Parlement, ratifié par le Conseil constitutionnel, donc le sens de cette manifestation n'est pas le même que les précédentes», ce qui s’adressaient auxmanifestants anti-mariage gay. C’est ce qui s’appelle danser sur le feu. On a pas essayé de comprendre plus profondément les raisons qui motivaient ces jeunes manifestants à intervenir contre la manif des 150 000.

Samedi soir, la veille du rassemblement, déjà une cinquantaine de militants contre les mariages homosexuels avaient été interpellés par la police sur les Champs Élysées. Contrairement aux manifestations précédentes, il apparaissait clairement que les contestataires se regroupaient de façon de mieux en mieux organisée. Les plus radicaux appartiennent à «Printemps français», que le ministre Valls juge d’une phraséologie factieuse (un peu comme «parti québécois»). Décidément, plus que jamais nous revenons aux manifestations d'Action Française et autres Jeunesses Patriotes. La pasionaria de la troupe, Béatrice Bourges, qui prône l’action violente plutôt que les «bisounours» de Frigide Barjot, a fait bras d’honneur aux déclarations du ministre : «Monsieur Valls ne nous fera pas taire, les menaces ne nous font pas peur!», lançait vendredi soir Béatrice Bourges, porte-parole de ce «Printemps français» qui prône des actions coup de poing plus musclées que les opérations "bisounours" de Frigide Barjot, cette humoriste catholique et conservatrice, reçue au château de Le Pen et dont le nom est un calembour de Brigitte Bardot. L’UMP, l’Union pour un Mouvement Populaire, parti de droite, démagogique, soutien des présidents Chirac et Sarkozy, dirigé par Jean-François Copé attise la controverse. Avec ses lieutenants, Henri Guaino, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, Copé a assuré sa participation à la manifestation du 26 mai. D’abord contre le mariage gay, mais sur fond de politique familiale du gouvernement. Copé n’hésite pas à souhaiter que les jeunes manifestants du 26 mai se rangent sous sa bannière afin de remporter les élections municipales de 2014. Tout cela est de l’opportunisme politique, bien entendu, c’est-à-dire de «bas-étage». La députée Marion Maréchal [sic!]-Le Pen, fille de l’autre, sera également de la parade, sous la bannière du Front National, évidemment.

Bref, toute la France politique marche sur des braises et les «émotions» de dimanche sont loin d’avoir calmé les esprits pour la première célébration de mariage. Les débordements de dimanche ont entraîné l’arrestation de 350 personnes dont 250 ont été placées en garde à vue (détention de 24 heures sans mandat officiel). De plus, 36 personnes ont été blessées dont 34 policiers et gendarmes, plus un journaliste tabassé par les manifestants et un manifestant.

Il y a plusieurs aspects qui font ressembler ce dérapage du 26 mai à la fameuse journée du 6 février 1934. D’abord la division en cortèges. Trois cortèges pour la «Manif pour tous» et un des intégristes de Civitas. C’est la proportion inversée. Il y avait plusieurs cortèges de droite en 1934 : l’Action Française, les Croix-de-Feu et les Jeunesses Patriotes. De l’autre côté, on trouvait surtout des manifestants communistes et syndicalistes. À l’époque, certes, on ne défilait pas en famille et les manifestants étaient à très forte majorité masculine. Civitas, elle, appelle aux manifestations en famille. Pour la police, ils étaient 150 000, pour les organisateurs de Civitas, plus d’un million, ce qui est nettement exagéré.

En milieu d’après-midi, selon la journaliste Elsa Freyssenet, une dizaine de militants de «Génération identitaire», un groupuscule d’extrême-droite, ont escaladé la terrasse du siège parisien du Parti Socialiste, rue de Solferino, pour y déployer une banderole portant l’inscription «Hollande démission». Plus tard, dans la soirée, de violents incidents ont éclaté aux Invalides, provoqués par quelques centaines de fauteurs de troubles après la dispersion de la manifestation. C’est ici que la comparaison cesse d’être pertinente. En 1936, la manifestation visait précisément à «démissionner» le gouvernement, voire même à renverser l’État. Aujourd’hui, il s’agit de purs agitateurs, dont certains masqués (pas de loi P6 en France?), d’autres casqués, rassemblés à l’entrée de la rue de l’Université, face aux forces de l’ordre. Ce ne sont que 400 à 500 jeunes vandales qui, sous le couvert de slogans d’extrême-droite, ont causé les heurts et les incendies, ce qu’eux-mêmes reprochaient aux Beurs des bidonvilles, il y a deux ans.

Cette contre-manifestation, où ont été lancé des projectiles de toutes sortes, des bouteilles de bière et même quelques pavés et où l’on a vu de ces jeunes casseurs poursuivre les journalistes dans les rues, a nécessité l’usage des gaz lacrymogènes. Après cette débauche de violence haineuse, le gouvernement pense interdire les groupuscules d’extrême-droite, ce qui ne serait pas trop tôt puisque les groupuscules d’extrême-gauche ont depuis longtemps été cassés. «Printemps français» et «Génération identitaire» sont visiblement homophobes et racistes. Ils en appellent, sur des accents haineux, à l’action violente qui, de groupes, peut facilement passer contre des individus. «Printemps français», par exemple, fédère des opposants ultras qui en appellent à prendre pour cible «le gouvernement et les partis politiques de collaboration». Bref, c’est la République elle-même qui est visée par ces néo-vichystes qui défilent en gentilles petites familles à l'air innocent avec papa, maman et leur poussette. C’est «Printemps français» que la récente défection de Frigide Barjot vient d’ébranler, jouant chez eux le rôle qu’avait joué le général de La Rocque parmi les Croix-de-Feu en février 1936.

Mais, et c’est le dernier point sur lequel Mme Freyssenet attire notre attention mais qu’elle n’élabore pas : quelle est cette «nouvelle génération militante»? Si l’UMP, divisée dans sa stratégie de contestation du gouvernement socialiste, n'est pas à l'origine de ces groupuscules, d'où proviennent ces bandes haineuses de jeunes Français? Ici, le journal Libération essaie de répondre à la question. Outre les deux groupes déjà mentionnés, on en trouve qui viennent de provinces, telles les «Jeunesses nationalistes» du Lyonnais Alexandre Gabriac, ouvertement pétainiste et déjà accusé d'avoir proféré des menaces de mort. Comme en 1936, les manifestants étaient de sexe masculin, pour la plupart assez jeunes, accompagnés de quelques crânes rasés d’une quarantaine d’années, la plupart venus équipés de casques de moto, de gants, de masques de plongée ou de ski afin de résister aux gaz lacrymogènes. C’est là qu’on voit que la vieille tradition de la subversion de droite fonctionne toujours mieux que celle, généralement plus ouverte, de la gauche!

À côté, toutefois, manifestaient des militants de l’UNI (le syndicat universitaire de droite), des jeunes bardés d’autocollants du «Printemps français». Dès que les cris se sont fait entendre «Ça va péter! Ça va péter!» tous ces groupes se sont rués contre les policiers. Juchées sur le mobilier urbain (barrières métalliques, toilettes chimiques, bornes de Vélib (le Bixi des Parisiens), ils reprenaient les slogans hostiles au gouvernement et aux forces de l’ordre : «Dictature socialiste», «Taubira au goulag» (Taubira est le député qui a porté la loi des mariages gays à l’Assemblée), «CRS à Barbès». Ce raout a fini dans la dispersion et les arrestations musclées.

C’est un problème mondial que cette jeunesse qui, ici à gauche (au Québec) là à droite (en France), se lance dans des contestations ouvertes aux gouvernements bourgeois en place. À la colère constructive, les Français laissent, comme à leur habitude depuis un siècle, la voix aux ressentiments négatifs et régressifs. Trouver des cibles faciles à atteindre, qu’ils soient de race, d’orientation sexuelle, ou de toutes autres raisons, devient la solution aux incompétences gouvernementales et aux crises sociales apparemment insolubles.

Aussi, la question demeure-t-elle : «Qu’est-ce qui ne va pas avec la France?» Eh bien, c’est une certaine idée de la France qui en prend pour son rhume. La jeunesse française, au XXe siècle, s’est rarement située à gauche. Dès l'Affaire Dreyfus, à la fin du XIXe siècle, les premières Ligues de Patriotes se retrouvaient parmi les antidreyfusards et c’est la jeunesse qui marquait le pas. Puis, durant l’entre-deux-guerres, il en a été de même de cette «jeunesse non-conformiste» qui militait dans les groupes «ni droite, ni gauche» qui devaient s’avérer pro-fascistes. Plus que Vichy encore, qui fut un gouver-nement de géronto-crates, les milices fascistes - qu’on pense au film de Louis Malle Lacombe Lucien(1974) -, recrutaient parmi les jeunes désœuvrés qui ne connaissaient pas grand-chose à la politique ni aux idéologies. Pour les plus intellectuels d’entre eux - les Maurice Blanchot, Robert Brasillach, Arnaud Dandieu, Daniel-Rops, Jean de Fabrègues, Thierry Maulnier - c’est vers le «ni droite, ni gauche» qu’ils s’orientaient dans les revues de l’époque. L’impression laissée par Mai 68 a évidemment consacré le stéréotype de l’étudiant aux cheveux longs qui occupait Nanterre, un mouchoir sur le nez lançant des pavés aux C.R.S.. Hors, aujourd’hui, la règle confirme l’exception. Ce sont les militants d’extrême-droite, et parmi les plus jeunes de la société bourgeoise, qui manifestent dans les rues de Paris.

Il n’arrive donc rien d’exceptionnel dans ce parfum de droite qui nous vient de France accompagné de gaz lacrymogène. Contre les colères légitimes qui mettraient à genoux la société bourgeoise, beaucoup de jeunes français, s’associant pour l’occasion des émigrés frustrés, porteurs d’idéologies traditionalistes héritées de leurs cultures d’origine, entendent revenir à un idéal de la France conservatrice qui n’a jamais été réel que dans la fantaisie de politiciens nostalgiques. Le maréchal Pétain, qui accusait «l’appétit de jouissance» des Français à l'origine de la «décadence» de la Nation, était lui-même un vieux jouisseur qui trompait sa femme comme un sultan avec son harem. L’hypocrisie bourgeoise adoptée par ces jeunes casseurs avoue les pulsions haineuses qui les animent. Les porte-paroles des institutions françaises, qu’ils soient de droite ou de gauche, sont aussi veules que ceux du Front Populaire devant la Guerre d’Espagne, incapables de mesurer la pression menaçante qui pesait sur la société. Cette attitude, chez des jeunes en plein XXIe siècle, est anachronique, car la weltanschauung occidentale n'est plus ce qu'elle était il y a cent ans.

«Qu’est-ce qui ne va donc pas en France?» C’est d’avoir été le pays dont le peuple a fait la plus grande révolution de la modernité, celle de la liberté, de l’égalité et de la fraternité et qui s'est donné un programme trop lourd pour la majorité de ses membres. La potion magique n’est pas la liqueur favorite des Français, malgré l’illusion qu’en donne la bande dessinée. Sa liberté est discriminée; son égalité est purement utopique et sa fraternité est une farce théorique que plus aucune classe de sciences po ne prend la peine d’étudier en substance. Voilà ce qui ne va pas en France …et ailleurs. Depuis deux siècles, les Français vivent dans l’ombre de leurs grands ancêtres de 1792-1794, aussi apparaissent-ils comme étroits d’esprit, mesquins, et même parfois traîtresà eux-mêmes …comme en 1900, comme en 1914, comme en 1936, comme en 1940, comme en 1968, comme en…⌛
Montréal
28 mai 2013

Smarthistory ou l'histoire mourante des Montréalais racontée par Denis Coderre

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L'historien attitré de l'Équipe Coderre de Montréal
SMARTHISTORY
OU
L’HISTOIRE MOURANTE DES MONTRÉALAIS
RACONTÉE PAR DENIS CODERRE

Le chef de «l’Équipe Denis Coderre» en course pour la mairie de Montréal et qui, par un pur hasard, s’appelle également Denis Coderre, annonce qu’il va faire de la ville aux institutions pourries de Montréal une smartcity, une «ville intelligente». Parmi ses gadgets, un numéro sur iphone ou texto pour que les automobilistes puissent signaler à une brigade de bouchage de trous, un nid de poule sur la rue Swail, par exemple. Autre gadget, car le futur maire tient à l’éducation historique de ses citoyens, des panneaux dans les abrisbus qui raconteraient l’histoire de Montréal. En tant qu’amateur d’histoire, je ne peux que me réjouir de cette préoccupation de l’aspirant maire, mais connaissant la grande modestie de la personnalité de M. Coderre, j’ai des frissons rien qu’à penser de quelles façons cette chronologie pourrait nous être racontée.

Visualisons donc cette chronologie historique virtuelle.

1535 : Jacques Coderre arrive à la bourgade d’Hochelaga, où il rencontre les Sauvages. Après quelques Whoo Whoo Gnien Gnien qui font naître l’impression que les deux groupes se comprennent parfaitement bien, le capitaine Coderre en profite pour leur refiler ses restants de miroirs et de brûleurs à gaz qui font la joie des Sauvages qui vivent tout nu dans les forêts boréales.

1642 : Paul de Chomedy, sieur de Coderre fonde le poste de Coderropolis en l’honneur de sainte Mathilde Coderre, danseuse du ventre au IIIe siècle de notre ère, convertie au christianisme et condamnée par les païens à se frotter nue sur un poteau ardent. Devant un reflux d’égout en janvier 1643, le dit sieur de Coderre se charge d’un poteau sur ses épaules et le monte au sommet du Mont-Royal pour implorer sa sainte patronne de «nettoyer» la basse-ville. La garde-malade, Jeanne Codermance récite quarante pater et soixante ave pour que le miracle se réalise.

1653 : Mère Marguerite Coderre apprend aux petits Sauvages a écrire le mot «diabète» en les bourrant de sucreries.

1657 : Les Frères du Saint-Supplice fondent un séminaire sous la direction de l’abbé Lapine, ancien mercenaire de l’armée du Roi, dit aussi Capitaine Crochet. Il cherchait l’hétérosexuel qui dormait en chaque Sauvage et ne trouva que l’homosexuel en lui. Débuta une bien triste renommée pour les Codervillaids.

1660 : Dollard Coderre et seize de ses clients meurent sous le tomawak des Sauvages à Dollard-des-Ormeaux.

1663 : Tremblement de terre à Coderropolis. Sous le coup de la frayeur, le Sieur de Coderre s’enfuit directement en France où il jure qu’on ne l’y reprendra pas à venir au pays des Sauvages.

1666 : Lambert Closserre est tué en défendant Coderropolis.

1670 : Nicolas Coderre-Perrot, second gouverneur de Coderropolis est pris la main dans l’enveloppe pour trafic de fourrures. C’est à partir de ce moment que la ville de Montréal prend définitivement son nom afin de ne pas salir le nom des membres fondateurs de la cité.

1689 : Massacre en Chine. Beaucoup de membres de la famille Coderre sont déculottés et scalpés. Une dame Coderre, en voulant s’enfuir, brise la théière de la famille d'où s’échappent des dizaines de louis d’or. Les Sauvages mangent tout crû Herménégilde Coderre, dit Gros Suif. Ils en ont eu pour deux mois à s'en faire des sandwiches qui a nourri toute la tribu.

1701 : Grande Paix de Montréal. Le gouverneur, le Sieur Coderre signe avec une bande de Sauvages une paix des braves. À l’occasion, on remet les os rongés de Herménégilde Coderre, dit Gros Suif.

1722 : Chaussegros Coderre construit les fortifications de Montréal. Certains trous dans la maçonnerie sont déguisés en portes en trompe-l'œil afin de confondre d’éventuels ennemis.

1760 : Le chevalier de Coderlévistrauss remet les clefs de la ville aux Anglais.

1775 : Occupation de Montréal par les Américains. Benjamin Franklin discute avec McCoder d’une possibilité d’alliance contre les Britanniques. Échec total.

1817 : Fondation de la Banque de Montréal avec un capital primitif de £87,500, que les fondateurs espéraient amplifier à $1,000,000 en convertissant les monnaies. Son conseil d’administration était composé de John Grey-Coderre, ancien négociant, président; Robert Coderre-Griffin, caissier; l’hon. John Richardcoder, George Coderrauldjo, Samuel Gérard Coderre, Thomas Thaincoderre, Horatio Coderro, John Molson, Thomas A. Turnderre, William Ermatincoderre, Zabdiel Thaycoderre et David David Coderre, directeurs.

1821 : Fondation de l’Université McCoder, sur le flanc de la Montagne.

1832 : Épidémie de Coderra à Montréal. On rapporte que, dans la seule journée du 20 juin, la terrible épidémie atteignit cent-soixante-cinq personnes, dont quatre-vingt-huit succombèrent. Le lendemain sur 137 coderriques, 77 moururent.

1834 : Élections violentes animées par le Parti Québécois à Montréal, le maire Coderre fait tirer sur la foule. Une dizaine de milliers de morts.

1848 : Incendie du Parlement de Montréal causé par une bande d’Anglais en goguette. Le maire Coderre parvient à les faire rentrer chez eux en faisant quelques stepettes de gigue qui ont bien fait rire les émeutiers. Le maire se félicite que l’affrontement ne se soit pas traduit par mort d’hommes.

1853 : L’apostat Gavazzi soulève une émeute d’Irlandais. Le maire Coderre, après lecture du Riot Act, fait ouvrir le feu sur la foule : 11,452 morts.

1856 : La bouilloire d’un traversier entre Montréal et Longueuil explose. Des centaines de petits Coderres sont projetés dans les airs. Grand deuil parmi la population.

1867 : Mgr Ignace Coderre, deuxième évêque de Montréal, se débarrasse des Séparatistes en les envoyant faire les zouaves à Rome pour secourir le très coulant pape-beurre Pie IX pendant qu’on s'enfile la Confédération en douce.

1910 : 13 juin, l’édifice du Journal The Herald s’effondre sous une tonne de menteries. 50 personnes sont tuées ou blessées.

1910 : Congrès eucharistique sous la présidence du Mgr Bruchési-Coderre. Plusieurs prélats meurent d’ennui à défaut de s’être rendus aux bordels de la rue de Bullion. Un défilé de 11 à 1200 enfants de chœur joyeux remplissent de gaietés illicites les vieux prélats fatigués de tant de discours creux sur la Sainte-Vierge.

1921 : Mgr Bruchési-Coderre devient fou, ce qui nuit nullement à son œuvre apostolique.

1927 : Incendie du Laurier Palace, le 7 janvier, au moment de la présentation d’un film de Coderrot. 77 enfants sont piétinés par une foule prise de panique. À partir de ce moment, la province vote qu’il n’y aura plus de représentations cinématographiques les dimanches.




1940 : Le maire Camilien Coderre est arrêté par une intrigue des conservateurs. On lui fait enfiler une jaquette de détenu à Petawawa avec une cible dans le dos au cas où il essaierait de s’enfuir.

1950 : L’avocat Drapeau Coderre agit comme adjoint de Pacifique (Pax) Plante pour mener une enquête sur la corruption et la moralité à Montréal, ce qui lui donne une visibilité publique. En 1953, il est avocat de la commission d'enquête présidée par le juge François Caron-Charbonneau. Le rapport Caron-Charbonneau, qui fut rendu public quelques semaines avant l'élection municipale de 1954 à Montréal, créait un climat favorable à un changement de l'administration municipale. C’est-à-dire l’élection de Drapeau Coderre maire de Montréal sous la bannière de l’Équipe Drapeau Coderre de la Ligue d’action civique, qui faisait campagne sur la base d’une «épuration» de l’administration municipale.

1966 : Le maire Drapeau Coderre inaugure le métro de Montréal en distribuant au vent une volée d’enveloppes brunes.
 

1967 : Le maire Drapeau Coderre inaugure l’Exposition Universelle en présence de Sa Majesté et sème au vent une autre volée d’enveloppes brunes.

1976 : Le maire Drapeau Coderre inaugure les Jeux Olympiques en présence de Sa Majesté et distribue quelques enveloppes brunes à des contracteurs très contents.

1999 : Le maire Drapeau Coderre meurt en léchant une enveloppe brune.

2001 : Le méchant maire Bourque est renversé par l’aussi méchant maire Gérald C. Tremblay. Une ère de corruption infamante s’ouvre à l’hôtel de ville de Montréal.

2013 : Enfin, vint le divin Denis.

Décidément, les abribus vont devenir de véritables manuels d’histoire commandités par la Ville de Montréal en ppp avec, sans doute, une entreprise de produits agréables et de bon goût qui forceront les Montréalais à voir autrement et fièrement leur passé. Vivement l’élection de novembre 2013!⌛



Montréal
19 juin 2013

Ceci est une publicité payée par le Directeur Général des Zélétrons de Montréal, M. Pierre Cornudet

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CECI EST UNE PUBLICITÉ PAYÉE PAR LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ZÉLÉTRONS DE MONTRÉAL, M. PIERRE CORNUDET

Afin de mettre les citoyens à même d'être mieux informés des enjeux de la prochaine zélétronà la mairie de la ville de Montréal, le Directeur Général des zélétrons nous a aimablement versé un pot-de-vin afin de mettre une page à la disposition des différentes équipes qui chevauchent pour la mairie. Surveillez donc, chaque matin, un «rancart» où une quelconque personnalité, admirablement photographié par M. Alain Francœur, vous vantera les mérites de l'une ou l'autre de ces équipes. Merci de votre discrétion.

Le four à micro-ondes Appleboum # 1 fait «führer» présentement. Il déshabille, insecticide, frotte, arrache les dents en or, les yeux de verre, les râteliers et les faux ongles avant de décongeler la dinde et la cuire en dix minutes. Ainsi, ne soyez plus pris au dépourvu. Comme le dit M. Hitler. «Si j’avais posséder de tels fours, j’aurais eu le temps de préparer ma réception à temps pour accueillir l’armée russe, en 45». Le four à micro-ondes Appleboum # 1. Même votre maire ne pourra s’en passer.

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Prêtez-vous à un petit miracle, ce week-end. Un pique-nique à l'Oratoire avec les ingrédients essentiels : une baguette et un Beaujolais nouveau. Vous vous sentirez transporté au septième ciel. Notre Seigneur lui-même préfère que son corps et son sang soient transformés en baguette et en Beaujolais. «J'ai l'impression d'être digéré mieux et plus vite dans le ventre de mes fidèles». Soyez en communion avec tout le monde. Si l'on vous demande : «Que faites-vous en fin de semaine?» Répondez : «Moi aussi, je communie!»

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La nouvelle machine Babelay vous fera maigrir en moins de temps que vous en prendrez pour avaler votre prochain trio McDo. Légère, vous pouvez la transporter n'importe où. Insérez confortablement votre bedaine et par un mouvement continu de rotation de la courroie autour de la taille, laissez la Babelay vous redonner votre taille de jeunesse. Vous en fonderez à vue d'œil, comme un Grill Cheeze au soleil! Avec le procédé Babelay, Elvis n'aurait pas eu ses problèmes cardiaques, et il serait toujours avec nous pour chanter sur sa Babelay : I'm your teddy bear cute cuddly teddy bear.

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«♩ Quand j'ai des bleus, bébé, quand j'ai des bleus. ♬ Je croque une couple de deux cent vingt deux. ♪ Tout devient bleu, bébé, tout devient bleu. ♬ Je suis la croqueuse de deux cent vingt deux. ♫» - Ne souffrez plus de migraines les lendemains de party anniversaires trop arrosés. Prenez douze cachets de 222 avant de partir, puis encore douze autres quand vous revenez. Vous verrez. L'effet sera foudroyant. Foie de Marilyn : «♩ When I feel blue, baby. When I fell blue. ♬ I take a couple of two twenty-two. ♪ Everythings blue, baby, everythings blue. ♫ To all be once of a two twenty-two ♬».

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Votre discussion a tourné à la confrontation? Et c'est vous qui avez perdu? Ne restez pas sans défense comme un trognon. confiez votre cause à l'Aide Juridique. Vous qui étiez dans la merde jusqu'aux genoux, vous le serez jusqu'au cou. Demandez à ce délinquant à la mine patibulaire qui vient de se défouler sur son avocat de l'Aide Juridique… Sa sentence a été du coup multipliée par deux. Donc, je suis averti : je ne touche pas à mon pote, …mon avocat de l'Aide Juridique.


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Vous habitez proche d'une centrale nucléaire? Vos cheveux tombent? Une lueur phosphorescente verte se dégage de vous lorsque vous éteignez la lumière? Rassurez-vous. Grâce au compteur Geiger portatif Tchernobyl # 4, vous pouvez mesurer, à l'instant, la quantité de radiation atomique que vous contenez. Finies les visites impromptues à votre base militaire. Avec le compteur Geiger portatif Tchernobyl # 4, vous pouvez savoir si votre chien est radio-actif. Testez-le sur des amis, ils ne s'en iront que plus vite.
Vous soupçonnez que votre épouse saupoudre d'arsenic votre soupe aux vermicelles?
N'angoissez plus. Avec le compteur Geiger Tchernobyl # 4, vous aurez la réponse.
Suivez l'avis d'un expert. Albert Einstein. «Le compteur Geiger Tchernobyl # 4 détecte la plus fine partie d'électron libre.
Je l'ai essayé sur mes poils de moustache et le résultat est stupéfiant». Le Tchernobyl # 4.
En vente dans toutes les bonnes suites d'armée.

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Chère Maman. Vous avez trois belles filles à marier? Ne les abandonnées pas à une quelconque agence de rencontres
Adressez-vous à Belle-Mère recherche gendre. Vous pourrez ainsi vérifier par vous-même les talents de votre futur gendre. Soumettez-le à des tâches ménagères pour voir comment il sait se débrouiller.
Sachez s’il est fin cordon-bleu. Exigez qu’il fasse quelques menues réparations manuelles dans la maison.
Scrutez son compte en banque et ses revenues. Enfin, vérifiez afin d’être certaine qu’il sera capable de combler 
les attentes les plus intimes de vos chéries. Bien de jeunes hommes se présentent comme des anges. Ne vous y fiez pas.
Seule une maman expérimentée dans les choses de la vie pourra confirmer.
Avec notre agence Belle-Mère recherche gendre, la quantité déborde la qualité.         

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Vous demandez-vous pourquoiles mimes ne se rendent pas
compte à quel point ils peuvent êtreinsupportables? Vous
avez pensé en noyer un? En étrangler un autre? Peut-être
jusqu’à mettre le feu à un troisième? Ou, pourquoi pas,
le tirer avec une douze?
Évitez les solutions drastiques. Avec les portes et fenêtres
Marceau, nous avons la solution.
Procurez à votre mime favori la fenêtre réfléchissante
Talairbête. Il pourra ainsi constater de visus,
combien il a l’air fou en faisant semblant de poser
à plat ses paumes dans le vide. Il bâillera d’ennui en se 
regardant faire des faces. Avec la fenêtre réfléchissante Talairbête, c’est un service que vous lui rendez et vous pourrez
ainsi profiter de votre visite au cirque sans vous emporter pour un dix minutes
perdu à voir un mime faire des singeries. La fenêtre réfléchissante Talairbête,
en vente sous tous les chapiteaux du Cirque du Soleil.

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Ough! Toute la journée, je reste assis, les jambes croisées,
dans le Parking en asphalte du Casino de la Réserve. Moi, 
cuire sous chaud soleil de plomb. Moi, percevoir tickets à parker ton char. Ough! Moi terminé 
chiffre longtemps après minuit, Moi peut enfin se lever, mais avoir sensations de raideur 
dans les jambes. Moi prend alors pilulesJacota. Une demi-lune plus tard, moi peut danser
anse de la pluie. Ough Jacota! Y a pas qu’ordinateurs pour faire gigue. Ough!

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Tant qu'un artiste est vivant, sa peau ne vaut pas cher. Est-
ce une raison pour qu'il ne fasse pas son testament? La Maison, mondialement renommée
pour ses testaments faits en véritables parchemins de peaux humaines, Sade, Sade, Sade & Sons, vous garantit une
exécution testamentaire radicale.
 Rédigés avec une calligraphie particulièrement soignée pour notre enseigne et composée d'un mélange secret d'encre de Chine
et de sang, nos testaments sont d'une probité insoutenable. Pourquoi vous compliquer la tête avec des formules alambiquées
de notaires? La vie est trop courte pour la perdre à faire l'inventaire de ce qu'on a pas! Grâce à la Maison Sade, Sade, Sade &
Sons, vous pourrez dire que votre testament peut s'insérer dans tous les orifices de votre corps lors de votre exposition dans
l'une ou l'autre de nos succursales funéraires. La Maison Sade, Sade, Sade & Sons. La thanatologie n'aura jamais parue aussi
primesautière et de bon goût!

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Ave, Caesar, morituri te salutant,lançaient
les gladiateurs à leur empereur. Grâce à la fine lame au téflon Brutus Inc., les poignards glissent 
désormais plus aisément dans la chair humaine ; des plus tendres aux plus coriaces. 
Ne risquez donc plus de manquer votre assassinat que vous avez pris tant de soins à préparer!
Découpez les membres afin de mieux faire rentrer le tronc dans une valise de voyage. Finis ces efforts 
épuisants d’un Rocco Magnotta pour trancher les tendons et les nerfs. Grâce à la variété de 
poignards Brutus Inc., dépecer un corps humain est devenu un véritable jeu d’enfant ! Avec les
nouvelles lames en téflon Brutus Inc, ne vous étonnez pas si, un jour, vous aussi vous expirez en râlant : 
«Tu quoque mi fili».

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François. - «Je l’ai gagnée, cette partie de billard, papy».
Ben. - «Habemus papæ».
François. - «J’ai un p’tit creux, papy».
Ben. - «Passons à la cafétéria … Tu sais mon fils, j’ai beaucoup ordonné
dans ma vie : 10,000 prêtres fraudeurs et corrupteurs. Puis j’ai consacré évêque
un millier de voleurs à main armée, une centaine d’archevêques pédophiles
et une soixantaine de cardinaux assassins ou complices par ignorance
d’assassinats. Il était temps que je prenne ma retraite aux Résidences
Mater Ecclesiæ. À la cafétéria, on y sert mes délicieuses hosties toastées
des deux bords, mon vin de messe d’un cépage d’Allemagne et J’y ai des
rencontres intimes avec la Sainte Vierge, que le Père Supérieur conduit 
directement dans ma cellule. Enfin, je peux prier pour toutes les âmes 
des défunts qui m'attendent et dont je ferai bientôt partie.
François. - «C’est vrai, Papy, que tu as eu une vie bien remplie. Père Supérieur,
 
merci de prendre ainsi soin de notre Papy».
Père Supérieur. - «Ça c’est des paroles qui font plaisir à entendre».
Ben. - «In Glória Patri,: et Fílio,: et Spirítui Sancto. Sicut erat in princípio,: et
nunc et semper,: et in sæcula sæculórum. Amen-moé aux Résidences Mater Ecclesiæ Hi ! Hi ! Hi !
François (riant). - «Papy, vieux snoro !»
 
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Les Missionnaires de la Charité ont beaucoup évo-
luées depuis la disparition de Mère Térésa. Elles peuvent, à loisir, se laisser pousser la barbe et le poil sur les bras, les jambes et dans
la paume des mains. Longtemps le baiser aux lépreux répugnait aux saintes filles de la Madre. Outre les risques de contagion,
elles devaient affronter la mauvaise haleine et les dents pourries des pestiférés. Maintenant, grâce à leurs mentons velus, les filles
de Mère Térésa peuvent chatouiller, frencher et même tirer sur les gales des lépreux sans craindre les relents de pourriture! Elles
se précipitent au-devant des lépreux sans attendre qu'ils se présentent d'eux-mêmes! Il n'y a pas que les candidates de Québec
Solidaire qui peuvent maintenant bénéficier de l'avantage d'une pilosité ostentatoire. Comme les voies de Dieu, la sainteté 
emprunte des voies impénétrables. Féministes déçues, engagez-vous dans les ordres missionnaires de la Charité.

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Les coûteux investissements de la NASA visent à réa-
liser une prochaine expérience canadienne dans la navette spatiale.
Il s'agira de la première fécondation en état d'apesanteur, et ce, grâce à l'orgasmomètre, invention
des mêmes génies qui nous ont déjà donné le bras canadien. L'orgasmomètre mesure le mouvement
alternatif du pompage pénien, la profondeur du forage vaginal, l'accélération de l'ébullition des testi-
cules, la prise en charge, par la liqueur séminale, des spermatozoïdes d'Astroboy, enfin la propulsion
dans le réceptacle naturel et la vitesse de parcours dans les trompes de Fallope jusqu'à la fécondation
des ovules d'Astrogirl. Cette nouvelle contribution canadienne au programme de la navette spatiale vise
également à filmer la copulation entre un clown de cirque canadien et une brésilienne mamelue, afin 
que plus aucun mystère de la vie ne nous échappe. Avec le programme orgasmomètre : «♩ C'est le dé-
but d'un temps nouveau ♬…»

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Hellow! En tant que reine du Canada, je tiens à remercier
le gouvernement Harper et tous les Canadiens pour le précieux carrosse
 Kate 101. Grâce ce carrosse, je pourrai promener mon premier arrière-petit-fils en toute sécurité. Avec ses quatre
roues à tires balounnes dessoufflées, nulle crainte de frapper un flat.Le réservoir à couches et à biberons est
spatieux comme une salle de réception au Buckingham Palace. La petite toile qui permet de protéger le royal baby  
du soleil londonien est translucide comme un discours à a Common House. Enfin, je peux le tenir de ma seule 
main gauche et envoyer des bye-bye à mon adorable pipple. Oui, avec le carrosse Kate 101 de Canadian Tire,
je me sens enfin royalement comblée. Merci, Canada.

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Mona ne faisait que bouger pendant la pose, je ne parvenais 
pas à saisir son beau visage olivâtre. C'est alors que j'ai dû utiliser la boisson Caramilk.
On se demande encore comment la Caramilk met le caramel dans la bouteille, mais une fois le siège du banc
badigeonné, les résultats ont été merveilleux! Pendant vingt ans, elle n'a pas décollé du tabouret et je l'ai amenée
ainsi dans mon fourgon, de Milan à Fontainebleau. Mona! Ne bouge plus! Aaah! Caramilk! comment je n'y ai pas pensé
avant…?

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Je veux tout savoir de vous.

Je veux vous voir vous filmer sur vos Webcam. Je veux entendre
vos conversation au téléphone. Je veux écouter vos musiques.
Je ne veux pas perdre une seule photo, une seule vidéo que
vous mettrez sur le Web. Je veux savoir ce que vous écrivez,
ce que vous lisez. Je veux savoir qui vous fréquentez, réellement
comme virtuellement. Je peux rendre sons et images flous ou purs
comme du cristal. Je veux pouvoir identifier votre ADN comme
vos empreintes digitales et dentaires.
Et quand je saurai tout de vous …eh bien. Je prendrai des vacances.

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 Où étaient-ils, ce matin-là du mardi
 11 septembre 2001? Bref, les superhéros ne sont jamais là où on en a de be-
soin. Aussi, notre équipe prévoit-elle qu'elle ne se fiera plus jamais sur les
Marvel Superheroes pour nettoyer la ville de la corruption et du gangstérisme.
Plus aucun méchant ne sera toléré dans notre ville. Notre équipe a déjà fait
appel au seul véritable Superman pour nettoyer notre ville. Superman fournit
aux politiciens un génome de développement durable en les cultivant, avec l'ajout d'O.G.M., dans des cellules
climatisées au centre de formation Monsanto de Bordeaux. Avec notre équipe, nous inaugurons l'ère des
politiciens recyclés.

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Le train fantôme de Lac-Mégantic

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Explosions à Lac-Mégantic, 6 juillet 2013
 LE TRAIN FANTÔME DE LAC-MÉGANTIC

Depuis que des rails de chemins de fer traversent l’ensemble du territoire québécois, et du temps surtout où les engins étaient mus par la vapeur, de nombreux centre-ville ont été dévastés par des incendies dont ils furent la cause majeure. Je ne retiendrai que l’incendie de 1876, dans mon coin de patelin, où par un matin chaud et ensoleillé, le dimanche du 18 juin, un engin du Grand Tronc traversa la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Des flammèches s’échappèrent de l’engin et embrasa des piles de bois situées à l’arrière du moulin à scie Bousquet, situé tout près de la voie ferrée. Les vents du sud eurent vite fait de propager l’incendie, d’abord à tout le bois de la scierie, puis vers le côté est de la rue Champlain jusqu’au centre-ville, et de là jusqu’à la rue Saint-Charles, c’est-à-dire tout ce qui constituait la grande rue - la rue Front, devenue rue Richelieu - à l’époque. Tous les édifices commerciaux furent détruits dans l’avant-midi. En moins de deux heures (8 hres - 10 hres). Le pont Jones, qui reliait Saint-Jean à sa jumelle, Iberville, se trouva sérieusement menacé. Un steamer qui servait de remorqueur, les berges le long de la rivière, tout fut affecté par l'incendie catastrophique. Bilan : trois cents édifices détruits. Le miracle, dans tout cela, il n’y eut pas de mort, les gens étant passablement tous à l’église au moment du drame. Il n’y aura seulement que des commerçants ruinés pour pleurer sur l'incendie de 1876, les assurances ne compensant qu’une partie des pertes jusqu’à valeur de $192.000! Somme dérisoire pour notre époque. Comme toujours dans ces cas-là, il y eut une enquête. Rien de très exhaustif cependant. Le journal, L’Opinion publique de Montréal, supputait que l’origine de l’incendie était l’œuvre d’un pyromane. Ce constat reposait sur une observation conjoncturelle : «L’heure était choisie avec une science infernale; car c’était précisément le moment, paraît-il, où l’ingénieur, ayant laissé tomber les feux qui produisaient la vapeur, force motrice des pompes de l’aqueduc vidait les chaudières pour les nettoyer. La conséquence fut que, pendant qu’on remettait l’eau dans la chaudière et que la vapeur s’élevait, le feu consumait les maisons, et fondant les tuyaux donnait mille issues par lesquelles la force de l’eau se perdit, lorsqu’on voulut la diriger vers les maisons en flammes». Bref, c’était au moment où, de l’aqueduc, la circulation de l’eau était coupée qu’un pyromane aurait été mettre le feu au tas de bois, innocentant ainsi toute responsabilité du Grand Tronc. Il est assez étrange qu’au cours de la tragédie de Lac-Mégantic, on retrouve un schéma d’explication fort semblable.


Rappelons en quelques mots le cours de la terrible catastrophe de Lac-Mégantic proche de la rivière Chaudière, au sud de la ville de Québec. Tout commence à la tombée de la nuit, le vendredi 5 juillet 2013, vers 23 h. 30. Les pompiers de la petite localité de Nantes sont appelés pour éteindre un incendie pris dans une des locomotives d’un convoi de 72 wagons-citernes remplis de pétrole brut  parti de Montréal et se dirigeant vers le Maine. Une fois le feu éteint, les pompiers sont rejoints par un employé de la compagnie américaine de chemin de fer, la Montreal, Maine & Atlantic Railway. L’opérateur déleste les pompiers disant que tout est désormais sous contrôle. Il vérifie les freins de la locomotive et laisse sans surveillance le convoi sur la voie principale, plutôt que de le ranger sur une voie de garage, et va se coucher à l’hôtel. C’est alors que le convoi se met lentement en marche, entreprenant la descente d’une dénivellation en pente raide. Les cinq locomotives approchent de la ville voisine, Lac-Mégantic. Il est 1 h 15 du matin le 6 juillet lorsqu’à un tournant de la voie, les wagons se détachent des locomotives, déraillent et vont se percuter les uns les autres dans un épouvantable fracas. Les wagons s’empilent. Les enveloppes d’acier minces ne résistent pas aux déchirures ni aux perforations. Le pétrole s’échappe et prend feu, puis c’est explosion par-dessus explosion de cinq wagons. Le pétrole liquide en flamme s’échappe et bientôt l’asphalte des rues fond sous la nappe de feu; les égouts se remplissent de pétrole, laissant échapper parfois des flammes de certains robinets; les eaux du Lac Mégantic reçoivent une part importante du pétrole et le communiquent à la rivière Chaudière qui se déverse dans le Saint-Laurent à la hauteur de Lévis, en face de Québec. Environ 2 000 personnes sont évacuées d’urgence dans le centre-ville. Le 9 juillet, la Sûreté du Québec confirme un bilan provisoire de 13 morts et d’une cinquantaine de personnes manquant toujours à l’appel. Plus de 150 pompiers ont tenté de maîtriser l’incendie catastrophique pendant près de trois jours. Outre les pompiers de Lac Mégantic, il en est venu du Maine comme de Montréal pour aider à se relayer dans une situation de canicule. La courbe fatale est située derrière des commerces, dont un café-bar, le Musi-Café. Peu avant la fermeture de l’établissement, les gens qui s’y trouvaient encore n’ont pas eu le temps de réaliser ce qui se passait, tant le souffle des explosions a pulvérisé tout ce qu’il y avait à proximité. Le centre-ville de Lac-Mégantic se transformait en enfer. La fouille des décombres entreprise une fois le périmètre de sécurité levé a permis de retrouver les premiers corps calcinés et de nombreux restes humains.


Évidemment, les média ont d’abord été fasciné par le «spectacle» de l’explosion saisie via satellite; de l'ampleur du déraillement, de la pollution des eaux et l’empathie pour les victimes. Puis, ce fut le cortège des chefs politiques venus voir de leurs yeux l’ampleur de la catastrophe. La Première-ministre, Pauline Marois, sans jeu de mort, s’est dite «ressenti[r] une profonde désolation». Déjà son ministre de la santé, Réjean Hébert, député du comté voisin de Sherbrooke, était venu apporter son soutien à la population. Au lendemain, c’était autour du Premier-ministre du Canada, Stephen Harper, qui n’a pu s’empêcher de comparer la dévastation de Lac-Mégantic à «un site de guerre». Polemos, quand tu nous tiens! Ensuite, ce fut le député de Québec Solidaire, Amir Khadir, qui, comme les anciens cocos des années 1970, ne sait pas distinguer le problème général du problème particulier en reprenant sa rhétorique contre l’utilisation de carburants fossiles! Puis, ce fut autour de Mini-Pet, le chef libéral fédéral, qui, à son habitude, n’avait rien de sensé à dire. À la fin du cortège, le chef libéral provincial, Philippe Couillard, est venu proposer une solution à laquelle déjà tout le monde avait pensé, d’un guichet unique entre les administrations fédérales, provinciales et municipales pour aider les citoyens sinistrés. Inutile de dire que cette parade de chefs politiques a démontré une fois de plus l’inutilité de ces individus tant à prévenir qu’à combattre les accidents de ce genre. Au convoi du train fantôme succédait le cortège des politiciens ineptes.

Entrecoupés de récits de témoignages de la plus haute valeur d’human interest et la défensive de tout un chacun devant les responsabilités entourant la catastrophe de Lac-Mégantic, les bulletins d’information ont mis du temps à nous faire comprendre ce qui se passait réellement. Ainsi, il a fallu attendre deux jours avant que, le lundi 8 juillet, on nous informe que la voie ferrée, les locomotives et les wagons appartenaient à des compagnies américaines, ce que les gens de Lac-Mégantic savaient pertinemment. Et, de fil en aiguille, de remonter jusqu’au grand patron de cette entreprise à qui appartient un bouquet de voies ferrées distribuées partout dans le monde et qui se sont avérées des voies non rentables - des shortlines - que Ed Burkhardt, la tête dirigeante de ce consortium propriétaire de la Montreal, Maine & Atlantic (la MM&A), nous soit présenté. Avant même que les cadavres des victimes aient été libérés des décombres de Lac-Mégantic, nous voyons la plus belle racaille de propriétaires de voies ferrées, d’ingénieurs-mécaniciens et de politiciens, dans un concert unanime d’empathie pour les victimes, faire comme Ponce Pilate, se laver les mains de toutes responsabilités dans les causes de la catastrophe, et cela quand ils ne poussent pas leur lâcheté jusqu'à jeter le blâme les uns sur les autres pour mieux s’innocenter. Tout cela est, à mon avis, assez écœurant.
Centre-ville, à l'endroit précis où devait se produire le déraillement
À travers tout ça, il y a quand même des gens qui n’hésitent pas à soulever des chardons. Le convoi provenait de la formation de Bakken, au Dakota du Nord et le pétrole était destiné à la raffinerie d’Irving Oil à Saint-Jean du Nouveau-Brunswick. La voie d’ailleurs traversait l’État du Maine et l’accident aurait tout aussi bien pu se dérouler aux États-Unis. Il circulait sur les voies de la MM&A, une ligne de chemin de fer secondaire qui relie Montréal à la côte atlantique du Maine et poursuit jusque vers les provinces maritimes. Cette ligne appartenait jadis au Pacific Canadian. À la fin des années 1990, la compagnie fédérale a décidé de vendre, parmi d’autres, ses shortlines non rentables, des portions de circuits ferroviaires abandonnés par les grandes entreprises à de plus petites qui relèvent du secteur privé. C’est là que Burkhardt s’est approprié la MM&A et l’a placé dans sa corbeille de shortlines mondiales déficitaires. «Le gouvernement fédéral a, au fil des ans, déréglementé le transport ferroviaire comme il a déréglementé l’aviation», rappelle Daniel Roy, directeur québécois du Syndicat des Métallos. «Il est toujours dangereux de laisser aux entreprises le pouvoir de gérer des biens publics en limitant l’intervention des gouvernements. Le gouvernement fédéral doit se ressaisir et reprendre en main la réglementation dans le transport ferroviaire». Cet avis du Syndicat des Métallos apparaît déjà comme un moyen de rejeter toutes responsabilités des ingénieurs-mécaniciens sur le dos de Burkhardt et du gouvernement fédéral.

Cette affirmation est confirmée par les propos d’un expert ferroviaire qui nous informe que le convoi était composé de wagons-citernes de modèle DOT-111, un modèle désuet, qui n’appartenaient pas à la MM&A. Chaque wagon contenait 113 000 litres de pétrole brut. Si les États-Unis comme le Canada autorisent toujours la circulation de ces citernes, aux États-Unis la sécurité du modèle DOT-111 a été sévèrement mise en doute dans un rapport déposé au National Transportation Safety Board (NTSB) dès 1991, où il est décrit comme «inadéquat pour résister au choc d’un déraillement». La catastrophe de 2013 vient de le démontrer. Depuis 2011, le gouvernement canadien exige que les compagnies ferroviaires choisissent des modèles aux parois plus épaisses (le DOT-111 a une «carapace» de 1 cm.), tout en permettant l’utilisation des stocks existants de wagons plus anciens. Mais n’étant pas canadienne, la MM&A n’a jamais cru bon de se soumettre à cette exigence. Et rien ne la contraignait. D’où la logique de Burkhardt de dire que sa compagnie n’a pas de responsabilité majeure dans la catastrophe.

D’autres manquements s’accumulent qui rendent la catastrophe complètement aberrante. On a dit que vers 23 heures, le 5 juillet, le convoi était à Nantes, petite localité située à une douzaine de kilomètres à l’ouest de Lac-Mégantic, placé sur la voie principale. Selon les représentants du transporteur, le conducteur a mis le convoi à l’arrêt à la fin de son quart de travail avant de se rendre à l’hôtel. Le conducteur ne met pas le train sur une voie auxiliaire, qui est équipée d’un dérailleur qui aurait pu empêcher le train de partir acciden-tellement. Selon Transports Canada, il est inhabituel qu’on laisse ainsi un train seul sur une voie principale. Le convoi devait demeurer immobile pour quelques heures avant d’être repris en charge par un autre équipage. C’est là, vers 23 h. 30 que les pompiers de Nantes ont été appelé pour éteindre l’incendie d’une des locomotives. Le chef des pompiers a affirmé que le moteur avait été coupé lors de leur intervention, une procédure prévue par l’entreprise. Ils auraient ensuite contacté un inspecteur ferroviaire pour signaler la situation et n'auraient quitté qu'une fois le représentant de la MM&A sur les lieux.

La suite des événements, on la connaît. On ne sait pas pour quelle raison le train s’est remis en marche sans équipage et a dévalé la pente vers l’est. Les cinq locomotives se sont détachées du reste du convoi à 800 mètres à l’entrée de Lac-Mégantic et traversé la ville sans causer de dégats; c’est le reste du convoi qui, en déraillant près de la rue Cartier, a provoqué la série d’explosions et répandu l'incendie. Aussitôt que possible, un plan de mesures d’urgence de la municipalité se met en place, en coordination avec la Sécurité civile du Québec. La Sûreté du Québec établit un périmètre de sécurité et force à l’évacuation de 2000 résidents en raison des risques d’explosion et des concentrations d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et de particules en suspension qui rendent l’air irrespirable et toxique.

Face à la catastrophe environnementale, le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs déploie une équipe de spécialistes chargés d’évaluer la qualité de l’air et de l’eau en plus d’amorcer le containment des nappes de pétrole qui flottent sur la rivière Chaudière et sur le Lac Mégantic. L’école secondaire Montignac est réquisi-tionnée pour servir à la fois de poste de commandement des autorités civiles et de centre d’hébergement des sinistrés sous la responsabilité de la Croix-Rouge. Le personnel de l’hôpitel attend en vain les blessés. Or le fait qu’aucun ne se présente, sauf quelques cas mineurs dus à la pollution atmosphérique, laisse craindre le pire. Ce n’est que le dimanche 7 juillet, en début de soirée, quarante heures après la catastrophe, que les pompiers parviennent à maîtriser (ce qui ne veut pas dire à éteindre) le brasier.


Ce qui ajoute à la catastrophe, c’est le fait que c’est «le vieux« Lac-Mégantic qui se trouve le plus affecté par les explosions et l’incendie. Parmi la trentaine de bâtiments soufflés, on y retrouve la bibliothèque municipale, les archives de la ville, des bâtiments patri-moniaux, des commerces et des résidences. Dans le bar Musi-Café, situé tout près du lieu du déraillement, une quarantaine de personnes s’y trouvaient à la fin de la soirée. Le musicien saguenéen, Guy Bolduc, qui terminait son spectacle, serait parmi les victimes. Également une ex-académicienne de 2008 - de la série de rêves prêts-à-porter Star Académie de l’incurable TVA -, Geneviève Breton, compte également parmi les personnes disparues. Les pans de murs subsistants à Lac-Mégantic rappellent étrangement ceux que nous ont conservés les clichés aux lendemains de l'incendie de Saint-Jean, en 1876. De plus, une importante conduite d’eau dans le quadrilatère de la zone sinistrée a été détruite par l’explosion, augmentant pour les citoyens le fardeau d’économiser l’eau potable. Tout le long de la Chaudière, des conduites d’eau artificielles ont été dressées afin de pomper l’eau de lacs non contaminés par la nappe de pétrole et de la véhiculer vers les lieux résidentiels. Trois estracades ont été installés sur la rivière Chaudière et les employés du ministère se sont empressés de pomper le pétrole brut qui se déverse par l’émissaire des égouts pluviaux de la ville. Le ministre québécois de l’Environnement, Yves-François Blanchet, indique que ses services estiment que de 100 000 à 120 000 litres de pétrole brut se sont répandus dans la rivière Chaudière sur une longueur de 120 km. Toute la région Beauceronne en est affectée, d’une manière ou d’une autre.


Dès son arrivée sur les lieux, la Sûreté du Québec tient à considérer le lieu de la catastrophe comme «scène de crime» et soixante enquêteurs sont mis au travail. Certains témoignages racontant avoir aperçu un individu sautant d’une des locomotives emballées, rien ne doit être écarté pour le moment sur les origines du déraillement. Les cadavres des victimes et l’identification des restes humains, sous la responsabilité du coroner du Québec, sont envoyés à Montréal où les médecins légistes tenteront d’identifier les personnes. Comme dans un «vrai» C.S.I., le personnel tentera d’établir «l’identité des corps en analysant la dentition, les os, la peau, les effets personnels, en relevant les empreintes digitales en plus de procéder à des tests sanguins et d’empreinte génétique» (Wikipedia). Parallèlement à ce travail macabre, une autre enquête est menée par le Bureau de la sécurité des transports (BST). Dès le 7 juillet, une équipe de neuf enquêteurs ferroviaires est parvenue à retrouver la boîte noire du train - l’enregistreur de paramètres et l’unité de détection de freinage fixée au dernier wagon (l’ancienne caboose). Quatorze enquêteurs sont attachés à découvrir la cause de l’accident. Déjà, l’enquêteur principal, Ed Belkaloul, a admis sur les ondes que les wagons-citernes de type 111, ceux-là mêmes impliqués dans l’accident, ont fait l’objet de nombreuses critiques dans le passé par l’organisme tant ils ne sont pas considérés comme assez sécuritaires pour le transport de pétrole brut.

Tout autant significative est la version des événements communiquée par le patron de la MM&A, Ed Burkhardt, version contredite par le BST. Burkhardt, qui essayait de faire porter aux pompiers de Nantes la cause de l’accident, s’est vu contredit par les enquêteurs qui confirment l’information selon laquelle les pompiers du village de Nantes ont avisé le répartiteur de la compagnie et qu’ils ont procédé à l’extinction de l’incendie de la locomotive en présence du personnel de la MM&A. Le BST confirme également que le convoi a été stationné sur la voie principale à Nantes et non sur une voie de garage munie d’un heurtoir. Cette précision est de haute importance compte-tenu que la voie ferrée entre Nantes et Lac-Mégantic est inclinée de l’ordre de 1,2%, inclination que l’on retrouve sur les flancs de collines. Selon la norme, des freins manuels doivent être appliqués lorsqu’un train est arrêté dans une pente. Aussi, aucun dispositif n’a été mis sous les roues pour empêcher le train de rouler par lui-même. MM&A a affirmé que le convoi s’était mis en marche sans conducteur parce que les freins appliqués sur le convoi s’étaient desserrés en raison de l’arrêt du moteur (par les pompiers de Nantes). Ici on ne peut que retenir le nombre extraordinaire de manquement à la sécurité : le personnel présent à Nantes n’a pas fait le travail prescrit. Il n’a pas stationné le convoi sur la voie de desserte. Les freins manuels ont-ils été appliqués? Rien n’a été fait pour empêcher le train de rouler par lui-même vue l’attraction gravitationnelle forte à cet endroit en courbe excessive, finalement le convoi avait tous les préalables pour devenir un «train fantôme».

Le conducteur du train, Tom Harding, affirme avoir mis des freins manuels sur dix des 72 wagons. Voilà quarante ans, il y avait cinq hommes pour une locomotive et une vingtaine de wagons. Depuis 2009, le gouvernement fédéral permet aux compagnies ferroviaires d'avoir un conducteur pour cinq locomotives et soixante-douze wagons. Qu’est-ce à dire? Dans la foulée des compressions budgétaires pour rendre le trafic ferroviaire compétitif et donc rentable, on a recouru à la bonne vieille solution de couper dans le personnel. Et cela, avec l’aval des différents gouvernements fédéraux. Le président de la compagnie MM&A, Edward Burkhardt, qui détient 75% des actions de la compagnie, peut donc se permettre de nier toute responsabilité dans la tragédie. Comme dans le milieu des affaires on a pas à être plus catholique que le pape, il s’en est tenu à ce qui était autorisé par les lois et règlements dans le transport ferroviaire canadien. Ce qui ne l’a pas empêché de toucher des subventions importantes de la part des gouvernements québécois et canadien, ainsi que de la Caisse de dépôt et placement du Québec pour investir dans l'amélioration de sa ligne ferroviaire au Québec, argent qu’il a détourné vers les États-Unis où l’équivalent américain du BST, le NTSB, est beaucoup plus sévère contre l’usage de wagons non sécuritaires sur les lignes de chemin de fer nationales. En effet, le taux d’accidents ferroviaires aux États-Unis où la MM&A se verrait impliquée, serait de 5 à 10 fois plus élevé que la moyenne des 800 autres entreprises du secteur. Après un long moment de silence, le bureau chef de la compagnie, situé à Chicago, aurait envoyé un premier communiqué de presse rédigé dans un français inintelligible, ce qui suscita - l’insulte ajoutée à l’outrage - de fortes colères dans les média. En retour, le malheureux Ed Burkhardt affirme avoir reçu plusieurs appels et messages menaçants. Affirmant qu'il allait se rendre à Lac-Mégantic, il aurait déclaré : «J'espère que je ne me ferai pas tirer dessus. Je ne porterai pas de gilet pare-balles. Je sais qu'il y a beaucoup de colère dans le coin et je comprends. J'ai reçu beaucoup de messages haineux». Pour un citoyen du pays où la population se place sous la tutelle du second amendement à la Constitution pour donner libre-cours à son goût pour les armes à feu, il devrait comprendre qu’il n’y a pas là de quoi frémir plus qu'en face de sa résidence!


Actuellement, la Sûreté du Québec annonce que 8 nouveaux corps ont été récupérés, faisant passer le bilan provisoire à 13 victimes. Après révision de la liste des personnes portées disparues, les autorités précisent qu'environ 50 personnes sont sur cette liste, laquelle inclut les 13 victimes qui n'ont pas encore été identifiées. Il risque, du moins pour un temps, que plus le nombre de corps retrouvés augmentera, plus il y a risque de voir s’allonger la liste des disparus.

Le déraillement de Lac-Mégantic est sans doute la catastrophe ferroviaire la plus tragique de l’histoire du Québec. Il est tragique, d’abord par l'ironie qui veut que les victimes de Lac-Mégantic, contrairement aux autres victimes de dérail-lements de trains, n'étaient pas à bord du convoi; ensuite par les coûts que la déconta-mination du lac et de la rivière va entraîner, enfin par les dommages irréparables causés à la flore et à la faune de l’endroit. Depuis mardi, la mairesse de Lac-Mégantic ne cesse d’appeler la population québécoise à venir en touriste, à ne pas annuler les réservations qui font vivre, industrie résiduelle d’un patelin déserté par toute autre forme d’économie, ce qui reste de la petite municipalité de Lac-Mégantic. Succédant aux bénévoles qui se seront rendus prêter main forte aux sinistrés, le site dévasté servira d’exhibition morbide pour les touristes férus d’effets sensationalistes. En ce sens, la tragédie humaine s’étend du deuil à l’appel de détresse d’un petit monde menacé d’extinction. Tragique aussi par l’insolence des gouvernements et du propriétaire de la MM&A. Entendre un ministre fédéral conservateur comme Denis Lebel, qui a poignardé dans le dos ses propres électeurs en venant défendre l’ignoble loi sur l’assurance-chômage votée par son gouvernement, s’entêter devant les caméras et micros des média afin de ne pas «spéculer» avant d’avoir tous les éléments en main, c’est une disgrâce qui mériterait, en effet, que quelqu’un s’appointe pour le tirer. On ne peut pas être plus méprisant, en tant que Ministre des Transports, que de noyer un accident dans un ensemble de transits sans problèmes. Bien sûr, reconnaît-il, «un accident est un accident de trop», mais l’important est de ne pas tenir son ministère pour responsable des «circonstances» de négligence ou d’incompétence dont il fait preuve. Ne le voit-on pas se cacher derrière les affirmations du conducteur Tom Harding, pour confirmer que la vérification «spécifique» des wagons-citernes impliqués dans l’accident avait eu lieu à Montréal la veille de la tragédie et que tout était en bon ordre? Qu'en sait-il? Sauver la peau de la compagnie suppose qu’on sauvera également celle du ministère dont on a vu un certain relâchement dans les normes de sécurité, même comparé à son vis-à-vis américain. Enfin, Ed Burkhardt n’est pas non plus à l’abri des gifles, lui qui s'est obstiné à ne pas financer le contournement de la voie ferrée qui aurait évité ainsi au convoi de passer au centre-ville de Lac-Mégantic, à moins, bien entendu, que le gouvernement québécois ou canadien l'eut financé! Des pompiers de Nantes au laxisme des lois gouverne-mentales en matière de sécurité dans les transports, et, pourquoi pas, à la présence des habitants de Lac Mégantic à l’endroit où ils se trouvaient au moment où le train fantôme est passé sous leurs fenêtres, tout le monde est responsable sauf sa compagnie qui entretien mal ses voies ferrées, qui sous-paye ses ingénieurs-mécaniciens au point qu’ils commettent des impairs, qui refuse d’utiliser des wagons appropriés et sécuritaires pour le transport d’une matière combustible et explosive. Lebel et Burkhardt sont des êtres pitoyables et exécrables.

Si je croyais que Dieuécrit l’histoire, je pourrais penser que ce n’est pas par accident que ce soit les Beaucerons qui aient ainsi à payer le prix de leur forfanterie à défendre l’économie de la petite entreprise capitaliste et se doter de députés conser-vateurs débiles comme Maxime Bernier ou insignifiant comme Christian Paradis, député du comté, qui a eu une frousse «métaphysique» quand il déclarait qu’il était encore, la veille, au Musi-Café. Dommage qu’il n’y ait pas été ce soir-là, la leçon morale aurait peut-être mieux portée. Mais voilà, Dieu ne se préoccupe pas des affaires humaines. Et les causes de l’accident sont déjà identifiables préalablement à toutes enquêtes qui ne serviront qu'à confirmer ce que nous pouvons constater à trois jours de l'événement.

Il y a d’abord la logique conjoncturelle d'une suite d'événements hasardeux, celle des contingences. D’abord l’incendie de la locomotive à Nantes, le peu d’employés de la MM&A qui se trouvaient sur place pour s’assurer de sécuriser locomotives et wagons, la simple précaution qu’il aurait fallu placer le convoi de matière dangereuse sur une voie de garage. À ce niveau, si on compare la catastrophe de Lac-Mégantic à celle de Saint-Jean-sur-Richelieu de 1876, nous retrouvons au départ une même liste conjoncturelle : la chaleur et la direction du vent poussant les flammes vers la ville, le manque d’escouade de pompiers locaux, la proximité d’une scierie près d’une voix ferrée. Une autre chaîne conjoncturelle se retrouve dans la géographie même des lieux, la pente inclinée entre Nantes et Lac-Mégantic, le fait que la voie ferrée passait au centre-ville (alors que depuis trente ans les gouver-nements se sont accordés pour détourner les rails des passages à niveaux vers des viaducs ou des ponts), à proximité des bâtiments habités. À Saint-Jean aussi avait-on connu ce type de contingences : la situation de la voie ferrée et du moulin au centre-ville, la concentration des commerces et des bureaux civils et gouvernementaux proche de la «track». Là aussi, pour suivre le sophisme du ministre Lebel, des centaines, des milliers de fois la locomotive à vapeur était passée près du moulin à scie Bousquet sans jamais déclencher un seul incendie, mais il a été de la logique de l’expérience qu’après l’incendie, on a plus érigé de moulins à scie près de la voie ferrée. C.Q.F.D.

Mais au-delà, il y a bien sûr une logique de nécessité, une logique structurelle de la suite des événements. Non pas celle d’Amir Khadir dénonçant l’usage des ressources non renouvelables, qui est de l’ordre de celle de la gravitation terrestre dans l’accélération du convoi de wagons-citernes vers Lac-Mégantic. Mais plus précisément, la soumission des bureaux de sécurité (dans les transports comme dans n’importe quel autre domaine) aux intérêts financiers et économiques qui autorise les entre-preneurs à rogner sur les dépenses pour la sécurité, autant de leurs employés que de la population civile, afin d'élargir leur marge de profit, ce qui est tout simplement scandaleux. Aux yeux de la plupart, toutefois, cela ne devient scandaleux que lorsqu'il y a un événement d'une telle ampleur comme celui qui vient de se produire. La complicité dans l’impunité et l’irresponsabilité des gouvernements et des capitalistes rend à peu près inutile toutes remises en question majeures des causes de la catastrophe. Les média, qui ont mesuré sinon filtré la cueillette et la diffusion des données, ont joué ici le vilain tour que Mère Térésa, en 1984 à Bhopal, avait joué aux Indiens, lorsqu'une usine chimique de la multinationale Union Carbide avait explosée, faisant entre 20 et 25 000 morts à court et à moyen terme à cause des émanations toxiques, c'est-à-dire, calmer la colère de la population au nom de la résilience et de l'entraide, et éviter de susciter toute révolte sociale contre les responsables de la catastrophe. La promotion de la résilience au nom de l’empathie pour les victimes, transformant une catastrophe en information-spectacle à donner en pâture aux auditeurs affamés de sensationnalismes, est une autre de ces écœuranteries dont nous pouvons dire que nous avons été gâtés ces derniers jours. La désertion des régions qui n’ont plus rien à offrir aux marchés concurrentiels et qui les condamnent à vivoter jusqu’à disparaître parfois, sinon par une tragédie du moins par une dépopulation lente mais fatale, montre la fragilité autant des milieux humains que du milieu naturel. Dans de tels cas, qui oserait affronter un Burkhardt intimidant de peur de voir sa région recevoir le coup de grâce définitif?

Si la tragédie s’était déroulée dans le Maine, dès le lendemain, le gouvernement des États-Unis aurait convoqué Burkhardt et il aurait eu à rendre des comptes. Mais comme la tragédie s’est déroulée au Québec, M. Burkhardt peut se permettre de fanfaronner et les ministres Paradis et Lebel de minauder la population de Lac-Mégantic pour lui sauver le cul, sachant qu’en le «blanchissant», ils se nettoient eux-mêmes de leur lâcheté et de leur incompétence. Structurelle ou conjoncturelle, l’incompétence? Pour pasticher Pascal, disons : «conjoncturelle en deçà du 49e, structurelle au delà».

Parc des Vétérans, Lac-Mégantic, détruit par le souffle de l'explosion
Montréal
10 juillet 2013

La valeur du speedo dans la culture de la pauvreté

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LA VALEUR DU SPEEDO DANS LA CULTURE DE LA PAUVRETÉ

L’un des principaux problèmes de la pauvreté, ce sont les pauvres. Car outre le fait que la pauvreté est une condition économique insuffisante à l’entretien d’une vie, c’est aussi une culture, et une culture de la pauvreté, c’est l’aliénation de la majorité des hommes et des femmes à des rêves qui sont «vendus» par une élite qui s’offre en exemple, à condition évidemment de ne pas la suivre.

Dans les romans du XIXe siècle, écrits par des bourgeois comme Victor Hugo ou Charles Dickens, les pauvres représentaient encore une vision catholique de rédemption. Les classes corrompues par l’argent, retrouvaient dans la pureté et l’innocence de personnages de la caste sous-prolétarienne des comportements héroïques, dignes jadis des récits des chevaliers du Moyen-Âge. Nancy, la généreuse petite prostituée du gang de Figin dans Oliver Twist ou le Gavroche des Misérables sont moins des reproductions de la réalité que des fantasmes bourgeois de la rédemption du monde par la capacité de sacrifice de soi des plus pauvres. Une sorte de christologie laïque. Ce n’est pas un hasard si les grands succès des comédies musicales sont précisément des récupérations à grands spectacles d’Oliver Twist et des Misérables. Moins que des hommages, ce sont des parodies des romans originaux. Un lumpenprolétaire qui se sacrifie, quelle belle conduite pour un esprit bourgeois! Du mélodrame. Rien de ces ouvriers grévistes, de ces étudiants manifestants, de ces femmes battues qui se défendent comme ils peuvent. Les deux issus du mythe sont simples. La mort (Nancy, Gavroche) ou la réception dans/par une famille morale (Oliver, Cossette), c’est à dire riche et bourgeoise.

Il ne faut pas oublier que les bourgeois ne viennent pas de l’aristocratie ni de la noblesse, mais bien du petit peuple : des travailleurs, des artisans, de cultivateurs mieux nantis financièrement, de spéculateurs mêmes. Au temps de l'âge industriel, déjà la culture de la pauvreté suivait  et adoptait les valeurs de la culture bourgeoise. À l'époque, la culture de la pauvreté essayait de se hisser, même artificiellement, aux valeurs de la classe dirigeante. Les romanciers de toutes nationalités, au XIXe siècle, racontaient les heurs et malheurs de l’ascension bourgeoise. Du parfumeur César Birotteau de Balzac à Saccard de Zola, pour ne prendre que la tradition française. En même temps, il était possible de mesurer l’évolution des mœurs et des valeurs de la classe bourgeoise qui allaient de la honte morbide des dettes chez Birotteau à l’impitoyable «curée» que Saccard exerçait autour de lui, à commencer par son fils et sa femme. Or, en s'inspirant de la culture bourgeoise, les pauvres s'efforçaient de hisser leurs valeurs, de prendre des modèles, de se donner des exemples de conduites morales. Or, c’est dans cette dégradation morale du comportement bourgeois, au fil de l’ascension de la richesse, que nous pouvons voir comment le modèle bourgeois est devenu le rêve pitoyable des pauvres, la base même de la culture de la pauvreté. Rendu à l’âge post-industriel, la culture de la pauvreté reste la récupération des rêves bourgeois, même si ceux-ci sont de la pire vulgarité. Et encore mieux lorsqu’ils sont de la pire vulgarité, ils rejoignent le fonds commun qui unissait jadis bourgeois et apprentis ou paysans pauvres.

Des romans comme ceux de Balzac, de Dickens, de Hugo ou de Zola concluent, bien avant Darwin mais en toute conformité avec l’enseignement de Machiavel, que l’ascension sociale dépend de deux facteurs : la force (le lion) et la ruse (le renard). La femme, l’argent, la réputation, le pouvoir (politique), l’intimidation, sont les buts de cette lutte que le darwinisme social, dénaturé de la pensée originale de Darwin, associe aux succès du fittest et du brightest. Cette morale simpliste se dément de nos jours par des procès aussi célèbres que celui d’Éric et Lola (en fait le clown de l’espace, Guy Laliberté), où on constate que si fittest et brightest que soit l’avaleur de flammes devenu millionnaire du cirque, ses déboires conjugales, la dépression économique, la réputation entachée, l’impotence et l’intimidation dérisoire (qui a obligé les journalistes à ne pas révéler son nom durant l’affaire) ne sont que de la poudre aux yeux. Combien de biographies d’hommes riches et célèbres faut-il donc lire pour ne pas constater qu’on en arrive toujours à la même finale : il meurt malheureux, seul, étouffé dans sa richesse et méprisé de tous.

Or, c’est un tour de force sadique que de faire partager ce rêve aux malheureux de la terre. La fable - car c’est devenue une fable de La Fontaine - des Lavigueur en est un exemple. Tout commence par une série de coïncidences pour le moins burlesque (on en trouve des identiques dans les films de Charlot et de Laurel & Hardy, etc.) : billet de loto acheté, billet gagnant, billet perdu, billet retrouvé. Du vaudeville, on passe rapidement au mélodrame avec la mort de la mère, l’initiatrice du bingo familial, qui meurt avant même de voir l’argent. Puis, au moment du triomphe, le père Lavigueur veut s’acheter un «truck de bière», faire des voyages dans le sud, s'acheter une maison de riche kitch où il boira ses caisses de bière en camisole. C'est ainsi que le monde de la loto s'engraisse de la culture de la pauvreté. Ce n’est pas parce qu’on devient riche qu’on cesse d’être pauvre, et c’est là toute la morale de la fable. Tout le reste n’est qu’une suite où alternent le burlesque et le tragique. Tout le monde meurt : par maladie, par suicide, par addiction à la drogue et la seule qui y gagne demeure celle qui s’est équipée d’un salon de coiffure. Rêve également lié à la culture de la pauvreté.

Devons-nous remonter dans le temps? Voici l’un des premiers films de fiction de Denys Arcand, La maudite Galette. Un mon oncle avoue à son fils et à sa bru qu’il a un motton de caché et qu’il voudrait le léguer à ce couple. Pour fêter, tout le monde s’enivre et les brimades fusent de toutes parts, de sorte que le mon oncle part en claquant la porte les avertissant qu’ils ne toucheront pas une cenne de son magot! La bru, digère mal cette menace, appelle ses frères et organise le vol de la maison du tonton, perdue en pleine campagne. Dans une longue séquence qui rappelle les films noirs français d’après-guerre, les apprentis voleurs roulent dans la nuit sur un chemin non éclairé avant d'arriver à la maison. Ils s'emparent du vieillard, le torturent et le tuent. Tout se passerait bien si l’homme de main du couple, considéré comme un demeuré, ne les avait pas suivi. Et commence le jeu de massacre. Tout le monde y passera jusqu’au demeuré et à la bru qui, rendus chez les parents de l'homme de main, s’entretuent pour le magot dans la petite maison pauvre sous le pont Jacques-Cartier, proche du port de Montréal. Dans la marre de sang, le couple de petits vieux s’empresse de ramasser l’argent et de le cacher dans le baril de la lessiveuse à tordeurs. La scène finale nous les montre au volant d'une auto neuve, sous le soleil - comme en clair-obscur avec la longue conduite funèbre de route de campagne de nuit -, sur l’autoroute Bonaventure en direction de la Floride, où ils iront finir leurs vieux jours avec l’argent du crime. Là encore, ce n’est pas parce qu’on devient riche qu’on cesse d’être pauvre.

Et l’on pourrait remonter ainsi jusqu’au roman de Gérin-Lajoie, Jean Rivard. Le célèbre personnage de Claude-Henri Grignon, Séraphin Poudrier, a, lui aussi, pendant près d’un demi-siècle, enseigné quotidiennement, puis de manière hebdomadaire, la même rengaine. Même riche, Séraphin Poudrier maintien une culture de la pauvreté dans son ménage, et sa femme Donalda ne cesse d'implorer Sainte Misère, les colons endettés de boire comme des trous, de forniquer revêtus avec leurs longues jaquettes et bonnets de nuit et le gouvernement de décerner des permis de quêter dans les paroisses. Bref, un avant-goût rustique de nos débauches post-modernes.

Bien sûr, ruse et violence ne se pratiquent pas de la même façon chez les riches que chez les pauvres. Les riches enduisent la matraque de vaseline, leur policiers ajoutent un bottin téléphonique entre la matraque et la tête du matraqué lorsqu’il s’agit d’interroger un gréviste ou un soi-disant activiste. On ne va généralement pas, comme au Chili sous Pinochet ou en Argentine sous les militaires, jusqu'à faire «disparaître» les corps des prisonniers récalcitrants. Ici, pas d’électrodes aux testicules ni de requins dans le Golfe Saint-Laurent pour dévorer des anarchistes revendicateurs. Les requins se prélassent paisiblement dans des spa, à Sagard, ou dans les avions qui trainent des queues de journalistes, de metteurs en scène, d’écrivains, de photographes harnachés derrière une bibitte de Péladeau ou d’Angelil. Avec ces bibittes, les rêves des pauvres deviennent l’équivalent du dicton américain : «n’importe qui aux États-Unis peut devenir président». Quelle que soit la vérité de cette phrase, il faut reconnaître qu'en un peu plus de deux cent ans, il n’y a eu que quarante-trois Américains qui sont parvenus au poste de président des États-Unis, ce qui est assez peu, reconnaissons-le.

Au Québec, la violence que contient la culture de la pauvreté s'exprime de manière plus directe, plus brutale. Pas de vaseline, ici. On y va à bras raccourci. À la violence traditionnelle des «Québécois de souche» se joint des violences de groupes ethniques récemment immigrés. À Montréal, chaque groupe ethnique a sa mafia de petits racketters qui rançonne ses marchands, ses fonctionnaires, ses syndicats. Les jeunes ne rêvent plus de devenir comme ces vedettes du hockey, Maurice Richard ou Guy Lafleur - les jeunes ne les ont pas connus -, mais des superhéros de bandes dessinées! La frustration de pouvoir accéder aux biens de consommations de divertissements les entraîne à devenir, très tôt, petit dealer de drogue, cambrioleur de dépanneur à la petite semaine, en faisant même du «taxage» dans les écoles. Il n'y a pas de petits profits. En retour, la bourgeoisie recrute ces meilleurs fiers à bras pour la protéger. Pour détourner les jeunes noirs de Montréal de la tentation de rejoindre les gangs de rues, on les entraîne afin de devenir de futurs «champions» de boxe - solution que l’on retrouve partout dans le tiers-monde : plutôt que de les voir taper du bourgeois, mieux vaut les voir se tapocher entre eux et parier sur les meilleurs poings -, mais combien, pour la plupart et dans le meilleur des cas, ne finiront-ils pas agents dans une compagnie de sécurité à veiller sur les sacs d'argent des capitalistes? De menace au ventre du bourgeois, on en fera des protecteurs de ce même ventre. Pasolini avait fait bondir les étudiants de Nanterre (je crois) lorsqu'il leur avait dit qu'ils n'étaient pas des prolétaires; que les prolétaires - les vrais -, étaient dans la police qui les avait matraqués en mai 68. Il avait raison.

Si l'on enlève toutes les couches d'hypocrisie et de faux bons sentiments (comme des vrais d'ailleurs), qui enrobent ces solutions partielles, nous nous apercevons que la violence est le point de rencontre des deux classes sociales. Bourgeoisie et classes pauvres se distribuent des codes exclusifs où la violence des uns est confrontée, autorisée ou limitée par la violence des autres. Comme un étau, ce double rapport de forces exerce une pression insoutenable sur l'ensemble de la société, de sorte que les débordements sont constants. Brutalités policières exagérées contre crimes meurtriers dans la petite pègre. Ayant appris à s'en accommoder, les villes font avec. En Europe comme en Amérique. Les programmes de rééducation et de réinsertion des condamnés mineurs ne sont que des solutions incomplètes et cathartiques. Le problème est donné (résolu ou non) au cas par cas, et non par rapport à une stratégie de socialisation. Le discours enrobant toutes ces initiatives sont les mêmes que l’on retrouvait dans les romans bourgeois du XIXe siècle. «Ouvrir une école, c’est fermer une prison», disait Hugo. C’est beau, on y souscrit volontiers, mais dans les faits, ce n’est pas automatique. L’école est une prison comme la prison est une école, et les matières qu’on y enseigne conduisent souvent aux mêmes résultats.

Prisonniers d’une morale manichéenne du bien et du mal, nous classons de même les institutions. L’Éducation, la Justice, le Commerce, l’Industrie, les Finances, la Santé sont de bonnes institutions; l’ignorance, le crime, le vol, l’extorsion, les fraudes et la maladie sont de mauvaises. Mais lorsque l’éducation conduit à limiter la connaissance et à entraver la conscience, ne se livre-t-elle pas entièrement à l’ignorance? N’est-ce pas ce que les ténors de la Révolution tranquille reprochaient à l’éducation «arriérée» donnée par le clergé au temps des Insolences du Frère Untel? Or, le constat, aujourd’hui, reste le même. La connaissance, la conscience se cultivent en dehors des institutions du savoir, et même du haut-savoir. Et la Justice? Quel ministère porte-t-il un titre aussi peu convenant à ce qui s’y donne que celui-là? La vérité, la justice se transigent dans des négociations interminables qui tournent toujours autour de l’argent. La lourdeur du spectacle burlesque et anachronique des procédures des «gens de robes» s’unit au byzantinisme crasse du fonctionnariat juridique qui vise essentiellement non à faire respecter la «loi» quasi sacrée, mais à trouver des fonds dans les poches des accusés et des condamnés. Le Commerce? Encore ne se voit-il pas grever d'un fort manque d'éthique et d’équité, car le commerce inégal qui fait du Québec une colonie du Canada, des États-Unis et de l’Europe à travers la sacro-sainte idéologie du libre-marché se fait toujours au mépris des consommateurs locaux et aux bénéfices des producteurs étrangers, tout comme dans le bon vieux temps du colonialisme. Et l’Industrie? Elle a  déjà été sacrifiée depuis vingt ans, et ce dans tous les domaines : agriculture, transformation, mise en valeur des ressources naturelles. Les Finances sont généreuses des biens des particuliers, mais selon les classes sociales auxquelles ils appartiennent, ce qui signifie qu’il y a beaucoup d’extorsion dans les calculs fiscaux des petits-bourgeois et des salariés et encore plus d'évasion et de détournement fiscal dans le calcul des revenus de la grande bourgeoisie et du haut-fonctionnariat. Enfin, la Santé dont rêvent les bourgeois équivaut à l’immortalité. Et cela se paie. Pour les autres, il s’agit de bien savoir gérer leur maladie et leur mort. Ce n’est pas que ces institutions ne font que du mal, mais elles ne font pas que du bien, et la balance est déficitaire du côté du bien. C'est la différence entre notre Idéal du Moi collectif puisé dans les utopies libérales du XVIIIe siècle et des Lumières et notre Moi idéal qui est celui d'une société où les passions ne se soumettent pas à la raison comme prévu : entre la «richesse de la nation» et «la culture de la pauvreté», comment s’articulent les deux données?

La bonne ou la mauvaise gestion de la richesse dépend de deux variables : qui produit cette richesse et qui gère cette richesse? La pauvreté produit beaucoup de richesse, c’est-à-dire tout ce que la société ne paie pas pour le travail et les services qu’un grand nombre de gens, membres pourtant de la société, lui procurent tout en étant refoulés de la gestion sociale : agriculteurs ayant fait faillite; professionnels non-employés et non protégés suite aux monopoles syndicaux liés par les conventions collectives aux intérêts du patronat et des gouvernants; travailleurs non qualifiés pour des tâches dont ils sont écartés afin de restées inoccupées parce que trop coûteuses à combler; travailleurs autonomes ou saisonniers dont les tâches sont parcellaires et non assimilées au régime de protection sociale. C’est la production de la richesse qui engendre la pauvreté alors que par définition, du moins dans l’esprit d’Adam Smith, c’était tout le contraire qui devait se réaliser. C’était vrai où le capitalisme industriel devenait un capitalisme essentiellement de production. Maintenant que nous sommes dans un capitalisme de consommation, la chose ne l’est plus. Le néo-libéralisme trahit de ce fait la doxa dont il ne cesse de se revendiquer. Plus il y aura de richesses, plus l’appauvrissement cumulera les valeurs de la déchéance, celles du déchet, de la pollution et du gaspillage, de l'abject, et cela, même si le pouvoir d'achat des pauvres s'améliore légèrement. La mal-bouffe n’est pas que pour les riches, elle est surtout pour les pauvres. Les logements surévalués sont abandonnés pour une nouvelle culture des taudis dissimulés dans les demi sous-sols, les derniers étages, les mansardes, les appartements de H.L.M. trop petits, trop inconfortables, trop bruyants pour que quiconque puisse y rester. Ainsi, selon le principe du Québec inc des Bourassa et des Bouchard, le Québec s’enrichit alors que les Québécois ne cessent de s’appauvrir, et ce qui empêche de le voir ressembler à ces photos misérabilistes des années 30, c’est que les familles se sont réduites de 17 à 1 enfant.

De sorte que si les gouvernements successifs sont parvenus à réduire progressivement - et trop lentement - la pauvreté économique sans pour autant la rendre plus viable, cette pauvreté n'avait d'autre choix, la culture populaire traditionnelle étant disparue, que de se donner pour culture que les valeurs d'une culture matérielle strictement limitée aux divertissements. Le désœuvrement des pauvres ramène, par un détour pervers, l'ennui et la désolation qui rongent déjà la culture bourgeoise. Cette culture sans esprit s'abandonne aux mirages de la télévision et de certains gadgets électroniques. L’ère du vide est celle de la culture de la pauvreté soumise entièrement au diktat d’une culture bourgeoise stérilisée déjà depuis un siècle. Les rêves des pauvres ayant toujours été faits des valeurs bourgeoises mais sans les possibilités économiques de pleinement les réaliser, le résultat, aujourd'hui, montre que ces rêves ne sont plus qu'une accumulation de sources de frustrations, de refoulements et de violence généralement retournée contre eux-mêmes. L'espoir toujours cultivé que tout le monde peut réussir dans nos sociétés passe du réel au virtuel et n'engendrera que davantage de psychose, davantage de schizophrénie, davantage de névroses majeures.

C’est la confrontation à ce constat que révèle le vidéo-clip du raper montréalais Alexandro Zapata. No Money No Candy (http://www.youtube.com/watch?v=jPCFPyE-pQU). Vieille locution québécoise qu’on entendait du temps de Duplessis, il est étrange de l’entendre reprise par un jeune montréalais. On a dit beaucoup de mal sur ce vidéo promotionnel. On l’a dit cheap; mal réalisé pour des oreilles faites au rap; sexiste, et un tas de grossièretés qui sortes aussi de la culture de la pauvreté. Certes, rien de comparable à la vidéo de Xavier Dolan. Mais, c’est précisément la différence de milieu qui oppose le vidéo de Zapata à celle de Dolan. La mise en scène, ici, est simple. Des fils à papa sur une plage, en speedo, faisant des sports nautiques. Autrement, les amis de Zapata ramassés autour de lui dans une ancienne taverne devenue le lieu où la bande se tient pour raper. Je l’ai peut-être dit, mais je n’aime pas le rap. Certes, on dira que mon goût bourgeois est incompatible avec une musique soul, une musique qui rythme sur deux temps avec des rimes dont la morale est souvent grosse comme le poing. À ce titre, le vidéo-clip de Zapata n’échappe pas à ces défauts qui font la qualité du genre. Mais comment les amateurs de rap en viennent-ils à ne pas aimer No Money No Candy?

Laissons les spécialistes discuter des qualités et des défauts du vidéo. Le rap a cessé d’être un genre propre à la culture de la pauvreté des quartiers afro-américains des États-Unis. C’est devenu une culture internationale, adaptée dans toutes les langues. Des raper comme Eminem ou Grand Corps Malade sont considérés comme des poètes. Je ne sais pas. Étant allergique au genre, j'y vois la poésie dans ce qu’elle a de plus facile, de plus «classique», et aussi de plus faux : le goût de la rime qui fait le rythme de la strophe. Avouons-le, nous sommes loin de Racine et de Shakespeare. Et aussi loin, si on peut dire, de Prévert. C’est parce que le rap est devenu partie intégrante de la culture de consommation bourgeoise, totalement récupéré, que No Money No Candy heurte une partie du publique. Comment? Parce que les jeunes gens bcbg présentés en speedo et en motos d’eau sont, précisément, des amateurs de rap. Sur la plage, c’est la musique qu’ils écoutent. Dans leurs soirées de graduation, c’est celle sur laquelle ils dansent. Même les Afro-américains qui ont fait fortune avec le rap se sont vite assimilés à la culture bourgeoise, même s’ils boitillaient toujours du pied pour rappeler qu’ils étaient des descendants des anciens esclaves enchaînés, ils ont hissé la valeur du mal (le crime, la prostitution,  le viol, la vendetta, l’extorsion, l’intimidation) au rang des valeurs bourgeoises qui reconnaît SA vérité dans ce langage importé des classes défavorisées. Et les rapers de la taverne ne demandent rien de mieux que de se hisser à ce niveau et profiter eux aussi des étés sur la plage avec des motos d’eau et des poupées de luxe en speedo. Voilà pourquoi, ce n’est pas parce qu’on devient riche qu’on cesse d’être pauvre. Cette loi de l’éternel retour, c’est celle prêchée par Zapata.

Ici, plus de notions de progrès ni de décadence. C’est la règle du jeu : no money, no candy. Jeu des affaires qui se jouait déjà sous Duplessis, Bourassa et Bouchard. Rien de neuf sous le soleil, comme le dit l’Ecclésiaste. Il n’y a pas à s’enthousiasmer, ni à déprimer. Contre l’aphasie qui paralyse, le texte dit que si tu veux avoir des candies, il faut te grouiller. Et se grouiller ici ne veut pas dire «travailler», «s’éduquer», «se tenir en santé», «se soumettre à la loi», mais «mériter». Or le mérite, notion particulièrement désuète dans nos démocraties totalitaires qui vivent sur le népotisme, ne s'acquiert plus aujourd'hui, on ne le sait que trop, par le travail, ni par l'éducation, ni par la soumission à la loi. On ne sait toutefois pas s’il s’agit d’un appel à la révolte ou à la violence gratuite, mais le rêve des rapers ne fait pas de doute : le cash qui manque marque une frontière entre les petits bourgeois en speedo sur les rives du Lac des Deux-Montagnes et les rapers de la taverne de la rue Ontario.

La confusion des deux groupes de jeunes rend mal à l’aise ceux qui aiment le rap mais pensent que les paroles ne s’adressent pas à eux. Peu importe, les deux groupes présentés dans le vidéo-clip disent fondamentalement la même chose. Cette condensation de la culture bourgeoise et de la culture de la pauvreté procède comme toujours, par récupération mutuelle. Pour la culture bourgeoise, il s’agit de récupérer des chansons de la culture de la pauvreté et d'en faire un hit sur les ondes. Pour les pauvres, il s'agit d'assimiler les valeurs fantasmatiques de la classe dirigeante. Voilà pourquoi les principales critiques contre le rap de Zapata sont essentiellement esthétiques. Il y manque de ce glamour que les producteurs de vidéo ajoutent à ceux de Fifty Cents ou autres rapersà la Eminem.  Les gosses de riches refusent de se reconnaître dans une vidéo cheap. Par le fait même, la récupération montre la perte d’authenticité que la culture bourgeoise fait subir à toutes les cultures qui ne sont pas issues de son milieu. Il en a été ainsi avec la culture classique, généralement aristocratique - ainsi de la Joconde violée par McDo pour une pub -, comme il en est de la culture de la pauvreté - le rap bonifié par les multiples montages, les effets spéciaux, le numérique. Cette débauche culturelle cache et révèle en même temps le fonds culturel de la classe bourgeoise : l’imitatio. Son incapacité «de se payer» l’emulatio l’oblige constamment à piller les œuvres des autres classes. Marx avait très bien compris cette stratégie culturelle, et c’est moins dans le monde des arts et des lettres qu’il trouvait la créativité de la nouvelle classe bourgeoise que dans ses produits matériels. Laissant Eschyle et Sophocle aux Grecs et à l’esclavagisme; Shakespeare aux nobles et à la féodalité, la culture bourgeoise lui apparaissait moins inventive que plagiaire. Et cela n’a pas cessé après un siècle d’apogée. La confusion des valeurs éthiques qui dénonce la fausseté du manichéisme religieux ou métaphysique prêché par les Américains est toujours des plus mal venues. Il est possible au cinéma, à la télévision, de produire des films qui dénoncent la rapacité économique, la menace du totalitarisme d’État, les cultures infernales du communisme et du socialisme, mais jamais il est permis de dire que les bons opèrent par la méchanceté, que ce sont eux les vrais porteurs du mal, les Lucifer de cette terre. Toutes les actions négatives conduisent à des résultats positifs, déformant ainsi la pensée d’Augustin qui disait que «du mal peut naître le bien». Il s’agit plutôt que le bien utilise le mal  mais à bon escient. Ce sophisme est pleinement bourgeois, incompatible avec les valeurs chrétiennes ou la morale chevaleresque tant il exprime la morale sadienne du capitalisme. «On est pas des trous de cul» disait un personnage de Marie Letellier dans son étude sur la culture de la pauvreté à Montréal dans les années 1960-1970. Peut-être. Mais avec la quantité de rêves à porter, il y en entre pas mal pour des culs si serrés⌛
Montréal
23 juillet 2013

Bref hommage à Alex Colville (1920-2013)

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Alex Colville. Pistolet de tir et homme, 1980
BREF HOMMAGE À ALEX COLVILLE (1920-2013)

N.D.L.R. Ce texte est rédigé à partir d'une lettre adressée à Pierre Cornudet sur Colville. Les extraits inédits pour ce texte sont entre crochets.

[Fascinant, en effet, que ce Cheval et train de Colville]. Et on peut dire ça de beaucoup de ses œuvres.

J'essaierai de comprendre l'œuvre comme ceci, et d'un point de vue rapide et incomplet. D'abord, Colville est un homme traumatisé par la guerre [la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il a participé comme combattant et comme peintre de guerre]. Ce qu'il essaie de faire, d'abord, c'est traduire la vie quotidienne des soldats dans leur vie militaire, comme le célèbre tableau montrant un [corps] d'infanterie [près de Nimègue en Hollande, 1946]. Mais aussi dans ce qui affecte le soldat en tant qu'homme. [Comme Rimbaud, il peint un soldat étendu sur le champ de bataille, nouveau dormeur du val :
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Passage tragique, 1945
[Cette présence de la mort ne doit pas être considérée comme le thème majeur de Colville, mais plutôt comme une hantise récurrente; la motivation de l'ensemble de son œuvre, même lorsque les scènes de guerre auront déserté ses tableaux.] Ainsi, à l'exemple de [ses contemporains] Delvaux et Balthus, on retrouve des espaces désertés qui, normalement, devraient grouiller de monde. La rencontre des deux fiancés se fait dans une atmosphère irréelle : est-ce un adieu (la mort du soldat) ou un retour désenchanté [(la promesse de la vie à deux rendue impossible par le trauma)] qui l'attend?
Soldier and girl, 1953
C'est, en tous cas, une atmosphère d'étrangeté, [moite] (le halo de chaleur qui enveloppe les luminaires) et où la lumière ne cesse de se confronter à l'obscurité (les fenêtres par rapport au vert sombre du train; la lumière qui jaillit de la porte de la gare; le reflet des luminaires absorbé [et réverbéré] par le quai; il n'y a pas jusqu'aux rails qui contrastent avec les dormants sombres). [Départ ou retour de guerre? Le quai déserté est de la même espèce que celui que nous retrouvons dans un tableau de Delvaux]
Paul Delvaux. La gare.
Cette opposition est-elle manichéenne? La menace de l'esprit des ténèbres contre la luminosité de l'esprit? Celle-ci va sûrement te toucher. [Dans L'enfant et le chien], le jeune enfant nu (probablement le fils de Colville), dont la peau reflète également la luminosité, face au gros chien noir, un molosse aux yeux rouges, laisse surgir un ensemble de questions : le chien est-il l'ami de l'enfant? L'enfant s'avance avec aplomb, il n'est donc pas apeuré par la bête. Les yeux rouges du chien ne rappellent-ils pas ces superstitions qui parla[ient] d'un chien noir aux yeux rouges incarnation du diable? En tous cas, la taille de ses pattes et ses griffes présentées comme [de véritables] serres n'inspirent pas confiance au premier abord. Est-ce alors deux figures indépendantes qui, jumelées, forment contrapposto? Les amitiés remplies de menaces? Le dogue protecteur ou ogre des contes de fées?
L'enfant au chien, 1952
Ou, peut-être? Le mal habite-t-il en chacun d'entre nous. Traumatisé de guerre, Colville a peint une scène au cimetière du camp de Belsen. Un certain goût des images dantesques, mais aussi la poussière des os dissous dans laquelle baignent les cadavres [horriblement] torturés et impitoyablement tués. L'homme peut révéler une bête immonde qui sommeille en lui par temps calme, puis se déchaîne.

Cadavres dans une fosse à Belsen, 1945
Nous ignorons si Mme Colville observe les quais qui s'éloignent ou la mer paisible [sinon «morte»], mais ses deux yeux sont devenus des lentilles dénu[ées] d'esprit [- un peu comme des masques à gaz en temps de guerre]; elles en font un être étranger à toute humanité. [Cette amplification du regard par des lunettes d'approche n'est pas la seule toile de Colville]. De plus, comme dans bien des tableaux de Colville, l'autoportrait est caché, ici par l'épouse envahissante [au premier plan]. La mer est calme, mais le petit voilier est porteur d'un orage latent des plus violents. Voilà sans doute l'un des tableaux les plus connus mondialement de Colville, mais aussi celui qui révèle combien les couples à l'apparence heureuse sont des Vésuves en attente d'éruption. «L'inquiétante étrangeté» se teint fortement de paranoïa.
Vers l'Île-du-Prince-Edouard, 1965
Le mal situé en soi finit par donner naissance à des pensées suicidaires [comme le montre plus haut Le pistolet de tir et l'homme]. Le suicide hante beaucoup de tableaux de Colville. Le mal en nous, c'est la destruction, comme lui ont enseigné les expériences de guerre Dans cette vue sur le Pacifique, l'homme observe-t-il la mer d'où pourraient surgir les ennemis ou l'ennemi n'agit-il pas précisément dans sa tête et dont l'arme, déposée sur la table, serait l'instrument d'accomplissement. Ici encore, la mer est calme, et l'homme, sur le seuil, attend, mais qu'attend-t-il au juste? La suggestion de passer à l'acte?
Pacifique, 1967
[Et il y a cette règle sur la table. Que mesure-t-elle exactement? N'évoquerait-elle pas la fameuse querelle entre Braque et Juan Gris; du premier, «J'aime la règle qui corrige l'émotion» et du second, «C’est l'émotion qui doit corriger la règle»? Nous aurions ainsi une clef de l'œuvre de Colville qui s'efforce toujours de repousser la tentation de l'auto-destruction en revenant à un figuratif associé au réalisme. Mais aussi laisse revenir le refoulé qui parvient à imprégner l'atmosphère de ses tableaux, malgré la volonté de se tenir à distance du geste irréparable qui serait, précisément, de saisir le revolver, de l'appliquer contre sa tempe et tirer.]

Pour Colville, le traumatisme de guerre, c'est la pleine compréhension de la fragilité de [la créature humaine], une fragilité aussi intérieure qu'elle ne se révèle [de manière brutale] qu'à l'extérieur. Des millions de morts en guerre, des génocides innommables; l'homme appartient à une ruche de Lilliputiens qui bourdonne [d']avions, [d]infanteries, [de] navires et [de] sous-marins, sans oublier trains et camions.
Arrêt de camion, 1966
Ainsi, cette œuvre exposée à Cologne, en Allemagne. La Station service, Un colossal camion où, entre la cabine et le «container», Colville nous laisse entrevoir un [pompiste ou un soldat] à l'avant-bras pansé (suite à une blessure de guerre?), et le chien qui renifle - un berger allemand -, chacun [étant] présenté l'un devant l'autre, [séparé par le camion] servant de frontière. Derrière le soldat, on aperçoit des arbres qui semblent avoir souffert plus des bombardements que de la chute naturelle des feuilles. Surtout qu'ils m'apparaissent comme des conifères, des arbres qui ne perdent pas leurs épines en automne! [Certes, on sent toute l'influence que le peintre américain Hooper a pu exercer sur Colville. En particulier sur ses scènes de villes, de routes, et même de prairie. Le retour du refoulé reste pourtant authentique à l'artiste canadien.] La vie est donc toujours menacée, et la vie humaine encore davantage tant elle se soumet à des situations d'auto-destruction majeures.

[Le résultat reste une vie suspendue dans le temps, comme chez Delvaux et encore chez Balthus. Nous pourrions avancer que ces artistes, qui ont créé surtout dans le second après guerre du XXe siècle, ont réalisé le projet des pré-raphaélites anglais du XIXe siècle (plutôt des romantiques et des symbolistes). C'est-à-dire qu'ils ont renoué avec l'aspect statique des tableaux de la première Renaissance. Le monde géométrique d'un Piero della Francesca (±1420-1492) par exemple. La célèbre Flagellationillustre assez bien comment l'univers «classique», «antique», renaît dans un espace italien du XVe siècle.
Piero della Francesca, Flagellation
Or, le goût de l'image statique où se succèdent des plans fixes où les personnages apparaissent libérés de la lourdeur de leur corps se retrouve chez les trois artistes pré-cités. Les formes géométriques absorbent entièrement le mouvement, comme dansLa patineusede Colville. Il en va de même pour
La patineuse, 1964
cet autre tableau, Autobus à Berlin, de 1978. La course ici livrée entre la jeune femme et l'autobus, ou contrairement à Cheval et train, se déroule parallèlement mais ne donne pas tant l'impression de la vitesse que deux mondes parallèles appelés à ne jamais se rejoindre.]
Autobus à Berlin, 1978
C'est [alors] qu'on en arrive à notre cheval fonçant vers le train.

Cheval et train, 1954
[Ce chef-d'œuvre d'art fantastique porte pour titre deux vers du poète sud-africain Roy Campbell (1901-1957) tiré de Dedication to Mary Campbell :
Against a regiment I oppose a brain
And a dark horse against a train

Contre un régiment j'oppose un cerveau
Et un cheval noir contre un train blindé.
On ne peut nier l'influence que l'atmosphère de guerre fait peser à la fois sur la poétique du tableau comme son interprétation. Certains peuvent voir dans ce tableau une sorte de duel où il s'agira de savoir qui du mécanicien de l'engin ou de l'esprit du cheval s'arrêtera à temps pour éviter la confrontation mortelle. Or il est permis de se demander s'il y a un mécanicien à la barre de la locomotive? D'un autre côté, le dark horse, c'est le outsider du conformisme, du consensus qui, dans l'esprit de Campbell comme dans celui de Colville, défie son destin.

[De plus], ce cheval, nous le retrouvons ailleurs. On le voit fuyant la proximité de l'église. Cheval noir/église blanche - l'esprit (du mal?) contenu par la morale cherche-t-il à profiter de l'enclos ouvert pour s'élancer à la conquête du monde? Et si le monde finissait précisément dans cette rencontre avec le train?
Église et cheval, 1964
Le peintre joue-t-il sur le sens cheval/cheval-vapeur? Version moderne de la rencontre du pot de terre et du pot de fer? L'abandon du contrôle moral conduit inexorablement les pulsions, et en particulier les pulsions (auto-)destructrices à rencontrer leur destin. La couleur du cheval étant celle du chien aux yeux rouges, ne portent-ils pas tous deux, dans leur animalité, la nature déchue de l'homme, incapable de se soumettre à la rémission ou au salut? [Le bestiaire - et il est abondant - de Colville, ne prédispose pas à associer aux animaux une connotation diabolique. Chevaux, mais aussi chats, chiens (en abondance), outardes et autres espèces de volatiles peuplent l'univers tranquille de Colville. S'il y a une quantité également impressionnante de nus féminins, Colville semble éviter le portrait, sinon cet auto-portrait du haut où l'ambiguïté réside dans l'action qu'il pourrait s'apprêter à commettre. Il y a donc moins opposition de l'enfant et du chien qu'identification entre l'enfant et l'homme devenu adulte, du dark dog passant ainsi au dark horse. Il en va ainsi de cet autre chien qui s'engage sur la voie ferrée. Il se dirige vers nous. Sommes-nous le train qu'il doit confronter? Si l'angoisse ne réside plus dans le face à face qui s'annonce, il n'en demeure pas moins qu'il vagabonde seul sur les rails, en plein milieu d'un pont jeté sur la rivière et d'où il ne peut s'échapper survenant un train en sens contraire. Ce n'est pas fait pour évacuer notre inquiétude.
Chien et pont, 1976
L'aspect de calme qui se dégage de l'atmosphère marine des tableaux de Colville nous donne l'impression que ce calme est [bien] suspect. Qu'il est irréel. Peut-être est-il déjà la mort qui saisit l[e] vi[f]; la mort qui pétrifie les hommes dans [cet instant où ils s'élancent, comme la patineuse, la coureuse après l'autobus à Berlin, ou l'une ou l'autre de ses cyclistes, et stoppe leur mouvement au moment d'être. Et ce] dans ce qu'ils font de plus commun dans la quotidienneté des jours?

Ainsi, cette autre rencontre [plus paisible] de l'homme cette fois, avec le train?
L'océan limitée, 1962
Il n'y aura pas ici de face à face dramatique, car le tableau, à l'exemple [de ceux] de Jean-Paul Lemieux, le peintre québécois auquel on pourrait être tenté de rapprocher les tableaux de Colville, sont figés [également] dans leur[s] mouvement[s]. Placés à des latitudes différentes [en parallèles, comme la jeune coureuse et l'autobus], le ciel dans lequel [le tableau] baigne est toujours le même ciel maritime, les vallons sont recouverts d'une végétation terne et le train a des couleurs qui échappent au train sombre du tableau des fiancés sur le quai de la gare [ou au train blindé de Cheval et train]. L['homme], lui, avance sans plus d'attentes que de se rendre à son domicile.

Ce tableau a la composition du «pâté chinois» [le China pie des Anglo-saxons] : steak/blé d'inde/patates. Le train au museau rouge, c'est le ketchup qui s'en vient se verser dessus. Interprétation grotesque sans doute, et j'ignore si Colville [appréciait] ce plat si important de la cuisine québécoise.

Doit-on alors penser au «dark horse» (et non au «Black horse», la bière si appréciée des ex-soldats canadiens) de Roy Campbell? Il semble bien. La guerre a fait tant de pauvres diables qui ont perdu, pendant et après, toutes raisons de vivre, d'aimer ou d'espérer, qu'ils se sont à peu près tous suicidés, d'une manière ou d'une autre (expéditive ou lente). Ce personnage anonyme (sans traits du visage) appartient, en effet, à ces dark horses qui se précipitent vers leur destin destructeur. Mon père ayant été engagé volontaire lors de la Seconde Guerre mondiale [il en était réduit à s'engager par le boycott des employeurs] en était revenu brisé, sans vitalité sinon que subir la vie en toute «résilience», mot à la mode (on demande aux citoyens de Lac Mégantic d'être résilients, et on les félicite de leur résilience), avec, pour épancher sa détresse et sa colère refoulées, que l'ivrognerie passagère. Avec sa casquette, il me rappelle l'homme du dernier tableau et le gazon jaunâtre, celui [des pelouses] de Saint-Jean-sur-Richelieu, l'automne. À sa façon, Colville était l'un de ses frères d'armes et il a traduit pour tous ce que chacun retenait en lui⌛
L'arrêt pour les vaches, 1967. Les vaches sont importantes dans le bestiaire de Colville.

Montréal
5 août 2013

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