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Smarthistory ou l'histoire mourante des Montréalais racontée par Denis Coderre

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L'historien attitré de l'Équipe Coderre de Montréal
SMARTHISTORY
OU
L’HISTOIRE MOURANTE DES MONTRÉALAIS
RACONTÉE PAR DENIS CODERRE

Le chef de «l’Équipe Denis Coderre» en course pour la mairie de Montréal et qui, par un pur hasard, s’appelle également Denis Coderre, annonce qu’il va faire de la ville aux institutions pourries de Montréal une smartcity, une «ville intelligente». Parmi ses gadgets, un numéro sur iphone ou texto pour que les automobilistes puissent signaler à une brigade de bouchage de trous, un nid de poule sur la rue Swail, par exemple. Autre gadget, car le futur maire tient à l’éducation historique de ses citoyens, des panneaux dans les abrisbus qui raconteraient l’histoire de Montréal. En tant qu’amateur d’histoire, je ne peux que me réjouir de cette préoccupation de l’aspirant maire, mais connaissant la grande modestie de la personnalité de M. Coderre, j’ai des frissons rien qu’à penser de quelles façons cette chronologie pourrait nous être racontée.

Visualisons donc cette chronologie historique virtuelle.

1535 : Jacques Coderre arrive à la bourgade d’Hochelaga, où il rencontre les Sauvages. Après quelques Whoo Whoo Gnien Gnien qui font naître l’impression que les deux groupes se comprennent parfaitement bien, le capitaine Coderre en profite pour leur refiler ses restants de miroirs et de brûleurs à gaz qui font la joie des Sauvages qui vivent tout nu dans les forêts boréales.

1642 : Paul de Chomedy, sieur de Coderre fonde le poste de Coderropolis en l’honneur de sainte Mathilde Coderre, danseuse du ventre au IIIe siècle de notre ère, convertie au christianisme et condamnée par les païens à se frotter nue sur un poteau ardent. Devant un reflux d’égout en janvier 1643, le dit sieur de Coderre se charge d’un poteau sur ses épaules et le monte au sommet du Mont-Royal pour implorer sa sainte patronne de «nettoyer» la basse-ville. La garde-malade, Jeanne Codermance récite quarante pater et soixante ave pour que le miracle se réalise.

1653 : Mère Marguerite Coderre apprend aux petits Sauvages a écrire le mot «diabète» en les bourrant de sucreries.

1657 : Les Frères du Saint-Supplice fondent un séminaire sous la direction de l’abbé Lapine, ancien mercenaire de l’armée du Roi, dit aussi Capitaine Crochet. Il cherchait l’hétérosexuel qui dormait en chaque Sauvage et ne trouva que l’homosexuel en lui. Débuta une bien triste renommée pour les Codervillaids.

1660 : Dollard Coderre et seize de ses clients meurent sous le tomawak des Sauvages à Dollard-des-Ormeaux.

1663 : Tremblement de terre à Coderropolis. Sous le coup de la frayeur, le Sieur de Coderre s’enfuit directement en France où il jure qu’on ne l’y reprendra pas à venir au pays des Sauvages.

1666 : Lambert Closserre est tué en défendant Coderropolis.

1670 : Nicolas Coderre-Perrot, second gouverneur de Coderropolis est pris la main dans l’enveloppe pour trafic de fourrures. C’est à partir de ce moment que la ville de Montréal prend définitivement son nom afin de ne pas salir le nom des membres fondateurs de la cité.

1689 : Massacre en Chine. Beaucoup de membres de la famille Coderre sont déculottés et scalpés. Une dame Coderre, en voulant s’enfuir, brise la théière de la famille d'où s’échappent des dizaines de louis d’or. Les Sauvages mangent tout crû Herménégilde Coderre, dit Gros Suif. Ils en ont eu pour deux mois à s'en faire des sandwiches qui a nourri toute la tribu.

1701 : Grande Paix de Montréal. Le gouverneur, le Sieur Coderre signe avec une bande de Sauvages une paix des braves. À l’occasion, on remet les os rongés de Herménégilde Coderre, dit Gros Suif.

1722 : Chaussegros Coderre construit les fortifications de Montréal. Certains trous dans la maçonnerie sont déguisés en portes en trompe-l'œil afin de confondre d’éventuels ennemis.

1760 : Le chevalier de Coderlévistrauss remet les clefs de la ville aux Anglais.

1775 : Occupation de Montréal par les Américains. Benjamin Franklin discute avec McCoder d’une possibilité d’alliance contre les Britanniques. Échec total.

1817 : Fondation de la Banque de Montréal avec un capital primitif de £87,500, que les fondateurs espéraient amplifier à $1,000,000 en convertissant les monnaies. Son conseil d’administration était composé de John Grey-Coderre, ancien négociant, président; Robert Coderre-Griffin, caissier; l’hon. John Richardcoder, George Coderrauldjo, Samuel Gérard Coderre, Thomas Thaincoderre, Horatio Coderro, John Molson, Thomas A. Turnderre, William Ermatincoderre, Zabdiel Thaycoderre et David David Coderre, directeurs.

1821 : Fondation de l’Université McCoder, sur le flanc de la Montagne.

1832 : Épidémie de Coderra à Montréal. On rapporte que, dans la seule journée du 20 juin, la terrible épidémie atteignit cent-soixante-cinq personnes, dont quatre-vingt-huit succombèrent. Le lendemain sur 137 coderriques, 77 moururent.

1834 : Élections violentes animées par le Parti Québécois à Montréal, le maire Coderre fait tirer sur la foule. Une dizaine de milliers de morts.

1848 : Incendie du Parlement de Montréal causé par une bande d’Anglais en goguette. Le maire Coderre parvient à les faire rentrer chez eux en faisant quelques stepettes de gigue qui ont bien fait rire les émeutiers. Le maire se félicite que l’affrontement ne se soit pas traduit par mort d’hommes.

1853 : L’apostat Gavazzi soulève une émeute d’Irlandais. Le maire Coderre, après lecture du Riot Act, fait ouvrir le feu sur la foule : 11,452 morts.

1856 : La bouilloire d’un traversier entre Montréal et Longueuil explose. Des centaines de petits Coderres sont projetés dans les airs. Grand deuil parmi la population.

1867 : Mgr Ignace Coderre, deuxième évêque de Montréal, se débarrasse des Séparatistes en les envoyant faire les zouaves à Rome pour secourir le très coulant pape-beurre Pie IX pendant qu’on s'enfile la Confédération en douce.

1910 : 13 juin, l’édifice du Journal The Herald s’effondre sous une tonne de menteries. 50 personnes sont tuées ou blessées.

1910 : Congrès eucharistique sous la présidence du Mgr Bruchési-Coderre. Plusieurs prélats meurent d’ennui à défaut de s’être rendus aux bordels de la rue de Bullion. Un défilé de 11 à 1200 enfants de chœur joyeux remplissent de gaietés illicites les vieux prélats fatigués de tant de discours creux sur la Sainte-Vierge.

1921 : Mgr Bruchési-Coderre devient fou, ce qui nuit nullement à son œuvre apostolique.

1927 : Incendie du Laurier Palace, le 7 janvier, au moment de la présentation d’un film de Coderrot. 77 enfants sont piétinés par une foule prise de panique. À partir de ce moment, la province vote qu’il n’y aura plus de représentations cinématographiques les dimanches.




1940 : Le maire Camilien Coderre est arrêté par une intrigue des conservateurs. On lui fait enfiler une jaquette de détenu à Petawawa avec une cible dans le dos au cas où il essaierait de s’enfuir.

1950 : L’avocat Drapeau Coderre agit comme adjoint de Pacifique (Pax) Plante pour mener une enquête sur la corruption et la moralité à Montréal, ce qui lui donne une visibilité publique. En 1953, il est avocat de la commission d'enquête présidée par le juge François Caron-Charbonneau. Le rapport Caron-Charbonneau, qui fut rendu public quelques semaines avant l'élection municipale de 1954 à Montréal, créait un climat favorable à un changement de l'administration municipale. C’est-à-dire l’élection de Drapeau Coderre maire de Montréal sous la bannière de l’Équipe Drapeau Coderre de la Ligue d’action civique, qui faisait campagne sur la base d’une «épuration» de l’administration municipale.

1966 : Le maire Drapeau Coderre inaugure le métro de Montréal en distribuant au vent une volée d’enveloppes brunes.
 

1967 : Le maire Drapeau Coderre inaugure l’Exposition Universelle en présence de Sa Majesté et sème au vent une autre volée d’enveloppes brunes.

1976 : Le maire Drapeau Coderre inaugure les Jeux Olympiques en présence de Sa Majesté et distribue quelques enveloppes brunes à des contracteurs très contents.

1999 : Le maire Drapeau Coderre meurt en léchant une enveloppe brune.

2001 : Le méchant maire Bourque est renversé par l’aussi méchant maire Gérald C. Tremblay. Une ère de corruption infamante s’ouvre à l’hôtel de ville de Montréal.

2013 : Enfin, vint le divin Denis.

Décidément, les abribus vont devenir de véritables manuels d’histoire commandités par la Ville de Montréal en ppp avec, sans doute, une entreprise de produits agréables et de bon goût qui forceront les Montréalais à voir autrement et fièrement leur passé. Vivement l’élection de novembre 2013!⌛



Montréal
19 juin 2013

Ceci est une publicité payée par le Directeur Général des Zélétrons de Montréal, M. Pierre Cornudet

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CECI EST UNE PUBLICITÉ PAYÉE PAR LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ZÉLÉTRONS DE MONTRÉAL, M. PIERRE CORNUDET

Afin de mettre les citoyens à même d'être mieux informés des enjeux de la prochaine zélétronà la mairie de la ville de Montréal, le Directeur Général des zélétrons nous a aimablement versé un pot-de-vin afin de mettre une page à la disposition des différentes équipes qui chevauchent pour la mairie. Surveillez donc, chaque matin, un «rancart» où une quelconque personnalité, admirablement photographié par M. Alain Francœur, vous vantera les mérites de l'une ou l'autre de ces équipes. Merci de votre discrétion.

Le four à micro-ondes Appleboum # 1 fait «führer» présentement. Il déshabille, insecticide, frotte, arrache les dents en or, les yeux de verre, les râteliers et les faux ongles avant de décongeler la dinde et la cuire en dix minutes. Ainsi, ne soyez plus pris au dépourvu. Comme le dit M. Hitler. «Si j’avais posséder de tels fours, j’aurais eu le temps de préparer ma réception à temps pour accueillir l’armée russe, en 45». Le four à micro-ondes Appleboum # 1. Même votre maire ne pourra s’en passer.

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Prêtez-vous à un petit miracle, ce week-end. Un pique-nique à l'Oratoire avec les ingrédients essentiels : une baguette et un Beaujolais nouveau. Vous vous sentirez transporté au septième ciel. Notre Seigneur lui-même préfère que son corps et son sang soient transformés en baguette et en Beaujolais. «J'ai l'impression d'être digéré mieux et plus vite dans le ventre de mes fidèles». Soyez en communion avec tout le monde. Si l'on vous demande : «Que faites-vous en fin de semaine?» Répondez : «Moi aussi, je communie!»

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La nouvelle machine Babelay vous fera maigrir en moins de temps que vous en prendrez pour avaler votre prochain trio McDo. Légère, vous pouvez la transporter n'importe où. Insérez confortablement votre bedaine et par un mouvement continu de rotation de la courroie autour de la taille, laissez la Babelay vous redonner votre taille de jeunesse. Vous en fonderez à vue d'œil, comme un Grill Cheeze au soleil! Avec le procédé Babelay, Elvis n'aurait pas eu ses problèmes cardiaques, et il serait toujours avec nous pour chanter sur sa Babelay : I'm your teddy bear cute cuddly teddy bear.

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«♩ Quand j'ai des bleus, bébé, quand j'ai des bleus. ♬ Je croque une couple de deux cent vingt deux. ♪ Tout devient bleu, bébé, tout devient bleu. ♬ Je suis la croqueuse de deux cent vingt deux. ♫» - Ne souffrez plus de migraines les lendemains de party anniversaires trop arrosés. Prenez douze cachets de 222 avant de partir, puis encore douze autres quand vous revenez. Vous verrez. L'effet sera foudroyant. Foie de Marilyn : «♩ When I feel blue, baby. When I fell blue. ♬ I take a couple of two twenty-two. ♪ Everythings blue, baby, everythings blue. ♫ To all be once of a two twenty-two ♬».

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Votre discussion a tourné à la confrontation? Et c'est vous qui avez perdu? Ne restez pas sans défense comme un trognon. confiez votre cause à l'Aide Juridique. Vous qui étiez dans la merde jusqu'aux genoux, vous le serez jusqu'au cou. Demandez à ce délinquant à la mine patibulaire qui vient de se défouler sur son avocat de l'Aide Juridique… Sa sentence a été du coup multipliée par deux. Donc, je suis averti : je ne touche pas à mon pote, …mon avocat de l'Aide Juridique.


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Vous habitez proche d'une centrale nucléaire? Vos cheveux tombent? Une lueur phosphorescente verte se dégage de vous lorsque vous éteignez la lumière? Rassurez-vous. Grâce au compteur Geiger portatif Tchernobyl # 4, vous pouvez mesurer, à l'instant, la quantité de radiation atomique que vous contenez. Finies les visites impromptues à votre base militaire. Avec le compteur Geiger portatif Tchernobyl # 4, vous pouvez savoir si votre chien est radio-actif. Testez-le sur des amis, ils ne s'en iront que plus vite.
Vous soupçonnez que votre épouse saupoudre d'arsenic votre soupe aux vermicelles?
N'angoissez plus. Avec le compteur Geiger Tchernobyl # 4, vous aurez la réponse.
Suivez l'avis d'un expert. Albert Einstein. «Le compteur Geiger Tchernobyl # 4 détecte la plus fine partie d'électron libre.
Je l'ai essayé sur mes poils de moustache et le résultat est stupéfiant». Le Tchernobyl # 4.
En vente dans toutes les bonnes suites d'armée.

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Chère Maman. Vous avez trois belles filles à marier? Ne les abandonnées pas à 
une quelconque agence de rencontres. Adressez-vous à Belle-Mère recherche gendre.  
Vous pourrez ainsi vérifier par vous-même les talents de votre futur gendre. 
Soumettez-le à des tâches ménagères pour voir comment il sait se débrouiller. Sachez s’il est fin cordon-bleu. Exigez qu’il fasse 
quelques menues réparations manuelles dans la maison. Scrutez son compte en banque et ses revenues. Enfin, vérifiez afin d’être certaine 
qu’il sera capable de combler les attentes les plus intimes de vos chéries. Bien de jeunes hommes se présentent comme des anges.
Ne vous y fiez pas. Seule une maman expérimentée dans les choses de la vie pourra confirmer. Avec notre agence Belle-Mère recherche gendre, 
la quantité déborde la qualité.         

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Vous demandez-vous pourquoiles mimes ne se rendent pas
compte à quel point ils peuvent êtreinsupportables? Vous
avez pensé en noyer un? En étrangler un autre? Peut-être
jusqu’à mettre le feu à un troisième? Ou, pourquoi pas,
le tirer avec une douze?
Évitez les solutions drastiques. Avec les portes et fenêtres
Marceau, nous avons la solution.
Procurez à votre mime favori la fenêtre réfléchissante
Talairbête. Il pourra ainsi constater de visus,
combien il a l’air fou en faisant semblant de poser
à plat ses paumes dans le vide. Il bâillera d’ennui en se 
regardant faire des faces. Avec la fenêtre réfléchissante Talairbête, c’est un service que vous lui rendez et vous pourrez
ainsi profiter de votre visite au cirque sans vous emporter pour un dix minutes
perdu à voir un mime faire des singeries. La fenêtre réfléchissante Talairbête,
en vente sous tous les chapiteaux du Cirque du Soleil.

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Ough! Toute la journée, je reste assis, les jambes croisées, dans le
Parking en asphalte du Casino de la Réserve. Moi, cuire souschaud soleil de plomb. 
Moi, percevoir tickets à parker ton char. Ough! Moi terminé chiffre longtemps après minuit, Moi peut enfin se lever, 
mais avoir sensations de raideur dans les jambes. Moi prend alors pilulesJacota. Une demi-lune plus tard, moi 
peut danser danse de la pluie. Ough Jacota! Y a pas qu’ordinateurs pour faire gigue. Ough!

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Tant qu'un artiste est vivant, sa peau ne vaut pas cher. Est-
ce une raison pour qu'il ne fasse pas son testament? La Maison, mondialement renommée
pour ses testaments faits en véritables parchemins de peaux humaines, Sade, Sade, Sade & Sons, vous garantit une
exécution testamentaire radicale. Rédigés avec une calligraphie particulièrement soignée pour notre enseigne et composée 
d'un mélange secret d'encre de Chine et de sang, nos testaments sont d'une probité insoutenable. Pourquoi vous 
compliquer la tête avec des formules alambiquées de notaires? La vie est trop courte pour la perdre à faire l'inventaire 
de ce qu'on a pas! Grâce à la Maison Sade, Sade, Sade & Sons, vous pourrez dire que votre testament peut s'insérer 
dans tous les orifices de votre corps lors de votre exposition dans l'une ou l'autre de nos succursales funéraires. 
La Maison Sade, Sade, Sade & Sons. La thanatologie n'aura jamais parue aussi primesautière et de bon goût!

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Ave, Caesar, morituri te salutant,lançaient
les gladiateurs à leur empereur. Grâce à la fine lame au téflon Brutus Inc., les poignards glissent 
désormais plus aisément dans la chair humaine ; des plus tendres aux plus coriaces. 
Ne risquez donc plus de manquer votre assassinat que vous avez pris tant de soins à préparer!
Découpez les membres afin de mieux faire rentrer le tronc dans une valise de voyage. Finis ces efforts 
épuisants d’un Rocco Magnotta pour trancher les tendons et les nerfs. Grâce à la variété de 
poignards Brutus Inc., dépecer un corps humain est devenu un véritable jeu d’enfant ! Avec les
nouvelles lames en téflon Brutus Inc, ne vous étonnez pas si, un jour, vous aussi vous expirez en râlant : 
«Tu quoque mi fili».

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François. - «Je l’ai gagnée, cette partie de billard,
papy».
Ben. - «Habemus papæ».
François. - «J’ai un p’tit creux, papy».
Ben. - «Passons à la cafétéria … Tu sais mon fils, j’ai beaucoup ordonnédans ma vie : 
10,000 prêtres fraudeurs et corrupteurs. Puis j’ai consacré évêque un millier de voleurs 
à main armée, une centaine d’archevêques pédophileset une soixantaine de cardinaux 
assassins ou complices par ignoranced’assassinats. Il était temps que je prenne ma retraite 
aux Résidences Mater Ecclesiæ. À la cafétéria, on y sert mes délicieuses hosties toastéesdes deux bords, mon vin de messe
d’un cépage d’Allemagne et J’y ai des rencontres intimes avec la Sainte Vierge, que le Père Supérieur conduit directement 
dans ma cellule. Enfin, je peux prier pour toutes les âmes des défunts qui m'attendent et dont je ferai bientôt partie.
François. - «C’est vrai, Papy, que tu as eu une vie bien remplie. Père Supérieur,merci de prendre ainsi soin de notre Papy».
Père Supérieur. - «Ça c’est des paroles qui font plaisir à entendre».
Ben. - «In Glória Patri,: et Fílio,: et Spirítui Sancto. Sicut erat in princípio,: et nunc et semper,: et in sæcula sæculórum. 
Amen-moé aux Résidences Mater Ecclesiæ Hi ! Hi ! Hi !
François (riant). - «Papy, vieux snoro !»
 
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                                        ♋
Les Missionnaires de la Charité ont beaucoup

évoluées depuis la disparition de Mère Térésa. Elles peuvent, à loisir, se laisser pousser la barbe et le poil sur les bras,
les jambes et dans la paume des mains. Longtemps le baiser aux lépreux répugnait aux saintes filles de la Madre.
Outre les risques de contagion, elles devaient affronter la mauvaise haleine et les dents pourries des pestiférés.
Maintenant, grâce à leurs mentons velus, les filles de Mère Térésa peuvent chatouiller, frencher et même tirer sur
les gales des lépreux sans craindre les relents de pourriture! Elles se précipitent au-devant des lépreux sans attendre
qu'ils se présentent d'eux-mêmes! Il n'y a pas que les candidates de Québec Solidaire qui peuvent maintenant
bénéficier de l'avantage d'une pilosité ostentatoire. Comme les voies de Dieu, la sainteté emprunte des voies
impénétrables. Féministes déçues, engagez-vous dans les ordres missionnaires de la Charité.

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                                       ♋
Les coûteux investissements de la NASA visent à réa-
liser une prochaine expérience canadienne dans la navette spatiale.
Il s'agira de la première fécondation en état d'apesanteur, et ce, grâce à l'orgasmomètre, invention
des mêmes génies qui nous ont déjà donné le bras canadien. L'orgasmomètre mesure le mouvement
alternatif du pompage pénien, la profondeur du forage vaginal, l'accélération de l'ébullition des testi-
cules, la prise en charge, par la liqueur séminale, des spermatozoïdes d'Astroboy, enfin la propulsion
dans le réceptacle naturel et la vitesse de parcours dans les trompes de Fallope jusqu'à la fécondation
des ovules d'Astrogirl. Cette nouvelle contribution canadienne au programme de la navette spatiale vise
également à filmer la copulation entre un clown de cirque canadien et une brésilienne mamelue, afin 
que plus aucun mystère de la vie ne nous échappe. Avec le programme orgasmomètre : «♩ C'est le dé-
but d'un temps nouveau ♬…»

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                                         ♋
Hellow! En tant que reine du Canada, je tiens à remercier
le gouvernement Harper et tous les Canadiens pour le précieux carrosse
 Kate 101. Grâce ce carrosse, je pourrai promener mon premier arrière-petit-fils en toute sécurité. Avec ses quatre
roues à tires balounnes dessoufflées, nulle crainte de frapper un flat.Le réservoir à couches et à biberons est
spatieux comme une salle de réception au Buckingham Palace. La petite toile qui permet de protéger le royal baby  
du soleil londonien est translucide comme un discours à a Common House. Enfin, je peux le tenir de ma seule 
main gauche et envoyer des bye-bye à mon adorable pipple. Oui, avec le carrosse Kate 101 de Canadian Tire,
je me sens enfin royalement comblée. Merci, Canada.

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                                        ♋

Mona ne faisait que bouger pendant la pose, je ne parvenais 
pas à saisir son beau visage olivâtre. C'est alors que j'ai dû utiliser la boisson Caramilk.
On se demande encore comment la Caramilk met le caramel dans la bouteille, mais une fois le siège du banc
badigeonné, les résultats ont été merveilleux! Pendant vingt ans, elle n'a pas décollé du tabouret et je l'ai amenée
ainsi dans mon fourgon, de Milan à Fontainebleau. Mona! Ne bouge plus! Aaah! Caramilk! comment je n'y ai pas pensé
avant…?

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                                       ♋

Je veux tout savoir de vous.

Je veux vous voir vous filmer sur vos Webcam. Je veux entendre
vos conversation au téléphone. Je veux écouter vos musiques.
Je ne veux pas perdre une seule photo, une seule vidéo que
vous mettrez sur le Web. Je veux savoir ce que vous écrivez,
ce que vous lisez. Je veux savoir qui vous fréquentez, réellement
comme virtuellement. Je peux rendre sons et images flous ou purs
comme du cristal. Je veux pouvoir identifier votre ADN comme
vos empreintes digitales et dentaires.
Et quand je saurai tout de vous …eh bien. Je prendrai des vacances.

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                                        ♋

 Où étaient-ils, ce matin-là du mardi
 11 septembre 2001? Bref, les superhéros ne sont jamais là où on en a de be-
soin. Aussi, notre équipe prévoit-elle qu'elle ne se fiera plus jamais sur les
Marvel Superheroes pour nettoyer la ville de la corruption et du gangstérisme.
Plus aucun méchant ne sera toléré dans notre ville. Notre équipe a déjà fait
appel au seul véritable Superman pour nettoyer notre ville. Superman fournit
aux politiciens un génome de développement durable en les cultivant, avec l'ajout d'O.G.M., dans des cellules
climatisées au centre de formation Monsanto de Bordeaux. Avec notre équipe, nous inaugurons l'ère des
politiciens recyclés.

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Hare Krishna                                          
Hare Krishna
Hare Krishna
Ôte-toé don’ d’là.

Hare Krishna
Hare Krishna
Hare Krishna
J’vais voter là.

Hare Krishna
Hare Krishna
Hare Krishna
Mon env’loppe, là.

Hare Krishna
Hare Krishna
Hare Krishna
Voter j’aime ça.

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                                       ♋

Soyez absolument moderne.
Visitez l'Afrique Occidentale française. Commencez par une visite
en radeau de nos côtes infestées de requins. Ensuite, payez-vous un
authentique tour de dromadaire en plein désert. Les scorpions sont
particulièrement friands cette année. Notre ciel, toujours bleu, vous
promets des insolations garanties dont vous ne vous remettrez pas.
Attrapez la malaria, la fièvre jaune ou n'importe quel échantillon de nos virus maison. Ensuite, dirigez-vous
vers le Maroc, où Pierrot vous emmènera «shaker la casbah» dans une atmosphère qui vous rappellera
Casablanca. Nos petites filles ou les disciples du maréchal Lyautey vous attendent pour une soirée digne des
mille-et-une nuits. Voyagez sur Air-A.O.F., vous reviendrez en avion-ambulance canadien.
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                                       ♋
 
 L'éducation prônée par le Dr. Spock
est parvenue à «opérer» des miracles! Après avoir essayé ses méthodes
sur lui-même, le célèbre pédagogue anarchiste s'est aperçu que certaines
modifications se déroulaient dans son esprit et son corps. Les seins ont
commencé à lui pousser en même temps que ses couilles se desséchaient.
Sans prendre panique, le Docteur Spock a continué à noter les étranges
transformations qui l'affectaient. Mentalement, il a constaté un goût nouveau pour les souliers à talons
hauts et les sacoches en peau de crocodile. Suivez donc la méthode Spock, et vous éviterez ainsi des
frais chirurgicaux à la province pour les opérations transgenres.


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                                      ♋
Certaines publicités ne vous
présentent pas sous votre meilleur jour? Il vous faut alors vous adresser à une compagnie qui sait saisir le
profil de votre personnalité. Avec les panneaux Face blanche sur fond blanc, vous êtes sûr que de votre per-
sonnalité surgira un relief intéressant pour les consommateurs. La mutuelle ressemblance, le sentiment
d'identié, le bonheur d'être enfin compris, feront que votre chiffre d'affaires augmentera en quelques semaines
seulement. Face blanche sur fond blanc est d'ailleurs fière d'être le commanditaire de votre parti favori aux
zélétrons municipales de 2013.
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                                        ♋

 Vos obsessions occasionnent des maux de tête

qui vous transforment en Statue de la Liberté éthylique? Essayez notre nouveau spiritueux blanc
Écume des jours. Fabriqué depuis 1757, c'était le seul spiritueux que Napoléon s'autorisait avant
le combat. À Waterloo, on le sait, il n'a bu que de l'eau... De plus, un abus de notre blanc Écume
des jours, vous fera voir la vie tacheté de toutes sortes de couleurs. Vous rirez en contemplant
un ciel léopard, un pékinois dalmatien ou un bulletin d'information hilarant. Blanc Écume des jours,  
pour des jours sans couleur.
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Avez-vous remarqué, Maman
des transformations bizarres parmi votre entourage récemment?
Vous rappelez-vous de ce beau jeune homme présenté dans une pré-
cédente publicité? Que lui est-il arrivé depuis? Il a été victime de l'eau
de toilette Crane. Plusieurs fois dénoncé par l'Organisme de Protection du Consommateur, l'eau de toilette
Crane est à l'origine d'une pathologie d'inversion faciale fatale. Maman, ne faites donc plus boire papa et bébé dans le même bol sans
vous être bien informée s'il s'agissait de l'eau de toilette Crane. Ceci était un message d'intérêt publique.

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Il y a des dumbbells pour tous les muscles du 
corps, sauf un. J'ai couru tous les gyms de la planète, les saunas, et
les spas, les salons sado-maso et je vous le dis, je n'ai jamais trouvé un instrument aussi efficace que le Three-
For One Pickle Canadian Tire. Grâce au Three-For One Pickle Canadian Tire, ça tire et ça étire; ça tord et ça
retord le seul muscle oublié par les dumbbells. En moins de cinq semaines, mon organe avait atteint une
proportion ajustée à ma superbe musculature. C'était fini le temps où les filles riaient de moi en chantant : 
«Grosse corvette, p'tite quéquette». Le Three-for One Pickle Canadian Tire donne la touche finale à une mascu-
linité pleinement assumée.

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                                       ♋

L'inconvénient, lorsqu'on
est plus grande que son mari, c'est de savoir ajuster les bons machins aux bons orifices. Notre première nuit
a été pour cette raison, assez décevante, j'étais obligée de tenir mon futur par les aisselles, et il dirigeait la 
manœuvre : «Sarko trop haut», «Sarko trop bas», «Sarko trop haut», «Sarko trop bas»; «Sarko trop tard».
C'était vraiment gênant, je vous l'assure! Alors, pour lui redonner confiance en ses possibilités, nous nous sommes
rendus à Eurodisney. À force de côtoyer des gens encore plus petits que lui, ça l'a revigoré, et depuis, notre couple
 ne s'est jamais mieux porté. Eurodisney, pour les problèmes érectiles. 

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                                        ♋

 

Le Bastille Day a permis à la compagnie
Pathé de nous présenter le nouveau look
«Coq Gaulois» appelé à faire fureur
 dans tous les cruising bar de Paris cet été. Après Brigitte Bardot et Catherine
Deneuve qui ont servi à illustrer Marianne, nous avions cette année le choix entre deux types de coiffures Coq
Gaulois masculines. Nos lectrices ont choisi en forte majorité uninominale et proportionnelle dès le premier tour
de scrutin, le look de notre modèle à celui de l'autre concurrent, plutôt mat et terne avec ses paupières rabattues 
en basset et le coco passablement dégarni. Pour la République, messieurs, dites-vous que le Coq Gaulois n'a pas
encore poussé son dernier cocorico!
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                                       ♋

Grâce au colonel Sanders, les Sudistes furentà
un doigt de gagner la guerre de Sécession. Déjà le jeune colonel avait mis au point sa
recette des onze épices et fines herbes qui poussaient sur les champs de bataille après un affrontement féroce et 
inondés de sang des valeureux soldats. Le colonel découvrit alors les propriétés nutritives du sang humain dans la 
préparation des onze épices et fines herbes : du basilic, de la belladone, de la poudre de perlinpinpin et un soupçon d'origan. 
Badigeonner lentement et amoureusement le poulet qui rôti sur la broche avec ce composé dont maintenant le secret vous 
est révélé, et servez. Bon jusqu'à s'en lécher le dernier doigt, d'où la malheureuse défaite finale des Sudistes à Appomatox.
D'où les Nordistes peuvent maintenant crier ensemble : «Oui, mon colonel!»

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                                       ♋



Août s'en vient et le
drame annuel se répète : ces bourgeois engraissés au jus de bœufs
hachés qui viennent s'étaler sur nos plages. Pendant que «papa» fait
des châteaux de sable, maman s'expose à la risée des enfants. Que
pouvons-nous faire dans ce cas-là? Ne cherchez pas à savoir si la
grosse femme sur la plage est enceinte? Non, elle ne l'est pas. C'est
son look naturel. Et son mari? Le dernier descendant d'une espèce
dont le manque de goût était le caractère naturel? Pas du tout. C'est le prototype du mâle du XXIe siècle. Notre
cabinet de psychiatrie d'urgence sera ouvert durant toute la période des vacances d'été et les mois suivant jusqu'en
octobre.
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                                      ♋

Voici la proie. Et voilà le prédateur. Deux
espèces qui défigurent nos merveilleux jardins et les cours arrières de nos pavillons
de banlieues. Comment remédier à cette double invasion inesthétique? En tirant de la
12 sur le nain de jardin ou sur le raton laveur? Les avis sont partagés. Pour la S.P.C.A.,
le nain de jardin, en plus de défigurer la beauté de la flore laurentienne, n'est d'aucune
utilité. Donc, on tire à vue. De l'autre côté, le syndicat F.T.Q. des nains de jardins con-
sidère les ratons laveurs comme des nuisances patronales publiques. Donc, on tire à vue.
Dilemme que notre Équipe entend résoudre dès son zélétron au mois de novembre prochain. Pour qui la 12?

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                                      ♋

Van Gogh voyait des étoiles
voltiger autour de sa tête. Dans la nuit bleutée des ciels d'Arles, de fantastiques
engins volants non-identifiés sortaient de derrière les cyprès. S'il avait passer sa
vie à courir les zélétrons, il n'aurait jamais été Van Gogh et jamais personne n'aurait
défier la splendeur des nuits étoilées.

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                                       ♋
 Le Grand Soir approche.  
Plus aucun réactionnaire ne nous intimidera pour empêcher les Patriotes souverains associés de procla-
mer, haut et fort, que désormais ils ne se laisseront plus dicter leur conduite par des gens qui n'auront
pas associer leur volonté émancipatrice à l'action directe de la démarche nécessaire et incontournable
du peuple à discuter de l'association de souverainetés émancipées. Là sera le résultat des prochaines
zélétrons.
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                                      ♋

«Bravo Garibaldi, / pour tes spaghettis,
tes macaronis, et tes gnocis»

En tant qu'ex-membre du club des Ex, je vous livre le secret de mes recettes italiennes, avec lesquelles je ne
risques pas de rentrer en conflits d'intérêts.

«Avec la sauce Mama
De Lisa Frulla
Servi avec du Coca Cola»

Vous enfants les adoreront au déjeuner, au dîner et au souper et voudront en avoir encore pour leurs collations.
Ils vous remercieront en chantant :

«Étouffes-toé donc avec
tes macaronis et tes linguinis
Mon ostie!»

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                                        ♋

Aah! Ces chicanes constitutionnelles!
            Avec notre équipe, 
l'affaire est réglée. Les habitants de notre belle ville auront à choisir : un vieux patriote exhibitionniste ou un 
gentil castor agitant le bel unifolié rouge pour réconforter les sinistrés de Megantic Lake. Citoyens, laissez parler 
votre cœur, et demandez-vous, devant un tel sinistre, par qui aimeriez-vous être réconforté? Par ce sauvage
tout-nu tatoué et rebelle, ou par un gentil castor avec une grosse queue et plein-plein de chèques de 
dédommagement sous son T-shir?

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                                        ♋

 Ne partez jamais dans l'espace
sans vous équiper d'un instrument de musique. Le plus simple possible à jouer. Les jours/nuits de l'espace
sont longs et toujours les mêmes. La Terre est belle, mais on se tanne vite de la regarder de là-haut comme 
d'ici-bas. À part de pressser sur des pitons, le reste de la journée se passe à vider sa couche pleine jusqu'à rabord. 
On ne peut même pas s'amuser à branler Dick sans que ça finisse par vous gicler dans la figure, 
tout ça à cause de l'absence de gravité. La vie dans l'espace? Moins plate que chez Canadian Tire, 
mais plus tripant qu'une visite au Cirque du Soleil… 

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                                        ♋

Wanted Dear or Alive! N'attendez
plus que Steve McQueen vienne arrêter les bandits en cavale! Y'est mort. Donc, notre équipe a déjà trouvé 
la personne appropriée pour cette tâche de haute justice d'arrêter les Mom Boucher de ce monde; les parrains
mafieux, les rabbins terroristes et les imams alcooliques. Calamity Jane # 5, héritière d'une longue tradition
de banditisme, met son expérience au service de la municipalité. Vous verrez que, braves citoyens, toutes les
fripouilles et les bandits se précipiteront dans les bras de Calamity afin d'éviter ses cruels atours fatals. Et ce, 
pour moins de $250 000 dollars/pièce! Ses atouts sont généreux et son arme pointée a toujours le barillet rempli
de petites balles dangereuses, mais volup-tueuses. Votez pour Calamity avant que la ville finisse par faire
apple BOUM.

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                                       ♋

Imaginez que vous avez passé
votre vie à suivre la voie du Bouddha afin d'atteindre le Nirvana. Et qu'au
centre de ce Nirvana, après vous être dépossédé de tout, à la recherche de la sagesse et du détachement de
ce monde et de ses biens matériels, vous soyez accueilli par un gros bid avec tout plein de cossins kitsch
et des oreilles d'épagneul? Cessez donc de niaiser et retournez vite à la Versailles Mall où tous les biens
de ce monde vous sont offerts à des prix compétitifs. Ne cessez pas de jouir de l'existence parce qu'elle n'a
pas fait de vous des gens riches et célèbres. Plongez dans l'univers de la consommation et, dites-vous : mieux
vaut être déçu dans la jouissance qu'au bout d'un long chemin de privations. 

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                                        ♋

Nom : Barbie. Prénom : Klaus. Après

plus d'un demi-siècle de chasse à l'homme, l'agent-spécial du Mossad,
aux yeux modifiés bleus et à la peignure blonde, a pu capturer le tor-
tionnaire de Lyon. Bien sûr, la décrépitude de son mascara et la décoloration de ses cheveux ont aidé l'intrépide
agent - qui avait déjà forniqué plusieurs fois avec le criminel tant recherché -, à suivre l'étrange comportement de
Barbie. Finalement, après une pina colada contenant du GHB et quelques disques de Michel Louvain, l'ignoble as-
sassin a avoué. Les petites filles peuvent désormais dormir en paix.

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                                        ♋

Nos enfants ne sa- 
vent plus compter. C'est une évidence. Sans les gadgets numériques
ils ne parviendraient pas à résoudre mentalement un problème
aussi simple que celui-ci : Si un couple de frères siamois rencon-
trait chacun les cinq jumelle Dionne - dont on sait qu'elles sont le
fruit des couilles débordantes de Roy Dupuis -, au moins trois foir pour la première, quatre
fois pour la seconde, six fois pour la troisième, cinq fois pour la quatrième et seulement une 
fois pour la dernière par le premier frère et par le second, sept fois pour la première jumelle, six fois pour la seconde, quatre 
fois pour la troisième, sept fois pour la quatrième et 115 fois pour la cinquième, combien obtenons-nous de coïts?
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Eh oui, la Nature ne fait pas tou-
jours bien les choses. Selon vous, qui de Cornédius ou de l'homme éléphant illustre le mieux la fausseté de la théorie
de Darwin? Serait-ce que l'homme est descendu plus vite de Cornédius pour devenir l'homme éléphant? Ou le con-
traire?, que l'homme éléphant aurait évolué au stade de Cornédius? Les Créationnistes ont raison. Darwin, c'est de la
foutaise. Rien que Dieu pouvait avoir l'esprit aussi tordu pour créer deux monstres qui clôtureront le freak show, le
soir de la proclamation des résultats des zélétrons de Novembre.

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                                        ♋


Les tigres en papier ont été vaincus grâce à la
grande révolution culturelle du peuple chinois. Je suis entré au Parti Communiste chinois pour vaincre mon problème. Puis, j'ai cherché la voie durant la Grande Marche, en mangeant un petit bol de riz par jour et en buvant beaucoup de liquide. Ensuite, j'ai commis des poèmes. J'ai écrit encore le Petit Livre Rouge dans l'espoir qu'enfin, la solution dialectique de mon problème serait clairement exposé. Puis est venue, avec deux innocents en Chine rouge et le président Nixon, la réponse. Avec ma Préparation, tous mes problèmes du fondement matérialiste de l'économie impérialiste ont été solutionnés. J'en ai même perdu ma tétine au menton. Révo cul dans la Chine pop! Le prolétariat chinois, au service du capitalisme, vaincra.

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Le clown de l'espace           
Qui se voulait un moderne Klaus Nomi
S'en allait partir en orbite

Quand sa maman lui mit sa carapace
Afin d'éviter les fuites.
Va, mon petit, va dans l'espace intersidéral
Vas-y aussi vite que souffle le mistral,
Et plutôt que de te retenir à deux mains,
Dégages tes fesses et laisse sortir le purin.

Va, mon petit, va parmi les étoiles
Leur faite de tes grimaces labiales 
Afin que toutes les créatures de l'univers
Apprennent à quel point tu es un vilain pervers.
Et au retour, la planète entière
Célébrera le clown de la misère.

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                                        ♋

Bien que la saison soit à moitié passé, il est
toujours temps de bénéficier de nos ventes de nappes à rabais chez Douleurama.
De magnifiques nappes carrelées ou pointées qui recouvriront tables à pique-nique comme tables de maison.
Vous pourrez tousser dedans, morver, cracher, baver, vous décrotter les oreilles et les narines, essuyez les tâches
de graisses sans que les plis ne s'effacent. Ensuite, elle vous servira de charmantes couvre-tête. Même usées, elles peuvent 
être facilement découpées et servir de foulard. Demandez-le aux plateaupithèques de Montréal! La nappe Arafat,
«propre à rien et bonne à tout», disponible seulement chez Douleurama. Achetez-en une et obtenez en une autre 
gratuitement.

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                                        ♋



Le tchador est l'une des inventions les plus remarquables provenant des pays musulmans. Regardez le haut du visage vous détourne parfois de l'envie de regarder plus bas. En ce sens, nous pouvons espérer, pour bien des beautés flétries, que notre politique de la généralisation du port de la burka redonnera vie à l'imagination masculine. C'est très sympathique à rencontrer dans un parc ou dans le métro. Le cinéma n'a pas encore inventé tels «Aliens». Aah! Le métissage culturel. Montréalais, sentez-vous dépaysés dans  votre propre ville! Votez pour notre équipe…

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                                        ♋


«E.T. phone home» - «Désolé. Nous ne
pouvons acheminer votre appel. Veillez
recomposer le numéro ou rester en ligne jusqu'à ce qu'un de nos préposés des communications puisse prendre votre appel». Cela vous est-il arrivé souvent de vous heurter à un mur d'incommunicabilité? Le manque de communication a de quoi transformer n'importe quel humain en poireau teint au bleu de Mitylène. Aidez donc ce pauvre E.T. à regagner sa soucoupe afin qu'il décrisse une bonne fois pour toutes et nous débarrasse le plancher. Notre équipe est celle qui va assurer l'explosion des communications jusqu'aux frontières de l'univers. Finis les appels interurbains interrompus; finis la visite qui ne décolle plus.

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                                        ♋


Une guerre de jouets, voilà à quoi ressemble une campagne électorale. On peut toujours retourner dans le passé et faire le cow-boy. Mais nous avons choisi l'avenir, et un bon coup de poing sur la tronche d'un spécialiste en aéronautique, ça vous arrange le portrait d'un cow-boy! Alors, gare à ceux qui veulent placarder des vieilleries dans les abribus. Je leur promets de les démantibuler comme des morceaux de robots. Faire de sa ville une station spatiale sur terre : promiscuité, big business, police et planification. Ne passez pas à côté de l,avenir, sinon vous savez ce qui vous attend…

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                                        ♋

Les présentes zélétrons vont décider de la fortune à venir desMontréalais. À qui voudriez-vous vous identifier? À ce parfait «Sir» ou à cette pauvresse sous B.S.? Québec a «Sir Paul» qui vient faire swinger les 'tits vieux sur les Plaines d'Abraham… Et vous? Vous voudriez n'avoir que des Cosette pour nettoyer les twoulettes du Cherrier? Voyons, Montréalais, célébrez l'éloge de la richesse! Décidez qui du banquier ou de la salope doit imprimer sa marque sur notre ville. L'avenir vous appartient donc en novembre…


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                                        ♋

Hey, Andy? Hé, Andy!
C'est d'l'héroïne à moi qui viens d'chez toi Andy,
Andy...
Ça fait un moment que je te suis. Andy!
Hé, tu viens chez moi?
Ou alors on va chez toi!
Allez, Andy, quoi,
Oh dis-moi oui!

Chou
Andy
Dis-moi oui
Andy
Chou
Andy
Dis-moi oui
Chéri

Chou

Andy
Dis-moi oui
Andy
Wo wo Chou
Chéri
Dis-moi oui
Andy

Chou

Andy
Dis-moi oui
Andy
Dis-moi, dis-moi oui
Andy
Sois gentil
Cette fois-ci

Ma s’ringue est vide

Andy s'en soucie
Andy anthropoïde
Sans parapluie
Andy se pogne
La peau de banane
Venue de La Havane
C'est bien lui

Chou

Andy
Dis-moi oui
Andy
Chou
Chéri
Dis-moi oui
Oh, oui

Andy se hâte

Andy se méfie
Andy se tâte
Est-ce qu'il a envie?
Andy me jette un œil
et puis sourit
Andy est un garçon poli

Andy se tâte

Andy se méfie
Andy se hâte
Il rentre chez lui
Andy a toujours évité les ennuis
Andy se hâte
Se méfie
Chou!
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Pourquoi est-ce toujours les
mêmes bouffons qui sont
invités aux réceptions mondaines pour le financement des partis politiques? Parce qu'ils font rire les candidats? Parce qu'ils jettent un brin d'humour dans de longues discussions sérieuses et décisives? Parce qu'ils font sentir la relativité des valeurs, comme au temps des fous du roi? Absolument pas. Ce sont les mêmes bouffons qui sont invités parce que ce sont eux qui financent les campagnes zélétronales et qu'ils dressent la listes des besoins de leurs corporations et rédigent les discours les plus en faveur auprès du publique. Donc, laissons les clowns plates dans les parcs publiques et rassemblons-nous pour le dernier souper-spaghetti de la campagne zélétronale. Bouffons, vos papiers!

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                                        ♋

Non. Mais il faudrait tout de 
même se décider!!! 

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                                        ♋

Mesdames. Vous venez de réaliser que votre bébé était vraiment malchié? Et vous vous demandez maintenant comment vous en débarrasser? Ici Huguette Proulx. Évidemment, il est trop tard pour penser à l'avortement. L'infanticide est un crime puni sévèrement dans notre code criminel. Mais, ne désespérez pas. Il y a une solution à votre problème. D'abord, payez-vous un voyage d'agrément en Israël. Une fois rendue à Jérusalem, épinglez un petit drapeau palestinien au revers du costume de bébé. Puis, sans attirer l'attention, rendez-vous en poussette à la première grande surface que vous rencontrerez. Là, placez bébé dans son carrosse. Vous pouvez même le garnir en distribuant autour de lui des saucisses hallal sorties de leur emballage, et sous la doudou, placez un réveil-matin qui fait un tic tac tic tac bien sonore, puis éloignez-vous lentement. Lorsqu'au bout d'un certain moment, les tic tac tic tac ne seront plus que des tac tac tac… rendez-vous à l'aéroport prendre le premier vol de retour et soyez assurer, mesdames, que votre petite merde a bien été neutralisée par l'armée israélienne. Vous voyez, mesdames, avec Huguette, l'affaire roule sur des roulettes.

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                                        ♋
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C'est encore moi, Huguette Proulx. Regardez mesdames ces joyeux enfants en train de fabriquer un bonhomme de neige. Ne sont-ils pas mignons? Et à gauche, voici ce qui les menace. Un vieux pervers tout nu sous son Kanuk. Il commence par offrir un bonbon aux enfants, puis à faire des farces d'un goût douteux telles : «T'es pas game de tirer ma carotte», ou «As-tu des moustaches au-dessus des lèvres?» Ou encore, «T'es-tu déjà fait rentrer le balais?» Et nous ne parlerons pas, mesdames, des grivoiseries tournant autour de la pipe et du petit chapeau ou pas. Je comprends à quel point pour une mère, ce peut être angoissant de laisser jouer ses enfants seuls dans un parc de la ville de Montréal. Aussi, le seul conseil sécuritaire que je peux vous donner mesdames : confiez-les à la surveillance d'un ancien clerc de Saint-Viateur ou à un frère des Écoles chrétiennes. Vos enfants seront ainsi en sécurité et vous pourrez vaquer à vos occupations domestiques l'âme en paix.

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                                        ♋
Assez de moumouneries. Le temps est venu de rappeler les vrais hommes au contrôle de la ville de Montréal. Messieurs, ici Maître Alban Flamand qui vous parle du fond de l'enfer où il est en train de faire griller des petites saucisses cocktail. À quoi voulez-vous que vos fils ressemblent demain? À qui voulez-vous qu'ils s'identifient? À ce vaillant joueur de football hétéro, à gauche ou bien à une moumoune qui pose en décolleté devant un panneau de Radio-Canada? L'enjeu de la prochaine zélétron est précisément si Montréal va continuer à être gouverné par des hommes au caractère viril ou des feluettes qui vont fermer les rues pour y étendre des filets de boules chinoises roses au-dessus des rues? Messieurs, il est temps de vous réapproprier le pouvoir avant que vous ne soyez la risée d'Éric Duhaime. C'est en novembre que ça se décide… Bonne soirée. 

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On creuse un trou
Jme pogne la poche
Autour du trou.
Moé jtravaille
Pour Monréal.

On rentr dans ltrou
Jme pogne le cul
J'ai l'temps à tuer
Moé jtravaille
Pour Monréal

On sort du trou
Vite cest lbreak
Deux heur' de lunch.
Moé jtravaille
Pour Monréal

Trois heures après
On rvient au trou
On sgratte la poche
Moé j'aime ça travailler
Pour Monréal.

Mon contracteur
Pendant ctemps-là
Prend rendez-vous pour
Son pourcentage
Au mair dMonréal

Citoyens écœurés
Dnous voir niaiser

Autour dun trou
T'es pas rendu au bou'
De Monréal

Prends donc patience
Pis farm' ta gueule
Car tas pas fini
Dnous voir creuser
Dans tout Monréal.

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 Panne sèche d'inspiration.
 Ne reste plus qu'à repartir la cassette.









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Votre nouveau/vieux conseiller, ventouse de lamproie budgétaire, M. Alban DeSuça, souffre d'hémorroïdes. Heureusement, grâce au coussin Turbulent, M. DeSuça pourra s'asseoir le cul en toute sécurité sur les banquettes de l'Hôtel de Ville sans souffrir le martyre. Cette recrue de l'honnête administration précédente va mettre à notre disposition ses talents, sa ventouserie, sa haute désintégrité, au service des intérêts de notre équipe. Achetez le coussin Turbulent et faites-vous le plaisir de ressentir ce que l'anus de M. DeSuça ressent quotidiennement lorsqu'il se place au service des citoyens de Montréal. - Achetez notre coussin Turbulent pour seulement $ 90. américains et recevez en suce une réplique plastifiée des lèvres de M. DeSuça. Et si vous appelez maintenant, vous en obtiendrez deux pour le double du prix d'un. Dépêchez-vous car notre stock est limité.

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Pourquoi Obélix entend-t-il se présenter aux zélétrons de Montréal? Parce qu'il est tombé dans la potion magique lorsqu'il était tout petit? Parce qu'en se faisant pousser la barbe il apparaît moins sans dessein? Non. Parce qu'il est tanné de voir Astérix et Idéfix le traiter de gros balourd. Il pisse dans les avions, pet sur les plateaux de tournage et a le brandy nose prêt à lui exploser en pleine tronche. Êtes-vous prêt à voter pour un individu aussi peu reluisant et l'envoyer siéger dans les conventions internationales des maires des grandes métropoles? Il ne vous reste plus que deux mois et demi pour y penser. 
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«Bah… Bebah… Bebah… Belle bête à grosse poche que le kan… le kankan… le quand gourou? En… enen… en… tant que roi d'Aus… roi d'Aus… roi d'Austrasie, je tiens… je tiens tiens… à remer… à remercier mon fidèle peu… peupeu… peuple d'Austrasie pour son dé… son dédé… son dévouement à la dé… à la dédé… à la défense de l'Empire. Il n'y a… il n'y a plus qu'à… caca… qualifier les zé… les zé… les zézé… les zélétrons de Mon… de Monmon… de Mount Royal, pour… pour… pour… gratifier le joyau yoyo… de ma cou… de ma coucou… de ma couronne.

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                                       ♋

Les jeunes adolescents beaux, blonds au teint de pèche se sont laisser aller au cours des décennies suivantes. À tel point qu'on trouverait difficilement la porte pour les faire entrer dans leur ancienne fourgonnette Volkswagen! Ainsi va la vie, l'âge est impitoyable pour ceux qui furent si beaux et séduisants durant leur jeunesse.
Las! Las ses beautez laissé cheoir!
Ô vrayment marastre Nature,
Que leurs as-tu fait pour veoir
Sur leur peau se dessiner tant de vergetures? 

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Le Premier Consul, Napoléon Bonaparte, a un avis tout personnel à donner aux candidats pour les zélétrons municipales. La meilleure Constitution restera toujours celle où je suis élu dictateur. «C'est ainsi, nous dit l'honorable Consul, j'ai fait voter ma femme sous plusieurs déguisements dans le même pole. Cette stratégie m'a fait avancer dans l'estime de ces dames». Le principe du Premier Consul est simple. «La femme doit voter pour son mari, c'est-à-dire comme son mari, pour ne pas annuler son vote. Le vote féminin augmente ainsi la proportion des vainqueurs. Il est donc indispensable pour un candidat d'avoir une épouse ou/et des maîtresses dévouées». La participation des femmes aux zélétrons municipales, nous assure le Premier Consul, démontrera l'importance du vote féminin et son apport au triomphe de la démocratie. 

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Une campagne zélétorale est toujours l'occasion, pour une vraie Bisoune des Prairies de boire comme un trou. Accompagnez vos beuveries partisanes en écoutant les 22 chansons à boire de Nono Deslauriers. Paroles non censurées. Écoutez-le chanter «Les dessous de Pauline Marois»; «La visite du docteur Couillard au bordel»; «Pourquoi Gérald Tremblay dort toujours sur le ventre». Vous vomirez de rire votre pichet en chantant avec Nono, «La Michouna» de Jean Charest et le «Je suis le lèche-cul de Stephen». Enfin, un «God save the Queen» hilarant qui vous méritera un cinquième pichet de frelaté d'une autre de nos brasseries maisons. Vive les municipales! Et encore deux mois pour se souler!

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                                     ♋

Le Service des Potes du Canada tient à rappeler à sa fidèle clientèle que la période des zélétrons coïncide avec le dernier délai de votre paiement des taxes municipales. Aussi, lorsque notre sympathique facteur vous apportera l'ultime avis, ne le recevez pas à coups de 12 ou de pots de chambre. On ne tire pas sur le messager. Allez voter et inscrivez votre «X» dans la case où vous serez certain que là au moins vos taxes iront bien dans la poche des maffieux qui parasitent les travaux publiques. C'est ainsi que vous ne serez pas déçu de votre choix et que notre si charmant facteur pourra rentrer chez lui, prêt le lendemain à distribuer vos factures et vos multiples comptes de crédit.

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                                    ♋
 
 L'Agence de détectives privés Bon Œil et Grande Gueule est l'agence la plus compétence depuis celle de Fouinard et Babillard. La participation de nos enquêteurs lors des détournements de fonds des Commandites a permis de pincer le gros Cuïté. Puis notre association avec la G.R.C., la S.Q. et les Smurfs de Montréal a permis de mettre la main au collet de Monsieur 3%. Nos enquêteurs sont faciles à reconnaître. L'œil toujours grand ouvert et la bouche de grenouille qui ne cesse de déblatérer avec une langue bien pendue sont infaillibles dans les affaires d'adultère, de détournements de fonds et pour le baby sitting. Rassurez-vous, l'Agence Bon Œil et Grande Gueule ne lâche pas vos équipes zélétronals d'un pouce durant la présente campagne.

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Un peu de soul zélétronal.

 
Jaime prendre le temps quil me faut pour jouir.
Regarder autour tout en cherchant à séduir'.
Jaime la politique et les jingles magiques.
Jaime les kodaks et la paye éternelle. (Aimes-tu le fric?)
Jaime la mairie quand jy viens pour my asseoir.
Jaime la nuit dans les ruelles merdoires (Aimes-tu le fric?)
Dis-moi quest-ce que tu vends, quest-ce que je recèles?
Quest-ce quil te faut pour monter, monter, monter plus haut?

Aimes-tu le fric comme moi?
Vois-tu le fric comme ça?
Aimes-tu le fric comme moi?
Vois-tu le fric comme ça?
Oh, dis-le moi. Oh, dis-le moi (Aimes-tu le fric? Aimes-tu le fric?)

Jaime les campagnes, le seul temps pour mexhiber.
Jaime les soupers, avec du spaghetti pis dla sauce.
Jaime la politique et les jingles magiques.
Jaime bien la mairie quand jviens pour my prélasser (Aimes-tu le fric?)
Dis-moi quest-ce que tu vends, quest-ce que je recèles?
Quest-ce quil te faut pour monter, monter, monter plus haut?

Aimes-tu le fric comme moi?
Vois-tu le fric comme ça?
Aimes-tu le fric comme moi?
Vois-tu le fric comme ça?
Oh, dis-le moi. Oh, dis-le moi.

Aimes-tu le fric comme moi?
Vois-tu le fric comme ça?
Aimes-tu le fric comme moi?
Vois-tu le fric comme ça?

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«Avant, je me trouvais laid, gros pis dégueulasse. Aussi, je me suis fait faire une chirurgie plastique à la clinique du célèbre docteur Vistouri. Les résultats sont étonnants. Vérifiez par vous-même. Lorsque je me suis vu dans le miroir, je n'en croyais pas mes yeux! Le docteur Vistouri pratique le grand art de la chirurgie esthétique depuis 50 ans et il n'a pas perdu la main. Seul lui peut vraiment améliorer votre faciès si vous entendez vous présenter dans une quelconque équipe pour les zélétrons de Montréal ou si, une fois élu, vous devez vous faire refaire le visage pour échapper à la G.R.C., au F.B.I. et à Interpol. Vive les coups de mains du docteur Vistouri».


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Un conte zélétoral : «Il était une fois un beau et jeune prince qui allait hériter du royaume de son père une fois que la vieille peau serait trépassée. Afin de lui trouver une épouse, le dit père, le roi, organisa un bal masqué. Dans une chaumière au fond de la forêt vivait la Mère Harel et ses trois filles. Les deux premières avaient les dents gâtées tandis que la dernière, qui servait de souillon, puait des pieds. La mère amena ses deux premières filles au bal. Puis vint la bonne marraine, les plaintes de Cendrillon, le rat, la citrouille, la danse avec le beau jeune prince sémillant, le coup de minuit et la pantoufle de vair laissée pendant la fuite. Donc, pour faire d'une histoire longue une histoire courte. Lorsque le beau etc. etc. arriva à la maison et essaya la pantoufle de vair aux deux premières filles, il dut constater qu'elle ne leur faisait pas. Alors apparue Cendrillon avec la serpillère, le sceau d'eau sale et un torchon. En désespoir de cause, le prince la fit asseoir, et lui essaya la pantoufle qui lui allait à ravir. Alors, il reconnut la princesse du bal, et vida une bouteille de champagne dans la pantoufle. Après qu'il en eût bu, il se transforma en vilain loup-garou et dévora le petit chaperon rouge tout rond. Fin de l'histoire». 

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Fifi Cornudet est une vilaine petite rouquine qui tend à se laisser aller côté rasage. Mais les enfants l'adorent car elle est espiègle, sagace et coûte pas cher aux producteurs télé. Un jour, elle est engagée par le Cap'tain Crunch pour vendre ses céréales qui font de tout enfant un diabétique potentiel. Elle doit, pour intéresser les enfants, raconter qu'elle a été enlevée par le Pirate des Caraïbes, violée par les langoustes des lagunes, abandonnée sur une île déserte lorsqu'elle fut miraculeusement sauvée des eaux de marée par le Cap'tain Crunch qui passait par là avec son navire de croisière où les vieilles peaux dansaient un tango langoureux. Le Cap'tain s'assura de la santé de Fifi, puis, à son tour, la viola et retourna dans son bateau et repartit avec la croisière de vieux lascars. Morale de cette histoire. L'électeur est au candidat ce que Fifi est au Cap'tain Crunch.

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Mom a perdu son droit de vote. Qu'a cela ne tienne. Ses «chums» sont là pour surveiller le bon déroulement des zélétrons. Ils suivent chacune des équipes et s'assurent que son message soit bien entendu des candidats. Chacun d'eux a déjà reçu son sac de couchage pour l'avertir de ce qui l'attendait s'il n'accomplissait pas ce pour quoi il sera élu. Avec Mom, les zélétrons se font dans l'encadrement le plus strict et l'honnêteté la plus douteuse. Aussi, si la journée des zélétrons, vous considérez qu'il fait trop beau, ou trop chaud, ou qu'il pleut, ou qu'il neige. Vous êtes instamment priés de demeurer dans le confort douillet de votre foyer. Foi de Mom, c'est lorsqu'on met son «X» de travers que notre dernière nuit risque de se passer au chaud d'un bon sac de couchage.


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Ici le grand Fanpharaon Jean Drapeau qui vous parle depuis son sarcophage. Tenant les symboles de mon pouvoir divin et éternel sur la ville de Mon Réal, je tiens à vous faire prendre conscience que, peu importe qui vous zélirez, sachez que mon esprit vivant s'emparera de sa carcasse vide pour continuer à édifier le sort de Ma ville, de Mes citoyens et de Mes projets dont voici quelques-uns. La construction deux fois le volume de celle de Gizeh où on y amènera ma dépouille terrestre. Une construction d'une muraille de Lachine afin de bien séparer ce qui ne doit pas être mélangé. Un colosse à Mon effigie dans le port de Ma ville de Mon Réal. Une structure métallique deux fois la hauteur de la Tour Eiffel juchée au sommet de Mon Mont-Royal. La construction d'un train grande vitesse entre Mirabel et Rio de Janeiro. L'annexion de Ville de Laval comme arrière-cour de Ma ville de Mon Réal. Enfin, un plancher au-dessus de l'autoroute Ville-Marie. Pensons grand. Pensons Mon Réal.


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Chaque équipe ou parti politique a son «fou du roi». Les types peuvent varier. Certains, comme Stéphane Dion, ont l'air intellectuel, mais ils déraisonnent à chaque fois qu'ils ouvrent la bouche. D'autres ont l'air de véritable arriérés mentaux, comme Christian Paradis et, …ils le sont, en effet. Un autre type est celui belle gueule, d'où il ne sort que le vent sec du désert, comme Mini-Pet. Enfin, il y en a qui ne cachent pas leur imbécilité manifeste, comme Maxime Bernier. Ce qu'ils partagent en commun? L'art de faire le pitre et d'apitoyer le population sur elle-même. Notre équipe jure, le livre sur la tête, qu'il n'y a personne de ce genre parmi elle. Votez donc en toute sécurité pour nous.

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Il y a des chanteurs qui passent leur vie décadente à faire de la musique sur le «H», la «coke», la «mess» ou l'«héroïne» et pensent se protéger en mettant des condoms au bout de leur seringue. Ils bourrent leurs pitounes de pilules anticonceptionnelles, du lendemain, payent les avortements quand ils ne le pratiquent pas d'eux-mêmes, sur l'alcool. Puis, vient un âge où ils se croient obligés de procréer pour assurer la survie de leur espèce. Eh vlan! Un polichinelle dans le tiroir de leur blonde d'âge mental de 0-3 ans. Voilà pourquoi tout ce qui commence avec trois accords devrait finir par une vasectomie prophylactique. 


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Notreéquipe entend limiter l'appétit vorace des pompistes de l'île de Mon'réal. Cela, non tant en investissant dans le transport en commun, jugé trop commun par les citoyens, mais en ramenant de vieux modèles automobiles à succès. Ainsi cette Ford-T 1912, dont le baril d'essence était plus petit. Alors, le pompiste Malek n'aura plus qu'à se rentrer la pompe à la bonne place, puisque vous ferez plus de distance avec un baril plus petit. Grâce à la remise sur route de la Ford-T, tous les B.S. pourront désormais disposer d'une voiture peu chère et ne pourront se défiler auprès de leurs agents de surveillance. Pour notre jeunesse désaxée, ce sera le retour du road-trip, enfin, avec notre équipe, vous ferez du chemin …avec Texaco! 

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Tout le monde serait désireux de savoir à qui ressemble ce banquier qui envoie des poupounes ou des petits gars en bobettes serrées livrer des valises remplies d'argent à la belle Julie. Eh bien! Le voici. Sa toque tatouée de signes de piastre, le veston trop large afin de le remplir d'enveloppes de toutes sortes de couleur, le salut de la main royale qui autorise Julie à ouvrir le coffre-fort, tel est le banquier de TVA. Bien sûr, il n'est pas aussi beau que P.K.P., mais il est moins gras lorsqu'on lui lèche le bout des doigts. Aussi, notre équipe est-elle fière de s'associer aux producteurs du «Banquier» pour les prochaines zélétrons de novembre.
 
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Madame Cornudette, la  sexologue de notre équipe zélétronale répond à la question posée voilà quelques jours sur ces vieux chanteurs qui se sentent obligés d'engrosser des petites nubiles. «Il s'agit, bien entendu, d'un manque de discernement concernant un organe qui ramollit parallèlement avec la perte de substance du cerveau. Tout le monde sait, n'est-ce pas, que le cul, c'est dans la tête. De plus, lorsque la matière grise laisse s'échapper un peu de matière blanche non-recyclée, c'est parce que la surexposition au vinyle durant toutes ces années d'une jeunesse perdue dans la drogue et le sexe rend l'organisme moins résistant aux rayons du disque laser. Comme les matières adipeuses s'effondrent, il est normal qu'un peu de matière blanche passant par les trompes d'Eustache durant un inoffensif broutte-minou s'insinue par les voies qui conduisent aux trompes de Fall-out et insèrent un petit polichinelle dans le tiroir de la jeune nubile. …Vieux cochons!»


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J'ai voulu me présenter à la mairie de Mont'éal. On m'a d'abord répondu que j'avais pas le montant suffisant pour faire le dépôt de candidature. Puis on m'a demandé une liste de 50 noms de gens prêts à voter pour moi. Ça, j'ai pas eu de misère à ramasser ça devant l'autobus à hot doys de Pops. Je suis arrivé avec une liste de 5 000 noms. Le directeur des zélétrons, M. Cornudet, a dit qu'il y avait là des noms douteux. Krusty, le docteur Hibbert et Denis Coderre. J'lui ai répondu que c'est de même qu'ils se faisaient appeler. Ensuite, il m'a demandé un 3% à lui remettre personnellement sur mon dépôt. Mais comme je n'avais pas de dépôt, 3% de rien, c'est rien… J'ai pété les plombs et je lui ai mis mon poing sur le nez. Maintenant la ville me poursuit pour corruption, tentative de corruption, fraude zélétorale et voie de fait sur un officier municipal. Y m'ont placé dans la rue, devant l'Hôtel de Ville, avec rien que du pop corn pour manger. Ils z'ont dit que c'était pour montrer comment Mont'éal traiterait désormais ses bandits à cravates. Heh misère à poil!


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Depuis qu'il a annoncé sa retraite du plongeon, on ne peut que déplorer que le jeune Alexandre Despatie se laisse aller. Trop de combo Big Mac, de poutine, de frites graisseuses ont rapidement laissé des traces sur son beau body d'Apollon. «Je me suis retenu tout le temps où j'étais en compétition alors que McDo était mon commanditaire», d'avouer le jeune médaillé olympique. «Chaque fois qu'on me livrait un nouveau slip de bain, je ne pouvais m'empêcher de sentir l'arôme invitant de la graisse de chausson aux pommes… C'était une épreuve pire que la compétition. Maintenant, je peux relaxer, les pupitres de Ici Radio Can sont assez élevés pour cacher ma bedaine en formation. Un podium, c'est bien; une retraite dorée, c'est mieux».

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L'auteur américain Stephen King entend poursuivre notre équipe et notre candidat, M. Pierre de Funès, pour vil plagiat de son clown Pennywise tiré du film adapté de son livre interminable, It, Ça. L'acteur qui jouait le rôle de Pennywise, Tim Curry, déclare qu'il reste étonné qu'on ait pu trouver un individu encore plus laid que lui pour personnifier ce clown psychopathe. Notre équipe se défend bien d'avoir voulu pasticher M. Curry et que, contrairement à lui, notre candidat est présenté «au naturel», sans costume ni maquillage. L'intégrité et l'honnêteté étant la marque de notre campagne zélétronale, nous avons demandé à M. Pierre de Funès de se déguiser afin d'éviter autant que faire se peut toute ressemblance avec M. Pennywise. Mme Harel lui a ainsi servi de conseillère en goût vestimentaire pour le reste de la campagne.

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Le temps d'Al Capone est bien passé! Notre équipe entend assurer que plus aucun mafieux, plus aucun gang ne viennent troubler la paix, l'honnêteté et la respectabilité de notre ville. Une fois élu, c'est nous qui allons empocher tous les crédits de taxe foncière des bordels, tripots, jeux clandestins, couples échangistes et garderies. Désormais, l'ordre et l'insalubrité seront notre affaire - ce qui fera changement dans l'administration municipale. Une ville propre et les mains sales. Ça prend pas Jean-Paul Sartre pour comprendre ça!
 
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Contrairement aux États-Unis, l'homosexualité dans la marine française n'a jamais posé problème. Tout le monde sait que la vie de matelot est remplie d'ennui et d'efforts à combattre le mal de mer. Heureusement, il y a certaines compensations… À ce titre, Montréal se présente comme un port d'attache particulièrement affriolant. Les matelots de l'Amiral de Grasse peuvent ainsi relaxer et se distraire avec bonnes compagnies dans des endroits aussi fort accueillants que saunas, salon S&M, clubs de danseurs tout nus, visites guidées de Radio-Canada, rencontre avec Danny Turcotte, etc. Si la vie vous intéresse : enrôlez-vous dans la marine montréalaise.

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«Il m'arrive de souffrir de terribles maux de tête. Surtout les lendemains de Ramadan. Là, je ne suis pas très beau à voir. Je m'empiffre comme un vrai terroriste se préparant à rencontrer 27 vierges à déflorer. Je déambule sur les trottoirs et je vomis partout. Je pogne quelques horions lancés par des Israéliens - qu'Allah maudisse ces chiens! -, et je finis à la Maison du Père, sur le boulevard René-Lévesque. Ça prend des semaines pour m'en remettre, mais ma haine des Occidentaux suffit à rallumer en moi la vigueur de mes forces combattantes. Vous verrez, malgré la charte de la laïcité - qu'Allah la maudisse cette chienne -, aux zélétrons de novembre, qu'Oussama n'a pas encore dit son dernier mot…» 
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Regardez ce charmant petit lapin de Pâques, et voyez comment la carotte bio est en train de le zyeuter. Montréal, après les zélétrons, sera une ville où il fera bon manger des grosses carottes bio pour mieux apprécier la chair tendre et fraîche de nos lapins de Pâques. Évitez la cruauté envers les légumes. N'entendez-vous pas le cri terrifiant de la carotte dans le blender, en train de se faire râper, déchiqueter et liquéfier? Alors que pour le lapin, il suffit d'un bon coup asséné sur le museau pour que vous puissiez faire tout ce que vous voulez avec - en commençant par bien le nettoyer, les crottes restent souvent prises dans le bol fécal -, et le servir arrosé de son propre jus. En plus, une patte vous servira de porte-bonheur et la fourrure de doudou pour les enfants. L'agriculture urbaine à Montréal, mon équipe s'en charge! 

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«Vous avez sans doute souvent entendu dire cette vérité qui veut que le seul bon Indien est l'Indien mort. C'est ma devise. Si en plus, il est à cheval, le bénéfice est d'autant plus grand à bien l'ajuster. Vous le tirez à la jonction des deux plumes et… même pas une goutte de sang sur ses vêtements que vous allez porter ensuite au surplus de l'armée. Certains diront que ma façon de résoudre la question amérindienne était purement …sauvage. Mais transposez-là sur les B.S. et vous serez les premiers à y recourir. C'est ainsi que notre équipe entend résoudre la question de la pauvreté urbaine à Montréal : en résolvant le problème de la pauvreté en l'éliminant par chaque pauvre. Mes pieds étaient peut-être trop petits, mais mon canon tirait des longues shots». 

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Qu'aurait donné le Che pour savoir qu'après sa mort, sa tête aurait reposé entre deux belles grosses compagnies? Être révolutionnaire en Amérique latine a ses avantages. «Le héros de ses dames» n'est plus une phraséologie publicitaire vide de sens, mais un produit en vente dans tous les bons Croteau - dit l'Aubainerie pour les snobs - du Québec. Voilà pourquoi notre équipe s'écrie : «Ôlé, la Révolutionne!»

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Notre programme énergétique se veut absolument moderne, et qu'y a-t-il de plus moderne que l'énergie nucléaire? Seul le nucléaire peut électrocu… électrifier toute l'île en toute sécurité et avec une efficacité qui évitera toutes les pannes de métro. Notre candidat, Cornudèchoc fait sortir du placard tous les gays récalcitrants rien qu'avec son taser gun nucléaire. Les capitalistes lui mangent dans la main, assis dans leurs tous nouveaux fauteuils électrifiés. En branchant les crucifix et autres signes religieux ostentatoires, les fidèles crient «ô miracle!». L'Âge d'Or a même pris un ticket zélétronal pour notre équipe. Trouvez-lui deux Tic-Tac et un Branlant et il les zélétrocutera pour la bonne cause. Si le courant ne passe pas avec vous? Ne vous inquiétez pas, il vous trouvez la force énergétique pour vous zélectriser pour le bon candidat. Avec Cornudèchoc, c'est Nuke the city!

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Yo! Man
C'est les zélétrons
Suis ça su’ vidéoétron
On s’les gèles Man,
mais c'est pour voter
C’est notre droit d’expression
Man! C’est juste
qu’y payent pas l’café.

Yo! Man!
C’est les zélétrons
les maires sont pas nos mères.
Suis ça su’ vidéoétron
la soirée des zélétrons
On s’les gèle
mais c'est pour voter
C’t’a peine si j’sais marquer!

Yo! Man!
C’est les zélétrons
Pas d’signes religieux
Car t’es en fonction.
Pousse ta barbe
Met ton niqab
Sors tes tatous
On en a jusqu’au trou.

Yo! Man!
C’est les zélétrons
Les municipales
c’est l’principal
Là sont les flics
Là sont les ordures
Faut les sortir
Quand ça fait dur.

Yo! Man!
Aux zélétrons j’ai été
Pour aller voter.
On m’a tabassé,
On m’a défoncé.
Pourtant je demandais rien
sauf peut-être
lequel était le moins malhonnête.

Ayoooye!
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La consanguinité est un fléau qui touche de plus en plus l'île de Montréal, avec ses conséquences dont cette photographie des femmes d'une même famille révèle de manière des plus tragiques. Aussi, notre équipe zélétronale a-t-elle pour but de multiplier les cliniques de sang afin d'obtenir un sang neuf, pur et renouvelé. Ainsi, le sang que nous achet…, pardon, que nous recueillons est-il purifié de tout insigne religieux ou politique qui pourrait entraîner des proliférations d'Elephant Man parmi toute la population. Ensuite, notre sang est blanchi à la chaux, afin qu'on ne retrouve pas des p'tits toastés parmi notre sang canadien-français. Enfin, comme c'est une pite de bon sens, nous nous arrangeons pour que les doses soient renouvelées régulièrement avant tout accouplement pour être certain de distiller les mauvais gènes qui se transmettraient entre une Sœur et un Frère québécois. Les accommodements raisonnables, ça commence par une bonne pinte de sang. Votez pour notre équipe.

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La Duff est une vraie bière née du dessin animé. À un tel point que des deux dimensions originales, Homère est passé à la troisième dimension. Ce grand consommateur de Duff rêve que Montréal devienne une ville Duff, comme Québec jadis était une ville Dow. Avec sa mousse onctueuse et généreuse, la Duff vous fait voir votre grosse 300 livres en jolie coquette étendue sur une serviette de plage. Mieux qu'une viagra, elle soulève ainsi des montagnes et fait dresser le pic. Blonde, Rousse, Brune ou Noire, toutes viendront vers le dégustateur aguerrie de la Duff. Cette publicité absolument NEUTRE a été sponsorisée par la compagnie Duff. Avant de voter, prenez une bonne Duff.


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La vie dechâteau, même pour un ivrogne, ça a bien du sens. Que le grand crique me Croque…nudet, voilà le nouveau Moulinsart, mille millions de milles sabords. Les caves remplies de Bourgogne, de Porto, de Rhum et de whisky. Surtout pas de Dubonnet, ça rappelle des mauvais souvenirs. Mais du Loch Lemon originaire d’Écosse, 
tant que vous en voudrez! Mon château est une île 
flottant sur le nectar des dieux. Telle je voudrais 
changer le fleuve Saint-Laurent en spiritueux plutôt 
que peuplés de spirituels niaiseux. Ah! Toute la vérité 
commence par un bon verre qui rend  plus instruit des choses de la vie. 


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Comme nos grosses faces commencent
déjà àapparaître sur les poteaux, nos concepteurs graphistes tentent de
puiser leurimagination dans du cristi de bon stuff. En plus de la Duff, les joints utilisés sont fabriqués à partir du
pot bio. Le papier Vogue est trop cheap pour lui, aussi les enroulent-ils dans un authentique papyrus hallucinogène
d'Égypte. Leurs pizzas, toujours végétaliennes, sont ornées de magic mushrooms. Comme dans le bon jeune 
temps. Ils ont compris de belle lurette que Mari, on ne la prie pas, on la fume. Comme tout s'embrouille dans 
leur esprit, ils sont donc prêts à pondre des fichus de belles œuvres créatrices avec nos faces de coqs d'Inde, 
ainsi cette toile post-moderne où Munch et le lapin paranoïaque servent à présenter la figure de notre candidat dans 
Outremont.

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Les victoires zélétorales, comme la Saint-
Jean-Baptiste, se fêtent avec du Mouton Cornudet - et surtout pas avec du 
Dubonnet (qui demande une sphère subcorporelle pour le porter) - et un 
festin de luzerne. Beaucoup de luzerne, jusqu'à en éclater s'il le faut, car nous portons notre végétalisme bien haut. 
Vous verrez, le soir du 3 novembre prochain, qui se bourrera dans la luzerne et le Mouton Cornudet pour conduire
les Montréalais à la fosse à purin. Homni soit qui mal y pense!

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La mode hindoue est à l'honneur,
et pour défier la charte des valeurs québécoises, rien de tel que porter
le signe ostentatoire de notre nouveau chapeau de la Tour du Temple
de Gopura de Singapour. Vous crierez sans doute au kitsch, à l'extrava-
gance, esprit de mauvais goût. Mais nous vous assurons que si nous 
sommes zélus le 3 novembre, nous en ferons construire un identique
sur le Mont-Royal afin d'assurer notre dérogation à cette charte qui ne respecte pas le bon goût exotique que
tous les Montréalais vont chercher en Orient. C'est une promesse. Aujourd'hui la tour sur la tête de notre
cobaye, demain la tour sur le Mont Royal …et au diable la croix et l'antenne de Radio-Canada!

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La poupée Cornudet (home made), dont
les deux pieds sont déjà coulés dans le ciment est un jouet que tous les en-
fants de Montréal apprécieraient de recevoir à Noël. Faites avec une vieille batterie coulante, des bouts de
papier de construction tordus et des découpages, le petit rat Pic (Nic ayant été exterminé par le P.C.O.) en-
seignera aux petits futurs ingénieurs ce que notre Équipe leur réservera plus tard s'ils veulent frauder sans
payer leur cote part au syndicat de Monsieur Arsenault. Moins dynamique peut-être que le lapin dur-à-la-
selle, la poupée Cornudet est un jouet «éducatif» Has Bro!

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Tous les autoportraits nécessitent un
petit quelque chose, une touche créatrice, comme s'appliquer la pein-
ture à soi-même ou encore se trancher un lobe d'oreille. Mais, c'était autrefois. Aujourd'hui, vaudrait
mieux l'énécluation. Plus saisissant comme effet! Ou alors, ajouter une allégorie de notre vice favori.
Pour Van Gogh, c'était la pipe. Avec Bacon, c'est la sodomie qui lui apparaissait de meilleur goût. Mais
le bonnet de Van Gogh reste suspicieux… Est-ce un signe religieux ostentatoire? Mieux vaudrait s'en
abstenir. Le crâne rasé fera l'affaire. Sachez vous vendre en faisant la promotion de notre Équipe. Qui
sait, peut-être disposerez-vous de la clef du coffre-fort de la ville?

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Le nouveau savon à lessive Guiness 2011
est le sponsor de notre Équipe zélétronale. Son formidable pouvoir
de blanchiment va aussi bien pour l'argent que pour les vêtements. De plus, si vous lavez votre linge en
même temps que vous prenez votre bain, il aura l'effet merveilleux de vous faire rétrécir en même temps
que vos vêtements, d'où l'avantage d'éviter à renouveler perpétuellement votre garde-robe. Cependant,
comme ces images vous le montrent à 2 semaines d'intervalle, l'effet esthétique est plutôt douteux sur 
votre visage. Qu'à cela ne tienne, votre avenir est assuré comme page au Conseil Municipal. Le savon
Guiness, toujours plus petit, toujours plus laid.

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Voici les nouveaux inspecteurs en 
bâtiment de la Ville de Montréal …si notre Équipe est portée au
pouvoir. Voltaire et Beaupré peuvent par leur grandeur regarder par-dessus les palissades qui en-
tourent les sites de construction et surveiller aini si les cols bleus se pognent le cul comme le stéréo-
type l'affirme. De plus, ils sont mieux placés pour regarder par-dessus l'épaule des fonctionnaires et
voir s'ils maquillent les rapports de subvention. Enfin, leur air abruti les fait passer inaperçu aux yeux
des malfaiteurs. Mieux que des caméras de surveillance, Voltaire et Beaupré ont en plus d'un regard
surélevé, le bras assez long. Désormais, la Justice, à Montréal, pourra prendre au collet le criminel 
qui irait se cacher dans l'égout le plus profond, là où normalement vivent les rats.

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«'ournal de Mouréal! Achetez le 'jour-
nal de Mouréal! En manchette ce matin! Va chier! Va chier! Victoire 
zélétronale à la mairie! Achetez le 'journal de Mouréal! Va chier! Va chier! 
Victoire zélétronale à la mairie de Mouréal! La une du 'ournal de Mouréal! 
Achetez-le! Va chier! Va chier!»

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Comment peut-on
gaspiller autant de peinture sur soi pour en arriver à
commettre …ça? Erwin Panofsky nous a affirmé que
c'était dû à un signe précoce de maladie de Parkinson.
Pierre Francastel, de son côté, opte pour l'ambiance
sociale dysfonctionnelle qui enveloppe le peintre. 
Umberto Éco pencherait plutôt pour une volonté
esthétique de revenir à l'art primitif. Georges Didi-Huberman
affirme sans conteste qu'il s'agit là d'un aveu d'impuissance
devant l'image. Enfin, madame Gendron, qui tient le dépanneur à côté de chez moi entre 9 h. le matin
et 6 h. le soir, n'hésite pas à dire que c'est un arriéré qui ne sait pas peindre. Nous le saurons le soir
des zélétrons, le 3 novembre prochain.

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«Alain, mon cœur, tu as bien placé le focus? Oui. C'est ça. Je sais, pauvre chou que ton père faisait
des annonces Burger King pour vous emmener, toi et ta famille, bouffer au Wendy's de Descaries.
Ça a laissé des séquelles aux yeux. Mais enligne-les pour que tout le monde les voit bien.Bon. Comme
ça. Comme disait Jean Charest : JE SUIS PRÊTE».
 
UN MOT DE L’ÉPOUSE DU DIRECTEUR DES ZÉLÉTRONS DE 
MONTRÉAL, MADAME PIERRETTE DE CULBUTETTE.



CHERS ZÉLÉTREURS. CHÈRES ZÉLÉTRICES MES AMIS. VOUS PENSEZ QUE JE VIENS 
POUR VOUS FAIRE LE MESSAGE D’ÉCOUTER LE DÉBAT DES CHEFS D’ÉQUIPES 
ASPIRANTS MAIRES CETTE SEMAINE.

EH BIEN! NON. JE VIENS ICI VOUS RAPPELER QUE LE VOTE PAR ANTICIPATION 
SE PRÉPARE. D’AILLEURS, JE FERAI MOI-MÊME, TELLE QUE VOUS ME VOYEZ, 
LA TOURNÉE DES POSTES DE SCRUTIN, L’AVANT-DERRIÈRE FIN DE SEMAINE D’OCTOBRE.

LE VOTE PAR ANTICIPATION EST UNE INVITATION AUX PERSONNES DE L’ÂGE D’OR, 
P.M.R. (PERSONNE À MOBILITÉ RÉDUITE), DONT LE CERVEAU MARINE DÉJÀ DANS LE
FORMOL À FORCE DE REGARDER LES VIEILLES REPRISES DE «SOIRÉE CANADIENNE» 
AU CHSLD DES RÉSIDENCES SOLEIL. (Chantant) «LES RÉSIDENCES SOLEIL, SOLEIL♪»

VENEZ JOUER AUX POCHES AVEC MOI, MAIS APRÈS AVOIR ÉTÉ VOTÉS. …SI VOUS 
PARVENEZ À ATTEINDRE LE 500, VOUS AUREZ LE DROIT DE FIGURER À CÔTÉ DU 
MAIRE ÉLU LE SOIR DES ZÉLÉTRONS. N’OUBLIEZ PAS, FAITES VOTRE DEVOIR DE 
ZÉLÉTREURS…

BE-BYE.

Le nouvel agent de recouvrement à la
ville de Montréal que notre Équipe propose a l'air gentil au premier regard. Mais observez-le à l'action.
Croyez-vous que cette veuve va résister longtemps à ne pas payer ses taxes municipales sur le Plateau
Mont-Royal? Poser la question, c'est y répondre. 
 

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Nous savons, depuis huit mois, que l'horrible collision au-dessus de Montréal entre Sœur 
Bertrille et l'Agent Glad a laissé des séquelles pour le moins troublantes. Après
quelques semaines, il a bien fallu se rendre à l'évidence. Aussitôt, elle a été réaffectée dans 
un monastère de recluses. De plus, il lui est interdit de voler sinon hors des corridors
aériens. Enfin, on devine le traumatisme des Montréalais si elle délivrait son paquet au-dessus 
du Stade Olympique. Notre équipe la tiendra sous observation durant le dernier mois de sa grossesse.

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«Je suis en ostie! Jusqu'à ce qu'il 
y a un an, j'ornais la façade du célèbre club échangiste "Pierre et Pierrette au Bordel des Saints-Anges".
Puis, le mononc' d'Union Montréal m'a fait décrocher pour me remplacer par ce p'tit christ de pervers
venu de Bruxelles. Mannken Piss, rien que pour le voir vider sa vessie sur les enquêteurs de l'UPAC!
Please! Je vous demande de voter pour la seule Équipe qui renverra ce p'tit scatologue chez lui et me
redonnera ma place. Qu'on aille le mettre, si l'on veut, sur la façade de l'Hôtel de Ville, c'est tout ce
qu'il mérite, voleur de job!»
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Il est minuit docteur Schweitzer. 
Les pigeons attaquent Montréal. Le maire et ses conseillers d'arrondissement sont une perte totale.
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Pierre ne pouvait plus aller
danser avec sa Pierrette depuis que ses remords de conscience lui 
causaient des rhumatismes, de l'arthrite et des inflammations musculaires. 
À force de manipuler les scrutins, la main fourrée dans les urnes, 
son bras s'était allongé de manière disproportionnée. Mais, grâce à 
l'élément Ménard et à un overdoze de camphre, ses doigts ont plus 
glissés plus profondément dans l'urne et étirer moins l'épaule. De même, ses soirées dansantes avec 
Pierrette lui ont redonné une nouvelle jeunesse. Vive l'organisation des campagnes municipales au Québec!

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Pour la soirée  
zélétronale, le Directeurgénéral des zélétrons a été chercher le vieil ordinateur TVA - celui-là même qui 
fonctionnait avec des élastiques autour des bobines - utilisé lors des célèbres zélétrons provinciales de 
1981 où les communistes étaient entrés dans le comté d'Angrignon, à la veille de sacrer Claude Ryan 
dehors. Vous pourrez ainsi vivre une soirée pleine d'entrain, de suspens et d'étonnements sans utiliser 
le moindre arme à feu.

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«Ce n'est pas une  
défaillance de votre téléviseur, n'essayez donc pas de régler l'image. Nous avons le contrôle total de 
l'émission : contrôle du balayage horizontal, contrôle du balayage vertical. Nous pouvons aussi bien 
vous donner une image floue qu'une image pure comme le cristal. Pour l'heure qui vient, 
asseyez-vous tranquillement. Nous contrôlerons tout ce que vous allez voir et entendre. Vous allez
participer à une grande aventure et faire l'expérience du mystère avec Les Zélétrons municipales».

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Pierrot Grossetête se moque 
des candidats. Il se prend pour le Nelson Muntz de Montréal
(http://www.youtube.com/watch?v=rX7wtNOkuHo ). Donnez-lui la leçon qu'il mérite
( http://www.youtube.com/watch?v=rX7wtNOkuHo)et montrez à ce jeune insolent tout le sérieux
d'une décision démocratique et libre (  http://www.youtube.com/watch?v=rX7wtNOkuHo).
Citoyens, apprenez à vos enfants à devenir responsable! ( http://www.youtube.com/watch?v=rX7wtNOkuHo).


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«Capuchon? C'est moé. 
J'ai ton enveloppe. J'ai reçu les autocollants avec la face à Denis… Tu n'as qu'à te rendre à la permanence
des, sur Bourque. Là, tu les colles aux vitrines. Fais-toé pas prendre, parce que nous-autres, on te connaît
pas. Même s'ils t'enferment une heure avec la H., tu vas implorer pitié, j'te l'dis, moé, tu vas vouloir parler.
Ta vie vaudra pu grand chose… Nous sommes en tête dans les sondages, c'é pas l'temps de reculer devant
l'intimidation et le terrorisme… Les Osties, on va les avoir. Ils vont plier, j't'l'jure. T'es habitué à faire d'la
bonne job, Capuchon. Tag toé dans l'coin».

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  «Allo. C'est Frank. Oui, 
Frank, l'ancien vice-président du Conseil Exécutif… Oui, mon Denis. Je t'appelle pour t'offrir
mes services… Oui, c'est ça. À part du fifi à Schnob, as-tu recruté des bons candidats? J'aurais peut-être quelques
noms à te proposer… Pis, ta campagne de financement? Ça va?… Ouais, le président des zélétrons est coriace!…
Y pense que des zélétrons, ça se finance avec des tableaux pis des nains de jardins! Écoute, mon Denis, si ta besoin
de quelques centaines de mille, j'suis en moyen. Mes frais d'avocats sont déjà payés… Mais, si t'é élu, tu laisses
surtout pas ce boudin de De Suça mettre la main sur le Trésor de la ville. Tu gard'ras ça pour un de mes hommes.
Si on te pognes? T'auras rien à dire que t'étais pas au courant, ça pogne toujours avec ces totons de Montréalais…
J't'envoyes ça dès demain, mon Denis… Tu vas voir, tu l'regrettras pas». Avec Bell, votre support en téléphonie
…sans fil. 

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La Fée des étoiles s'est 
beaucoup améliorée depuis que j'ai commencé à faire le
Père Noël en 1973! Elle a un look de libellule qui plaît plus aux papas qu'aux enfants. Mais Noël,
c'est la fête qui nous rassemble tous. J'ai déjà la hotte pleine de beaux cadeaux à distribuer à tous
ces honnêtes maires d'arrondissements et conseillers municipaux que vous zélétroniserez le 3 no-
vembre. Beaucoup d'enveloppes brunes. Des salons de massage gratuits de Lise Watier, Des v.s.p.
pour les clubs de danseurs nus. Ho! Ho! Ho! Que de beaux cadeaux …pas chers. Un souper au
Saint-Hubert! Et un flask pour mon brandy nose de renne!

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                                     ♋

«J'en appelle à la 
population de Montréal. Restez calme! Keep Calm! Venez voter
calmement.Ne bousculez personne. Ceux qui apporteront ma
carte de hockey au bureau des zélétrons recevront un poste de
fonctionnaire municipal gratuit. Donc, pas de panique. Il y en a
pour tout le monde. Il est trois heures, Montréalais, dormez». Sponsorisé par la bière Duff,
la bière des zélétroneux de la bonne équipe.

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La juge Charbonneau: 
«Donc ce que vous nous dites, c'est que c'est sous la commande de
l'Équipe ✆ que vous avez saboté le système téléphonique automati-
que de l'équipe afin de discréditer la personnalité et le programme
de l'équipe aux présentes zélétrons?»
Le cagoulé : «C'est ça, madame la juge».
La juge Charbonneau : «En éprouvez-vous des remords?»
Le cagoulé : «Seulement, madame, de ne pas avoir été payé pour mes efforts»…


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En passant sur ma Lorraine, / Avec mon auto
En passant sur ma Lorraine, / Avec mon auto
Rencontrant trois candidats, / Avec mon auto,
Dondaine, oh! oh! oh! 1 Avec mon auto.

Rencontrant trois candidats, / Avec mon auto,
Rencontrant trois candidats, / Avec mon auto, 
Ils m'ont appelée : Vilaine! / Avec mon auto,
Dondaine, oh! oh! oh! / Avec mon auto.

Ils m'ont appelée : Vilaine! / Avec mon auto,
Ils m'ont appelée : Vilaine! / Avec mon auto,
Je ne suis pas si vilaine, / Avec mon auto
Dondaine, oh! oh! oh! / Avec mon auto.

Puisque les sondages m'aiment / Avec mon auto,
Puisque les sondages m'aiment / Avec mon auto,
Ils m'ont donné une gross' benne / Avec mon auto
Dondaine, oh! oh! oh! / Avec mon auto.

C'est pour creuser une veine, / Avec mon auto, 
C'est pour creuser une veine, / Avec mon auto,
J'ai percé la rue Dufresne, / Avec mon auto
Dondaine, oh! oh! oh! / Avec mon auto.

C'est com'ça que j'me sens reine, / Avec mon auto,
C'est com'ça que j'me sens reine, / Avec mon auto,
Si elle meurt, je perds ma peine, / Avec mon auto
Dondaine, oh! oh! oh! / Avec mon auto.

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J'ai reçu une enveloppe  
pour avoir repeint la place de stationnement de l'auto du maire. Plus 
une autre pour avoir peint la corniche qui avait brûlé à l'ouest de l'Hôtel
de Ville, ça été mon contrat le plus payant. Puis, j'ai reçu une troisième
enveloppe pour avoirpeinturé le rebord des fenêtres du conseiller de 
Suça. Là aussi, on m'a graissé la patte… au Saint-Hubert. J'ai reçu une
autre enveloppe pour avoir peinturluré des faces de clown dans la gar-
derie de l'Hôtel de Ville, mais les enfants faisaient trop de cauchemars, j'ai perdu le contrat de repeinte des mar-
ches des escaliers de secours. Combien j'ai reçu pour tout ça? Voyons $20 dans la première, $100 pour la secon-
de, plus la poitrine au St-Hub, $80 pour la quatrième qui m'a fait perdre le contrat de $1000, la ville me doit
$800 dont j'espère que la Commission daignera bien me rembourser pour mon témoignage.

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Les nains de jardin kitsch et les
jingles publicitaires poches sont les meilleurs aussi bien des cols
blancs que des cols bleus de la Ville de Montréal. Celui de gauche, vous le trouverez appuyé sur son cône
orange au coin de Rachel et Iberville, un vrai bout d'entrain. Quand il ne suce pas son pouce… enfin. Bon,
inutile d'aller dans les détails. Tant qu'au second, il est préposé à l'accueil à la mairie Centre-Sud. Son 
pouce est paralysé depuis qu'à chaque demande de la Saint-Vincent-de-Paul, il faisait son geste : Right now!
Et comme ça ne se faisait jamais «right now», bah, les os de son pouce se sont calcifiés. La Ville de Mont-
réal, elle, elle connaît ça! 

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                                     ♋
 
Il est un fait que le travail indispensable 
d'une bonne secrétaire est de servir le café à son employeur …et aux autres employés, s'il y en a. Le bon
rendement de l'entreprise dépend du caractère cool et relaxe du preneur de décisions. La secrétaire peut
toujours se consoler en disant que derrière chaque grand homme se cache une petite femme! Mais mieux
vaut le bonheur de 1 sur 2 que le malheur des 2. Nous acceptons cette vérité qui est l'équivalent de la sa-
gesse. Ce n'est peut-être pas une valeur québécoise, mais c'est vrai en mautadit!

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 La compagnie de sécurité Gardavue
et son nouveau système de coffre-fort insignifié seront désormais en
charge du Trésor de l'Hôtel de Ville. Finies ces portes  qui ne se referment plus sur les montants perçus
des taxes des contribuables. Désormais, les combinaisons sont fixées autour des yeux de nos gardiens
de sécurité. Les fonctionnaires véreux et les administrateurs municipaux sans scrupules peuvent donc
dormir en paix, leur argent est bien protégé avec GARDAVUE.

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Corruption à Mexico… le sergent  
Garcia surpris à chanter l'air de Coderro :

Un candidat qui surgit hors de la nuit
Court vers l'ouverture au galop
Son nom, il le signe à la pointe de l'épée
D'un C qui veut dire Coderro.

Coderro, Coderro.

Renard rusé qui fait sa loi
Coderro, Coderro.
Crosseur, tu l'es à chaque fois

Coderro. Coderro.
Renard rusé qui fait sa loi
Coderro. Coderro.
Scélérat, tu l'es à chaque fois

(zouic! zouic! zouic!)

Coderro!
Coderro!
Coderro!
Coderro!

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Il faut bien reconnaître que les 
strips des comics ne sont pas un matériel solide où pratiquer la propagande
zélétronale. Voyez ce qui est advenu de Jim la Jungle depuis que sa bande
dessinée originale est restée à moisir dans des cartons au fond d'une cave.
Lorsque vous irez voter, pensez à ce qu'aura l'air votre candidat(e) dans 4
ans d'ici… Sera-t-il [elle] encore capable de faire la pute avec les organes ré-
versés?


Ça fait
longtemps qu'il n'y a pas eu de belles parades de même? Imaginez notre
Champ de Mars s'il était rempli d'une armée aussi compacte qui défilerait
au pas de l'oie? Un corps de police décomplexé au service des Citoyens de
Montréal? L'humoriste Marc Parent, chef de notre force constabulaire, avec
un képi plus large que sa tête (largeur combo extra-large), suffirait à rassurer
les bons citoyens que plus aucune manifestation ne viendrait perturber le déplacement des cônes oranges sur
les rues de la ville. Avec notre équipe zélétronale, Montréal sera la ville parfaitement «sous surveillance é-
lectronique». Bourgeois de Montréal, dormez en paix! Nous vous surveillons contre vous-mêmes!

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                                     ♋


«Je suis un scout à palette. 
Tous les ans, à ce temps-ci de l'année, je refile du mauvais chocolat à
des p'tits vieux diabétiques. Mais cette année, Pierrette, ma douce et
tendre maman m'a dit qu'elle avait une job pour moi. Je devait aider
l'équipe de papa à participer aux zélétrons de Montréal. Papa m'a dit :
Mon p'tit Denis Jr. Promène toi dans les rues pis chaque fois que tu vois une pancarte d'une autre équipe,
arrache-là». - «Mais papa, lui dis-je, c'est illégal…» - «Dans la vie, fiston, il faut faire ce qu'il faut».
Quelques jours plus tard, il m'a donné un vaporisateur d'encre de tagger». - «Fiston, m'a-t-il demandé. Il
y a de nouvelles pancartes d'installer, va faire des tags dessus. Sauf celle de Mélanie Folie, mon amie». -
«Mais vous n'êtes pas en compétition pour le fauteuil du maire?», lui répliquai-je. «Ti-Christ! Fa c'que j'te
dis ou bin j'te fais avaler ton chocolat de marde!» Bref, la raison politique a ses raisons que la raison ignore».

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On apprend pas à un vieux
diable à se jeter dans un bénitier! Sauf pour y ramasser les oboles. Il
a plus d'un tour dans son sac. Il peut sauter à la corde avec sa queue.
Percer des réservoirs avec ses cornes. Ou encore faire passer une vieille équipe toute corrompue comme
une équipe toute neuve sous la direction d'un fin connaisseur de la magouille et de la friponnerie. C'est ce
qui s'appelle une culture éthique. Et les Mouréalais, toujours aussi mourants, sont friands d'autosodomiser
leur virginité morale.
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«En Garde! Je suis prêt, 
comme Valmont, à donner jusqu'à ma dernière goutte de sang pour
nettoyer la ville de Montréal de tous ceux qui veulent la corrompre
et la souiller de leurs magouilles nauséeuses. Je vais souffler sur les
, couper les liens téléphoniques de la smarcity du gros , enfin 
renvoyer dans son club d'escortes municipales la seule de la course.
Rien n'arrêtera l'épée de Gédéon dans la conquête de la ville qui a trop
longtemps servit à nourrir des gens sans valeurs ni fair play».- Ce 
message était enregistré sur robot téléphonique. Si vous voulez le réentendre, faite le 2
.
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Saint Valentin est le patron des amou-
reux, tout le monde est sensé savoir ça. Mais ce qu'on sait moins, c'est
que pour avoir encouragé les apprentis Roméo et Juliette à jouer au docteur et àla patiente, on l'a bastonné
puis on lui a coupé la tête. Ainsi en sera-t-il pour tous les organisateurs des équipes adverses après la 
journée des zélétrons. Et on attendra pas en février pour régler leurs comptes. À bon entendeur, salut!

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«Y'a-t-il un moyen de faire de la
politique municipale sans être machiavélique? Eh oui, c'est bien moi,
le conseiller du Prince. Je me suis recyclé en agent de voyages de Monsieur Viau. J'organise présentement des
voyages touristiques en Égypte. J'y emmènerai bientôt les candidats défaits à la porcherie de Montréal faire
des rangs donnés autour des Pyramide de Gizeh qui se termineront par une longue marche dans la Vallée des
Rois et là… je les perderai dans le désert. C'est ainsi que je leur promets un long forfait tout inclu pour le 4 no-
vembre prochain dans un appel robotisé qui les avertit déjà. J'espère que vous serez du nombre».

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«J'm'en vais te montrer, E.T. com- 
ment on vote à Montréal pour l'équipe … D'abord, tu te balances dans un
OVNI au-dessus d'un camp de nudistes de riches. Tu poses ton appareil, pis
tu les surprends pendant que les membres de l'équipe sont tous tout nu en
train de se baigner. Là, Denis va te voir. Y va s'exclamer. Eille, E.T., tu viens
voter pour moi? Et là tu lui demandes un montant d'argent. Tu lui en demandes
$500, mettons. Lui, il va t'en offrir $1000. Tu dis que c'est pas assez. Y monte à $5000. T'empoches les $5000, 
tu remontes dans ton OVNI, pis tu disparais dans l'espace».
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«Wow man! Quand j'ai appris que Bibi vou-
lait se faire élire conseillère municipale dans mon quartier, De Lorimier,
j'me suis dit, Eylle! C'est Bibi l'Escorte!!! Elle est bonne au broutte minou. C't'une vraie pro! C'est sûr, quand
j'ai appris par exemple, que le minou que je léchais était en fait un pénis fendu en deux et rentré dans le bassin,
ça m'a un peu écœuré… Mais é' tellement, comment j'dirais ça? Hum! Inclusive, oui, c'est ça, man! Inclusive,
que je me suis dit : "Ti-Guy, fa pas ton intégriste sexuel!" En tout cas, moé j'vote Bibi l'Escorte le 3 novembre».
(en direct de la Taverne DeLorimier).

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«Pour ressembler à mon idole, c'est-à-
dire avoir l'esprit étroit et deux grosses bajoues, je me suis soumis à une
cure à l'étau. Il fallait que j'appuie mes temporaux à l'intérieur d'un étau afin que le jus de cervelle coule à
l'intérieur de mes cavités mastoïdites et ainsi élargisse ma mâchoire. En tout cas, ce fut très douloureux, 
mais en allant voter ce matin, par anticipation, tout le monde me demandait si je n'étais pas parent avec
Denis. Ça m'a fait chaud au cœur et je pense que j'y retournerai voter dimanche prochain».

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Mélanie ne te présente pas 

Mélanie j’ai besoin de toi
La popote, qui la mijotera ?
Mélanie, en politique si tu t’en vas 

J’ai le derrière qui m’fait mal
Jusqu’à plus m’asseoir à ch’val
Petite blonde aux grands yeux bleus
Ton absence, me rend malheureux

En r’gardant ton premier poster
J’ai compris qu’t’allaits t’présenter
Alors j’ai remonté mes boxers
Sachant qu’tu n’pourrais m´aimer

Mélanie ne te présente pas
Mélanie j’ai besoin de toi
La vaisselle, qui la lavera ?
Mélanie, en politique si tu t’en vas

Pourquoi faut-il me faire souffrir
Et mettre à nu ton petit pussy
J´aimerais mieux te faire mourir
Que de voir ma Mélanie engrossie

Quand tu auras connu l´pouvoir
Un beau matin tu me diras
Je voudrais bien tirer à mon tour
Un toute petite envelop’ d´amour

Mélanie ne te présente pas
Mélanie j’ai besoin de toi
Le ménage, qui dépoussièrera ?
Mélanie, en politique si tu t’en vas

Mélanie, Mélanie, Mélanie.

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L'homme de Vitruve perd l'équilibre 
lorsqu'il arrive sur le Plateau Mont-Royal. C'est alors qu'on l'entend
chanter :


Si j'ai bien compté, ça fait quarante jours
Que j´ai pris ma voiture pour aller faire un tour
A peine avais-je laissé ma place le long du trottoir
Que douze cyclistes en colère se bagarraient pour l´avoir

Les plus gros camions stationnent su’ Mont-Royal
Les bus les plus lourds trainassent dans Mouréal
Mais moi, je suis condamné à payer pour l’parcomètre
Je ne trouve plus d’stationnement où me garer

J´habite le Plateau où les rues sont étroites
C’est rempli d’restaurants huppés à cinq étoiles
Quand j´essais de tourner à gauche, avec ma voiture
Un flic, par la portière, me balance une grosse facture

Les plus gros camions stationnent su’ Mont-Royal
Les bus les plus lourds trainassent dans Mouréal
Mais moi, je suis condamné à payer pour l’parcomètre
Je ne trouve plus d’stationnement où me garer

J’ai été pogné deux jours sur Papineau
C’tu écœurant com’ y en a des travaux
J’ai piqué toute une crise contre les côn’ oranges
À la fourrière, mon char a fini parmi les vidanges

Les plus gros camions stationnent su’ Mont-Royal
Les bus les plus lourds trainassent dans Mouréal
Mais moi, je suis condamné à payer pour l’taximètre
J’ai pu de char à chercher un’ place pour stationner
J’ai pu de char à chercher un’ place pour stationner

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Quand on se donne un look à la Burt 
Lancaster, on n'a qu'envie d'agir à la Helmer Gentry et baratiner les
p'tites vieilles en roucoulant du Marc Hamilton. Mais, vous le savez, ce qui est le plus important, 
c'est notre programme. Le Plein emploi pour tous les Montréalais, des billets de loto gratis et …gagnants,
le choix des nids de poules contre les cônes oranges, et quoi d'autres encore? Ah oui! Un souper avec moi,
chez Da Giovanni! À vos frais, bien entendu. Nous ne sommes quand même pas des corrompus!

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Le bid Quaker et moi, en
tant que Grand Frère Puritain, nous nous opposons depuis le début de
la campagne zélétronale. Mais le soir du scrutin, peu importe qui
l'emportera, nous nous embrasserons dans une accolade pudique, nous félicitant mutuellement pour la mer-
veilleuse campagne, franche, loyale et honnête que nous avons menée respectivement chacun de notre côté;
que la voix du peuple avait choisi le meilleur et que nous collaborerons ensemble pour les quatre années
à venir. Mes T.C.F. laissez-moi vous dire en terminant : Tout ça, c'est d'la bullshit! Amen. 


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LA SUCCULENTE ÉPOUSE DE NOTRE DIRECTEUR DES ZÉLÉTRONS 
SE PRONONCE AU DERNIER VIRAGE DE LA COURSE ZÉLÉTRONALE.

VOICI LA TRÈS RESPECTABLE 
MADAME PIERRETTE DE CULBUTETTE

Si, à la veille du scrutin, vous ne savez plus à quel saint vous vouer pour l’équipe qui arrivera deuxième, 
je vous comprends. Mes propres seins ne savent plus vers qui se tourner! L’autre nuit, alors que j’accom-
plissais mon devoir conjugal, j’ai eu une pensée intempestive pour Bibi l’Escorte de l’équipe ♀. Aussitôt, 
j’ai eu un spasme de la tétonnière et mon sein droit est parti frapper la tronche de mon épouxet, je dois 
le reconnaître, d’une manière assez brutale.




Il a fallu le conduire d’urgence à l’hôpital où une intervention chirurgicale desplus délicates a été 
guidée par les mains expertes du docteur Porter. Ce dernier, par vidéo, en direct de sa cellule au 
Panama, a fait un travail minutieux. Ce bon chirurgien nous a dit que mon Pierre s’en remettrait, 
mais que certains dommages irréparables auraient des effets irréversibles.

Quoi qu’il en soit, au moment de tracer votre X, je vous conseille de ne pas suivre vos seins, mais 
plutôt, si c’est possible, votre cœur, à défaut d’avoir une cervelle.

[Ah! Comme si vous saviez à quel point c’est difficile de jouir d’un cunilingus lorsqu’on a 
l’impression de se faire rentrer deux broches à tricoter dans l’humérus!]



Il est difficile d'expliquer la 
sexualité aux Montréalais. Certains préfèrent parler des Indiens, d'autres
de choux d'autres enfin des cigognes. Il y a les bons chrétiens qui parlent
de l'œuf McMuffin avec saucisses pour expliquer la reproduction. Moi,
j'y vais plus simplement. Je dis que l'orientation sexuelle, c'est comme
quand on joue au bowling. Il y en a qui joue avec des grosses boules, d'autres avec des petites. Et ce ne
dépend pas toujours du sexe de la quille - ou de la quille du sexe? Enfin, peu importe pourvu que vous
compreniez que je ne parle pas ici d'amygdalites.
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Demain, c'est journée
des zélétrons. Qui, d'après vous, semble le plus intègre, le plus dévoué pour 
son bien commun? Qui ne demande qu'à s'élargir ses horizons dans une une 
cité sans voile? En tous cas, finies les manifs, les Feman et autres perturbations 
sociales grâce à notre Tokyo big penis' Policeman appelé à faire régner l'ordre et la loi dans notre belle ville, il est l'arme 
secrète apportée par le spm à notre équipe. Il y a plus d'un million d'histoires dans la Cité sans Voile, nous venons de 
vous en raconter une…


Pis prend pas prétexte qu'on a reculé l'heure pour dire que t'as pas eu l'temps d'venir voter pour moé!

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«J'te le jure Honey, je
n'ai pas frenché Denis pour sa victoire! Tu me crois, malgré ce que
tu as vu à la tévé? De toutes façons, y se serait rien passé, puisque
j'avais le WHISKY DICK».

«Mais oui, mon chéri, je te crois. Allons! Allons! Tu es adultère,
pédophile et gérontophile aux deux, fétichiste et exhibitionniste,
coprophage les dimanches, sadique à tes heures, masochiste tout le temps, mais jamais, jamais zoophile,
grâce au WHISKY DICK».

WHISKY DICK, la boisson inervante de vos soirées zélétronales. Un autre spiritueux sorti des alambics
Sleezeman. SLEEZEMAN, radio-diffuseur de la soirée zélétronale de Mouréal. 

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Nous apprenons en dernière heure que la sublime épouse du directeur général
des zélétrons de Montréal, Mme Pierre de Culbutette a été arrêtée pour trafic
de coke diète au marché Provigo. Elle aurait dépassé la quantité autorisée de 4
bouteilles à $1.00 en en cachant une cinquième non déclarée au comptoir.
Arrête par un gardien de sécurité et remise aux mains du S.P.M. (Syndrome
pré menstruel) de Montréal. La dite dame aurait camouflé la bouteille supplé-
mentaire dans un endroit que la décence prescrit de ne point préciser.

 Bon! On avait un paquet d'autres photos. On pensait les recycler bien vite, mais il semble qu'il faille reporter
le tout au printemps. En tout cas, on va les serrer dans le tiroir, et elles seront prêtes pour la prochaine campa-
gne. A+







Le train fantôme de Lac-Mégantic

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Explosions à Lac-Mégantic, 6 juillet 2013
 LE TRAIN FANTÔME DE LAC-MÉGANTIC

Depuis que des rails de chemins de fer traversent l’ensemble du territoire québécois, et du temps surtout où les engins étaient mus par la vapeur, de nombreux centre-ville ont été dévastés par des incendies dont ils furent la cause majeure. Je ne retiendrai que l’incendie de 1876, dans mon coin de patelin, où par un matin chaud et ensoleillé, le dimanche du 18 juin, un engin du Grand Tronc traversa la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Des flammèches s’échappèrent de l’engin et embrasa des piles de bois situées à l’arrière du moulin à scie Bousquet, situé tout près de la voie ferrée. Les vents du sud eurent vite fait de propager l’incendie, d’abord à tout le bois de la scierie, puis vers le côté est de la rue Champlain jusqu’au centre-ville, et de là jusqu’à la rue Saint-Charles, c’est-à-dire tout ce qui constituait la grande rue - la rue Front, devenue rue Richelieu - à l’époque. Tous les édifices commerciaux furent détruits dans l’avant-midi. En moins de deux heures (8 hres - 10 hres). Le pont Jones, qui reliait Saint-Jean à sa jumelle, Iberville, se trouva sérieusement menacé. Un steamer qui servait de remorqueur, les berges le long de la rivière, tout fut affecté par l'incendie catastrophique. Bilan : trois cents édifices détruits. Le miracle, dans tout cela, il n’y eut pas de mort, les gens étant passablement tous à l’église au moment du drame. Il n’y aura seulement que des commerçants ruinés pour pleurer sur l'incendie de 1876, les assurances ne compensant qu’une partie des pertes jusqu’à valeur de $192.000! Somme dérisoire pour notre époque. Comme toujours dans ces cas-là, il y eut une enquête. Rien de très exhaustif cependant. Le journal, L’Opinion publique de Montréal, supputait que l’origine de l’incendie était l’œuvre d’un pyromane. Ce constat reposait sur une observation conjoncturelle : «L’heure était choisie avec une science infernale; car c’était précisément le moment, paraît-il, où l’ingénieur, ayant laissé tomber les feux qui produisaient la vapeur, force motrice des pompes de l’aqueduc vidait les chaudières pour les nettoyer. La conséquence fut que, pendant qu’on remettait l’eau dans la chaudière et que la vapeur s’élevait, le feu consumait les maisons, et fondant les tuyaux donnait mille issues par lesquelles la force de l’eau se perdit, lorsqu’on voulut la diriger vers les maisons en flammes». Bref, c’était au moment où, de l’aqueduc, la circulation de l’eau était coupée qu’un pyromane aurait été mettre le feu au tas de bois, innocentant ainsi toute responsabilité du Grand Tronc. Il est assez étrange qu’au cours de la tragédie de Lac-Mégantic, on retrouve un schéma d’explication fort semblable.


Rappelons en quelques mots le cours de la terrible catastrophe de Lac-Mégantic proche de la rivière Chaudière, au sud de la ville de Québec. Tout commence à la tombée de la nuit, le vendredi 5 juillet 2013, vers 23 h. 30. Les pompiers de la petite localité de Nantes sont appelés pour éteindre un incendie pris dans une des locomotives d’un convoi de 72 wagons-citernes remplis de pétrole brut  parti de Montréal et se dirigeant vers le Maine. Une fois le feu éteint, les pompiers sont rejoints par un employé de la compagnie américaine de chemin de fer, la Montreal, Maine & Atlantic Railway. L’opérateur déleste les pompiers disant que tout est désormais sous contrôle. Il vérifie les freins de la locomotive et laisse sans surveillance le convoi sur la voie principale, plutôt que de le ranger sur une voie de garage, et va se coucher à l’hôtel. C’est alors que le convoi se met lentement en marche, entreprenant la descente d’une dénivellation en pente raide. Les cinq locomotives approchent de la ville voisine, Lac-Mégantic. Il est 1 h 15 du matin le 6 juillet lorsqu’à un tournant de la voie, les wagons se détachent des locomotives, déraillent et vont se percuter les uns les autres dans un épouvantable fracas. Les wagons s’empilent. Les enveloppes d’acier minces ne résistent pas aux déchirures ni aux perforations. Le pétrole s’échappe et prend feu, puis c’est explosion par-dessus explosion de cinq wagons. Le pétrole liquide en flamme s’échappe et bientôt l’asphalte des rues fond sous la nappe de feu; les égouts se remplissent de pétrole, laissant échapper parfois des flammes de certains robinets; les eaux du Lac Mégantic reçoivent une part importante du pétrole et le communiquent à la rivière Chaudière qui se déverse dans le Saint-Laurent à la hauteur de Lévis, en face de Québec. Environ 2 000 personnes sont évacuées d’urgence dans le centre-ville. Le 9 juillet, la Sûreté du Québec confirme un bilan provisoire de 13 morts et d’une cinquantaine de personnes manquant toujours à l’appel. Plus de 150 pompiers ont tenté de maîtriser l’incendie catastrophique pendant près de trois jours. Outre les pompiers de Lac Mégantic, il en est venu du Maine comme de Montréal pour aider à se relayer dans une situation de canicule. La courbe fatale est située derrière des commerces, dont un café-bar, le Musi-Café. Peu avant la fermeture de l’établissement, les gens qui s’y trouvaient encore n’ont pas eu le temps de réaliser ce qui se passait, tant le souffle des explosions a pulvérisé tout ce qu’il y avait à proximité. Le centre-ville de Lac-Mégantic se transformait en enfer. La fouille des décombres entreprise une fois le périmètre de sécurité levé a permis de retrouver les premiers corps calcinés et de nombreux restes humains.


Évidemment, les média ont d’abord été fasciné par le «spectacle» de l’explosion saisie via satellite; de l'ampleur du déraillement, de la pollution des eaux et l’empathie pour les victimes. Puis, ce fut le cortège des chefs politiques venus voir de leurs yeux l’ampleur de la catastrophe. La Première-ministre, Pauline Marois, sans jeu de mort, s’est dite «ressenti[r] une profonde désolation». Déjà son ministre de la santé, Réjean Hébert, député du comté voisin de Sherbrooke, était venu apporter son soutien à la population. Au lendemain, c’était autour du Premier-ministre du Canada, Stephen Harper, qui n’a pu s’empêcher de comparer la dévastation de Lac-Mégantic à «un site de guerre». Polemos, quand tu nous tiens! Ensuite, ce fut le député de Québec Solidaire, Amir Khadir, qui, comme les anciens cocos des années 1970, ne sait pas distinguer le problème général du problème particulier en reprenant sa rhétorique contre l’utilisation de carburants fossiles! Puis, ce fut autour de Mini-Pet, le chef libéral fédéral, qui, à son habitude, n’avait rien de sensé à dire. À la fin du cortège, le chef libéral provincial, Philippe Couillard, est venu proposer une solution à laquelle déjà tout le monde avait pensé, d’un guichet unique entre les administrations fédérales, provinciales et municipales pour aider les citoyens sinistrés. Inutile de dire que cette parade de chefs politiques a démontré une fois de plus l’inutilité de ces individus tant à prévenir qu’à combattre les accidents de ce genre. Au convoi du train fantôme succédait le cortège des politiciens ineptes.

Entrecoupés de récits de témoignages de la plus haute valeur d’human interest et la défensive de tout un chacun devant les responsabilités entourant la catastrophe de Lac-Mégantic, les bulletins d’information ont mis du temps à nous faire comprendre ce qui se passait réellement. Ainsi, il a fallu attendre deux jours avant que, le lundi 8 juillet, on nous informe que la voie ferrée, les locomotives et les wagons appartenaient à des compagnies américaines, ce que les gens de Lac-Mégantic savaient pertinemment. Et, de fil en aiguille, de remonter jusqu’au grand patron de cette entreprise à qui appartient un bouquet de voies ferrées distribuées partout dans le monde et qui se sont avérées des voies non rentables - des shortlines - que Ed Burkhardt, la tête dirigeante de ce consortium propriétaire de la Montreal, Maine & Atlantic (la MM&A), nous soit présenté. Avant même que les cadavres des victimes aient été libérés des décombres de Lac-Mégantic, nous voyons la plus belle racaille de propriétaires de voies ferrées, d’ingénieurs-mécaniciens et de politiciens, dans un concert unanime d’empathie pour les victimes, faire comme Ponce Pilate, se laver les mains de toutes responsabilités dans les causes de la catastrophe, et cela quand ils ne poussent pas leur lâcheté jusqu'à jeter le blâme les uns sur les autres pour mieux s’innocenter. Tout cela est, à mon avis, assez écœurant.
Centre-ville, à l'endroit précis où devait se produire le déraillement
À travers tout ça, il y a quand même des gens qui n’hésitent pas à soulever des chardons. Le convoi provenait de la formation de Bakken, au Dakota du Nord et le pétrole était destiné à la raffinerie d’Irving Oil à Saint-Jean du Nouveau-Brunswick. La voie d’ailleurs traversait l’État du Maine et l’accident aurait tout aussi bien pu se dérouler aux États-Unis. Il circulait sur les voies de la MM&A, une ligne de chemin de fer secondaire qui relie Montréal à la côte atlantique du Maine et poursuit jusque vers les provinces maritimes. Cette ligne appartenait jadis au Pacific Canadian. À la fin des années 1990, la compagnie fédérale a décidé de vendre, parmi d’autres, ses shortlines non rentables, des portions de circuits ferroviaires abandonnés par les grandes entreprises à de plus petites qui relèvent du secteur privé. C’est là que Burkhardt s’est approprié la MM&A et l’a placé dans sa corbeille de shortlines mondiales déficitaires. «Le gouvernement fédéral a, au fil des ans, déréglementé le transport ferroviaire comme il a déréglementé l’aviation», rappelle Daniel Roy, directeur québécois du Syndicat des Métallos. «Il est toujours dangereux de laisser aux entreprises le pouvoir de gérer des biens publics en limitant l’intervention des gouvernements. Le gouvernement fédéral doit se ressaisir et reprendre en main la réglementation dans le transport ferroviaire». Cet avis du Syndicat des Métallos apparaît déjà comme un moyen de rejeter toutes responsabilités des ingénieurs-mécaniciens sur le dos de Burkhardt et du gouvernement fédéral.

Cette affirmation est confirmée par les propos d’un expert ferroviaire qui nous informe que le convoi était composé de wagons-citernes de modèle DOT-111, un modèle désuet, qui n’appartenaient pas à la MM&A. Chaque wagon contenait 113 000 litres de pétrole brut. Si les États-Unis comme le Canada autorisent toujours la circulation de ces citernes, aux États-Unis la sécurité du modèle DOT-111 a été sévèrement mise en doute dans un rapport déposé au National Transportation Safety Board (NTSB) dès 1991, où il est décrit comme «inadéquat pour résister au choc d’un déraillement». La catastrophe de 2013 vient de le démontrer. Depuis 2011, le gouvernement canadien exige que les compagnies ferroviaires choisissent des modèles aux parois plus épaisses (le DOT-111 a une «carapace» de 1 cm.), tout en permettant l’utilisation des stocks existants de wagons plus anciens. Mais n’étant pas canadienne, la MM&A n’a jamais cru bon de se soumettre à cette exigence. Et rien ne la contraignait. D’où la logique de Burkhardt de dire que sa compagnie n’a pas de responsabilité majeure dans la catastrophe.

D’autres manquements s’accumulent qui rendent la catastrophe complètement aberrante. On a dit que vers 23 heures, le 5 juillet, le convoi était à Nantes, petite localité située à une douzaine de kilomètres à l’ouest de Lac-Mégantic, placé sur la voie principale. Selon les représentants du transporteur, le conducteur a mis le convoi à l’arrêt à la fin de son quart de travail avant de se rendre à l’hôtel. Le conducteur ne met pas le train sur une voie auxiliaire, qui est équipée d’un dérailleur qui aurait pu empêcher le train de partir acciden-tellement. Selon Transports Canada, il est inhabituel qu’on laisse ainsi un train seul sur une voie principale. Le convoi devait demeurer immobile pour quelques heures avant d’être repris en charge par un autre équipage. C’est là, vers 23 h. 30 que les pompiers de Nantes ont été appelé pour éteindre l’incendie d’une des locomotives. Le chef des pompiers a affirmé que le moteur avait été coupé lors de leur intervention, une procédure prévue par l’entreprise. Ils auraient ensuite contacté un inspecteur ferroviaire pour signaler la situation et n'auraient quitté qu'une fois le représentant de la MM&A sur les lieux.

La suite des événements, on la connaît. On ne sait pas pour quelle raison le train s’est remis en marche sans équipage et a dévalé la pente vers l’est. Les cinq locomotives se sont détachées du reste du convoi à 800 mètres à l’entrée de Lac-Mégantic et traversé la ville sans causer de dégats; c’est le reste du convoi qui, en déraillant près de la rue Cartier, a provoqué la série d’explosions et répandu l'incendie. Aussitôt que possible, un plan de mesures d’urgence de la municipalité se met en place, en coordination avec la Sécurité civile du Québec. La Sûreté du Québec établit un périmètre de sécurité et force à l’évacuation de 2000 résidents en raison des risques d’explosion et des concentrations d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et de particules en suspension qui rendent l’air irrespirable et toxique.

Face à la catastrophe environnementale, le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs déploie une équipe de spécialistes chargés d’évaluer la qualité de l’air et de l’eau en plus d’amorcer le containment des nappes de pétrole qui flottent sur la rivière Chaudière et sur le Lac Mégantic. L’école secondaire Montignac est réquisi-tionnée pour servir à la fois de poste de commandement des autorités civiles et de centre d’hébergement des sinistrés sous la responsabilité de la Croix-Rouge. Le personnel de l’hôpitel attend en vain les blessés. Or le fait qu’aucun ne se présente, sauf quelques cas mineurs dus à la pollution atmosphérique, laisse craindre le pire. Ce n’est que le dimanche 7 juillet, en début de soirée, quarante heures après la catastrophe, que les pompiers parviennent à maîtriser (ce qui ne veut pas dire à éteindre) le brasier.


Ce qui ajoute à la catastrophe, c’est le fait que c’est «le vieux« Lac-Mégantic qui se trouve le plus affecté par les explosions et l’incendie. Parmi la trentaine de bâtiments soufflés, on y retrouve la bibliothèque municipale, les archives de la ville, des bâtiments patri-moniaux, des commerces et des résidences. Dans le bar Musi-Café, situé tout près du lieu du déraillement, une quarantaine de personnes s’y trouvaient à la fin de la soirée. Le musicien saguenéen, Guy Bolduc, qui terminait son spectacle, serait parmi les victimes. Également une ex-académicienne de 2008 - de la série de rêves prêts-à-porter Star Académie de l’incurable TVA -, Geneviève Breton, compte également parmi les personnes disparues. Les pans de murs subsistants à Lac-Mégantic rappellent étrangement ceux que nous ont conservés les clichés aux lendemains de l'incendie de Saint-Jean, en 1876. De plus, une importante conduite d’eau dans le quadrilatère de la zone sinistrée a été détruite par l’explosion, augmentant pour les citoyens le fardeau d’économiser l’eau potable. Tout le long de la Chaudière, des conduites d’eau artificielles ont été dressées afin de pomper l’eau de lacs non contaminés par la nappe de pétrole et de la véhiculer vers les lieux résidentiels. Trois estracades ont été installés sur la rivière Chaudière et les employés du ministère se sont empressés de pomper le pétrole brut qui se déverse par l’émissaire des égouts pluviaux de la ville. Le ministre québécois de l’Environnement, Yves-François Blanchet, indique que ses services estiment que de 100 000 à 120 000 litres de pétrole brut se sont répandus dans la rivière Chaudière sur une longueur de 120 km. Toute la région Beauceronne en est affectée, d’une manière ou d’une autre.


Dès son arrivée sur les lieux, la Sûreté du Québec tient à considérer le lieu de la catastrophe comme «scène de crime» et soixante enquêteurs sont mis au travail. Certains témoignages racontant avoir aperçu un individu sautant d’une des locomotives emballées, rien ne doit être écarté pour le moment sur les origines du déraillement. Les cadavres des victimes et l’identification des restes humains, sous la responsabilité du coroner du Québec, sont envoyés à Montréal où les médecins légistes tenteront d’identifier les personnes. Comme dans un «vrai» C.S.I., le personnel tentera d’établir «l’identité des corps en analysant la dentition, les os, la peau, les effets personnels, en relevant les empreintes digitales en plus de procéder à des tests sanguins et d’empreinte génétique» (Wikipedia). Parallèlement à ce travail macabre, une autre enquête est menée par le Bureau de la sécurité des transports (BST). Dès le 7 juillet, une équipe de neuf enquêteurs ferroviaires est parvenue à retrouver la boîte noire du train - l’enregistreur de paramètres et l’unité de détection de freinage fixée au dernier wagon (l’ancienne caboose). Quatorze enquêteurs sont attachés à découvrir la cause de l’accident. Déjà, l’enquêteur principal, Ed Belkaloul, a admis sur les ondes que les wagons-citernes de type 111, ceux-là mêmes impliqués dans l’accident, ont fait l’objet de nombreuses critiques dans le passé par l’organisme tant ils ne sont pas considérés comme assez sécuritaires pour le transport de pétrole brut.

Tout autant significative est la version des événements communiquée par le patron de la MM&A, Ed Burkhardt, version contredite par le BST. Burkhardt, qui essayait de faire porter aux pompiers de Nantes la cause de l’accident, s’est vu contredit par les enquêteurs qui confirment l’information selon laquelle les pompiers du village de Nantes ont avisé le répartiteur de la compagnie et qu’ils ont procédé à l’extinction de l’incendie de la locomotive en présence du personnel de la MM&A. Le BST confirme également que le convoi a été stationné sur la voie principale à Nantes et non sur une voie de garage munie d’un heurtoir. Cette précision est de haute importance compte-tenu que la voie ferrée entre Nantes et Lac-Mégantic est inclinée de l’ordre de 1,2%, inclination que l’on retrouve sur les flancs de collines. Selon la norme, des freins manuels doivent être appliqués lorsqu’un train est arrêté dans une pente. Aussi, aucun dispositif n’a été mis sous les roues pour empêcher le train de rouler par lui-même. MM&A a affirmé que le convoi s’était mis en marche sans conducteur parce que les freins appliqués sur le convoi s’étaient desserrés en raison de l’arrêt du moteur (par les pompiers de Nantes). Ici on ne peut que retenir le nombre extraordinaire de manquement à la sécurité : le personnel présent à Nantes n’a pas fait le travail prescrit. Il n’a pas stationné le convoi sur la voie de desserte. Les freins manuels ont-ils été appliqués? Rien n’a été fait pour empêcher le train de rouler par lui-même vue l’attraction gravitationnelle forte à cet endroit en courbe excessive, finalement le convoi avait tous les préalables pour devenir un «train fantôme».

Le conducteur du train, Tom Harding, affirme avoir mis des freins manuels sur dix des 72 wagons. Voilà quarante ans, il y avait cinq hommes pour une locomotive et une vingtaine de wagons. Depuis 2009, le gouvernement fédéral permet aux compagnies ferroviaires d'avoir un conducteur pour cinq locomotives et soixante-douze wagons. Qu’est-ce à dire? Dans la foulée des compressions budgétaires pour rendre le trafic ferroviaire compétitif et donc rentable, on a recouru à la bonne vieille solution de couper dans le personnel. Et cela, avec l’aval des différents gouvernements fédéraux. Le président de la compagnie MM&A, Edward Burkhardt, qui détient 75% des actions de la compagnie, peut donc se permettre de nier toute responsabilité dans la tragédie. Comme dans le milieu des affaires on a pas à être plus catholique que le pape, il s’en est tenu à ce qui était autorisé par les lois et règlements dans le transport ferroviaire canadien. Ce qui ne l’a pas empêché de toucher des subventions importantes de la part des gouvernements québécois et canadien, ainsi que de la Caisse de dépôt et placement du Québec pour investir dans l'amélioration de sa ligne ferroviaire au Québec, argent qu’il a détourné vers les États-Unis où l’équivalent américain du BST, le NTSB, est beaucoup plus sévère contre l’usage de wagons non sécuritaires sur les lignes de chemin de fer nationales. En effet, le taux d’accidents ferroviaires aux États-Unis où la MM&A se verrait impliquée, serait de 5 à 10 fois plus élevé que la moyenne des 800 autres entreprises du secteur. Après un long moment de silence, le bureau chef de la compagnie, situé à Chicago, aurait envoyé un premier communiqué de presse rédigé dans un français inintelligible, ce qui suscita - l’insulte ajoutée à l’outrage - de fortes colères dans les média. En retour, le malheureux Ed Burkhardt affirme avoir reçu plusieurs appels et messages menaçants. Affirmant qu'il allait se rendre à Lac-Mégantic, il aurait déclaré : «J'espère que je ne me ferai pas tirer dessus. Je ne porterai pas de gilet pare-balles. Je sais qu'il y a beaucoup de colère dans le coin et je comprends. J'ai reçu beaucoup de messages haineux». Pour un citoyen du pays où la population se place sous la tutelle du second amendement à la Constitution pour donner libre-cours à son goût pour les armes à feu, il devrait comprendre qu’il n’y a pas là de quoi frémir plus qu'en face de sa résidence!


Actuellement, la Sûreté du Québec annonce que 8 nouveaux corps ont été récupérés, faisant passer le bilan provisoire à 13 victimes. Après révision de la liste des personnes portées disparues, les autorités précisent qu'environ 50 personnes sont sur cette liste, laquelle inclut les 13 victimes qui n'ont pas encore été identifiées. Il risque, du moins pour un temps, que plus le nombre de corps retrouvés augmentera, plus il y a risque de voir s’allonger la liste des disparus.

Le déraillement de Lac-Mégantic est sans doute la catastrophe ferroviaire la plus tragique de l’histoire du Québec. Il est tragique, d’abord par l'ironie qui veut que les victimes de Lac-Mégantic, contrairement aux autres victimes de dérail-lements de trains, n'étaient pas à bord du convoi; ensuite par les coûts que la déconta-mination du lac et de la rivière va entraîner, enfin par les dommages irréparables causés à la flore et à la faune de l’endroit. Depuis mardi, la mairesse de Lac-Mégantic ne cesse d’appeler la population québécoise à venir en touriste, à ne pas annuler les réservations qui font vivre, industrie résiduelle d’un patelin déserté par toute autre forme d’économie, ce qui reste de la petite municipalité de Lac-Mégantic. Succédant aux bénévoles qui se seront rendus prêter main forte aux sinistrés, le site dévasté servira d’exhibition morbide pour les touristes férus d’effets sensationalistes. En ce sens, la tragédie humaine s’étend du deuil à l’appel de détresse d’un petit monde menacé d’extinction. Tragique aussi par l’insolence des gouvernements et du propriétaire de la MM&A. Entendre un ministre fédéral conservateur comme Denis Lebel, qui a poignardé dans le dos ses propres électeurs en venant défendre l’ignoble loi sur l’assurance-chômage votée par son gouvernement, s’entêter devant les caméras et micros des média afin de ne pas «spéculer» avant d’avoir tous les éléments en main, c’est une disgrâce qui mériterait, en effet, que quelqu’un s’appointe pour le tirer. On ne peut pas être plus méprisant, en tant que Ministre des Transports, que de noyer un accident dans un ensemble de transits sans problèmes. Bien sûr, reconnaît-il, «un accident est un accident de trop», mais l’important est de ne pas tenir son ministère pour responsable des «circonstances» de négligence ou d’incompétence dont il fait preuve. Ne le voit-on pas se cacher derrière les affirmations du conducteur Tom Harding, pour confirmer que la vérification «spécifique» des wagons-citernes impliqués dans l’accident avait eu lieu à Montréal la veille de la tragédie et que tout était en bon ordre? Qu'en sait-il? Sauver la peau de la compagnie suppose qu’on sauvera également celle du ministère dont on a vu un certain relâchement dans les normes de sécurité, même comparé à son vis-à-vis américain. Enfin, Ed Burkhardt n’est pas non plus à l’abri des gifles, lui qui s'est obstiné à ne pas financer le contournement de la voie ferrée qui aurait évité ainsi au convoi de passer au centre-ville de Lac-Mégantic, à moins, bien entendu, que le gouvernement québécois ou canadien l'eut financé! Des pompiers de Nantes au laxisme des lois gouverne-mentales en matière de sécurité dans les transports, et, pourquoi pas, à la présence des habitants de Lac Mégantic à l’endroit où ils se trouvaient au moment où le train fantôme est passé sous leurs fenêtres, tout le monde est responsable sauf sa compagnie qui entretien mal ses voies ferrées, qui sous-paye ses ingénieurs-mécaniciens au point qu’ils commettent des impairs, qui refuse d’utiliser des wagons appropriés et sécuritaires pour le transport d’une matière combustible et explosive. Lebel* et Burkhardt sont des êtres pitoyables et exécrables.

Si je croyais que Dieuécrit l’histoire, je pourrais penser que ce n’est pas par accident que ce soit les Beaucerons qui aient ainsi à payer le prix de leur forfanterie à défendre l’économie de la petite entreprise capitaliste et se doter de députés conser-vateurs débiles comme Maxime Bernier ou insignifiant comme Christian Paradis, député du comté, qui a eu une frousse «métaphysique» quand il déclarait qu’il était encore, la veille, au Musi-Café. Dommage qu’il n’y ait pas été ce soir-là, la leçon morale aurait peut-être mieux portée. Mais voilà, Dieu ne se préoccupe pas des affaires humaines. Et les causes de l’accident sont déjà identifiables préalablement à toutes enquêtes qui ne serviront qu'à confirmer ce que nous pouvons constater à trois jours de l'événement.

Il y a d’abord la logique conjoncturelle d'une suite d'événements hasardeux, celle des contingences. D’abord l’incendie de la locomotive à Nantes, le peu d’employés de la MM&A qui se trouvaient sur place pour s’assurer de sécuriser locomotives et wagons, la simple précaution qu’il aurait fallu placer le convoi de matière dangereuse sur une voie de garage. À ce niveau, si on compare la catastrophe de Lac-Mégantic à celle de Saint-Jean-sur-Richelieu de 1876, nous retrouvons au départ une même liste conjoncturelle : la chaleur et la direction du vent poussant les flammes vers la ville, le manque d’escouade de pompiers locaux, la proximité d’une scierie près d’une voix ferrée. Une autre chaîne conjoncturelle se retrouve dans la géographie même des lieux, la pente inclinée entre Nantes et Lac-Mégantic, le fait que la voie ferrée passait au centre-ville (alors que depuis trente ans les gouver-nements se sont accordés pour détourner les rails des passages à niveaux vers des viaducs ou des ponts), à proximité des bâtiments habités. À Saint-Jean aussi avait-on connu ce type de contingences : la situation de la voie ferrée et du moulin au centre-ville, la concentration des commerces et des bureaux civils et gouvernementaux proche de la «track». Là aussi, pour suivre le sophisme du ministre Lebel, des centaines, des milliers de fois la locomotive à vapeur était passée près du moulin à scie Bousquet sans jamais déclencher un seul incendie, mais il a été de la logique de l’expérience qu’après l’incendie, on a plus érigé de moulins à scie près de la voie ferrée. C.Q.F.D.

Mais au-delà, il y a bien sûr une logique de nécessité, une logique structurelle de la suite des événements. Non pas celle d’Amir Khadir dénonçant l’usage des ressources non renouvelables, qui est de l’ordre de celle de la gravitation terrestre dans l’accélération du convoi de wagons-citernes vers Lac-Mégantic. Mais plus précisément, la soumission des bureaux de sécurité (dans les transports comme dans n’importe quel autre domaine) aux intérêts financiers et économiques qui autorise les entre-preneurs à rogner sur les dépenses pour la sécurité, autant de leurs employés que de la population civile, afin d'élargir leur marge de profit, ce qui est tout simplement scandaleux. Aux yeux de la plupart, toutefois, cela ne devient scandaleux que lorsqu'il y a un événement d'une telle ampleur comme celui qui vient de se produire. La complicité dans l’impunité et l’irresponsabilité des gouvernements et des capitalistes rend à peu près inutile toutes remises en question majeures des causes de la catastrophe. Les média, qui ont mesuré sinon filtré la cueillette et la diffusion des données, ont joué ici le vilain tour que Mère Térésa, en 1984 à Bhopal, avait joué aux Indiens, lorsqu'une usine chimique de la multinationale Union Carbide avait explosée, faisant entre 20 et 25 000 morts à court et à moyen terme à cause des émanations toxiques, c'est-à-dire, calmer la colère de la population au nom de la résilience et de l'entraide, et éviter de susciter toute révolte sociale contre les responsables de la catastrophe. La promotion de la résilience au nom de l’empathie pour les victimes, transformant une catastrophe en information-spectacle à donner en pâture aux auditeurs affamés de sensationnalismes, est une autre de ces écœuranteries dont nous pouvons dire que nous avons été gâtés ces derniers jours. La désertion des régions qui n’ont plus rien à offrir aux marchés concurrentiels et qui les condamnent à vivoter jusqu’à disparaître parfois, sinon par une tragédie du moins par une dépopulation lente mais fatale, montre la fragilité autant des milieux humains que du milieu naturel. Dans de tels cas, qui oserait affronter un Burkhardt intimidant de peur de voir sa région recevoir le coup de grâce définitif?

Si la tragédie s’était déroulée dans le Maine, dès le lendemain, le gouvernement des États-Unis aurait convoqué Burkhardt et il aurait eu à rendre des comptes. Mais comme la tragédie s’est déroulée au Québec, M. Burkhardt peut se permettre de fanfaronner et les ministres Paradis et Lebel de minauder la population de Lac-Mégantic pour lui sauver le cul, sachant qu’en le «blanchissant», ils se nettoient eux-mêmes de leur lâcheté et de leur incompétence. Structurelle ou conjoncturelle, l’incompétence? Pour pasticher Pascal, disons : «conjoncturelle en deçà du 49e, structurelle au delà»⌛

Parc des Vétérans, Lac-Mégantic, détruit par le souffle de l'explosion
* Plus d'une semaine après la catastrophe, le gouvernement Harper, à travers un remaniement ministériel, a propulsé Lebel «lieutenant du Québec» auprès du Premier ministre conservateur, promotion qui, du même coup, a évincé le mollusque Christian Paradis à la coopération internationale et à la francophonie. Voici comment la grossièreté des politiciens et leur lâcheté rampante sont remerciés au Canada. Belle leçon de «gouvernement responsable».

Montréal
10 juillet 2013

La valeur du speedo dans la culture de la pauvreté

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LA VALEUR DU SPEEDO DANS LA CULTURE DE LA PAUVRETÉ

L’un des principaux problèmes de la pauvreté, ce sont les pauvres. Car outre le fait que la pauvreté est une condition économique insuffisante à l’entretien d’une vie, c’est aussi une culture, et une culture de la pauvreté, c’est l’aliénation de la majorité des hommes et des femmes à des rêves qui sont «vendus» par une élite qui s’offre en exemple, à condition évidemment de ne pas la suivre.

Dans les romans du XIXe siècle, écrits par des bourgeois comme Victor Hugo ou Charles Dickens, les pauvres représentaient encore une vision catholique de rédemption. Les classes corrompues par l’argent, retrouvaient dans la pureté et l’innocence de personnages de la caste sous-prolétarienne des comportements héroïques, dignes jadis des récits des chevaliers du Moyen-Âge. Nancy, la généreuse petite prostituée du gang de Figin dans Oliver Twist ou le Gavroche des Misérables sont moins des reproductions de la réalité que des fantasmes bourgeois de la rédemption du monde par la capacité de sacrifice de soi des plus pauvres. Une sorte de christologie laïque. Ce n’est pas un hasard si les grands succès des comédies musicales sont précisément des récupérations à grands spectacles d’Oliver Twist et des Misérables. Moins que des hommages, ce sont des parodies des romans originaux. Un lumpenprolétaire qui se sacrifie, quelle belle conduite pour un esprit bourgeois! Du mélodrame. Rien de ces ouvriers grévistes, de ces étudiants manifestants, de ces femmes battues qui se défendent comme ils peuvent. Les deux issus du mythe sont simples. La mort (Nancy, Gavroche) ou la réception dans/par une famille morale (Oliver, Cossette), c’est à dire riche et bourgeoise.

Il ne faut pas oublier que les bourgeois ne viennent pas de l’aristocratie ni de la noblesse, mais bien du petit peuple : des travailleurs, des artisans, de cultivateurs mieux nantis financièrement, de spéculateurs mêmes. Au temps de l'âge industriel, déjà la culture de la pauvreté suivait  et adoptait les valeurs de la culture bourgeoise. À l'époque, la culture de la pauvreté essayait de se hisser, même artificiellement, aux valeurs de la classe dirigeante. Les romanciers de toutes nationalités, au XIXe siècle, racontaient les heurs et malheurs de l’ascension bourgeoise. Du parfumeur César Birotteau de Balzac à Saccard de Zola, pour ne prendre que la tradition française. En même temps, il était possible de mesurer l’évolution des mœurs et des valeurs de la classe bourgeoise qui allaient de la honte morbide des dettes chez Birotteau à l’impitoyable «curée» que Saccard exerçait autour de lui, à commencer par son fils et sa femme. Or, en s'inspirant de la culture bourgeoise, les pauvres s'efforçaient de hisser leurs valeurs, de prendre des modèles, de se donner des exemples de conduites morales. Or, c’est dans cette dégradation morale du comportement bourgeois, au fil de l’ascension de la richesse, que nous pouvons voir comment le modèle bourgeois est devenu le rêve pitoyable des pauvres, la base même de la culture de la pauvreté. Rendu à l’âge post-industriel, la culture de la pauvreté reste la récupération des rêves bourgeois, même si ceux-ci sont de la pire vulgarité. Et encore mieux lorsqu’ils sont de la pire vulgarité, ils rejoignent le fonds commun qui unissait jadis bourgeois et apprentis ou paysans pauvres.

Des romans comme ceux de Balzac, de Dickens, de Hugo ou de Zola concluent, bien avant Darwin mais en toute conformité avec l’enseignement de Machiavel, que l’ascension sociale dépend de deux facteurs : la force (le lion) et la ruse (le renard). La femme, l’argent, la réputation, le pouvoir (politique), l’intimidation, sont les buts de cette lutte que le darwinisme social, dénaturé de la pensée originale de Darwin, associe aux succès du fittest et du brightest. Cette morale simpliste se dément de nos jours par des procès aussi célèbres que celui d’Éric et Lola (en fait le clown de l’espace, Guy Laliberté), où on constate que si fittest et brightest que soit l’avaleur de flammes devenu millionnaire du cirque, ses déboires conjugales, la dépression économique, la réputation entachée, l’impotence et l’intimidation dérisoire (qui a obligé les journalistes à ne pas révéler son nom durant l’affaire) ne sont que de la poudre aux yeux. Combien de biographies d’hommes riches et célèbres faut-il donc lire pour ne pas constater qu’on en arrive toujours à la même finale : il meurt malheureux, seul, étouffé dans sa richesse et méprisé de tous.

Or, c’est un tour de force sadique que de faire partager ce rêve aux malheureux de la terre. La fable - car c’est devenue une fable de La Fontaine - des Lavigueur en est un exemple. Tout commence par une série de coïncidences pour le moins burlesque (on en trouve des identiques dans les films de Charlot et de Laurel & Hardy, etc.) : billet de loto acheté, billet gagnant, billet perdu, billet retrouvé. Du vaudeville, on passe rapidement au mélodrame avec la mort de la mère, l’initiatrice du bingo familial, qui meurt avant même de voir l’argent. Puis, au moment du triomphe, le père Lavigueur veut s’acheter un «truck de bière», faire des voyages dans le sud, s'acheter une maison de riche kitch où il boira ses caisses de bière en camisole. C'est ainsi que le monde de la loto s'engraisse de la culture de la pauvreté. Ce n’est pas parce qu’on devient riche qu’on cesse d’être pauvre, et c’est là toute la morale de la fable. Tout le reste n’est qu’une suite où alternent le burlesque et le tragique. Tout le monde meurt : par maladie, par suicide, par addiction à la drogue et la seule qui y gagne demeure celle qui s’est équipée d’un salon de coiffure. Rêve également lié à la culture de la pauvreté.

Devons-nous remonter dans le temps? Voici l’un des premiers films de fiction de Denys Arcand, La maudite Galette. Un mon oncle avoue à son fils et à sa bru qu’il a un motton de caché et qu’il voudrait le léguer à ce couple. Pour fêter, tout le monde s’enivre et les brimades fusent de toutes parts, de sorte que le mon oncle part en claquant la porte les avertissant qu’ils ne toucheront pas une cenne de son magot! La bru, digère mal cette menace, appelle ses frères et organise le vol de la maison du tonton, perdue en pleine campagne. Dans une longue séquence qui rappelle les films noirs français d’après-guerre, les apprentis voleurs roulent dans la nuit sur un chemin non éclairé avant d'arriver à la maison. Ils s'emparent du vieillard, le torturent et le tuent. Tout se passerait bien si l’homme de main du couple, considéré comme un demeuré, ne les avait pas suivi. Et commence le jeu de massacre. Tout le monde y passera jusqu’au demeuré et à la bru qui, rendus chez les parents de l'homme de main, s’entretuent pour le magot dans la petite maison pauvre sous le pont Jacques-Cartier, proche du port de Montréal. Dans la marre de sang, le couple de petits vieux s’empresse de ramasser l’argent et de le cacher dans le baril de la lessiveuse à tordeurs. La scène finale nous les montre au volant d'une auto neuve, sous le soleil - comme en clair-obscur avec la longue conduite funèbre de route de campagne de nuit -, sur l’autoroute Bonaventure en direction de la Floride, où ils iront finir leurs vieux jours avec l’argent du crime. Là encore, ce n’est pas parce qu’on devient riche qu’on cesse d’être pauvre.

Et l’on pourrait remonter ainsi jusqu’au roman de Gérin-Lajoie, Jean Rivard. Le célèbre personnage de Claude-Henri Grignon, Séraphin Poudrier, a, lui aussi, pendant près d’un demi-siècle, enseigné quotidiennement, puis de manière hebdomadaire, la même rengaine. Même riche, Séraphin Poudrier maintien une culture de la pauvreté dans son ménage, et sa femme Donalda ne cesse d'implorer Sainte Misère, les colons endettés de boire comme des trous, de forniquer revêtus avec leurs longues jaquettes et bonnets de nuit et le gouvernement de décerner des permis de quêter dans les paroisses. Bref, un avant-goût rustique de nos débauches post-modernes.

Bien sûr, ruse et violence ne se pratiquent pas de la même façon chez les riches que chez les pauvres. Les riches enduisent la matraque de vaseline, leur policiers ajoutent un bottin téléphonique entre la matraque et la tête du matraqué lorsqu’il s’agit d’interroger un gréviste ou un soi-disant activiste. On ne va généralement pas, comme au Chili sous Pinochet ou en Argentine sous les militaires, jusqu'à faire «disparaître» les corps des prisonniers récalcitrants. Ici, pas d’électrodes aux testicules ni de requins dans le Golfe Saint-Laurent pour dévorer des anarchistes revendicateurs. Les requins se prélassent paisiblement dans des spa, à Sagard, ou dans les avions qui trainent des queues de journalistes, de metteurs en scène, d’écrivains, de photographes harnachés derrière une bibitte de Péladeau ou d’Angelil. Avec ces bibittes, les rêves des pauvres deviennent l’équivalent du dicton américain : «n’importe qui aux États-Unis peut devenir président». Quelle que soit la vérité de cette phrase, il faut reconnaître qu'en un peu plus de deux cent ans, il n’y a eu que quarante-trois Américains qui sont parvenus au poste de président des États-Unis, ce qui est assez peu, reconnaissons-le.

Au Québec, la violence que contient la culture de la pauvreté s'exprime de manière plus directe, plus brutale. Pas de vaseline, ici. On y va à bras raccourci. À la violence traditionnelle des «Québécois de souche» se joint des violences de groupes ethniques récemment immigrés. À Montréal, chaque groupe ethnique a sa mafia de petits racketters qui rançonne ses marchands, ses fonctionnaires, ses syndicats. Les jeunes ne rêvent plus de devenir comme ces vedettes du hockey, Maurice Richard ou Guy Lafleur - les jeunes ne les ont pas connus -, mais des superhéros de bandes dessinées! La frustration de pouvoir accéder aux biens de consommations de divertissements les entraîne à devenir, très tôt, petit dealer de drogue, cambrioleur de dépanneur à la petite semaine, en faisant même du «taxage» dans les écoles. Il n'y a pas de petits profits. En retour, la bourgeoisie recrute ces meilleurs fiers à bras pour la protéger. Pour détourner les jeunes noirs de Montréal de la tentation de rejoindre les gangs de rues, on les entraîne afin de devenir de futurs «champions» de boxe - solution que l’on retrouve partout dans le tiers-monde : plutôt que de les voir taper du bourgeois, mieux vaut les voir se tapocher entre eux et parier sur les meilleurs poings -, mais combien, pour la plupart et dans le meilleur des cas, ne finiront-ils pas agents dans une compagnie de sécurité à veiller sur les sacs d'argent des capitalistes? De menace au ventre du bourgeois, on en fera des protecteurs de ce même ventre. Pasolini avait fait bondir les étudiants de Nanterre (je crois) lorsqu'il leur avait dit qu'ils n'étaient pas des prolétaires; que les prolétaires - les vrais -, étaient dans la police qui les avait matraqués en mai 68. Il avait raison.

Si l'on enlève toutes les couches d'hypocrisie et de faux bons sentiments (comme des vrais d'ailleurs), qui enrobent ces solutions partielles, nous nous apercevons que la violence est le point de rencontre des deux classes sociales. Bourgeoisie et classes pauvres se distribuent des codes exclusifs où la violence des uns est confrontée, autorisée ou limitée par la violence des autres. Comme un étau, ce double rapport de forces exerce une pression insoutenable sur l'ensemble de la société, de sorte que les débordements sont constants. Brutalités policières exagérées contre crimes meurtriers dans la petite pègre. Ayant appris à s'en accommoder, les villes font avec. En Europe comme en Amérique. Les programmes de rééducation et de réinsertion des condamnés mineurs ne sont que des solutions incomplètes et cathartiques. Le problème est donné (résolu ou non) au cas par cas, et non par rapport à une stratégie de socialisation. Le discours enrobant toutes ces initiatives sont les mêmes que l’on retrouvait dans les romans bourgeois du XIXe siècle. «Ouvrir une école, c’est fermer une prison», disait Hugo. C’est beau, on y souscrit volontiers, mais dans les faits, ce n’est pas automatique. L’école est une prison comme la prison est une école, et les matières qu’on y enseigne conduisent souvent aux mêmes résultats.

Prisonniers d’une morale manichéenne du bien et du mal, nous classons de même les institutions. L’Éducation, la Justice, le Commerce, l’Industrie, les Finances, la Santé sont de bonnes institutions; l’ignorance, le crime, le vol, l’extorsion, les fraudes et la maladie sont de mauvaises. Mais lorsque l’éducation conduit à limiter la connaissance et à entraver la conscience, ne se livre-t-elle pas entièrement à l’ignorance? N’est-ce pas ce que les ténors de la Révolution tranquille reprochaient à l’éducation «arriérée» donnée par le clergé au temps des Insolences du Frère Untel? Or, le constat, aujourd’hui, reste le même. La connaissance, la conscience se cultivent en dehors des institutions du savoir, et même du haut-savoir. Et la Justice? Quel ministère porte-t-il un titre aussi peu convenant à ce qui s’y donne que celui-là? La vérité, la justice se transigent dans des négociations interminables qui tournent toujours autour de l’argent. La lourdeur du spectacle burlesque et anachronique des procédures des «gens de robes» s’unit au byzantinisme crasse du fonctionnariat juridique qui vise essentiellement non à faire respecter la «loi» quasi sacrée, mais à trouver des fonds dans les poches des accusés et des condamnés. Le Commerce? Encore ne se voit-il pas grever d'un fort manque d'éthique et d’équité, car le commerce inégal qui fait du Québec une colonie du Canada, des États-Unis et de l’Europe à travers la sacro-sainte idéologie du libre-marché se fait toujours au mépris des consommateurs locaux et aux bénéfices des producteurs étrangers, tout comme dans le bon vieux temps du colonialisme. Et l’Industrie? Elle a  déjà été sacrifiée depuis vingt ans, et ce dans tous les domaines : agriculture, transformation, mise en valeur des ressources naturelles. Les Finances sont généreuses des biens des particuliers, mais selon les classes sociales auxquelles ils appartiennent, ce qui signifie qu’il y a beaucoup d’extorsion dans les calculs fiscaux des petits-bourgeois et des salariés et encore plus d'évasion et de détournement fiscal dans le calcul des revenus de la grande bourgeoisie et du haut-fonctionnariat. Enfin, la Santé dont rêvent les bourgeois équivaut à l’immortalité. Et cela se paie. Pour les autres, il s’agit de bien savoir gérer leur maladie et leur mort. Ce n’est pas que ces institutions ne font que du mal, mais elles ne font pas que du bien, et la balance est déficitaire du côté du bien. C'est la différence entre notre Idéal du Moi collectif puisé dans les utopies libérales du XVIIIe siècle et des Lumières et notre Moi idéal qui est celui d'une société où les passions ne se soumettent pas à la raison comme prévu : entre la «richesse de la nation» et «la culture de la pauvreté», comment s’articulent les deux données?

La bonne ou la mauvaise gestion de la richesse dépend de deux variables : qui produit cette richesse et qui gère cette richesse? La pauvreté produit beaucoup de richesse, c’est-à-dire tout ce que la société ne paie pas pour le travail et les services qu’un grand nombre de gens, membres pourtant de la société, lui procurent tout en étant refoulés de la gestion sociale : agriculteurs ayant fait faillite; professionnels non-employés et non protégés suite aux monopoles syndicaux liés par les conventions collectives aux intérêts du patronat et des gouvernants; travailleurs non qualifiés pour des tâches dont ils sont écartés afin de restées inoccupées parce que trop coûteuses à combler; travailleurs autonomes ou saisonniers dont les tâches sont parcellaires et non assimilées au régime de protection sociale. C’est la production de la richesse qui engendre la pauvreté alors que par définition, du moins dans l’esprit d’Adam Smith, c’était tout le contraire qui devait se réaliser. C’était vrai où le capitalisme industriel devenait un capitalisme essentiellement de production. Maintenant que nous sommes dans un capitalisme de consommation, la chose ne l’est plus. Le néo-libéralisme trahit de ce fait la doxa dont il ne cesse de se revendiquer. Plus il y aura de richesses, plus l’appauvrissement cumulera les valeurs de la déchéance, celles du déchet, de la pollution et du gaspillage, de l'abject, et cela, même si le pouvoir d'achat des pauvres s'améliore légèrement. La mal-bouffe n’est pas que pour les riches, elle est surtout pour les pauvres. Les logements surévalués sont abandonnés pour une nouvelle culture des taudis dissimulés dans les demi sous-sols, les derniers étages, les mansardes, les appartements de H.L.M. trop petits, trop inconfortables, trop bruyants pour que quiconque puisse y rester. Ainsi, selon le principe du Québec inc des Bourassa et des Bouchard, le Québec s’enrichit alors que les Québécois ne cessent de s’appauvrir, et ce qui empêche de le voir ressembler à ces photos misérabilistes des années 30, c’est que les familles se sont réduites de 17 à 1 enfant.

De sorte que si les gouvernements successifs sont parvenus à réduire progressivement - et trop lentement - la pauvreté économique sans pour autant la rendre plus viable, cette pauvreté n'avait d'autre choix, la culture populaire traditionnelle étant disparue, que de se donner pour culture que les valeurs d'une culture matérielle strictement limitée aux divertissements. Le désœuvrement des pauvres ramène, par un détour pervers, l'ennui et la désolation qui rongent déjà la culture bourgeoise. Cette culture sans esprit s'abandonne aux mirages de la télévision et de certains gadgets électroniques. L’ère du vide est celle de la culture de la pauvreté soumise entièrement au diktat d’une culture bourgeoise stérilisée déjà depuis un siècle. Les rêves des pauvres ayant toujours été faits des valeurs bourgeoises mais sans les possibilités économiques de pleinement les réaliser, le résultat, aujourd'hui, montre que ces rêves ne sont plus qu'une accumulation de sources de frustrations, de refoulements et de violence généralement retournée contre eux-mêmes. L'espoir toujours cultivé que tout le monde peut réussir dans nos sociétés passe du réel au virtuel et n'engendrera que davantage de psychose, davantage de schizophrénie, davantage de névroses majeures.

C’est la confrontation à ce constat que révèle le vidéo-clip du raper montréalais Alexandro Zapata. No Money No Candy (http://www.youtube.com/watch?v=jPCFPyE-pQU). Vieille locution québécoise qu’on entendait du temps de Duplessis, il est étrange de l’entendre reprise par un jeune montréalais. On a dit beaucoup de mal sur ce vidéo promotionnel. On l’a dit cheap; mal réalisé pour des oreilles faites au rap; sexiste, et un tas de grossièretés qui sortes aussi de la culture de la pauvreté. Certes, rien de comparable à la vidéo de Xavier Dolan. Mais, c’est précisément la différence de milieu qui oppose le vidéo de Zapata à celle de Dolan. La mise en scène, ici, est simple. Des fils à papa sur une plage, en speedo, faisant des sports nautiques. Autrement, les amis de Zapata ramassés autour de lui dans une ancienne taverne devenue le lieu où la bande se tient pour raper. Je l’ai peut-être dit, mais je n’aime pas le rap. Certes, on dira que mon goût bourgeois est incompatible avec une musique soul, une musique qui rythme sur deux temps avec des rimes dont la morale est souvent grosse comme le poing. À ce titre, le vidéo-clip de Zapata n’échappe pas à ces défauts qui font la qualité du genre. Mais comment les amateurs de rap en viennent-ils à ne pas aimer No Money No Candy?

Laissons les spécialistes discuter des qualités et des défauts du vidéo. Le rap a cessé d’être un genre propre à la culture de la pauvreté des quartiers afro-américains des États-Unis. C’est devenu une culture internationale, adaptée dans toutes les langues. Des raper comme Eminem ou Grand Corps Malade sont considérés comme des poètes. Je ne sais pas. Étant allergique au genre, j'y vois la poésie dans ce qu’elle a de plus facile, de plus «classique», et aussi de plus faux : le goût de la rime qui fait le rythme de la strophe. Avouons-le, nous sommes loin de Racine et de Shakespeare. Et aussi loin, si on peut dire, de Prévert. C’est parce que le rap est devenu partie intégrante de la culture de consommation bourgeoise, totalement récupéré, que No Money No Candy heurte une partie du publique. Comment? Parce que les jeunes gens bcbg présentés en speedo et en motos d’eau sont, précisément, des amateurs de rap. Sur la plage, c’est la musique qu’ils écoutent. Dans leurs soirées de graduation, c’est celle sur laquelle ils dansent. Même les Afro-américains qui ont fait fortune avec le rap se sont vite assimilés à la culture bourgeoise, même s’ils boitillaient toujours du pied pour rappeler qu’ils étaient des descendants des anciens esclaves enchaînés, ils ont hissé la valeur du mal (le crime, la prostitution,  le viol, la vendetta, l’extorsion, l’intimidation) au rang des valeurs bourgeoises qui reconnaît SA vérité dans ce langage importé des classes défavorisées. Et les rapers de la taverne ne demandent rien de mieux que de se hisser à ce niveau et profiter eux aussi des étés sur la plage avec des motos d’eau et des poupées de luxe en speedo. Voilà pourquoi, ce n’est pas parce qu’on devient riche qu’on cesse d’être pauvre. Cette loi de l’éternel retour, c’est celle prêchée par Zapata.

Ici, plus de notions de progrès ni de décadence. C’est la règle du jeu : no money, no candy. Jeu des affaires qui se jouait déjà sous Duplessis, Bourassa et Bouchard. Rien de neuf sous le soleil, comme le dit l’Ecclésiaste. Il n’y a pas à s’enthousiasmer, ni à déprimer. Contre l’aphasie qui paralyse, le texte dit que si tu veux avoir des candies, il faut te grouiller. Et se grouiller ici ne veut pas dire «travailler», «s’éduquer», «se tenir en santé», «se soumettre à la loi», mais «mériter». Or le mérite, notion particulièrement désuète dans nos démocraties totalitaires qui vivent sur le népotisme, ne s'acquiert plus aujourd'hui, on ne le sait que trop, par le travail, ni par l'éducation, ni par la soumission à la loi. On ne sait toutefois pas s’il s’agit d’un appel à la révolte ou à la violence gratuite, mais le rêve des rapers ne fait pas de doute : le cash qui manque marque une frontière entre les petits bourgeois en speedo sur les rives du Lac des Deux-Montagnes et les rapers de la taverne de la rue Ontario.

La confusion des deux groupes de jeunes rend mal à l’aise ceux qui aiment le rap mais pensent que les paroles ne s’adressent pas à eux. Peu importe, les deux groupes présentés dans le vidéo-clip disent fondamentalement la même chose. Cette condensation de la culture bourgeoise et de la culture de la pauvreté procède comme toujours, par récupération mutuelle. Pour la culture bourgeoise, il s’agit de récupérer des chansons de la culture de la pauvreté et d'en faire un hit sur les ondes. Pour les pauvres, il s'agit d'assimiler les valeurs fantasmatiques de la classe dirigeante. Voilà pourquoi les principales critiques contre le rap de Zapata sont essentiellement esthétiques. Il y manque de ce glamour que les producteurs de vidéo ajoutent à ceux de Fifty Cents ou autres rapersà la Eminem.  Les gosses de riches refusent de se reconnaître dans une vidéo cheap. Par le fait même, la récupération montre la perte d’authenticité que la culture bourgeoise fait subir à toutes les cultures qui ne sont pas issues de son milieu. Il en a été ainsi avec la culture classique, généralement aristocratique - ainsi de la Joconde violée par McDo pour une pub -, comme il en est de la culture de la pauvreté - le rap bonifié par les multiples montages, les effets spéciaux, le numérique. Cette débauche culturelle cache et révèle en même temps le fonds culturel de la classe bourgeoise : l’imitatio. Son incapacité «de se payer» l’emulatio l’oblige constamment à piller les œuvres des autres classes. Marx avait très bien compris cette stratégie culturelle, et c’est moins dans le monde des arts et des lettres qu’il trouvait la créativité de la nouvelle classe bourgeoise que dans ses produits matériels. Laissant Eschyle et Sophocle aux Grecs et à l’esclavagisme; Shakespeare aux nobles et à la féodalité, la culture bourgeoise lui apparaissait moins inventive que plagiaire. Et cela n’a pas cessé après un siècle d’apogée. La confusion des valeurs éthiques qui dénonce la fausseté du manichéisme religieux ou métaphysique prêché par les Américains est toujours des plus mal venues. Il est possible au cinéma, à la télévision, de produire des films qui dénoncent la rapacité économique, la menace du totalitarisme d’État, les cultures infernales du communisme et du socialisme, mais jamais il est permis de dire que les bons opèrent par la méchanceté, que ce sont eux les vrais porteurs du mal, les Lucifer de cette terre. Toutes les actions négatives conduisent à des résultats positifs, déformant ainsi la pensée d’Augustin qui disait que «du mal peut naître le bien». Il s’agit plutôt que le bien utilise le mal  mais à bon escient. Ce sophisme est pleinement bourgeois, incompatible avec les valeurs chrétiennes ou la morale chevaleresque tant il exprime la morale sadienne du capitalisme. «On est pas des trous de cul» disait un personnage de Marie Letellier dans son étude sur la culture de la pauvreté à Montréal dans les années 1960-1970. Peut-être. Mais avec la quantité de rêves à porter, il y en entre pas mal pour des culs si serrés⌛
Montréal
23 juillet 2013

Bref hommage à Alex Colville (1920-2013)

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Alex Colville. Pistolet de tir et homme, 1980
BREF HOMMAGE À ALEX COLVILLE (1920-2013)

N.D.L.R. Ce texte est rédigé à partir d'une lettre adressée à Pierre Cornudet sur Colville. Les extraits inédits pour ce texte sont entre crochets.

[Fascinant, en effet, que ce Cheval et train de Colville]. Et on peut dire ça de beaucoup de ses œuvres.

J'essaierai de comprendre l'œuvre comme ceci, et d'un point de vue rapide et incomplet. D'abord, Colville est un homme traumatisé par la guerre [la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il a participé comme combattant et comme peintre de guerre]. Ce qu'il essaie de faire, d'abord, c'est traduire la vie quotidienne des soldats dans leur vie militaire, comme le célèbre tableau montrant un [corps] d'infanterie [près de Nimègue en Hollande, 1946]. Mais aussi dans ce qui affecte le soldat en tant qu'homme. [Comme Rimbaud, il peint un soldat étendu sur le champ de bataille, nouveau dormeur du val :
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Passage tragique, 1945
[Cette présence de la mort ne doit pas être considérée comme le thème majeur de Colville, mais plutôt comme une hantise récurrente; la motivation de l'ensemble de son œuvre, même lorsque les scènes de guerre auront déserté ses tableaux.] Ainsi, à l'exemple de [ses contemporains] Delvaux et Balthus, on retrouve des espaces désertés qui, normalement, devraient grouiller de monde. La rencontre des deux fiancés se fait dans une atmosphère irréelle : est-ce un adieu (la mort du soldat) ou un retour désenchanté [(la promesse de la vie à deux rendue impossible par le trauma)] qui l'attend?
Soldier and girl, 1953
C'est, en tous cas, une atmosphère d'étrangeté, [moite] (le halo de chaleur qui enveloppe les luminaires) et où la lumière ne cesse de se confronter à l'obscurité (les fenêtres par rapport au vert sombre du train; la lumière qui jaillit de la porte de la gare; le reflet des luminaires absorbé [et réverbéré] par le quai; il n'y a pas jusqu'aux rails qui contrastent avec les dormants sombres). [Départ ou retour de guerre? Le quai déserté est de la même espèce que celui que nous retrouvons dans un tableau de Delvaux]
Paul Delvaux. La gare.
Cette opposition est-elle manichéenne? La menace de l'esprit des ténèbres contre la luminosité de l'esprit? Celle-ci va sûrement te toucher. [Dans L'enfant et le chien], le jeune enfant nu (probablement le fils de Colville), dont la peau reflète également la luminosité, face au gros chien noir, un molosse aux yeux rouges, laisse surgir un ensemble de questions : le chien est-il l'ami de l'enfant? L'enfant s'avance avec aplomb, il n'est donc pas apeuré par la bête. Les yeux rouges du chien ne rappellent-ils pas ces superstitions qui parla[ient] d'un chien noir aux yeux rouges incarnation du diable? En tous cas, la taille de ses pattes et ses griffes présentées comme [de véritables] serres n'inspirent pas confiance au premier abord. Est-ce alors deux figures indépendantes qui, jumelées, forment contrapposto? Les amitiés remplies de menaces? Le dogue protecteur ou ogre des contes de fées?
L'enfant au chien, 1952
Ou, peut-être? Le mal habite-t-il en chacun d'entre nous. Traumatisé de guerre, Colville a peint une scène au cimetière du camp de Belsen. Un certain goût des images dantesques, mais aussi la poussière des os dissous dans laquelle baignent les cadavres [horriblement] torturés et impitoyablement tués. L'homme peut révéler une bête immonde qui sommeille en lui par temps calme, puis se déchaîne.

Cadavres dans une fosse à Belsen, 1945
Nous ignorons si Mme Colville observe les quais qui s'éloignent ou la mer paisible [sinon «morte»], mais ses deux yeux sont devenus des lentilles dénu[ées] d'esprit [- un peu comme des masques à gaz en temps de guerre]; elles en font un être étranger à toute humanité. [Cette amplification du regard par des lunettes d'approche n'est pas la seule toile de Colville]. De plus, comme dans bien des tableaux de Colville, l'autoportrait est caché, ici par l'épouse envahissante [au premier plan]. La mer est calme, mais le petit voilier est porteur d'un orage latent des plus violents. Voilà sans doute l'un des tableaux les plus connus mondialement de Colville, mais aussi celui qui révèle combien les couples à l'apparence heureuse sont des Vésuves en attente d'éruption. «L'inquiétante étrangeté» se teint fortement de paranoïa.
Vers l'Île-du-Prince-Edouard, 1965
Le mal situé en soi finit par donner naissance à des pensées suicidaires [comme le montre plus haut Le pistolet de tir et l'homme]. Le suicide hante beaucoup de tableaux de Colville. Le mal en nous, c'est la destruction, comme lui ont enseigné les expériences de guerre Dans cette vue sur le Pacifique, l'homme observe-t-il la mer d'où pourraient surgir les ennemis ou l'ennemi n'agit-il pas précisément dans sa tête et dont l'arme, déposée sur la table, serait l'instrument d'accomplissement. Ici encore, la mer est calme, et l'homme, sur le seuil, attend, mais qu'attend-t-il au juste? La suggestion de passer à l'acte?
Pacifique, 1967
[Et il y a cette règle sur la table. Que mesure-t-elle exactement? N'évoquerait-elle pas la fameuse querelle entre Braque et Juan Gris; du premier, «J'aime la règle qui corrige l'émotion» et du second, «C’est l'émotion qui doit corriger la règle»? Nous aurions ainsi une clef de l'œuvre de Colville qui s'efforce toujours de repousser la tentation de l'auto-destruction en revenant à un figuratif associé au réalisme. Mais aussi laisse revenir le refoulé qui parvient à imprégner l'atmosphère de ses tableaux, malgré la volonté de se tenir à distance du geste irréparable qui serait, précisément, de saisir le revolver, de l'appliquer contre sa tempe et tirer.]

Pour Colville, le traumatisme de guerre, c'est la pleine compréhension de la fragilité de [la créature humaine], une fragilité aussi intérieure qu'elle ne se révèle [de manière brutale] qu'à l'extérieur. Des millions de morts en guerre, des génocides innommables; l'homme appartient à une ruche de Lilliputiens qui bourdonne [d']avions, [d]infanteries, [de] navires et [de] sous-marins, sans oublier trains et camions.
Arrêt de camion, 1966
Ainsi, cette œuvre exposée à Cologne, en Allemagne. La Station service, Un colossal camion où, entre la cabine et le «container», Colville nous laisse entrevoir un [pompiste ou un soldat] à l'avant-bras pansé (suite à une blessure de guerre?), et le chien qui renifle - un berger allemand -, chacun [étant] présenté l'un devant l'autre, [séparé par le camion] servant de frontière. Derrière le soldat, on aperçoit des arbres qui semblent avoir souffert plus des bombardements que de la chute naturelle des feuilles. Surtout qu'ils m'apparaissent comme des conifères, des arbres qui ne perdent pas leurs épines en automne! [Certes, on sent toute l'influence que le peintre américain Hooper a pu exercer sur Colville. En particulier sur ses scènes de villes, de routes, et même de prairie. Le retour du refoulé reste pourtant authentique à l'artiste canadien.] La vie est donc toujours menacée, et la vie humaine encore davantage tant elle se soumet à des situations d'auto-destruction majeures.

[Le résultat reste une vie suspendue dans le temps, comme chez Delvaux et encore chez Balthus. Nous pourrions avancer que ces artistes, qui ont créé surtout dans le second après guerre du XXe siècle, ont réalisé le projet des pré-raphaélites anglais du XIXe siècle (plutôt des romantiques et des symbolistes). C'est-à-dire qu'ils ont renoué avec l'aspect statique des tableaux de la première Renaissance. Le monde géométrique d'un Piero della Francesca (±1420-1492) par exemple. La célèbre Flagellationillustre assez bien comment l'univers «classique», «antique», renaît dans un espace italien du XVe siècle.
Piero della Francesca, Flagellation
Or, le goût de l'image statique où se succèdent des plans fixes où les personnages apparaissent libérés de la lourdeur de leur corps se retrouve chez les trois artistes pré-cités. Les formes géométriques absorbent entièrement le mouvement, comme dansLa patineusede Colville. Il en va de même pour
La patineuse, 1964
cet autre tableau, Autobus à Berlin, de 1978. La course ici livrée entre la jeune femme et l'autobus, ou contrairement à Cheval et train, se déroule parallèlement mais ne donne pas tant l'impression de la vitesse que deux mondes parallèles appelés à ne jamais se rejoindre.]
Autobus à Berlin, 1978
C'est [alors] qu'on en arrive à notre cheval fonçant vers le train.

Cheval et train, 1954
[Ce chef-d'œuvre d'art fantastique porte pour titre deux vers du poète sud-africain Roy Campbell (1901-1957) tiré de Dedication to Mary Campbell :
Against a regiment I oppose a brain
And a dark horse against a train

Contre un régiment j'oppose un cerveau
Et un cheval noir contre un train blindé.
Un émule naturel de Coleville. Orignal sur une piste cyclable
On ne peut nier l'influence que l'atmosphère de guerre fait peser à la fois sur la poétique du tableau comme son interprétation. Certains peuvent voir dans ce tableau une sorte de duel où il s'agira de savoir qui du mécanicien de l'engin ou de l'esprit du cheval s'arrêtera à temps pour éviter la confrontation mortelle. Or il est permis de se demander s'il y a un mécanicien à la barre de la locomotive? D'un autre côté, le dark horse, c'est le outsider du conformisme, du consensus qui, dans l'esprit de Campbell comme dans celui de Colville, défie son destin.

[De plus], ce cheval, nous le retrouvons ailleurs. On le voit fuyant la proximité de l'église. Cheval noir/église blanche - l'esprit (du mal?) contenu par la morale cherche-t-il à profiter de l'enclos ouvert pour s'élancer à la conquête du monde? Et si le monde finissait précisément dans cette rencontre avec le train?
Église et cheval, 1964
Le peintre joue-t-il sur le sens cheval/cheval-vapeur? Version moderne de la rencontre du pot de terre et du pot de fer? L'abandon du contrôle moral conduit inexorablement les pulsions, et en particulier les pulsions (auto-)destructrices à rencontrer leur destin. La couleur du cheval étant celle du chien aux yeux rouges, ne portent-ils pas tous deux, dans leur animalité, la nature déchue de l'homme, incapable de se soumettre à la rémission ou au salut? [Le bestiaire - et il est abondant - de Colville, ne prédispose pas à associer aux animaux une connotation diabolique. Chevaux, mais aussi chats, chiens (en abondance), outardes et autres espèces de volatiles peuplent l'univers tranquille de Colville. S'il y a une quantité également impressionnante de nus féminins, Colville semble éviter le portrait, sinon cet auto-portrait du haut où l'ambiguïté réside dans l'action qu'il pourrait s'apprêter à commettre. Il y a donc moins opposition de l'enfant et du chien qu'identification entre l'enfant et l'homme devenu adulte, du dark dog passant ainsi au dark horse. Il en va ainsi de cet autre chien qui s'engage sur la voie ferrée. Il se dirige vers nous. Sommes-nous le train qu'il doit confronter? Si l'angoisse ne réside plus dans le face à face qui s'annonce, il n'en demeure pas moins qu'il vagabonde seul sur les rails, en plein milieu d'un pont jeté sur la rivière et d'où il ne peut s'échapper survenant un train en sens contraire. Ce n'est pas fait pour évacuer notre inquiétude.
Chien et pont, 1976
L'aspect de calme qui se dégage de l'atmosphère marine des tableaux de Colville nous donne l'impression que ce calme est [bien] suspect. Qu'il est irréel. Peut-être est-il déjà la mort qui saisit l[e] vi[f]; la mort qui pétrifie les hommes dans [cet instant où ils s'élancent, comme la patineuse, la coureuse après l'autobus à Berlin, ou l'une ou l'autre de ses cyclistes, et stoppe leur mouvement au moment d'être. Et ce] dans ce qu'ils font de plus commun dans la quotidienneté des jours?

Ainsi, cette autre rencontre [plus paisible] de l'homme cette fois, avec le train?
L'océan limitée, 1962
Il n'y aura pas ici de face à face dramatique, car le tableau, à l'exemple [de ceux] de Jean-Paul Lemieux, le peintre québécois auquel on pourrait être tenté de rapprocher les tableaux de Colville, sont figés [également] dans leur[s] mouvement[s]. Placés à des latitudes différentes [en parallèles, comme la jeune coureuse et l'autobus], le ciel dans lequel [le tableau] baigne est toujours le même ciel maritime, les vallons sont recouverts d'une végétation terne et le train a des couleurs qui échappent au train sombre du tableau des fiancés sur le quai de la gare [ou au train blindé de Cheval et train]. L['homme], lui, avance sans plus d'attentes que de se rendre à son domicile.

Ce tableau a la composition du «pâté chinois» [le China pie des Anglo-saxons] : steak/blé d'inde/patates. Le train au museau rouge, c'est le ketchup qui s'en vient se verser dessus. Interprétation grotesque sans doute, et j'ignore si Colville [appréciait] ce plat si important de la cuisine québécoise.

Doit-on alors penser au «dark horse» (et non au «Black horse», la bière si appréciée des ex-soldats canadiens) de Roy Campbell? Il semble bien. La guerre a fait tant de pauvres diables qui ont perdu, pendant et après, toutes raisons de vivre, d'aimer ou d'espérer, qu'ils se sont à peu près tous suicidés, d'une manière ou d'une autre (expéditive ou lente). Ce personnage anonyme (sans traits du visage) appartient, en effet, à ces dark horses qui se précipitent vers leur destin destructeur. Mon père ayant été engagé volontaire lors de la Seconde Guerre mondiale [il en était réduit à s'engager par le boycott des employeurs] en était revenu brisé, sans vitalité sinon que subir la vie en toute «résilience», mot à la mode (on demande aux citoyens de Lac Mégantic d'être résilients, et on les félicite de leur résilience), avec, pour épancher sa détresse et sa colère refoulées, que l'ivrognerie passagère. Avec sa casquette, il me rappelle l'homme du dernier tableau et le gazon jaunâtre, celui [des pelouses] de Saint-Jean-sur-Richelieu, l'automne. À sa façon, Colville était l'un de ses frères d'armes et il a traduit pour tous ce que chacun retenait en lui⌛
L'arrêt pour les vaches, 1967. Les vaches sont importantes dans le bestiaire de Colville.

Montréal
5 août 2013

Pourquoi Stephen Harper risque de passer pour le plus grand Premier ministre du Canada du XXIe siècle

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POURQUOI STEPHEN HARPER RISQUE DE PASSER POUR LE PLUS GRAND PREMIER MINISTRE DU CANADA DU XXIe SIÈCLE







Ce texte contient des scènes politiques,
de nudité et de sexe qui pourraient ne pas
convenir à tous les lecteurs. La S.R.C. 
préfère vous en avertir. 

C’est terrible avoir à penser cela. Les politiques de Harper sont méprisables au plus haut point et nous devrions en avoir moralement et intellectuellement une honte des plus blessantes : la démagogie partisane, l’effronterie internationale, le mépris des peuples, l’impérialisme nordique, le militarisme effréné, le nationalisme borné, l’anti-intellectualisme primaire, et sans doute que chacun d’entre vous y ajouterait sa pierre personnelle. Si Stephen Harper était la femme adultère de la parabole, personne ne se retiendrait de lui lancer sa pierre.

Nous regardons ainsi le «règne» de Stephen Harper car nous payons, par notre travail, nos taxes, nos impôts et les compressions budgétaires imposées, le prix de ses politiques démentes. Nous ne pouvons avoir sous les yeux la dimension des temps à venir qui replaceront dans une perspective logique cette débauche de politiques asociales. Reportons-nous un peu plus d’un siècle en arrière. Un Bismarck aurait pu recevoir autant de pierres de la part des Allemands de son époque, toutes classes confondues, que notre Harper; mais, à travers son empressement à donner des politiques de sécurité sociale aux Allemands, il coupait l'herbe sous le pied de ses adversaires socialistes, de même que par sa diplomatie militaire de n’ouvrir qu’un seul front à la fois, il donnait une sage défensive à laquelle le Troisième Reich de Hitler a pu s’imposer pendant deux ans à l’ensemble de l’Europe. Rompant avec la politique bismarckienne, il signait l’arrêt de mort de son régime - et le sien. Voilà pourquoi, aux yeux du XXe siècle, Bismarck fut un grand chancelier et un homme d’État occidental incomparable. Dans un siècle, il est probable que nous dirons la même chose de Stephen Harper et, eh oui, c’est tout aussi affligeant.

Malgré les vains efforts de Yann Martel - l’auteur du Livre de Pi - d’initier notre Premier ministre du Canada à la grande littérature, on peut se demander, à part des cahiers à colorier, quel livre cet esprit a bien pu lire par le passé? Ne rions pas. Harper a parfaitement assimilé le Machiavel pour les nuls. Il a retenu chacune des leçons du Prince avec une parfaite amoralité devant la prise et la conservation du pouvoir. Nous ne l’aimons pas? Ça ne l’affecte nullement, tant il sait que la crainte est meilleure garantie que l’affection. Nous le trouvons opportuniste? Tant mieux, il servira les intérêts de ses bailleurs de fonds avec moins de circonspection. Il tient ses amis proches mais ses ennemis encore plus proches? Cela lui a évité bien des dérapages. Contre les trudeaumanes et coupant l'herbe sous le pied du Bloc Québécois, il a octroyé la reconnaissance de la nation québécoise sans que cela ne lui coûte aucune application réelle de cette reconnaissance. Nous le trouvons caché sous le jupon de la reine, et c’est la Banque d’Angleterre qui vient débaucher le président de la Banque du Canada pour redresser ses finances. Sont-ce là de ces ruses de la raison que Hegel voyait parfois s’immiscer dans la dynamique de l’Histoire?

La conséquence du machiavélisme appliqué consiste essentiellement à hisser le Prince au-dessus des lois, ce qui dans le temps avait appelé la réplique légaliste de Jean Bodin. Les résultats deviennent la mesure morale des moyens utilisés, ce qui a entraîné la répulsion des vertueux habitants des sépulcres blanchis. Le principe de réalité qui impose le pouvoir, le commandement, la direction, a pour effet la castration, l’impuissance et la soumission et, malgré nos cris de protestations, personne ne se lève pour appeler à abattre le tyran. L’opposition s’auto-muselle avec des chefs politiques qui n’ont ni une vision utopique ni l’enthousiasme du combattant qui résisterait à une tyrannie. On ose même pas utiliser le mot ni le ton tant notre conception dévirilisée de la démocratie bloque ce mot dans le fond de notre gorge. Le libéral-démocrate Thomas Mulcair - Tom, car s’il y a Tom au Parlement il n’y a pas Steve en face de lui -, Tom Mulcair donc, n’est qu’un bon batailleur mais pas un condottieri capable de foudroyer le dragon. Tant qu’à Mini-Pet, laissons-le avec sa mini-buste. La tête enflée grosse comme les seins de sa femme ne mérite pas qu’on s’y arrête un instant de peur de prendre une vessie pour une lanterne.

Contrairement à ses adversaires politiques, Stephen Harper a une vision du Canada, une vision qu’il est prêt à imposer contre le monde entier, comme nous l’avons constaté dès le temps où il dirigeait un gouvernement minoritaire et qu’il a versé son pétrole des sables bitumineux albertains dans le carburateur de Kyoto. Contre le monde entier - et surtout l’Europe -, il s’est mis au défi d’avoir raison jusqu’à envoyer son ministre des ressources naturelles oser dire face à la communauté européenne que le pétrole des sables bitumineux était une source d’énergie écologique! Machiavel aurait apprécié une telle gifle. Et, contrairement à il y a cinq ou six ans, les Européens ont avalé la pierre sans gourmander! Il se peut que les Européens commencent à entrevoir ce qu’a été, depuis toujours, le plan Harper. Et ne parlons surtout pas d’agenda caché, car tout est là, sous nos yeux, comme la Lettre volée d’Edgar Poe. C’est nous qui nous refusons obstinément de voir, car la peur de percer «le monde selon Harper» nous effraie tant elle pourrait nous séduire. Pourtant, c’est bien cette vision d'une poétique de l'avenir du Canada qui l’inspire dans ses décisions.

1. La démagogie partisane

Nous avons parlé de la démagogie partisane qu’utilisait Harper dans ses discours et sa rhétorique pour vendre ses projets de loi. Harper est un tyran. Nous associons immédiatement la négativité au mot de sorte qu’il apparaît redondant de dire que Harper est un «tyran mauvais». Mais certains conservateurs trouvent sans doute que Harper est un bon tyran. Parce qu’il promeut leurs intérêts, mais aussi parce qu’il obéit à une tradition politique canadienne qu’on a vu à maintes reprises se répéter par le passé. J’ignore si Harper est ou non un grand lecteur, mais il a probablement lu le Duplessis de Conrad Black. Le baron de la presse conservatrice - un temps noble siégeant à la Chambre des Lords, un temps prisonnier dans les cachots américains -, avait écrit cette lourde biographie (mal-faite) du Premier ministre du Québec Maurice Duplessis (1936-1959). La démagogie avec laquelle Duplessis méprisait ses adversaires libéraux T.-D. Bouchard et G.-É. Lapalme; l’utilisation qu’il faisait du terrorisme de la Guerre Froide pour saisir - la célèbre loi du cadenas - les pamphlets de gauche; l’utilisation également qu’il faisait de la Police Provinciale pour matraquer les syndiqués; la manipulation idéologique du clergé catholique, le duplessisme était une politique démagogique de droite où l’autoritarisme se moquait du processus démocratique grâce à la corruption et au trafic des scrutins. Les récents scandales qui ont éclaboussé le gouvernement conservateur entraînés par des sénateurs rapaces et des conseillers maladroits ont, pour les Québécois, un air de déjà-vu. Mais Harper a hérité un autre aspect de la démagogie de Duplessis. Il ne se met pas lui-même en cause. Alors que l’Union Nationale, le parti politique de Duplessis, a rempli ses coffres et ceux de l'État avec la «petite loterie» des corrompus, Duplessis est mort plutôt pauvre. C’est avec l’argent de la corruption de l’Union Nationale que les Libéraux de Jean Lesage et de son «équipe du tonnerre» nous ont payé la Révolution tranquille de 1960. Harper et Duplessis, chacun à leur façon, font passer les intérêts de leur clientèle respective avant la satisfaction de leurs biens personnels.

Le modèle duplessiste, et on l’oublie trop souvent, n’était pas propre au Québec mais se trouvait généralisé dans l’ensemble du Canada d’après-guerre. Malgré les discours sur «l’autonomie provinciale» de Duplessis, ce dernier partageait la même politique que son vis-à-vis ontarien de l’époque le libéral Mitchell Hepburn (1934-1942). Plus tard, le premier ministre Harris de l’Ontario (1995-2002), dont Harper a repris le ministre des finances Flaherty, a «bossé» sa province avec le même mépris conservateur de Duplessis. Enfin, l’Alberta n’est pas absente de ce décor sinistre avec le règne de Ralph Klein (1992-2006), un règne de 14 ans comparable au règne de Duplessis de 1944 à 1959, et sous lequel l’explosion économique de la province s’est réalisée. Avec la même brutalité, Harris et Klein ont mis les Ontariens et les Albertains sous la coupe des politiques budgétaires de compressions des dépenses de l’État pour laisser l’entreprise privée les mains libres d’agir comme bon lui semblait. Duplessis et, à un moindre degré, Harris et Klein ont vendu les richesses naturelles et méprisées les ressources humaines avec une même désinvolture. Ce sont là les vrais précepteurs de Stephen Harper. On comprend mieux comment il a pu abroger la session de la Chambre des Communes pour se permettre de continuer à gouverner comme il l’entendait. Le fossé qu’il a creusé entre la Tribune journalistique et télévisuelle avait pour but de montrer qu’il n’avait que faire du «quatrième pouvoir» tant le seul vrai pouvoir réside entre les mains de ceux qui ont de l’argent. La force de la démagogie partisane, malgré les grincements de dents des «Alliancistes» qui voudraient voir revenir en quatrième vitesse la loi interdisant l’avortement et la peine de mort, lui permet de se garantir du côté de l’aile (extrême)-droite du Parti Conservateur. Elle lui est même utile tant elle rassure les mouvements gauchisants que, au fond, Harper reste le meilleur barrage contre les défoulements hystériques de ces républicains américains qui se sont trompés de pays.

2. Le mépris des peuples

Le corollaire de la démagogie est toujours le mépris des électeurs, en fait des peuples. Les Libéraux se sont scandalisés de la reconnaissance de la «nation» québécoise par le gouvernement conservateur et ce n’était là que des mots. Mais ce mot à en même temps montré qu’il ne signifiait plus grand chose au-delà du «sentiment d’appartenance» à une ethnie parmi d’autres. Mieux que le multiculturalisme à la Taylor et à la Trudeau, Harper a livré à Gérard Bouchard l’interculturalisme dont il se fait le défenseur. Le Canada est un devenu un lieu d’échanges entre différentes cultures sans pour autant attribuer à aucune d’elles des «privilèges» autrement celui d’exprimer leurs traditions. En ce sens les individus ne sont plus noyés dans l’anonymat de l’isolisme, mais «parqués» dans des champs culturels (des ghettos imaginaires?) qui se doivent mutuels respects. Des centres urbains comme Vancouver, Toronto et même Montréal y trouvent leur profit, tandis qu’on peut librement parler de la «culture albertaine» ou de la «culture néo-écossaise» avec le même sérieux que la culture québécoise. Il ne suffirait qu’elles demandent la reconnaissance de leur «identité nationale» pour que le gouvernement conservateur le leur accorde. Nous revenons ainsi à l’antique définition féodale de la «nation» qui s’associait à toutes sortes de groupes unis par un caractère commun. Les femmes pouvaient, à elles seules, former une «nation» dans un royaume et, pourquoi pas, les gays et lesbiennes dans le monde du XXIe siècle?

C’est dans cette optique qu’il faut comprendre la réaction viscérale du gouvernement du Parti Québécois à travers sa «charte de la laïcité». Cette chasse aux symboles religieux, autant qu’elle est pathétique, témoigne à quel point l’identité québécoise est au plus bas. Une collectivité - une nation - sûre d’elle-même ne crains pas les symboles autres que les siens. Plutôt qu’agir en majorité qui assimile les apports extérieurs, le projet du Parti Québécois retombe dans la vieille maladie de l’ultramontanisme du XIXe siècle, c’est-à-dire bannir, refouler, repousser à sa circonférence, les «étranges» - comme on disait dans le bon vieux temps d’Hérouxville! -, et se camper sur un quant à soi défensif et obsidional qui va jusqu’à sacrifier le crucifix catholique avec le niqab de la musulmane, le turban du sikh ou «l’assiette à tarte velue» de l'hassidique. Cette façon de se nier soi-même dans son historicité et son Être collectif, s’insère insidieusement dans la façon de rejeter les autres dans leurs cultures et leurs traditions. Les suggestions de la politique Marois ouvrent à l’existence de ghettos fermés (y compris les régionalismes québécois) et s’engagent dans la trace laissée par les honteuses lois de Nuremberg de 1935 en interdisant implicitement l’accès à la fonction et aux services publiques pour ceux et celles qui refuseraient de cacher leurs signes distinctifs. Alors que ceux qui se décoreront la peau d'affreux tatouages, se grefferont le visage de piercings, ou se vêtiront de costumes fantaisistes pourront servir d'infirmières ou de professeurs! L’ultramontanisme conservateur et nationaliste du XIXe siècle renaît dans le nationalisme péquiste à la dérive, et c’est dans cette dérive que réside essentiellement le problème.

Bref, en reconnaissant la «nation québécoise», Stephen Harper l’a déstabilisée. Il lui a donné ce que les nationalistes libéraux du Québec demandaient depuis Robert Bourassa : la reconnaissance de la société distincte sans pour autant lui accorder plus qu'un droit de retrait avec compensation. Voilà pourquoi l’apprenti-chef du P.L.Q. Philippe Couillard s’avoue prêt à signer la Constitution de 1982 demain matin! C’est mieux que ce que les trente années des gouvernements Trudeau, Mulroney et Chrétien sont parvenus à obtenir. Ruse machiavélique? Bien évidemment, mais le résultat en vallait la peine.

Il en va de même avec les Autochtones. Ceux-ci étaient particulièrement «choyés» du temps des Trudeau, Chrétien et Paul Martin. Les Pow Wow avec longs chapeaux à plumes et calumets de paix qu'on se passait de main en main pendant que la pègre autochtone encaissait les chèques du gouvernement fédéral et abandonnait leurs peuples à leurs conditions misérables est bien loin. Pour Harper, les «Premières nations» ne sont …que des nations. Comme les Québécois, ce sont des cultures en interconnexion les unes avec les autres. Pas de quoi déverser l’empathie des «sanglots longs de l’homme blanc», et la chef Theresa Spence pourra toujours poursuivre sa grève de la faim sous la fenêtre du Premier ministre, elle ne l’empêchera pas d’aller accueillir les deux pandas de Chine au zoo de Toronto. Idle-no-More n’est pas le Parti Québécois et la multiplication des pétitions que personne ne lit n’inquiète pas davantage. En ce sens, un gouvernement qui ne respecte pas ses peuples ne peut respecter davantage les autres peuples. Que le gouvernement conservateur coupe l’aide financière à des organismes qui font la promotion de la contraception dans des pays où se transmet le sida et ou la surpopulation crée des situations intolérables pour les plus pauvres, il sert ainsi les objectifs moraux de son électorat de la moral majority sans grever les mœurs canadiennes. En ce sens, le mépris que Machiavel - et le Prince - portaient aux hommes se retrouve dans les décisions politiques du gouvernement conservateur. L’indifférence aux changements climatiques avoue que ces hommes et ces femmes qui décident de l’avenir de l’ensemble des Canadiens, et non seulement de quelques groupes d’intérêts particuliers, font petite monnaie des conditions d’adaptation de l’avenir.

3. L'effronterie internationale

D’où le mépris des peuples conduit à cette effronterie internationale qui s’est manifestée surtout dans la suite à donner au protocole de Kyoto sur les changements climatiques (2009). Tous les automobilistes, même les plus conscientisés à la question environnementale, ont été soulagés lorsque Stephen Harper a enterré la taxe sur le carbone que l’ex-ministre Stéphane Dion entendait imposer aux Canadiens. Que Stephen Harper soit l’homme des pétrolières n’a rien d’extraordinaire en soi. Nous avons tous oublié les raisons pour lesquelles le gouvernement de Pierre Trudeau avait fondé et nationalisé Pétrocanada aux lendemains de la crise du pétrole en 1973, c’est-à-dire explorer afin d'exploiter le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta. Pour l’époque, les coûts mirobolants de l’entreprise coupèrent vite l’enthousiasme au ministre Marc Lalonde et la retombée des prix du pétrole suggéra que l’aventure n’en valait vraiment pas le coût. Si Trudeau et Lalonde avaient persisté dans leur décision, la colère que s’est attiré Harper serait retombée sur le Parti Libéral du Canada. En fait, Harper n’a fait que ressortir une vieille idée des tablettes. Évidemment, le but commercial de l’entreprise différait de l’orientation que lui donnaient les Libéraux, qui était, comme pour l’électricité au Québec, d’assurer l’indépendance énergétique et profiter des raffineries pour traiter le pétrole issu des terres canadiennes. Le but du gouvernement Harper est de vendre le pétrole aux Américains afin qu’ils ne touchent pas trop à leurs propres réserves. De l’auto-détermination énergétique nationale, nous avons régressé au statut de producteur colonial.

En retour, les plaintes adressées par les puissances étrangères, essentiellement européennes, concernent l’émission du CO2 dégagé essentiellement des automobiles à essence. Comme les grandes métropoles sont concentrées dans l’hémisphère nord, cette accumulation de gaz carbonique produit plusieurs effets qui ne sont plus remis en doute par les autorités compétentes. L’effet de serres, qui, progressivement, transforme notre climat tempéré en climat subtropical, annonce qu’un jour, le pourtour des Grands Lacs et la vallée du Saint-Laurent ressembleront à une seconde vallée du Mississippi. Déjà la flore canadienne - «la flore laurentienne» si minutieusement dessinée par le Frère Marie-Victorin - subit des maux importés des climats du Sud. Et bientôt, ce sera autour de la faune à se voir chassée vers le nord par de nouveaux parasites ou de nouveaux prédateurs. Autre effet pervers, la fonte rapide des calottes polaires. Nous savons depuis 1960 environ que le réchauffement climatique a commencé à être perceptible dès les années 1860. À l’époque, il n’y avait pas de développement industriel de l’ampleur de celui qui fait aujourd’hui de la Terre une boule puante qui circule, toujours sur le même cycle, dans l'espace. Il n’y avait que l’Angleterre et la Belgique dont on pouvait dire qu’elles fonctionnaient avec des dépenses élevées de charbons et de matériaux fossiles. Le phénomène du réchauffement climatique est donc inscrit dans la chronologie géologique. À cela, la chronologie historique s’est ajoutée au changement naturel, et n’a cessé de l’accélérer depuis la substitution du pétrole au charbon. À cela, il faut ajouter que les écologistes n’ont cessé d’étendre le champ des émetteurs massifs de CO2, allant de la respiration humaine des mégapoles comme Mexico ou Tokyo aux pets de vaches d’élevages.

La fonte des calottes polaires entraîne de ces effets perturbateurs, tel que l’écoulement de l’eau douce des glaciers qui, plus froide, vient se mêler aux eaux salées et chaudes des océans. Le grand conducteur marin qui passe par le détroit du Labrador ne cesse de neutraliser le courant chaud du Gulf Stream et, par le fait même, souffle l'air froid sur le continent européen. Outre ce gaspillage insensé des eaux potables, il y a les émanations de méthane entraînées par la fonte du pergélisol. Ce méthane s’accumule dans l’atmosphère, augmentant les effets délétères de l’effet de serres. Le dome qui s’établit ainsi sur l’hémisphère nord doit être analysé non pas sous l’angle des transformations historiques, mais des changements de l’écosystème planétaire. Pour Stéphane Harper, toutes ces critiques intellectuelles relèvent d’un alarmisme qu’il associe au terrorisme. Dans la lignée du groupe dit des «Lucides» qui gravitait voilà quelques années autour de Lucien Bouchard, Stephen Harper refuse de se laisser arrêter par qui que ce soit qui dresse des constats «négatifs» face aux entreprises de développement économique. Cela vaut aussi bien pour les inquiétudes manifestées par les Européens que pour les pétitionnaires canadiens. En refusant de s’engager dans une véritable politique tenant compte des menaces écosystémiques, la pensée prospectiviste du gouvernement conservateur du Canada ne dépasse pas les limites de la chronologie historique.

En fait, Stephen Harper fait une lecture «positive» des mêmes données et c’est par hypocrisie et duplicité, à l’image du Prince de Machiavel, qu'il nie les changements climatiques. Pour lui, ces changements n’apportent pas que des effets pervers, effets qui seront lents à s’installer (pense-t-il) et qui permettront de renouveler les entreprises capitalistes en créant de nouveaux besoins afin d’adapter les Canadiens à leur nouvel environnement. Ce qu’il calcule, par contre, ce sont les opportunités économiques que lui offriront ces changements climatiques. Les économistes et les conseillers financiers du gouvernement conservateur mesurent l’étendue des bénéfices par la quantité de territoires aisément rentables qu’entraîneront ces changements. Avant même le fameux Plan Nord de l’ex-Premier ministre du Québec Jean Charest, il existait une politique d’expansionnisme, mieux, d’impérialisme nordique du gouvernement Canadien.

4. L'impérialisme nordique

Cet impérialisme nordique se définit par deux orientations d’État. D’abord étendre l’exploitation des richesses minières et pétrolifères jusqu’au cercle polaire. De l’Alberta vers le Nord, il s’agira de pénétrer dans les Territoires du Nord-Ouest où les nappes de pétrole  se prolongent et promettent des quantités inespérées de barils de pétrole. Alors qu'au cours des années 2000, l'échéance des nappes de pétroles se situait à 40 ans avant l’épuisement des réserves planétaires, ce nouveau pactole pétrolier annonce que le Canada pourrait devenir, d'ici peu de temps, un joueur majeur à la table des Nations productrices de Pétrole (O.P.E.P.) et jouer sur le cours des prix.

Le second élément qui constitue l’objectif de l’impérialisme nordique est la fonte des glaces polaires et la libération de l’Océan Arctique au cours des prochaines décennies qui rendront possible un navigation à l’année longue. Ce faisant, le trafic maritime européen vers l’Asie sera détourné du canal de Panama pour passer directement de la Mer du Nord au détroit du Labrador et de là, suivra point par point les nouvelles cités que le gouvernement canadien parsèmera sur les côtes océanes jusqu’en Alaska. De là, le trafic maritime européen, passant par le détroit de Behring, arrivera à Vladivostok, à Tokyo et aux ports chinois. Détournant le trafic du canal de Panama afin de diminuer sur les coûts de transport entre le marché européen et le marché chinois, nous percevons mieux les démarches parallèles du gouvernement Harper de resserrer les liens avec Pékin tout en s’affairant à avaliser un traîté de libre-échange avec la Communauté Économique Européenne.

Les Européens retiendront-ils alors le souvenir de la gifle de Kyoto? Devant une telle perspective, les groupes d’intérêts européens auront vite compris où ils pourront bénéficier des retombées des changements climatiques. Après tout, les affairistes européens, tout comme les affairistes canadiens, savent bien que la seule chronologie dont il faille tenir compte est la chronologie historique. De plus, l’Europe de l’Ouest, dont le pétrole vient des champs pétrolifères de Roumanie et des anciens territoires soviétiques de l’Azerbaïdjan, du Caucase, de l’Ukraine et de la Georgie, maintenant républiques autonomes, vont se trouver sur le chemin du retour à l’État russe.

Ici, j’ouvre une parenthèse pour les effets que pourrait avoir un raidissement de la politique russe dans la diplomatie internationale. Si le président Obama peut se permettre à l’émission populaire américaine animée par Jay Leno de déclarer que nous sommes sur le point d'entrer dans une nouvelle période de «guerre froide» avec la Russie, ce n’est pas seulement pour des vétilles concernant la guerre civile de Syrie ou les mesures anti-gaies prises par le gouvernement Poutine. Il est bien évident que Vladimir Poutine n’entend pas se laisser dépasser par l’extrême-droite nationaliste et qu’il veut reformer l’unité «nationale» russe. À ce titre, les jeux olympiques de Sochi sont moins pour épater le monde occidental des prouesses russes qu’à des fins de consommation interne. Il serait même profitable, pour le gouvernement Poutine, que le boycott des jeux de Moscou de 1980 se reproduit et d’ici février 2014, rien ne dit qu’il ne disposera pas ses pions diplomatiques de façon à créer une accumulation de frustrations occidentales qui entraînera un tel boycott. Sochi, ville artificielle née de la démagogie poutinienne, vise à redorer le blason de l’ancien empire des tsars autocrates et du Soviet Suprême après vingt ans de déboires anarchiques. Il est impensable que ces territoires qui ont obtenu leur indépendance nationale aux lendemains de l’effondrement de l’Union soviétique ne reviennent pas, un jour ou l’autre, à l’intérieur de l’État universel russe. L’Ukraine est le cœur de la civilisation chrétienne-orthodoxe dans sa version Russe. Kiev fut la première capitale de l’État russe, coincé à l’époque entre la Horde d’or mongole et la pénétration par le royaume Polono-Lithuanien. Que l’agenda soit ouvert ou tenu caché, la politique de Moscou restera toujours la même depuis des siècles : retrouver les territoires perdus au cours de la dernière décennie du XXe siècle. Une telle entreprise, si elle venait tôt ou tard à se réaliser, risquerait de priver l’Europe occidentale du pétrole d'Asie mineure ou à l’obtenir à des prix prohibitifs.

On comprend dès lors l’importance de l’impérialisme nordique canadien. D’une part, le libre-échange Europe de l’Ouest/Canada créera pour ce dernier un marché du pétrole où les acheteurs se soucieront peu s’il provient des sables bitumineux - présentés récemment par un ministre canadien comme étant un «pétrole écologique» [sic!] -, ce qui, je tiens à le rappeler, n’a suscité aucune hilarité de la part des auditeurs européens, contrairement à l’effet qu’une telle absurdité aurait déclenchée il y a de ça à peine deux ou trois ans -, et un accès sur une période de temps réduite au vaste marché extrême-oriental, par la voie océane Arctique. Comme un nouvel Alexandre le Grand, Stephen Harper arpente chaque année la bordure océane de l’Arctique pour voir le résultat des changements climatiques et planifier la construction de nouveaux ports maritimes ou la mise à jour de sites existant déjà. Il y aura ainsi, comme les Alexandries de jadis, des Harperopolis, de Kuujjuaq au Québec à la limite de la frontière du Yukon et de l’Alaska.

5. Développement du militarisme

Voilà pourquoi l’impérialisme nordique suscite le développement d’un militarisme effréné des forces maritimes et aériennes du Canada. Stephen Harper sait qu’il y a deux puissances qui seront prêtes à lui disputer le contrôle de l’Arctique. La Russie et les États-Unis. Le seul prétendant sérieux sont les États-Unis. D’abord, à cause des milliards de dollars qu’ils perdront annuellement suite au déplacement du trafic maritime de Panama à l’Arctique. Ensuite, dans le but de maintenir la défense du glacis nord-américain qui est l’une de leur hantise depuis l’attaque de septembre 2001. Si pro-américain que soit le gouvernement Harper, si pro-républicain soit-il également au niveau de la morale sociale, le gouvernement de Stephen Harper doit d’abord privilégier les intérêts financiers canadiens. Ceux de son Alberta natale comme de l’ensemble de l’unité qui court désormais A mari usque ad mare usque ad mare. Si Wilfrid Laurier s’est grossièrement trompé en qualifiant le XXe siècle de siècle du Canada, Stephen Harper entend bien reprendre au XXIe le rendez-vous manqué, et tout semble ici confirmer sa poétique géographique et historique. C’est ainsi que nous pouvons comprendre les efforts déployés en 2012-2013 pour fêter le bicentenaire de la guerre de 1812. Je ne reviendrai pas ici sur la question discutée ailleurs sur les causes psychologiques de cette nécessité de célébrer une needless war, mais le fait seulement de rappeler que les intérêts du Canada ne sont pas toujours convergents avec ceux des États-Unis. Si les deux pays collaborent étroitement sur de nombreux points, dont la défense du glacis nord-américain où Ottawa est inféodé à Washington depuis la Guerre Froide, l’exploitation du Grand Nord canadien va nécessiter des modifications houleuses dans les relations entre les deux pays.

À ce titre la présence militaire - la construction de nouveaux sous-marins et de nouveaux navires de guerre ainsi que l’équipement aéronautique - se trouve au cœur des dépenses gouvernementales. Si le reste de la population doit constamment vivre sous des compressions budgétaires, des diminutions de services publiques, de déréglementations et de déresponsabilisation des ministères, la «défense» du Canada exige la «modernisation» de ses équipements et surtout de sa technologie. C'est en ce sens qu'il faut situer le fameux débat sur les F-18 ou encore l'énorme financement du chantier naval Irving d'Halifax. Personne ne se demande sincèrement «qui menace» le Canada? Avant même que la question ne lui soit posée, Stephen Harper répond «le terrorisme» qui, dans son imagination, va de Al-Qaïda à Greenpeace! Le moindre esprit critique s’aperçoit très vite du manque de sérieux de ces citrouilles d’Halloween. La vraie réponse est à anticiper en fonction de l’impérialisme arctique, et rien d’autres. Un impérialisme que Stephen Harper est prêt à soutenir même contre ses alliés américains.

6. La fierté nationale canadienne

D’où l’importance d’entretenir le nationalisme canadien et de renforcer la fantasmatique des anciens liens avec l’Empire britannique. Aux défaillances britanniques, le Canada se substitue comme l’héritier naturel  de Londres. Son culte de la reine et des symboles monarchiques vise à défaire les vieux complexes psychologiques canadiens face à l’arrogance américaine. Ce n’est pas par hasard que les journalistes canadiens, tant anglophones que francophones, ont été indignés par la façon dont le film Argo de Ben Affleck - qui met en vedette le réalisateur même - présentait le rôle des Canadiens dans l’évasion de six diplomates américains de l’ambassade à Téhéran en 1980. Pour comprendre cette levée de bouclier, il faut avoir à l’esprit trois  points : 1º l’évasion des diplomates américains par l’ambassade canadienne s’est déroulée à l’époque du gouvernement conservateur de Joe Clark; 2º Argo s’est mérité l’Oscar du meilleur film de l’année 2013 et l’Oscar du meilleur scénario; 3º la version cinématographique déforme sciemment et cruellement la narration des faits historiques. Dans le film Argo, la C.I.A. est présentée comme la maîtresse du jeu dans l’évasion des diplomates d’Iran alors que l’ambassadeur canadien, Kenneth Taylor, est présenté comme un mollusque. Dans les faits, il a dû protéger, confiné et caché dans l’ambassade canadienne, les six diplomates pendant 79 jours tant la C.I.A. ne parvenait pas à se décider à mener l’opération à termes. Bref, le film de Ben Affleck est un insulte à la fierté canadienne d’avoir droit, pour une fois, à la reconnaissance du peuple Américain dans une entreprise diplomatique délicate où les Canadiens risquaient leur peau autant que les diplomates évadés.

Il est indéniable que Ben Affleck est un «crosseur», et pour ceux qui n’en seraient pas convaincus, ils n’ont qu’à regarder jusqu’au bout ce court extrait d’une entrevue qu’il accordait à Dick. Il est indispensable de bien suivre le débit de l’entrevue, car la parole de M. Affleck dépasse son imagination. Mais, si nous revenons au nationalisme canadien, il est important de conserver à l’esprit que l’entreprise de l'impérialisme arctique nécessite derrière elle une population fière, virile, militarisée et se tenant au service de son gouvernement. Il y aura trop d’argent en jeu pour se laisser dépouiller même si, présentement, il s’agit de jouer le jeu du colonisé. Il faut, pour les projets d'avenir, préparer la population canadienne face aux Américains et face aux Européens. L’opération 1812 visait à rappeler que non seulement les Canadiens ont déjà résisté aux incursions de leurs voisins du Sud, aguichés par les richesses canadiennes, mais qu’ils ont gagné cette guerre de 1812 - qui, dans les faits, s’est soldée par un match nul. Ensuite, face aux Européens, les célébrations du centenaire de la Grande Guerre, qui commenceront en 2014, seront là pour leur rappeler que durant les deux guerres mondiales du XXe siècle, les Canadiens se sont volontairement engagés dans la guerre aux côtés des alliés, et ce bien des années avant les Américains. Qu’ils ont lutté avec les autres coloniaux britanniques sur les champs de bataille de France et de Belgique : Aux batailles d'Ypres, à la crête de Vimy, les batailles de Courcelette et de Passchendaele où sont tombés tant de soldats canadiens, doivent être remémorées dans l’esprit des Européens aussi bien que des Canadiens avec lesquels les privilèges du libre-marché devraient être reconnus. La portée idéologique du nationalisme, d’un côté ou de l’autre, intérieur comme extérieur, n’est jamais gratuit ou innocent.

7. L'anti-intellectualisme primaire

L’anti-intellectualisme primaire avec lequel le gouvernement Harper traite des questions politiques et sociales est le complément d’une recherche de la passivité populaire et citoyenne. Cultiver la paranoïa du terrorisme écologique, diminuer les subventions d’aide à la culture, engager la virilité canadienne dans le militarisme et «l’agressivité défensive», surveiller les mœurs et les réseaux sociaux afin qu’il n’y ait ni écarts de conduite privée ni propagandes «anti-canadiennes», ramènent aux politiques démagogiques dont nous parlions en début d’article. Le culte du souvenir d’une histoire du Canada chargée de victoires militaires et d’engagements pour les valeurs de liberté et de démocratie sont là pour nourrir la fantasmatique et non la progressive application de ces valeurs. Comme la République n’avait pas besoin de savants, l’Empire de la nordicité canadienne n’a pas besoin de critiques, de philosophes et d’historiens. Il faut laisser Stephen Harper suivre son cours.

En conclusion, il faut donc reconnaître que Stephen Harper est, de tous les hommes politiques canadiens actuels, le seul à avoir un programme économique, politique, diplomatique et social. C’est un programme démagogique, insolent au niveau international, méprisant au niveau citoyen, impérialiste et militariste, nationaliste et anti-intellectuel. C’est une politique des Contre-Lumières mise au service de groupes d’intérêts particuliers et non de la population canadienne. C’est une poétique de l’espace et du temps centrée autour d’une intrigue projetée dans l’avenir selon les conditions de transformations écosystémiques et économiques. Pour cette raison, cela fait du gouvernement Harper un gouvernement cohérent, machiavélique, suffisant et dangereux⌛

Montréal
22 août 2013

Lorsque le parricide s'efface devant l'infanticide

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Francisco Goya. Saturne dévorant ses enfants, (détail)
LORSQUE LE PARRICIDE S'EFFACE DEVANT L'INFANTICIDE

…si l'on examine l'histoire on découvrira que
"l'hostilité des pères envers leurs fils (fondée sur
la peur de la mort, de la destitution) est bien
plus manifeste dans les récits humains que
l'hostilité des fils envers leurs pères". Cette
hostilité des pères est "le centre véritable de
l'expérience humaine". En d'autres termes, le 
rôle principal n'est pas tenu par Œdipe tuant
son père, mais par Chronos tuant ses enfants.
Le parricide s'efface devant l'infanticide. Et
en vérité, il existe bien des indices d'une
conspiration mondiale contre la jeunesse,
comme lorsque Mao, Nixon, De Gaulle et Brejnev
se rendirent compte qu'ils avaient un ennemi
commun. Ils inventèrent la "détente" de façon
à pouvoir étouffer la rébellion de leurs propres
enfants.

LINDSAY WATERS
L'éclipse du savoir, pp. 83-84 


1. Du complexe de Ganymède…

L’universalité du complexe d’Œdipe est posée comme la structure névrotique de l’humanité. Ce qu’on appelait le «pansexualisme» de Freud a pourtant reçu des démentis très tôt de la part des Malinovski et autres anthropologues qui étudiaient les populations des îles Trobiand et autres régions où la structure familiale différait fortement de celle de la Vienne du tournant du XXe siècle. Une thématique comme l’homosexualité était vite évacuée côté cour dans l’idée facile de complexe d’Œdipe négatif (substitution du corps du père à celui de la mère comme objet d’investissement érotique) ou, côté jardin (rangé parmi les désirs du petit pervers polymorphe qui revenait sous le mode de désirs partiels dans l’âge adulte). Dans un cas comme dans l’autre, l’explication du «phénomène» était renvoyé à une déviance de l’ordre névrotique imposé par le schéma d’Œdipe.

C’est moins le complexe d’Œdipe qui structure la conduite névrotique des hommes que la société catholique viennoise qui a structuré, chez Freud, l’issue avec laquelle le mythe d’Œdipe-Roi de Sophocle vint aveugler Freud lui-même sur cette autre source à l'origine d'un complexe asymétrique. Ce complexe encore plus socialement troublant, qui constitue une autre névrose, et qu’on pourrait rattacher au mythe de Ganymède (figure d’éromène chez les Grecs) enlevé par le dieu Zeus (figure d’éraste). Le Fils enlevé par le Père, le Père abusant du Fils. Le désir d’investissement érotique de l’un et/pour l’autre a longtemps été le tabou indicible de toute société patriarcale. À l'origine, désirs mutuels de possession, d’accouplement, de destruction; en autant où l’orientation est similaire à l’identité sexuelle, on retrouve la structure unaire des sociétés monothéiste. D’abord celle de Yaweh et d’Israël. (d’Abraham à Moïse, à David). Yahweh se donnant l’exclusivité de la vengeance et Jacob livrant une lutte érotique avec l’ange (Yahweh) qui finit par le vaincre avec «un coup bas». L’infanticide d’Abraham sur Isaac interrompu au moment fatal par l’intervention, encore là, de l’ange d’Yahweh. La crise d'hystérie que Moïse fait au «peuple à la nuque dure» qui s’est remise à adorer un veau d’or et qui l’entraîne à briser la Table des lois dictées par Yahweh. David et Absalom, frère homoérotique sous la paternité commune du roi Saül et le «sacrifice» d’Absalom pour assurer la «filiation» royale de Saül à David. Toute cette série de séduction/rivalité Père-Fils s’achèvera lorsque la mère et les sept frères s’abandonneront pour la foi en Yahweh aux tourments sadiques des occupants Séleucides (grecs) de la Palestine tels que raconté dans le Livre des Macchabées.

Il en va ainsi du christianisme, qui reprend le même tabou monothéiste. Jésus fils de l’Homme, comme Jésus fils de Dieu, est adoré par le même peuple qui le hissera sur la croix une semaine après une entrée mémorable à Jérusalem. Contrairement à ce que le culte marial développé longtemps après les débuts du christianisme laisse percevoir, il s’agit d’une relation stricte entre Père et Fils. Le Fils cesse jamais d’en appeler aux grâces du Père : le Notre Père est en cela la «commande» que le Fils adresse au Père : Donne nous aujourd’hui notre pain quotidien et pardonne nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé. Mais ce Père est le même qui peut se métamorphoser en Père castrateur : Père écarte la coupe, mais si telle est ta volonté, qu’il en soit fait ainsi. La mort du Fils dans un état de dépouillement, flagellé, couronné d’épines et fixé au bois - la mort la plus humiliante sous l’Empire romain -, est le modèle de l’infanticide le plus poussé que nous retrouvons dans les mythologies anciennes. Sur elle s’appuieront, au cours des siècles, non seulement le fantasme du pouvoir ecclésiastique, mais aussi de tous les États civils et politiques.

Chez les Grecs, nous retrouvons bien sûr Chronos, le Titan emblématique du temps qui dévore ses enfants et entraîne la succession des générations. Devenu Saturne chez les Romains (ou Savitar chez les Hindoux), il dévore ses enfants afin qu’aucun ne parvienne à le remplacer. C’est, avant sa conscience, le désir de mettre fin à l’Histoire. L’épouse de Chronos, Rhéa, substitue  une pierre à la place de son dernier nouveau-né pour que le Titan ne le mange comme il a fait avec les précédents. C’est le thème fort du célèbre tableau de Goya. Cet enfant sauvé de la gloutonnerie de son père (l’équivalent de Moïse sauvé des eaux) se retrouve comme un fils rebelle, Zeus. Il renversera le Titan Chronos et par ce fait enclenchera ni plus ni moins la succession des ères parmi les temps humains. Si Chronos, à l’exemple du Père castrateur du Yahweh chrétien, dévorait ses enfants, Zeus pouvait, au contraire, les désirer d’amour (eros). Ainsi, il enleva le jeune berger Ganymède qu’il amena sur l’Olympe et le plaça à côté de sa fille Hébé pour servir d’échanson auprès des dieux. Au tournant du XXe siècle, en affirmant que la Terre allait entrer dans l’ère du Verseau, c’est à Ganymède qui est fait ouvertement allusion. Ces coïncidences (qui n’en sont pas pour les astrologues gays) laissent penser que l’ère du patriarcat est abolie, que les Fils domineront désormais le Père et ce, par un moyen ou par un autre.

Les angoisses symboliques insupportables qui se dégagent de ces récits anciens ont nécessité un travail névrotique incessant à travers le droit, les régimes politiques, les rhétoriques sénatoriales ou cardinalices, les iconologies inouïes pour en arriver à dissimuler cet arbitraire du droit de vie et de mort qu’avaient les anciens patriciens romains sur leur progéniture (l’exemple de Brutus faisant tuer ses fils révoltés ressort soudainement dans la peinture du conventionnel Louis David à la veille de la Révolution française).  La bourgeoisie, à travers la dépendance du salariat et la soumission à la Nation et à l’État, a ramené Œdipe et Ganymède à travers le culte privilégié de la fraternité (le clan des Frères) : des Œdipe rassemblés par leur «droit» sur la Terre-Mère (la Nation) et des Ganymèdes en tant que «serviteurs» - fonctionnaires, soldats, professionnels - de l’État-Père, patriarche familial aussi bien que «chef» de la Nation. À l’époque où Freud élaborait le mythologique dans la psychanalyse, la Vienne de François-Joseph, ou plus précisément la capitale de l’Empire austro-hongrois, se pensait le centre d'un nouvel œcuménisme laïque rassemblant sous la coupe d’un empereur catholique et germanophone toutes les nations et les ethnies de l’Europe de l’Est. L'Empire austro-hongrois apparaissait à tous les partisans de l’ordre établi comme le modèle idéal des fédérations identitaires sous un même «Père» comme, pour les fils rebelles, nationaux et patriotes, l’ennemi à abattre pour enfin se libérer de la «prison des peuples». Si le «laboratoire» culturel de la Vienne du tournant du siècle est apparu comme la prémonition de l’Europe, voire de l’Occident tout entier pour le siècle qui s’en venait, c’est bien de manière rétrospective. Sur le coup, c'était le triomphe du despotisme éclairé - c'est-à-dire libéral -, un modèle exportable dans tous les empires multinationaux du temps (de l'Empire britannique à la Russie tsariste). Aussi, à un doigt de passer de l’ordre du Père à celui du Fils, Freud, retenu par ses angoisses personnelles, s’attacha au mythe d’Œdipe, plus acceptable pour la bourgeoisie masculine comme pour les femmes en voie d’émancipation.

En résumé, ce sont les conditions de la Vienne austro-hongroise du tournant du XXe siècle, ses mœurs patriarcales strictes, sa foi dans un empereur universel et quasi-éternel (le vieux François-Joseph, comme la reine Victoria, n’en finissait pas de vivre), qui l’empêcha de considérer l’homosexualité et les névroses qui en découlent, préférant fixer le tout sur le mythe du complexe d’Œdipe comme universel et intemporel, reportant sur la figure féminine de la Mère, le conflit entre Père et Fils, un conflit qui apparut comme à l'origine du conflit des générations tout au long du siècle à venir.

Pour révélateur qu’apparaisse ce modèle - ce mythe -, il convient de reconnaître que beaucoup de choses lui échappent. Que le désir incestueux ait été polymorphe comme le reconnaissait Freud, c’était noyer le désir «qui ne dit pas son nom» parmi les autres formes pathologiques du désir d’objet. Le sadisme, le masochisme, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, les fétichismes de toutes sortes allant jusqu’à la coprolagnie, et finalement la pédophilie et la gérontophilie qui sont les recto/verso d’un même rapport d’objet (comme le sado-masochisme) sont sans doute des déviances d’objet, même si on ne considère pas la reproduction comme la finalité du rapport sexuel. Il en va autrement de l’homosexualité qui, à l’exemple de l’hétérosexualité, peut se perdre dans l’un ou l’autre de ces travers. Dans un cas comme dans l’autre les mêmes scénario se jouent, mais avec des complexifications différentes. Si l’idée ducomplexe d’Œdipe négatifsuppose que le garçon se mette dans la position de la fillette, le père étant alors pris comme l'objet dont les pulsions sexuelles directes attendent leur satisfaction, le garçon - à la différence de la fillette - subit une division du Moi partagé entre le désir d'objet et l'identification à cet objet. «Dans le premier cas le père est ce qu'on voudrait être, dans le second ce qu'on voudrait avoir. Ce qui fait donc la différence, c'est que le lien porte sur le sujet ou sur l'objet du moi. C'est pourquoi le premier de ces liens est déjà possible, préalablement à tout choix d'objet. Il est bien plus difficile de donner de cette différence une représentation métapsychologique concrète. On se borne à reconnaître que l'identification aspire à rendre le moi propre semblable à l'autre pris comme “modèle”». (S. Freud. «Psychologie des foules et analyse du moi», in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, Col. P.B.P. #44, 1981, pp. 168-169). Bref, «l'identification a pris la place du choix d'objet, le choix d'objet à régressé jusqu'à l'identification». (P. Mullahy. Œdipe du mythe au complexe, Paris, Payot, Col. Bibliothèque scientifique, 1951. Cette solution, dépréciée par Freud (elle est une «régression»), est le premier échec de la psychanalyse, car elle ne se définit que par la négative : sans nom, sans référence significative positive, péjorative, rejetée, qualifiée de pathologique par le terme d'inversion, du positif en négatif, elle n'est bien que cela, le complexe d'Œdipe négatif.

Or il en va tout autrement si on dit que l’homosexualité n’est pas un processus de régression du garçon vers l'identité féminine, mais seulement l’affirmation d’un objet d’investissement érotique qui ne touche en rien à l’identification. Un homme reste un homme et n’a pas à «se sentir femme prisonnier dans un corps d’homme», pas plus qu’une nationalité dans un corps de fédération. Vue sous cet angle, la découverte d’un complexe de Ganymède allait à l’encontre de l’ordre bourgeois qui encadre toute l’œuvre de Freud. Il rejoignait ici la position du dés-ordre, de la révolte et de la contestation, ce que seront, tout au long du siècle, les irruptions de violence parmi la jeunesse contre l’establishment. Voilà pourquoi, contrairement aux remords d’Œdipe et aux plaintes d’Antigone, le mythe de Ganymède n’a pas suscité d’expressions artistiques autrement qu’amusées, tel la pochade de Rembrandt, et ce malgré le dessin bien connu de Michel-Ange. Il faut attendre le poète anglais John Donne, au XVIIe siècle lorsqu'il s'adresse à Dieu en ces termes : «Prenez-moi, emprisonnez-moi, car je ne serai jamais libre si vous ne me rendez pas votre esclave, ni jamais chaste, si vous ne me violez pas.» (Divine Poems, XIV, 1633), (cité in E. Green. La Parole baroque, Paris, Desclée de Brouwer, Col. Texte et Voix, 2001, p. 75). La raison m’apparaît assez simple. Alors qu’Œdipe accomplit la prophétie des oracles, tue son père et couche avec sa mère pour ensuite, une fois la vérité parvenue à ses yeux, il se les crève; Ganymède est enlevé par un soudain désir de Zeus, est saisi par le désir manifesté par un aigle, sans prémonition ni fatalité liées à son sort. L’inceste de Jocaste et d’Œdipe, révélé dans les cadres de la tradition de la Grèce «féodale» conduit à la tragédie; l’inceste entre Zeus et Ganymède, obéissant «aux caprices des dieux» s’achève dans un service à la table de l’Olympe. Pas de quoi faire une tragédie, sinon une comédie burlesque dans le genre du Satyricon de Pétrone!

L’inceste père/fils n’était pas inconnu des anciens Indo-Européens d’où sont issus Grecs et Romains. Les Hittites avaient une loi proscrivant «expressément l'inceste entre père et fils (Table 2, 189)», rappelle J. Boswell. Christianisme, tolérance sociale et homosexualité, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des histoires, 1985, p. 222). Plus tard, chez les Romains cette fois, Martial, un poète du Ier siècle de notre ère, déclarera «catégoriquement que ce n'est pas un crime pour un père d'avoir des rapports homosexuels avec son fils». C'était une satire bien entendu, puisque les enfants abandonnés, qui sont sûrement la source principale de l'esclavage sous l'Empire romain, sont souvent pris, par l'adoption, pour objets sexuels du maître : «épouvantable fait divers, sûrement authentique», note Veyne, ce que rapporte Tertullien (Ad nationes, I, 16, 10-19) où «il est question du uenalicium où s'est retrouvé un enfant exposé, devenu le mignon de son propre père» (P. Veyne. La société romaine, Paris, Seuil, Col. Points-Histoire, # H298, 2001, p. 252, n. 25) un Œdipe-Roi inversé qui se serait substitué à Jocaste dans le lit de Laïos! Boswell explique tout cela à partir du «pouvoir absolu du père de famille» dans le droit romain (J. Boswell. op. cit. p. 99, n. 3), ce qui ne saurait tout de même être retenu comme pratiques courantes ou indifférentes à l'ensemble des mœurs romaines. Plus tragique par contre sont les convoitises nées autour du bel adolescent Hyacinthos où la place du dieu est ici tenue par Apollon: «Il y eut aussi l'affaire du beau jeune homme nommé Hyacinthos, un prince spartiate dont non seulement le poète Thamyris tomba amoureux - ce fut le premier homme qui courtisa quelqu'un de son propre sexe - mais Apollon lui-même qui fut le premier dieu à qui la chose arriva. Apollon ne considéra pas Thamyris comme un rival sérieux; ayant appris qu'il se vantait de surpasser le chant des Muses, il le leur rapporta malicieusement et elles ravirent sur-le-champ à Thamyris la vue, l'ouïe et le souvenir de la musique. Mais le Vent d'Ouest aussi s'était amouraché d'Hyacinthos et il devint follement jaloux d'Apollon; et un jour que celui-ci apprenait à Hyacinthos à lancer le disque, le Vent d'Ouest, le saisissant au vol, l'abattit sur le crâne de Hyacinthos et le tua. De son sang naquit la jacinthe, sur laquelle sont encore gravées ses initiales». (R. Graves. Les mythes grecs. t. 1, Paris, Pluriel, 1989, p. 89. Le «Vent d'Ouest» est plus couramment appelé Zéphyr) Importé de Crète à Sparte, le mythe présente également la double nature de l'interdit homosexuel et incestueux de la relation Appolon/Hyacinthos. Le mythe de Hyacinthe a donc tout d'un doublet de celui de Ganymède, mais surtout, il a la vertu de faire ressortir ce qui ne se remarque pas à la première lecture du mythe de Ganymède : son aspect sombre et triste de deuil qu'il entraîne (pour les parents et amis terrestres de Ganymède), et que les cadeaux versés par Zeus tentent de combler.

Ces mythes justifiaient la pratique de l’éphébie. Ils rendaient à la position de l'éraste la fonction de père et amant à la fois. Amant d'abord parce que motivé par la libido, le désir d'objet homosexuel; père ensuite parce que s'identifiant au géniteur par socialisation de la pédérastie. L'éraste devenait ainsi un alter ego du père de l'éromène et ménageait à ce dernier le traumatisme d’être initié à la sexualité par son véritable père. Le rapport incestueux homosexuel apparait tout aussi, sinon plus tragique encore que l’inceste père/fille. À vrai dire, rien n’empêche de penser, compte tenu de la place secondaire tenue par les femmes dans la société hellénique, que les grandes tragédies du genre Antigone ou Iphigénie aient masqué le sacrifice d’un fils aimé par un père engagé dans une promesse faites aux dieux. La métamorphose du fils en fille permettait ainsi à la sensibilité grecque d'assister à la représentation du mythe, mais j'insiste, cela n'est qu'une hypothèse.

2. …en passant par le Théorème de Théognis…

Quoi qu’il en soit, le mythe de Ganymède entraîne un corollaire, absolument tragique celui-là, et que j’ai nommé ailleurs, le théorème de Théognis. Pourquoi? Parce que nous retrouvons sa formulation dans la poésie de Théognis de Mégare (±550 av. J.-C.) lorsqu'il «affirme qu'il est honteux de voir un vieillard mourir de ses blessures sur le champ de bataille, mais que les blessures et la mort vont bien aux jeunes gens». (Cité in B. Sargent. L'homosexualité initiatique dans l'Europe ancienne, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1986, p. 27) Théognis rejoignait ce que le poète Tyrtée chantait aux Spartiates deux siècles plus tôt (-VIIe) :
Mais le garçon qui meurt, jeune et beau, dans sa fleur,
Aimé de tous, désiré par les femmes,
Reste envié, percé par le fer qui l'abat,
Et son beau corps resplendit dans la mort.
L’aspect de la violence physique subsumée par la poésie rend compte non seulement d’un monde guerrier, aristo-cratique, jumelant l’esthétique à l’éthique militaire de la défense de la Cité. Il porte en lui l’inversion du désir d’investissement érotique; celui d’investissement destrudinal, la mort de l’objet désiré et aimé. Si la laideur - entendre la répugnance - enveloppe un vieillard mourant de ses blessures; la beauté, fortement teintée d’érotisme, se dégage du jeune combattant agonisant, comme du dormeur du val de Rimbaud, frappé d’une blessure au côté.

Le théorème va dans le sens de ce qu'observe le psychanalyste P. Flottes: «Chez certains mâles s'établit une conception érotique de la blessure où l'arme pénétrante est érotisée, phallicisée. Le symbole phallique du couteau est alors, pour l'imagination humaine, pris à la lettre. On comprend mieux, désormais, l'association éternelle de l'érotisme et de l'acte guerrier, le couple Arès-Aphrodite, l'attrait du guerrier. Freud écrivait, dès 1905 : “…qui ressent du plaisir à infliger de la douleur, est généralement apte à éprouver” du plaisir pour une douleur qui lui est infligée. Dans cette alliance étroite, si obscure soit-elle, du plaisir le plus aigu lié à la souffrance la plus vive, la volupté de la mort donnée jointe à l'acceptation de la mort infligée et reçue semble être le fondement le plus inavoué de la pulsion guerrière et le plus irréductible, parce qu'il est inconscient». (P. Flottes. L'histoire et l'inconscient humain, Genève, Mont-Blanc, 1965, p. 48.) S'agit-il là d'une perversion généralisée ou de ce détachement face à la vie fondé, comme l'écrit Jean-Michel Rabaté dans La beauté amère, «sur une expérience quotidienne de la mort, une mort transfigurée en beauté, et embellie par avance»? (J.-M. Rabaté. La beauté amère, Paris, Champ Vallon, 1986). La tradition iconographique des saint Sébastien, du Moyen Âge à nos jours, rumine cette méditation, comme je l’ai exposé ailleurs. En érotisant la blessure mortelle porté au jeune guerrier, en assimilant l’épée ou le poignard tranchant au membre viril, il s’opérait une dédramatisation de l’acte homosexuel initiatique tout en apprenant à accepter l’inéluctable sur le champ de bataille. Au-delà de l’évocation esthétique du drame allait se développer une perversion - la pédophtorie - et une machiavélisation subversive autorisée, voire encourgée par l’État. Ce faisant, une frontière des générations s’établissait qui rivait l’une, en tant qu’objet en quête d’identité, à une autre qui assumait par son identité sa domination sur l’objet.

La pédophtorie d’abord. Le mot est employé dans un traité, Le Pédagogue, dû à saint Clément d’Alexandrie (159-215 A.D.) - un grec converti au christianisme -, mot qui signifie «souiller les enfants». (A. Rousselle. «Gestes et signes de la famille dans l'Empire romain», in A. Burguière et al. Histoire de la famille, t. 1, Paris, Armand Colin, 1986, p. 268). Alors que le mot sera oublié, son sens se déplacera vers le mot, dont la signification est tout à son opposé, celui de pédophilie. Si l’érotisation de la blessure et de l’arme qui provoque la mort est propre au rite initiatique de l’éphébie, il n’en va pas de même de tous les viols de garçons commis dans l’Antiquité classique. En fait, plus la bourgeoisie athénienne s’installe au pouvoir plus le viol de garçons est considéré comme un outrage absolu aux bonnes mœurs. Il existe ainsi quelques témoignages éparses qui parlent de viols d'enfants ou d'éphèbes dont l'un nous est rapporté par le Pseudo-Plutarque : «Le Pseudo-Plutarque raconte l'histoire suivante : à l'issue de la Guerre du Péloponnèse, toutes les villes d'Eubée avaient reçu une garnison lacédémonienne, et l'harmoste de l'une d'elles, à Oréos, dans le nord de l'île, avait nom Aristodèmos. Or, dit un habitant d'Oréos au Thébain Skédasos qu'il rencontrait dans une auberge d'Argolide, “s'étant épris de mon fils et ne réussissant pas à le séduire, il tenta d'employer la force et de l'enlever alors qu'il était à la palestre. Comme le pédotribe l'en empêchait et que nombre de garçons venaient à la rescousse, Aristodèmos quitta la place sans insister. Mais le jour suivant, il arma une trière, enleva mon garçon, et, passant d'Oréos sur la côte d'en face, il tenta de lui faire violence; devant sa résistance il l'égorgea. Revenu ensuite à Oréos, il y fit bombance. Moi, quand j'appris la chose, je rendis les honneurs funèbres au cadavre de mon fils, puis je suis allé à Sparte où j'ai rencontré les éphores, mais ils n'ont fait aucun cas de moi”» (B. Sergent. op. cit. p. 82). Ce récit vise surtout à montrer jusqu'où peut aller la cruauté des Spartiates : l'honneur du garçon, sa résistance, son enlèvement et sa mort, enfin le père éploré et bafoué. Rien ne prouve que l'histoire ne fut pas inventée de toute pièce. Plus tard, à l'époque hellénistique, «le général macédonien Dèmètrios Poliorcète “accula à la mort le jeune Athénien Dèmoklès qu'il voulait violer…”» (B. Sergent. ibid. p. 201), et ce qui se passe «à Astypalaia, en 492, [lorsque] le pugiliste Clémède dans un accès de folie massacra soixante enfants dans une école» (H.-I. Marrou. Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, Paris, Seuil, Col. L'Univers historique, 1971, p. 522, n. 7), rappelle des scènes douloureuses présentées encore récemment sur les écrans de nos téléviseurs.

Le théorème de Théognis débouche donc facilement sur le phénomène de la pédophtorie, qui n'est ni plus ni moins que le contraire de la pédophilie qui, par un mauvais tour de l'évolution du langage, a vu son sens se recouvrir de celui du premier mot. La pédophtorie est plutôt la «démesure» (hybris) de la pédophilie, son côté sombre, lunaire, morbide, ce que les Grecs avaient très bien vu en leurs temps.

3. …jusqu'à la pédophtorie d'État

Le danger de voir une institution sociale comme la pédérastie grecque dégénérer, via l'hédonisme, à une pédophtorie d'État n'est pas qu'une vue de l'esprit. Solon (640-558 av. J.-C.), déjà, légiférait contre les agressions envers les enfants. Avec la sédentarisation et l’établissement des cités grecques, la violence faite envers les éromènes va trouver différentes formes d’expression; une violence qui, à Sparte, ira jusqu'à s'institutionnaliser à travers les Gymnopédies. C'est alors que les Grecs seront confrontés à la différence entre une violence privée, consécutive de l'agression passionnelle, et une violence publique, socialement autorisée, et les rapports qui peuvent s'établir entre les deux types de violence, celui du débordement de la pulsion érotique soudain transformée en agressivité d’une part; celui de l'angoisse de castration réappropriée et institutionnalisée par l'État de la Cité. La contradiction insoluble entre l'attraction sexuelle et la destruction sadique d'objet conduisit d'abord à vouloir résoudre le théorème de Théognis par une interdiction, une prohibition totale, ce qui devait s'avérer désastreux comme reflux du complexe de Ganymède. D'autre part, les exhibitions spartiates semblaient ouvrir la voie à une socialisation de la pédophtorie.

Ces exhibitions marquent la pathologie paralysante de l’évolution spartiate par rapport aux autres cités helléniques. On connaît le récit que Plutarque fit de ce jeune garçon qui avait volé un renard et, l'ayant dissimulé sous son manteau, le renard se mit à le mordre et à lui déchirer le ventre. On ne s'aperçut du vol qu'en voyant tomber le jeune homme, mort exsangue. Cette violence des mœurs ne cessa jamais de se développer dans la cité spartiate et, avec les siècles, elle se ritualisa, se pétrifiant dans des pratiques sadiques qui n'avaient plus d'autres objets que d'offrir cette violence en spectacle aux badauds de l'empire romain qui se rendaient aux Gymnopédies dans le seul intérêt de voir des adolescents se faire fouetter jusqu'au sang, sinon à la mort : «…où les garçons subissent une flagellation sauvage et rivalisent d'endurance, parfois jusqu'à la mort, sous les yeux d'une foule attirée par ce spectacle sadique; à tel point qu'il faudra construire un théâtre en demi-cercle en avant du temple pour accueillir les touristes accourus de toute part» (H.-I. Marrou. op. cit. p. 254). Certes, Rome avait aussi ses cirques et ses combats de gladiateurs, mais «dans l'attrait sadique des spectacles de gladiateurs, note Paul Veyne, ce qui révoltera saint Augustin sera moins le sadisme que l'attrait lui-même: on ne peut s'empêcher de regarder» (P. Veyne. op. cit. p. 119), d'où que Rome ne se donnait pas comme attrait la torture de ses propres enfants. Il est une autre façon, toutefois, de considérer ces rites sanglants.  «À ce que rapportent Pline et Dioscoride, le huákinthos avait justement de bien intéressantes propriétés : il permettait de retarder la puberté, et les marchands d'esclaves l'utilisaient lorsqu'ils faisaient commerce d'adolescents. Ainsi le huákinthos connote l'essence de la puberté. Alors s'explique le mythe : avec le sang des héros - on rappellera que l'initiation et la formation militaire spartiate occasionnaient d'authentiques blessures, avec un bien réel écoulement de sang - c'est son adolescence, plus exactement le principe mythique qui caractérise l'état d'adolescent, qui le quitte» (B. Sergent. op. cit. p. 107). Les Grecs aussi durent faire un compromis avec la part d'ombre contenue en chacun d'eux.

Ce compromis s’est imposé comme une valeur en soi, sans regard pour les liens affectifs ou d’objet qu’il engageait. La perversion du  pédophtore s’insinue dans les travers de la règle sociale. La société finit par l’intégrer par un processus machiavélique comme une pédophtorie assimilée aux pratiques du pouvoir. Si nous faisons l’archéologie de la pédophtorie d’État, nous rencontrons l'historien romain Tite-Live qui nous offre un exemple particulier du passage de la pédophtorie privée à la pédophtorie d'État, c'est le cas de Titus Manlius Torquatus, enfant doué et père impitoyable. Augusto Fraschetti rappelle comment «avant d'être un modèle de vertu paternelle, celui-ci s'était couvert de gloire dès sa jeunesse. L'épisode se situe en 361 av. J.-C., au cours d'une guerre contre les Gaulois : un ennemi était venu provoquer en combat singulier la jeunesse romaine, pour déterminer lequel des deux peuples était le plus valeureux. Alors que “l'élite des jeunes Romains” restait silencieuse devant la haute taille et la robustesse du provoquant Gaulois, Titus Manlius alla trouver le dictateur Titus Quintius : “Commandant, sans ordre de ta part (injussus), je ne saurais combattre en dehors des rangs (extra ordinem), quand bien même je serais sûr de la victoire. Mais, si tu y consens, je voudrais montrer à cette bête sauvage qui fait la bravache avec une telle férocité devant les enseignes que je suis issu de la famille qui a défait les Gaulois au pied de la roche Tarpéienne”, allusion orgueilleuse du jeune Manlius à ce Manlius Capitolinus qui, en 390, avait défendu le Capitole contre l'envahisseur gaulois, double référence à l'honneur de sa patrie et à celui de sa famille sur laquelle nous reviendrons. Arrêtons-nous pour le moment sur son seul respect de la discipline militaire : à peine reçoit-il l'autorisation d'accepter le défi “et de combattre en dehors des rangs” que Manlius se jette sur le Gaulois et le tue. Comme unique dépouille, il lui arrache son collier (torques) et le met à son cou, ce qui lui vaudra le surnom de Torquatus. Vingt ans plus tard, le valeureux Titus Manlius Torquatus est devenu consul, et il est engagé dans une guerre très difficile contre les Latins, jusque-là alliés de Rome. La campagne s'annonce si dure que les deux consuls ont donné l'ordre explicité “que personne ne combatte en dehors des rangs”. Mais le fils de Titus Manlius, jeune cavalier “à l'âme ferox”, un jour qu'il est parti en recon-naissance avec quelques autres, tombe sur un ennemi, Geminus Mecius, jeune noble de Tusculum, lui aussi cavalier, qui le provoque en combat singulier. Manlius souhaite évidemment renouveler l'exploit de son père et, de fait, sort vainqueur du duel : chargé des dépouilles prises sur le vaincu, il retourne au camp et va tout droit au prétoire, la tente de son père. Quand celui-ci apprend la nouvelle, l'inflexible Titus Manlius Torquatus n'hésite pas un instant à condamner son fils à mort pour avoir violé l'ordre précis des consuls et enfreint la discipline du soldat. Il sait très bien que cet exemple est triste et douloureux, mais il l'estime salutaire pour l'avenir de la jeunesse romaine (“triste exemplum sed in posterum salubre juventute”). (A. Fraschetti. «Jeunesse romaines», in G. Levi et J.-C. Schmitt. Histoire des jeunes en Occident, t. 1 : de l'Antiquité à l'époque moderne, Paris, Seuil, Col. L'Univers historique, 1996, pp. 84-85). Nous voici au centre d'une tragédie familiale, disons un véritable familienroman ganymédien. Quatre générations iront de la révolte du père jusqu'à l'exécution du fils. Première génération, ce Manlius Capitolinus, sauveur du Capitole et de la cité de Rome contre l'envahisseur gaulois. Machiavel, dans ses Discours sur la première décade de Tite-Live, revient à plusieurs reprises sur son cas qui représente, à ses yeux, l'ambition personnelle au détriment de l'intégrité de la République. Tout commence, effectivement, par une histoire de jalousie. Manlius Capitolinus se sent frustré de la gloire d'avoir sauvé le Capitole par celle de Furius Camille qui a sauvé Rome tout entière. Incapable de ramener le Sénat romain à sa cause, il soulève la populace : «là, il répand les bruits les plus faux et les plus dangereux; entre autres choses, il fait circuler que le trésor qu'on avait d'abord amassé pour se racheter des Gaulois ne leur avait réellement point été donné…» C'est suffisant pour soulever les plébéiens et «exciter beaucoup de troubles dans la ville… Le Sénat, mécontent, indigné, crut la position et le moment assez périlleux pour créer un dictateur qui prît connaissance de ces faits et réprimât l'audace de Manlius». Le dictateur à la tête des nobles et Manlius à la tête de la plèbe se portent à la rencontre l'un de l'autre et le dictateur force Manlius de déclarer où est cet argent détourné. Manlius répond de manière évasive sans précisser aucun nom particulier. «À l'instant, le dictateur le fait traîner en prison» (I, 8). (N. Machiavel. Discours sur la première décade de Tite-Live, Paris, Flammarion, col. Champs, # 149, 1985, p. 55).  Manlius Capitolinus sera précipité du «même Capitole qu'il avait délivré avec tant de gloire» (I, 24) (N. Machiavel. ibid. p. 89). Ce châtiment, pour l'exemple, enchante Machiavel : «C'est à cette occasion que se fit sentir l'excellence de lois et de la constitution de Rome. À l'instant de sa chute, pas un de ces nobles si ardents à se soutenir et à se défendre réciproquement entre eux ne fit un mouvement pour le servir; pas un de ses parents ne fit une démarche en sa faveur; et tandis que les autres accusés voyaient leur famille en deuil, avec tout l'extérieur de la plus profonde tristesse, se montrer avec eux pour exciter la commisération du peuple, et dont l'intérêt était d'autant plus marqué qu'il paraissait nuire à la noblesse, les tribuns, dans cette occasion, s'unirent aux nobles pour opprimer cet ennemi commun. Enfin le peuple qui, très jaloux de son intérêt propre et passionné pour tout ce qui contrariait la noblesse, avait montré d'abord beaucoup de faveur à Manlius, au moment où celui-ci est cité par les tribuns qui portent sa cause au tribunal, ce même peuple, de défenseur devenu juge, sans aucun ménagement, le condamne au dernier supplice». Supplice qui se projettera dans celui de son arrière petit-fils. Et Machiavel de tirer la leçon morale : «J'avoue que je ne crois pas qu'il y ait de fait dans l'histoire qui prouve plus l'excellence de la constitution romaine que celui où l'on voit un homme doué des plus belles qualités, qui avait rendu les services les plus signalés et au public et aux particuliers, ne trouver personne qui fasse le plus petit mouvement pour embrasser sa défense. C'est que l'amour de la patrie avait dans tous les cœurs plus de pouvoir qu'aucun autre sentiment; ayant plus d'égard aux dangers présents, auxquels l'ambition de Manlius les avait exposés, qu'à ses services passés. Rome ne vit que sa mort pour se délivrer de la crainte de ces dangers. “Telle fut, dit Tite-Live, la fin de cet homme qui eût été recommandable, s'il ne fût pas né dans un pays libre”» (III, 8) (N. Machiavel. ibid. p. 274). «L'amour de la patrie avait dans tous les cœurs plus de pouvoir qu'aucun autre sentiment», mais quel type d'amour peut bien nourrir celui due à la patrie? La figure du Père plus que le simple charisme dont parle Freud dans Psychologie des foules et analyse du Moi! Ce type d'amour est franchement ganymédien, car il fait de Manlius, malgré tout figure charismatique puisqu'il réussit à soulever la foule populaire, un citoyen passif parmi d'autres devant l'autorité due au dictateur et au Sénat romain. C'est une confrontation «antigonienne» entre l'autorité du Père que la famille renie et l'autorité de la Patrie à laquelle tous les citoyens, peu importe leur famille, leur gens ou leur caste, se rallie. C'est bien la Patria Potestas qui l'emporte sur le Pater Familias, et que célèbre Machiavel.

Peu après sa mort, la réputation de Manlius Capitolinus fut réhabilitée par les éternels insatisfactions de la plèbe à l'égard du gouvernement romain et Titus Manlius Imperiosus, de la seconde génération, se trouva dictateur en 361 av. J.-C.. L'ambition de Manlius Capitolinus avait servi d'exemple. Entre deux figures de Père en rivalité, celle de l'État avait réprimé jusqu'à la mort celle du père. La République était sauve. Imperiosus exila son fils en campagne, le futur Torquatus, parce qu'il le considérait peu doué pour l'éloquence et donc peu apte à mener une carrière politique. «Or, lorsque son père, Imperiosus, quitte ses fonctions de dictateur, un tribun de la plèbe décide de la poursuivre en justice, pour sévérité excessive, non seulement envers les citoyens dans l'exercice de ses fonctions de dictateur, mais envers son propre fils, contraint d'aller travailler à la campagne comme un esclave. La nuit qui précède le procès, Titus Manlius revient à Rome, se rend dans la maison du tribun de la plèbe et demande à le voir en tête-à-tête. Alors que le tribun se réjouit à l'idée que le fils vient lui apporter des éléments nouveaux à charge contre son père, Titus Manlius sort son couteau et menace de le tuer s'il ne jure pas “de renoncer aux poursuites contre son père devant l'assemblée de la Plèbe”. Voilà donc comment Titus Manlius, peu doué pour l'éloquence, mais plein d'audace et d'amour filial, sauve son père Imperiosus, sous les applaudissements unanimes de ses concitoyens» (A. Fraschetti, in G. Levi et J.-C. Schmitt. op. cit. p. 88). «Plein… d'amour filial», peut-être, mais pour quel Père? Pour Imperiosus? Pas si sûr. En tout cas, dans l'ordre des satisfactions, nous connaissons celle des citoyens mais ignorons ce qu'en pensât le père. Comme Machiavel, Torquatus a tiré la leçon du sort de Capitolinus, et c'est dans cette perspective que la mise à mort de son propre fils s'inscrit dans une profonde logique historique. Les deux figures de Père s'imbriquent l'une dans l'autre, mais celle de la Patrie, de l'État républicain, domine celle du Père de famille. Comme l'écrit encore M. Fraschetti : «D'une part, la patria potestas doit nécessairement être reconduite par les générations successives puisqu'il est impensable qu'un fils envisage d'en interrompre le processus et compromettre par là ses futures prérogatives de père. D'un autre côté, puisque ce sont les usages et les lois de la cité qui donnent aux pères ce pouvoir, il est impensable qu'un père ne fasse pas valoir ces usages et ces droits contre son propre fils, dans une société qui, du moins dans l'ordre de l'imaginaire, fait passer clairement l'amour de la patrie avant l'amour pour la famille, au point de produire ces fameux “exemples” : il est probable que les lecteurs de Tite-Live, découvrant que Titus Manlius était resté de marbre devant l'exécution de son propre fils, associaient son cas à celui de Lucius Giunius Brutus, qui lui aussi, magistrat impassible, avait assisté à la mise à mort de ses fils, condamnés pour complot contre la République naissante» (A. Fraschetti, in G. Levi et J.-C. Schmitt. ibid. p. 88) De l'origine de la famille, on passait à celle de l'État. Imperiosus et Torquatus agirent chacun envers leur fils selon la leçon tirée du sort de Capitolinus, et pour cette raison, ils furent toujours adulés des citoyens. Le transfert de la névrose ganymnédienne du père à l'État, cette «tendresse pour son père ainsi que pour sa patrie, et de respect envers ceux qui étaient au-dessus de lui» (III, 22) (N. Machiavel. op. cit. pp. 301-302), indique l'attitude passive du Fils à l'égard du Père comme la seule position tenable pour ensuite lui permettre d'être le Père de son armée, dans laquelle son propre fils est ramené à l'égal de tous les autres légionnaires. «Un homme de ce caractère, écrit encore Machiavel, parvenu au commandement, désire trouver des hommes qui lui ressemblent. Ses ordres, et la manière dont il en exige la stricte exécution, portent l'empreinte de la vigueur de son âme. C'est une règle certaine que celui qui donne des ordres sévères doit les faire suivre avec rigidité; autrement on le trompera…» Donc, pas de passe-droit. «Observons à ce sujet que pour être obéi, il faut savoir commander; ceux-là le savent qui, après avoir comparé leur force à celle de leurs inférieurs, commandent lorsqu'ils y trouvent les rapports convenables, et s'en abstiennent dans le cas contraire. […] Manlius contribua à retenir la discipline militaire dans Rome par la rigidité avec laquelle il remplissait ses fonctions de général. Il obéissait d'abord à l'impulsion irrésistible de son naturel, et ensuite au désir d'assurer l'observation exacte de ce que ce naturel lui avait fait ordonner» (III. 22) (N. Machiavel. ibid. p. 302). Machiavel se range donc de l'avis de Tite-Live : «Cet historien ne donne pas moins d'éloges à Manlius, pour l'acte de sévérité par lequel il fit périr son fils, ce qui rendit l'armée si docile aux ordres du consul que Rome lui dut sa victoire sur les Latins…» (III, 22) (N. Machiavel. ibid. p. 303) , et à nouveau, tire la leçon en faveur de l'intégrité de l'État : «…je dis que la conduite de Manlius me paraît plus digne d'éloges et moins dangereuse dans un citoyen qui vit sous les lois d'une république; elle tourne entièrement à l'avantage de l'État et ne peut jamais favoriser l'ambition particulière; car en agissant ainsi on ne se fait point de créatures. Sévère à l'égard de chacun, attaché uniquement au bien public, ce n'est point par de tels moyens qu'on s'attire de ces amis particuliers que nous avons appelés plus haut des partisans. Ainsi une république doit regarder une pareille conduite comme très louable, puisqu'elle ne peut avoir que l'utilité commune pour but, et qu'elle ne peut être soupçonnée de frayer une route à l'usurpation de la souveraineté» (III, 22) (N. Machiavel. ibid. p. 304). Transféré du familial au politique par la socialisation de l'agressivité, l'hybris se vide de sa dimension sadique pour se livrer entièrement aux volontés et aux attentes de l'État, c'est-à-dire, aux instincts de vie de la société, mais les moments de crises, guerres civiles ou invasions étrangères passés, rien n'empêchera ce sadisme de refluer dans la satisfaction de la destrudo. Sans l'inhibition de l'inceste paternel par l'État et la Patrie, l'angoisse de la castration ne pourrait suffire à inhiber seules les pulsions agressives et à les rendre disponibles à la Cité.

Si nous avons tant insisté sur le cas des Manlius, c’est précisément afin d’observer comment un droit patriarcal est passé de l’individu à l’État et avec lui toutes les transactions effectuées dans l'économie des affects, et surtout les plus pervers, les plus subversifs. Le machiavélisme de la névrose ganymédienne se révèle surtout dans l’épisode du Bataillon Sacré de Thèbes. «On professait, dans le milieu de Socrate, que l'armée la plus invincible serait celle qui serait composée de paires d'amants, mutuellement excités à l'héroïsme et au sacrifice : cet idéal fut effectivement réalisé au IVe siècle dans la troupe d'élite créée par Gorgidas, dont Pélopidas fit le bataillon sacré et à qui Thèbes dut son éphémère grandeur» (H.-I. Marrou. op. cit. p. 63). Et, ce qui n'était encore que fantasme politique au temps de Socrate, devint réalité historique une génération plus tard, et nous sommes là, sans doute, en présence d'une des institutions les plus pernicieuses de l'Histoire - bien que hautement héroïques -, de la pédophtorie d'État : le Bataillon Sacré de Thèbes.
«Le Bataillon Sacré fut, dit-on, créé par Gorgidas. Il y fit entrer trois cents hommes d'élite, dont l'État assurait la formation et l'entretien, et qui étaient campés dans la Kadméia. C'est pour cela qu'on l'appelait le Bataillon de la Ville, car en ce temps-là on donnait couramment aux acropoles le nom de villes. Quelques-uns prétendent que cette unité était composée d'érastes et d'éromènes: “Le Nestôr d'Homère, disait-il, est un médiocre tacticien, quand il engage les Grecs à se grouper au combat “par tribus et par clans”:
“Ainsi le clan pourra s'appuyer sur le clan
Et la tribu porter secours à la tribu”
alors qu'il fallait ranger l'éraste près de l'éromène. Car, dans les périls, on ne se soucie guère des gens de sa tribu ou de sa phratrie, tandis qu'une troupe formée de gens qui s'aiment d'amour possède une cohésion impossible à rompre et à briser. Là, la tendresse pour l'éromène et la crainte de se montrer indignes de l'éraste les font rester fermes dans les dangers pour se défendre les uns les autres. Et il n'y a pas lieu de s'en étonner, s'il est vrai qu'on respecte plus l'ami, même absent, que les autres présents.
C'est ainsi qu'un guerrier terrassé et près d'être égorgé par l'ennemi le priait, le suppliait de lui passer l'épée à travers la poitrine, “afin, dit-il, que mon éromène n'ait pas à rougir devant mon cadavre, en me voyant blessé dans le dos”. On dit aussi qu'Iolaos, aimé d'Héraklès, partageait ses travaux et combattait à ses côtés. Et Aristote rapporte que, de son temps encore, les éromènes et les érastes se prêtaient serment de fidélité sur le tombeau de Iolaos. Il est donc naturel que l'on ait appelé “sacré” ce bataillon, de même que Platon définit l'amant comme “un ami inspiré par la divinité”. On dit que le Bataillon Sacré resta invincible jusqu'à la bataille de Chéronée. Après cette bataille, Philippe, regardant les morts, s'arrêta à l'endroit où gisaient les trois cents, que les sarisses avaient frappés par-devant, tous avec leurs armes et mêlés les uns aux autres. Il fut dans l'admiration et, quand il eut appris que c'était le Bataillon des érastes et des éromènes, il pleura et dit: “Maudits soient ceux qui soupçonneraient ces hommes d'avoir fait ou subi rien de honteux!”
Au reste, ce n'est pas, comme le disent les poètes, la passion de Laïos qui fut à l'origine des liaisons amoureuses chez les thébains, mais ce sont les législateurs qui, voulant détendre et assouplir dès l'enfance le tempérament violent et brutal de leurs compatriotes, d'une part introduisirent partout, dans les occupations sérieuses comme dans les amusements, l'usage de la flûte, instrument qu'ils mirent en honneur et placèrent au premier rang, et, d'autre part, favorisèrent ce genre d'amour et lui donnèrent libre carrière dans les palestres afin de tempérer le caractère des jeunes. C'est pour le même motif qu'ils ont aussi, et avec raison, intronisé dans leur cité la déesse que l'on dit fille d'Arès et d'Aphrodite, persuadés que là où les natures guerrières et combatives ont le plus de relation et de commerce avec la Séduction (Peithô) et les Grâces (Kharites), l'État jouit, grâce à Harmonia, de l'organisation la plus équilibrée et la plus parfaite.
Pour en revenir au Bataillon Sacré, Gorgidas en répartissait les hommes dans les premiers rangs des hoplites en les plaçant en avant et tout le long de la phalange; de la sorte il ne mettait pas leur valeur en évidence et n'employait pas pour une action commune leur force, qui se trouvait dispersée et diluée dans une masse de qualité inférieure. Pélopidas, lui, ayant vu resplendir leur vaillance dans tout son éclat à Tégurai, où ils avaient combattu à ses côtés, ne les sépara ni ne les dissémina plus; il en fit un corps à part, qu'il exposait le premier au péril dans les combats les plus importants. De même que les chevaux attelés à un char sont plus rapides que lorsqu'ils courent seuls, non point parce que, dans leur élan impétueux, ils fendent l'air plus facilement à cause de leur nombre, mais parce que la rivalité et l'émulation réciproque enflamment leur ardeur, de même, pensait [sic]-ils, les braves, lorsqu'ils s'inspirent mutuellement le désir des grands exploits, sont les plus empressés et les plus efficaces pour accomplir une action commune» (Plutarque, cité in B. Sergent. op. cit. pp. 45 à 47)
Pour bien comprendre ce dont il s'agit avec ce Bataillon Sacré de Thèbes et comprendre cette idée de se servir du couple uni par l'amour, voire le désir d'objet sexuel, pour faire les sales besognes de la Cité-État, il faut revenir à ce qui se passe ailleurs, en Orient par exemple. Durant toute la haute-antiquité, l'individu n'a jamais compté pour quoi que ce soit, ni en lui-même, ni même pour le bien de l'ensemble. Le sacrifice humain était exigé par un certain nombre de religions, en Mésopotamie ou en Inde. Ce qui exprime le mieux ce mépris du sentiment individuel, se retrouve dans l'ordre donné par Yahweh à Abraham: «Prends ton fils, ton unique, que tu chéris, Isaac, et va-t'en au pays de Moriyya, et là tu l'offriras en holocauste sur une montagne que je t'indiquerai» (Gn. 22, 2.). Les citoyens grecs ou occidentaux n'aiment pas moins leurs enfants que le vieil Abraham pouvait aimer le fils de sa vieillesse, et le cas de Manlius Torquatus est là pour nous le rappeler. Mais en Orient, les sentiments qui unissent les individus entre eux ne sont pas tenus en compte par les autorités de la Cité. D'autre part, les liens affectifs interpersonnels peuvent être aussi tendres et aussi sincères que ceux exprimés par la littérature grecque ou que nous pouvons ressentir aujourd'hui: «Isaac s'adressa à son père Abraham et dit : “Mon Père!” Il répondit : “Qui, mon fils!” - “Eh bien, reprit-il, voilà le feu et le bois, mais où est l'agneau pour l'holocauste?”Abraham répondit : “C'est Dieu qui pourvoira à l'agneau pour l'holocauste, mon fils”, et ils s'en allèrent tous deux ensemble» (Gn. 22, 7.) L'attitude empreinte de noblesse d'Abraham, les soupçons vaguement inquiets d'Isaac, l'abandon total à la pleine générosité d'Yahweh révèlent l'abnégation de l'Oriental devant la fatalité du destin en même temps que la grande espérance juive dans la sagesse divine. Aussi, l'Ange de Yahweh arrête le bras d'Abraham au moment fatidique en lui disant : «Ne lui fais aucun mal! Je sais maintenant que tu crains Dieu: tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique» (Gn. 22, 12). Dans le cas d'Abraham, comme dans celui de Torquatus, l'exigence sociale se fait au-dessus de l'affectivité des liens interpersonnels et Abraham lève fermement son bras armé, sans plus de clémence que l'inflexible Torquatus qui assiste impassible à la mise à mort de son fils. Yahweh, comme les autres dieux des grandes civilisations orientales, exerce son pouvoir absolu par la crainte qu'il fait peser sur ses fidèles, aussi tout le système d'éducation judaïque reproduira cette exigence indéfectible comme le rappelle Northrop Frye : «Le Livre des Proverbes, traditionnellement attribué à Salomon, recommande qu'on use de châtiments corporels envers ses propres fils, dans un verset (19,18) qui a probablement été responsable de plus de souffrances physiques que toute autre phrase jamais écrite. Dans l'Écclésiastique du Siracide, dans les Apocryphes, ce principe s'élargit en un enthousiasme général pour battre quiconque est à portée de main, y compris des filles et les serviteurs. Ce qu'il y a derrière cela, ce n'est pas du sadisme, mais l'attitude qui a donné un caractère si curieusement pénal à l'éducation des jeunes jusqu'à nos jours. L'éducation consiste à acquérir les bonnes manières de se conduire et à s'y tenir; de là vient qu'on doit, comme un cheval, y être rompu» (N. Frye. Le Grand Code, Paris, Seuil, Col. Poétique, 1984, pp. 180-181). Mais il y a aussi de l'amour, et c'est ainsi que le verbe «craindre» prends sa double signification: peur bien sûr, mais amour de Dieu aussi. Contrairement à l'angoisse de la castration qui domine la tragédie des Manlius, dans le cas du Bataillon Sacré de Thèbes, la Cité ne compte pas tant sur les sentiments de crainte (peur ou amour) qu'elle inspire aux Thébains - ce qu'exprime le premier paragraphe de l'exposé de Plutarque et des propos attribués à Pamménès -, que sur l'amour paternel incestueux, ganymédien, contenu dans les relations entre ses citoyens mâles qu'elle entend «cultiver» pour mieux s'en servir dans les buts qui seront les siens. La crainte des dieux n'y est donc ici pour rien car tout repose sur l'Éros qui uni les amants. Après la période d'hédonisme du Ve siècle, la re-socialisation du sexuel passe ici non plus par la pédérastie initiatique mais par une entreprise - celle prêtée à Gorgidas - d'une «machiavélisation de l'Éros».

La «machiavélisation de l'Éros» poursuit la socialisation du sexuel mais sans sa contre-partie de désexualisation du sexuel, comme dans l'antique pédérastie initiatique. Profitant des observations de l'hédonisme athénien, il s'agit de conditionner et d'utiliser l'Érotikèà des fins purement politiques. Elle s'inscrit ici non dans le prolongement de la Païdeia socratique, mais dans la pédophtorie dont l'action militaire de la Cité finit par se confondre avec le but (auto-)destructeur des pulsions. Elle est, enfin, au niveau collectif, non seulement le triomphe ennuyeux des pulsions de mort sur celles de vie, mais bien la forme la plus pernicieuse de la prise en otage d'Éros par Thanatos. À «l'érotisation de la pensée» promue par Platon, les Thébains opposent «l'érotisation de la guerre». Ici, l'amour ne sert pas à réaliser ni à accomplir ou dépasser les buts de la satisfaction de la pulsion érotique, mais plutôt à canaliser la pulsion érotique mise au service des buts de l'agressivité, la réalisation de l'hybris au service des intérêts institutionnels. La «machiavélisation de l'Éros» est la poursuite des objectifs de l'État qui franchit la règle élémentaire de la mesure/démesure; la poursuite de ses objectifs, par le Pouvoir, jusque dans l'excès, qui peut conduire aussi bien à l'anéantissement de l'ennemi (le sadisme d'État) qu'à la mise à mort de ses propres soldats (un sadisme masochiste analogue à la structure psychique de Gilles de Rais). Comme l'écrit si justement Serge Doubrovski à propos de la tragédie cornélienne: «La machiavélisation, c'est la transposition et l'équivalent, sur le plan politique, du “sadisme” sur le plan existentiel, il s'agit là de deux faces complémentaires de la même dégradation» (S. Doubrovski. Corneille et la dialectique du héros, Paris, Gallimard, Col. Tel, # 64, 1963, p. 287), et qui coïncide parfaitement bien avec le déclin amorcé de la civilisation hellénique après la guerre du Péloponnèse. Ainsi, à la bataille de Chéronée, si les trois cents du Bataillon Sacré gisent morts sans avoir reçus de blessures dans le dos, dans le sacrifice volontaire et pleinement consenti de leur vie à l'amour de «celui qui se tenait à côté», c'est toute la Cité de Thèbes qui est maintenant aux pieds du conquérant. La «machiavélisation de l'Éros», comme le crime individuel, finit par s'achever dans l'autodestruction, aussi relève-t-elle moins de l'agressivité contre l'Autre, que l'agressivité tournée contre soi.

La Polis vit quand l’individu se sacrifie, rappelle Werner Jaeger (Paiedeia, Paris, Gallimard, Col. Tel # 127, 1964, p. 126). Pour en arriver à ce sacrifice - passif ou actif -, l’État a dû s’approprier les symboles du patriarcat primitif et assumer à la fois la figure du bon Père (le pourvoyeur) et du mauvais Père (le castrateur). Le paganisme avec lequel la civilisation occidentale a renoué à partir de la Renaissance a ramené ces figures d’enfants qui se sacrifiaient volontairement pour la patrie. La Révolution française, suivie de la Troisième République ont commenté ad nauseam les récits de la mort de Bara et de Viala. Les États nations n’ont guère ménagé le sang de leurs peuples au point de faire dire au polémologue français Gaston Bouthoul que, du point de vue démographique, la guerre n’était rien de moins qu’un infanticide différé de milliers de jeunes hommes que la société pouvait se permettre de sacrifier! (G. Bouthoul. Le phénomène-guerre, Paris, Payot, Col. P.B.P., #29, s.d., p. 171). Le scoutisme, initié par un jingoïste de la trempe de Badden-Powell, a servi de modèle aux nations totalitaires pour créer des Comsomols (en U.R.S.S.), des Balillas (en Italie fasciste), la Hitlerjungend (en Allemagne nazie) et les différents mouvements de jeunesses patronés par l’Église catholique : de l’Espagne et du Portugal à l’Amérique latine; de la France catholique au Québec. Angoissés par les leçons de parricide offertes par les révolutions depuis le XVIIe siècle en Angleterre, et le XVIIIe aux États-Unis et en France, l’ordre établi par les différentes minorités dominantes capitalistes des États occidentaux a ressuscité ces rapports pervers (psychologiquement) et subversif (socialement) en engageant des figures de Fils de l’Enfant-Peuple a être traité  comme des objets disponibles au maintien de la cohérence, coûte que coûte, des privilèges acquis par l’argent et par le pouvoir. L'analyste américain Lindsay Waters, dans L'éclipse du savoir, (Paris, Allia, 2008), a raison de rapprocher l'amorce de la détente entre les puissances occidentales et l'U.R.S.S. de Brejnev, alors que la Chine de Mao, l'Amérique de Nixon et la France de De Gaulle se trouvaient aux prises avec des révoltes de mouvements de jeunesse qu'il fallait dominer coûte que coûte. Lorsque le «clan des Frères» refuse la soumission ou la résilience à l'ordre établi par les minorités dominantes, plus que la sécurité, c'est l'ordre même du Cosmos qui est menacé. La peur sociale et politique est vite dépassée par l'angoisse métaphysique de la stabilité du monde. Alors la «machiavélisation de l'Éros» est entrée en jeu. En Chine, par la subversion des Brigades Rouges de la Révolution culturelle, perverties par le «poète» Mao Tsé-Toung; par la répression meurtrière sur les campus universitaires américains, complément de l'infanticide différé de ces rebels without a causequi s'en étaient trouvés une en s'opposant à la conscription pour la guerre au Vietnam; par la pédophtorie d'État qui, pour une raison aussi futile que l'interdit des étudiants universitaires de se rencontrer avec les étudiantes dans les chambres du campus universitaire, visait à contester le pouvoir monarchique que le général De Gaulle avait investi la Constitution de la Ve République en 1958. C'étaient là, de la part des États, des aveux de faiblesses du maintien de l'ordre social. De nouveau, il apparaissait possible que, près de deux siècles après la Révolution française, l'ordre bourgeois - l'establishment - puisse s'effondrer de la même manière que l'ordre nobiliaire s'était effondré sous les coups de la bourgeoisie sous l'Ancien Régime.

C’est-à-dire qu’au-delà d’un conflit de générations comme le suggère les sociologues, il s’agit bien d’une perversion sexuelle investie par les institutions d’un système social où, après avoir reconnu la primauté du Sujet, sa dignité, sa liberté et son intégrité, les structures le ramène à l’état d’Objet, voire d’étant, servant uniquement aux caprices d'une frange dominante de la société. Avec le salariat se reproduit la vieille domination de l’esclavagisme antique qui permettait aux maîtres de satisfaire leurs caprices dans ces «étants» qu’étaient ses esclaves.
Yasumasa Morimura en Saturne de Goya
La célèbre dialectique du maître et de l’esclave, que l’on retrouve dans la Phénoménologie de Hegel, montre que la conscience vient à l’esprit de l’esclave, mais que la force brute reste toujours l’attribut du maître. Dans les faits, toutefois, la violence que s’attribue le clan des Frères, les Fils soumis puis révoltés, est moins une marque de conscience que l’expression d’une souffrance. Celle d’être constamment dans un état ontologique d’Objet. Les maîtres ont davantage conscience de leur suprématie et de la nécessité du maintien du statu quo sur l’état du monde dont leur pouvoir et leurs richesses personnelles dépendent. En ce sens, la «machiavélisation de l’État» permet encore de canaliser les forces rebelles vers la répression et de duper la conscience collective par l’apparence d'éternité de l’état des choses. Le théorème de Théognis apprend aux maîtres qu’ils peuvent disposer sexuellement, aussi bien pour la satisfaction de l’Éros que celle de la Destrudo, des esclaves dont les premiers sont, précisément comme dans les romans de Sade, leurs propres enfants. Enfin, le dernier tabou qui résiste encore à l’hédonisme bourgeois du XXIe siècle - je parle de la «pédophilie» qui est, nous l’avons vue, pédophtorie -, trouve sa force de résistance dans la métaphore qu’il est chargé de dissimuler. La pédophilie des «malades», psychopathes ou autres n’est que l’aveu implicitement contenu de la pédophtorie des dirigeants sociaux, qu’ils soient économiques, étatiques ou cléricaux (civils ou religieux). Bref, Saturne continue toujours de dévorer ses enfants et, en société de consommation, son appétit est sans …faim⌛

Montréal
14 septembre 2013

Le retour de la Gueuse

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LE RETOUR DE LA GUEUSE

Je n’en reviens tout simplement pas. Comment peut-on être aussi stupide et maladroit lorsqu’on est un parti dirigeant un gouvernement minoritaire? Les maladresses démontrées par le Parti Québécois lors de la campagne électorale de l’été 2012 n’ont pas cessé de se poursuivre depuis un an qu’il est au pouvoir et finissent par couronner le tout avec un projet de Charte des valeurs québécoises.

Trop lâche pour rectifier la mouvance de l’anglicisation de Montréal. Trop timoré pour établir une charte de la laïcité dans la fonction publique. Trop servile idéologiquement aux milieux d’affaires et des lobbies, le gouvernement péquiste a déplacé une problématique administrative qui lui est propre, les services publiques, jusqu’à en faire une problématique sociale du «vivre ensemble». Même pas assez courageux pour prendre les décisions qui s’imposent d’elles-mêmes, le gouvernement du Parti Québécois «lance un débat», ouvre une «discussion publique» sur un état de fait. Résultats : hystérie, acrimonie, chantage affectif collectif, délires politiques fédéraux, et j’en passe. Tant de débilités de la part d’un parti à l’agonie, c’est un venin versé dans l’organisation sociale qui se répand dans tous les foyers et dans tous les milieux et dont nous ignorons encore les formes qu’il peut prendre pour rendre un organisme déjà affecté encore plus faible.

La Gueuse – et j’appelle la Gueuse en souvenir du nom méprisant que les réactionnaires protofascistes français des années 1920-1930 infligeaient à la République– la Gueuse donc, Notre Gueuse, la Religion «est revenue dans les fourgons de l’étranger», comme le Roi et les Évêques après la Révolution française. La Gueuse c’est la Religion et non pas le sentiment religieux, qui est tout autre. Il s’agit de la Religion comme moyen de coercition sociale. La Religion imbue de moralisme infantilisant; de soumission à des leaders (peu importe leur sexe, car il y en a des deux sexes) charismatiques qui imposent sur des psychismes mal affirmés leurs doxa, leurs diktats sur un ensemble de personnes déjà prêtes à les suivre dans les voies les plus délirantes, sinon les plus meurtrières. Des Religions qui, au nom d’une définition qui leur est propre, décident ce que dit Dieu, ce que veut Dieu, et surtout ce qu’ordonne Dieu par leur bouche. Alors que le sentiment religieux est plein de compassion pour la commune humanité à laquelle nous appartenons, la Religion comme diktat moral est un appareil idéologique-des-tas. Une vile activité méprisante qui, au nom des sentiments les plus nobles, pratique des supplices psychiques, moraux, sinon physiques sur leurs membres pour élargir leur pouvoir de «directeurs spirituels» par des voies mégalomaniaques, promis à une institutionnalisation la plus large possible. La Gueuse, ici, c’est la Religion. Toutes les religions et encore pire, les sectes que le gouvernement semble soudainement ignorer pour s’en tenir aux fétiches, les «symboles ostentatoires» d’une confession religieuse. Je vous le dis, tant de sottises est à flageller… religieusement.

 


Où est la Gueuse? Où se cache-t-elle? Dans la kippa juive? Dans le niqab  de la musulmane? Dans le crucifix catholique? Dans le turban sikh? Ha! Ha! mes agneaux prêts à servir au prochain méchoui du Aīd al-Kabīr! Non, la Gueuse, elle est déjà dans cette circulaire expédiée par le gouvernement du Parti Québécois a tous les citoyens et intitulée : «Parce que nos valeurs, on y croit». Depuis quand des valeurs sont-elles objets de foi? Le concept de valeurapparaît au XIIe siècle pour signifier, dans l’ordre féodal, les qualités et les mérites d’un individu. Donc rien de religieux à l'origine. Ce n’est pas un objet de foi mais un objet auquel on prête une qualité ou qu’il s’est attribué par son rôle, sa fonction, une démonstration personnelle. Puis vient le jugement, c’est-à-dire la capacité d’évaluer, de prêter une valeur. C’est dans ce sens qu’en économie, on parle de valeur d’usage et de valeur d’échange, de ce qui est utile à soi et de ce qui est utile pour soi à travers un échange commercial. Enfin, et c’est la conception la plus tardive, celle à laquelle fait référence la circulaire,les principes moraux d'une grande philosophie élaborée et constitutionnelle morale, qui se classent différemment en fonction des particularités de l’individu ou/et de la société. En Occident, c’est la morale kantienne avec son impératif catégorique qui donne le la de l’argumentaire. Et la morale kantienne – et c’est la raison pour laquelle l’Église catholique la condamnait – provient d’une convention, d’un consensus, non d’une épreuve de foi.

L'ensemble de la circulaire modifie-t-il cet impair? Au contraire. «Église, Synagogue, Mosquée : Tout cela est sacré». Pour les membres des confessions seulement, pas pour le quidam pour qui ce ne sont là que des édifices publiques comme tant d'autres. «Neutralité religieuse de l'État, Égalité hommes-femmes : C'est tout aussi sacré». Ce n'est pas là une évidence pour les raisons énumérées dans le paragraphe précédent. Rien de tout cela n'a de bases «sacralisantes», à moins de considérer la laïcat comme une «religion civile» telle qu'il s'en pratiquait dans les cités antiques. Et l'on voit, sous l'ignoble, sous la tristement célèbre «raison d'État», la tête de la Gueuze sortir de sa capuche.

Aussi, la conséquence d’une telle formulation est d’ériger les «valeurs québécoises» en objet de foi religieuse. Nous ne pouvons pas croire en nos valeurs sinon que comme ordonnées par une instance supérieure et dotée d’une suprématie. Ici, l’État. Ce faisant, cet exercice de «libre-discussion» contredit la déclaration ajoutée de Bernard Drainville : «Le temps est venu de nous rassembler autour de nos valeurs communes. Elles définissent ce que nous sommes. Soyons-en fiers». Or, ces valeurs sont tenues pour identitaires, donc définitives et métaphysiques puisqu’elles sont au-dessus des sujets de discussion. Pauline Marois, Bernard Drainville, Bernard Landry (qui affirme supporter la Charte tout en avouant ne pas l’avoir lue, ce qui montre à quel point il a toujours été le plus épais dans le plus mince), ne cessent de le répéter : «l’égalité hommes-femmes, ça ne se discute pas». Il est étrange que ce soit là la seule valeur qui ne se discute pas alors qu’il y en a tant d’autres qu’on ne cesse de bafouer. Et si le gouvernement tient tant à faire respecter cette égalité «sacrée», qu’il commence donc par s’assurer du respect par les employeurs de la règle du «à travail égal, salaire égal» avant de nous asséner cette valeur qui s’est imposée par le développement des mœurs québécoises depuis trente ans? Plutôt que d'être une formule qui s'adresse à des femmes qui ne subiront jamais le supplice de la lapidation, que le gouvernement commence donc par en appliquer la réalisation concrète dans les rapports de travail quotidiens.

Confuse, la démarche du gouvernement a excité inutilement les passions, faisant peser sur tous des problèmes qui n’ont pas été résolus au moment où il aurait fallu l'être. Mais les décideurs économiques étaient si pressés de faire rentrer par barges des immigrants qui leur serviraient de cheap labor pour contourner les lois et conventions collectives obtenues des syndicats, que le gouvernement s’est contenté de donner à ces immigrants économiques une formation de langue assez rapide pour les rendre fonctionnels. Pendant ce temps, ils fermaient les yeux sur tout ce que ces gens apportaient à la fois de bon et de mauvais. Au début, ça ne posait pas de problèmes, tout se déroulait entre les murs de Montréal. Mais après le célèbre 11 septembre 2001, la paranoïa du terrorisme d’Al-Qaida, confirmée par le terrorisme d’État s’est activée. Les soupçons de menaces à appréhender ont germé depuis, et voilà les fleurs écloses. Ce sont ces femmes en tchador, en niqab, en burka même qui, avec leur suite d’enfants, traversent nos parcs et nos jardins publiques pour s’en aller à la garderie. Plutôt que de laisser faire le temps, qui en moins de trois générations assimilerait tout ça aux mœurs québécoises, la furioso s’est emparée de l’opinion publique et créée une menace qui, à l’origine était toute innocence.

Ce n’est pas depuis que ces gens sont arrivés au Québec que j’ai dit que «si on s’était débarrassé des curés noirs, ce n’était certainement pas pour s’embarrasser de curés rouges». C’était du temps où des «leaders» communistes dirigeaient des partis soi-disant marxistes-léninistes, semeurs de troubles et surtout pratiquant déjà le viol des consciences contre lesquels je m’étais révolté. Aujourd’hui, ces mêmes gens militent pour le droit des minorités ethniques à porter leurs signes distinctifs. Nous les entendons à travers Québec Solidaire. Des athées se portent à la défense de la Religion. «Cela fait partie des droits des femmes de porter les signes religieux qui participent à leur identité». Comment, en effet, pourrait-on être contre? C’est sa liberté de religion telle que reconnue par la Charte des droits et libertés de l’O.N.U. et à laquelle nous ne cessons de nous réclamer. Comme dans ce temps où il était permis d’afficher une épingle en forme de faucille et de marteau sur le béret Che ou la casquette Lénine que certains militants En-Lutte ou P.C.O. affichaient de manière ostentatoire, pourquoi devrions-nous en faire un plat? Pourtant, ces athées, dans leurs «analyses objectives de la condition de vie en milieu capitaliste» répèteront la dénonciation de Marx de l’opium du peuple. Les voici donc protecteurs des trafiquants d’opium… Comme on le voit, en matière d’idéologies, il est toujours difficile de se rendre au bout de sa logique sans tomber dans ses propres contradictions.


Inspirée de l’expérience française, qui l'a conduite aujourd’hui à tabasser ceux que la France a laissés rentrer et parquer dans ses bidonvilles, la charte québécoise, au seul critère transcendant d’égalité hommes-femmes, tient à modifier la Charte des droits et libertés du Québec en matière d’«accommodements raisonnables». Dans cette expression, quid définit ce que sont les accommodements et quid que ces accommodements sont ou non raisonnables? La commission Bouchard-Taylor, qui a été un exercice au plus haut point douloureux pour avoir vu, d’une part, des «colons» de province venir giguer devant les deux intellectuels et, d'autre part, des défilés de tout ce qu’une arche de Noé moderne contiendrait de spécimens d’espèces aux couleurs bariolées venir revendiquer des pratiques paysannes et lointaines dans un milieu urbain et fonctionnaliste, a livré un rapport qui a été rejoindre assez vite les tablettes du gouvernement sordide du Parti Libéral. Maintenant, les nationalistes reprennent le flambeau et plus question de niaiser devant des commissions itinérantes. Le premier souci du gouvernement est d’encadrer de règles la pratique de ces accommodements. C’est donc lui – et non la population en son ensemble – qui s’autorise à fixer ces règles et, par conséquent, l’arbitraireavec lequel son application va ouvrir la porte à un ensemble de contestations légales. Déjà la clause de dérogation, pensée en fonction non seulement des institutions privées religieuses mais aussi en fonction des communautés urbaines juives (telle Côte-Saint-Luc), crée une discrimination tacite pour une confession religieuse contre une autre. Les musulmans n’ont donc pas tort lorsqu'ils perçoivent que cette charte des valeurs communes les cible particulièrement. Si la mosquée s’énerve, la synagogue demeure calme et ronronne doucement.

Le seul article méritoire est le second, qui vise à encadrer le personnel d'État, les fonctionnaires provinciaux et municipaux. Le droit de réserve politique est étendu à l’appartenance religieuse. C’est la base de la réforme d’une laïcité affirmée. Le problème est qu’au Québec, à cause de son appartenance canadienne, jamais il n’y a eu, comme l’exigeait la Déclaration d’Indépendance du Bas-Canada de 1838, de la nette séparation de l’Église et de l’État. À ce titre, il est important de rappeler les articles 3 et 4 de cette Déclaration :

Article 3. Que sous le Gouvernement libre du Bas-Canada, tous les citoyens auront les memes droits : les sauvages cesseront d’etre sujets a aucune disqualification civile quelleconque, et jouiront des memes droits que les autres citoyens de l’État du Bas-Canada. 
Ce qui allait de soi pour les Autochtones en 1837-1838, vaudrait tout aussi bien pour les immigrants reçus aux XXe-XXIe siècles.

Article 4. Que toute union entre l’Église et l’État est déclarée abolie, et toute personne a le droit d’exercer librement la religion et la croyance que lui dicte sa conscience. (Cité in Union des Écrivains québécois. Assemblées publiques, résolutions et déclarations de 1837-1838, Montréal, VLB éditeurs, 1988, p. 302.)
Encore-là, plutôt que d’abolir ou d’entreprendre des mesures d’assimilation à la religion de la majorité, la «première Charte des valeurs québécoises», la plus authentique de notre histoire, nous dit ce que ne diront ni l’Acte d'Union ni la Confédération; que l’Église (toutes les Églises, catholiques mais protestantes aussi, et depuis, juives et musulmanes) voit son privilège abolie auprès de l’État. En ce sens, les services publiques sont laïques, et rien ne doit laisser supposer qu’un fonctionnaire pourrait user d’une «fraternité religieuse» pour corrompre l’application des lois. Car, nous apprenons tout juste, avec les séances télévisées de la Commission Charbonneau, qu’il y a plusieurs façons de corrompre les fonctionnaires et de contourner les lois.

Car la Charte des droits et libertés du Canada de 1982 contrevient à cette claire politique des Patriotes de 1837-1838. En reconnaissant, dès l’article 1, «que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit» comme une évidence à la fois juridique et théologique, l’esprit de cette charte reprend la vision du contrat social de Hobbes (contrat passé entre les citoyens et son gouvernement (le Roi)). La monarchie constitutionnelle, par cette suprématie, s’accorde le seul privilège de reconnaître et de définir les droits qui suivent. Parmi les libertés fondamentales, la «liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’EXPRESSION y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication», clôt une barrière à tout projet de valeurs québécoises qui toucheraient à ce qui serait considéré comme une expression ostensible de la croyance – plutôt, de la crédulité – des fidèles. Il faut également souligner que cette existence de la suprématie de Dieu sert à asseoir la légitimité de «la Reine du Canada» dont elle est à la fois chef d’Église des Anglicans et fondement de l’État canadien. Juifs, Musulmans, Catholiques et autres dénominations religieuses ne perçoivent aucune contradictions entre Jéhovah, Yaweh, Allah ou Jésus avec le fait qu’ils donnent l’auctoritas, chacun pour ses fidèles, au monarque constitutionnel et à son Conseil des Ministres. La démarche républicaine québécoise s’oppose donc à la démarche monarchique du Canada. Derrière la crise des accommodements raisonnables pointe donc une crise constitutionnelle qui implique la légitimité même du pouvoir central canadien.

Et voilà ce qui heurte la sensibilité des Québécois. Une fois de plus Mini-Pet (qui courre d’une gay prideà une mosquée pour se montrer partout «inclusif») et Thomas Mulcair du N.P.D. ont étalé leur pudibonderie bien-pensante à l’égard des revendications des Québécois. Ce faisant, ils ont réveillé les vieux antagonismes fédéral/provincial. Certes, Bernard Drainville a beau jeu de demander au reste du Canada de laisser les Québécois discuter entre eux de ce qui les concerne, mais le ministre ne pouvait ignorer la confrontation potentielle qu’un tel document devait entraîner avec la Charte Canadienne des Droits et Libertés. Les «néo-orangistes» canadiens crient au nazisme et déblatèrent toujours les mêmes vieilles rengaines, que ce n’est plus «the province ruled by the priests» mais les nazis bleus qui sont prêts à faire de n’importe quel Shefferville ou Chibougamau un nouveau Auschwitz. L’hypocrisie bourgeoise, les stéréotypes culturels et les préjugés individuels n’ont plus qu’à reprendre leur travail de sape et nous verrons le Canada revenir ce qu’il est vraiment : une fédération aux intérêts financiers et économiques recouverte du statut de pays avec État. Quand on s’ennuie au Canada – et on s’y ennuie beaucoup et souvent -, rien de tel pour se divertir que faire du Quebec bashing.

D’un autre côté, quand 41% des Canadiens hors Québec se disent d’accord avec la Charte québécoise, on comprend que le parti Conservateur modère ses déclarations. Contrairement à Trudeau et Mulcair qui jouent aux bien-pensants du multiculturalisme, Harper envoie Lebel dire quelques sottises et le ramène aussitôt dans son cagibi. Une telle charte copiée/collée au Fédéral pourrait éventuellement servir à raffermir les soutiens régionaux conservateurs dans certaines parties du Canada. Si l’art de gouverner consiste en «diviser pour régner», les gouvernements canadiens et québécois s’entendent très bien sur la vieille leçon britannique. Comme toujours, les apparences de discorde entre Canadiens et Québécois recouvrent de son manteau les points de convergence. Les meilleurs comme les pires.

Et la Gueuse dans tout ça? Tel un python entendant la douce musique de la laïcité, elle se dresse du panier d'osier où on l'y tenait enfermé. D’un côté, il y a l’affirmation hystérique des musulmanes surtout qui nous présentent leurs voiles et leurs signes religieux ou culturels comme faisant partie de leur identité. Les Yvettes reprennent du service. Elles ne sont plus exactement les mêmes qu’en 1980, mais elles portent le même message : l’assimilation des liens d’aliénation et de domination comme partie identitaire de leur personnalité. Comme les valeurs individuelles n’appartiennent pas au monde oriental, il est facile de ramener l’individu non à sa dimension de Sujet libre et actif, mais, comme le dit Dar al-islam, en individus soumis et paisibles. La soumission, et non la liberté, ou encore la liberté dans/par la soumission est la valeur de leur Être. Enlevez-leur cette soumission, elles ne sont plus rien. Il en va de même pour ces affreuses barbes de musulmans. Faudrait-il en venir aux solutions du Tsar Pierre le Grand qui avait décrété une loi rasant par la force la barbe des partisans de la secte des Raskols qui refusaient les réformes du patriarche Nikon au début du XVIIIe siècle? Lorsque nous voyons Adil Charkaoui, qui d’un côté réclame 26 millions de dollars pour avoir été traité injustement par le gouvernement canadien, dresser d'autre part contre les Québécois sa barbe de militant islamiste pour appeler des manifestants improvisés à marcher dans les rues de Montréal contre la Charte, on ne peut que se demander où il a trouvé des organisateurs aussi efficaces en 24 heures?

Car ce soi-disant «Collectif québécois contre l’islamophobie» ne présente aucun statut légal – pas même de numéro de téléphone – et se manifeste par un site internet. L’organisation ne compte pas d’autres membres connus que Charkaoui. Par contre, on le voit accompagné du président du Conseil musulman de Montréal, Salam Elmenyawi et de Hajar Jerroumi, tous deux ayant appuyé, voilà deux semaines, un groupe de jeunes musulmans dit, «le collectif Indépendance» (sic!) qui voulait faire venir des prédicateurs islamistes controversés tenant des propos sexistes. C’est évidemment au nom de la liberté d’expression des minorités religieuses que ces membres du Conseil musulman de Montréal appelaient à la tenue de cette rencontre qui finalement, police inquiète?, ne fut pas tenue. Par contre, le même imam Elmenyawi a déjà eu l’audace de faire des démarches auprès du ministère de la Justice en 2004 pour instaurer au Québec une cour islamique basée sur la charia. De telles exigences, que même la communauté juive n’a jamais osé demander, sont une démons-tration du rejet et du mépris de la collectivité québécoise, considérée par ces intégristes religieux comme amorale et décadente. On a pas besoin de la crise de la Charte des valeurs québécoises pour rappeler à ces gens que nous ne les avons pas appelés à venir chez nous et que si nous leur répugnons tant que ça, le dégoût est hautement partagé. Quand on est pas capable de faire sa loi dans son pays, on ne s’ingénie pas à venir la faire dans le pays des autres. Voilà la face hideuse de la Gueuse. Barbue ou en tchador, cette affirmation haineuse qui se déguise sous un foulard québécois ou se cache derrière une pancarte, comme à Québec, le 21 septembre 2013, portant l’inscription : «Protégez-nous des Québécois de souche» ne mérite aucun «accommodement» que la raison dénonce d’elle-même. Ces individus sont toxiques pour n’importe quelle communauté.

Et il y a l’autre Gueuse, notre vieille catholicité aliénante qui se revêt du symbole patrimonial. C’est le crucifix à l’Assemblée nationale qui contredit à la fois la sincérité de la démarche gouvernementale en affichant la laïcité dans la fonction publique et son affirmation de ce que certains appellent, une laïcité catholique. Ce crucifix, amené là par Duplessis du temps où il imposait la loi du cadenas contre les idées athées et communistes ou le judaïsme et la secte des Témoins de Jéhovah, non seulement n’est pas une œuvre d’art particulièrement originale, mais pourrait être remplacé par d’autres symboles représentant le Québec (ce n’est pas ce qui manque). Il rappelle moins notre tradition religieuse que notre goût pour les bondieuseries. L’étroitesse d’esprit, le refus de l’instruction (la guerre des Éteignoirs, 1846), l’anti-intellectualisme profond des Québécois, l’interdiction de la liberté de conscience (ordonnée par Pie IX et pratiquée par les prélats en autorité jusqu’aux années 1950-1960) et la condamnation de la libre-expression. C’est contre tout ça qu’on a lutté au cours des décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Une religion moralisante, où toutes spiritualités étaient évincées pour l'ostentation de la réussite bourgeoise dans la petite communauté paroissiale. Combien de fois faudra-t-il que je l’écrive ou le dise. Entre 1840 et 1960, on a produit, dans nos séminaires, des générations de jeunes prêtres, de théologiens, de latinistes versés dans les écritures saintes et de tout cela, il n'en est rien sorti. Jamais l’un d’eux n’a réussi à émerger de manière à enrichir la spiritualité chrétienne. Au contraire, ce sont les clercs catholiques français, héritiers de la persécution des lois Ferry et Combes qui ont animé, parmi d’autres, l’aggiornemento de Vatican II! Ces néo-thomistes, Gilson, Chenu, Maritain, qui vinrent au Québec durant les heures sombres de l’Occupation, ont avoué à quel point ils étaient effarés de trouver un clergé catholique aussi borné et arriéré qu’ils préféraient enseigner à Toronto ou aux États-Unis plutôt qu’à Montréal ou à Québec.

Cette Gueuse, elle s’est effondrée d’elle-même dans un terreau nord-américain qui ne lui était pas favorable une fois que la morale de la société de consommation s'est imposée. Depuis, bien d’autres scandales ont miné la force de ce clergé. Restent les superstitions des uns et la foi honnête des autres envers un Dieu qu’ils ne cessent d’interroger et de méditer son silence. Or, la malheureuse formule du circulaire nous ramène le «croire» dans les valeurs laïques de l’État. Comme Caligula, l’État québécois voudrait-il se faire adorer comme un Dieu? Faudrait alors qu’il commence par devenir un Dieu vivant et non cette belote qui est l’enjeu entre un parti de bandits et un autre de lunatiques.

La nouvelle Gueuse, en effet, il faut la mettre à sa place. Les immigrants doivent apprendre qu’ils ne sont pas ici «au Canada» mais «au Québec», et les spécificités sont assez grandes pour établir et maintenir une distinction objective. Ils doivent se mettre en tête que nous ne sommes pas «un pays de mission». Que notre instinct de croisé peut renaître si on le provoque trop, et que dès lors, ils ne seront pas en position de force. Enfin, que nos manières de faire la guerre idéologique ne sont plus les mêmes que jadis. Qu’ils se promènent avec leurs costumes, gri-gri ou autres, ce n’est pas pire que les affreux tatous que tant de jeunes affichent et qui enlaidissent autant leurs corps que le milieu où ils errent. Nous serons heureux de les accueillir dans la mesure où ils réaliseront que s’ils traînent la poussière de leur pays sous leur semelle, maintenant ils marchent sur un autre chemin, et que si nous sommes prêts à les recevoir avec plaisir, qu’ils sachent bien qu'ils seront ceux qui souffriront le plus s’ils s’obstinent à ne pas le reconnaître⌛

Montréal
22 septembre 2013

Ce que devrait être la charte de la citoyenneté québécoise

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Manifestation contre la Charte des valeurs québécoises 29/09/13

CE QUE DEVRAIT ÊTRE LA CHARTE DE LA CITOYENNETÉ QUÉBÉCOISE

Nous sommes à nous crêper le chignon pour une Charte des valeurs québécoises qui n’est en fait qu’un document administratif qui n’avait pas besoin d’être lancé parmi la population. Mais une fois cette bévue accomplie, nous voyons sortir le «pus» un peu partout de la Province de Québec. Pour ceux affectés par le syndrome hérouvillois, rien de nouveau sous le soleil depuis la rigolade que fut la Commission Bouchard-Taylor patronnée par les Libéraux. La paranoïa, l’idée de «l’invasion étrangère», les voleurs de jobs et les terroristes en action occulte hantent les cauchemars des gens de province. Pour ceux qui sortent des sépulcres blanchis, toutefois, nous entendons pour la première fois s’exprimer, haut et fort, la parole immigrante. Avec eux, qui s’occupent à faire de l’argent et des bébés comme nous autres jadis à l’époque de la «revanche des berceaux», sommes-nous en train d'assister à la «revanche des poussettes»? Cette charte, dans le fond plutôt banale, éveille les vieilles rancunes envers la Religion, mais aussi envers les Québécois de la part de ceux qui tiennent à leurs affreuses barbes et aux différents types de voiles dont les femmes sont attifées. Cette confrontation hystérique nous permet de véritablement saisir ce que cette «minorité silencieuse» pense effectivement de leur société d’accueil, surtout des gens qui la composent, et ce pays qu’ils ne reconnaissent pas comme leur mais comme un compartiment d’un ensemble plus grand – le Canada – avec lequel ils peuvent jouer contre les revendications des citoyens québécois. C’est ce qui ressort de ces manifestations monstrueuses (mais non monstres) qui font de nous, Québécois, des suppôts de l’intolérance.

Bien sûr, à Paris, ces mêmes groupes manifestaient contre le mariage gay. Au nom de la famille, des mœurs saines, de la protection des enfants, du droit naturel, différents conglomérats religieux : catholiques, protestants, juifs, islamistes ou autres, scandaient les pires slogans haineux et intolérants qu'on avait entendus depuis longtemps. De cette engeance, qui se fait le supporteur du capitalisme le plus sauvage et l’avidité économique la plus abêtissante, s’élève aujourd’hui au Québec le glaive contre la laïcité de l’État et un Être au monde qui relativise la religion. Ces manifestations sont de la même nature.  Découvrant ce pouvoir d’intimider la société en générale ou de la prendre en otage par un chantage affectif insidieux, ce n’est là qu’un premier pas pour mettre les mœurs québécoises au pas. Il se dégage un sourd antagonisme qui ne peut que prendre de l’ampleur, tant nous n’avons pas veiller au grain par le passé. Et si ce grain ne meurt, nous risquons assez vite de voir la mauvaise herbe pousser dans les consciences coupables des Québécois «d’avoir trahi leur passé catholique». Derrière les justifications idéologiques patrimoniales brandies par le ministre Drainville pour justifier la présence du crucifix à l’Assemblée nationale, il y a cette menace qui pointe.

En France, tant que la religion catholique dominait, les autres religions étaient maintenues dans la marginalité, voire la persécution. Elle condamnait du même souffle la liberté de conscience et d’expression. Lorsque la République a décidé de laïciser les services publiques, l’éducation, les hôpitaux et les services de charité sont passés sous la tutelle de l’État laïque. La Religion, persécutrice d’hier devenant «persécutée» à son tour, s’est mise à exiger comme fondamentale la liberté de la pratique religieuse! Hypocrisie bourgeoise des chapeaux rouges et des soutanes mauves. Pensez-vous que demain si nos musulmans, nos juifs, nos catholiques devenaient ou redevenaient possesseurs du pouvoir qu’ils n’exerceraient pas le gouvernement selon les principes d’une théocratie, la victorieuse éliminant ses concurrentes et imposant sa dictature morale à la population en générale, comme nous le voyons présentement en Iran? C’est beau, en effet, de voir ces centaines de tous-couleurs inclus dans le «Rassemblement des citoyens engagés pour un Québec ouvert» défiler par les rues de Montréal, ce dimanche ensoleillé d’automne du 29 septembre 2013. Ce l’est moins lorsqu’on les voit, excités par un philosophe de réputation mondiale, Charles Taylor, aveuglé par l’idéologie néo-libérale du multiculturalisme, affirmer que la Charte des valeurs québécoises est un premier pas vers l’intolérance. C’est à peine s’il en appelle pas à une laïcité multireligieuse.

De nouveaux petits coquins (les Juifs) se rajoutent (et non se mêlent) aux vieux cathos, aux musulmans (dont les femmes, hystériques comme toujours, brandissent devant elles leurs armes de destruction massive – i.e. leurs cheaps poussettes à bébé achetées au Village des Valeurs, leurs maris, moins visibles, cachés derrière leurs larges jupes et servant de ventriloques), les «Fédérastes› pistonnés par le Parti Libéral du Canada (qui doit affronter prochainement un scrutin partiel dans un comté peuplé en grande majorité d’immigrants) et la jeunesse inclusive qui est prête à tout inclure tant elle n’a pas idée de ce qu’elle est prête à se faire passer. Sans critique, sans prise de distance, sans respect d’elle-même ni des autres. C’est beau la naïveté et la fraîcheur de la jeunesse, mais pas l’imbécillité ni l’autisme générationnel de l’indifférence à la vie. Oui, tout cela est bien beau et devrait exciter mon cœur cosmopolite. Mais, ce que j’y vois, ce que j’y entends surtout, ce sont des cris de mépris, voire de haine à notre égard, à mon égard. Et ça, je ne peux l’accepter.

C’est cette «pousseuse voilée» qui crie, déchaînée, ce qu’elle considère, comme une bonne partie des communautés musulmanes intoxiquées par ces roués qui, pour les flatter, le leur répètent à satiété, que «le Québec sans nous, c'est rien». A-t-elle raison? Trois siècles de vide existentiel l’autoriserait-elle à dire que ce sont ces immigrants, amenés par barges par nos capitalistes avides et nos professionnels paresseux, qui feraient vivre notre tabula rasa géographique? «Protégez-nous des Québécois de souche», était-il écrit sur une de leur pancarte, une semaine plus tôt, lors d’une manifestation semblable à Québec. Sommes-nous si toxiques que ça, nous qui sommes nés ici, sur ce sol ingrat, austère, peuplé de mirages? Nous, les fils et descendants de ceux qui ont trimé durs durant ces trois siècles pour rendre ce sol vivable, cultivé, nourissier, habitable été comme hiver, et qui reçoivent ces nouveaux arrivants sans contraintes et autorisés d'accès à nos services sociaux administrés par l’État. Ces régénérateurs de la morale sociale de ces décadents, que nous sommes, qu'ont-ils endurés pour mériter ce privilège de nous donner des leçons? Ont-ils eu besoin de traverser l'océan sur de rafiots rongés par la moisissure et la vermine pour arriver jusqu'ici, ce qui rend les containers interlopes de véritables petits transat? Ont-ils eu besoin de défricher le sol à la sueur de leur front, essoucher les arbres, construire de frêles maisons de bois mal chauffées pour survivre à des hivers de -20º C? Ont-ils eu à sans cesse réclamer des compagnies et du gouvernement colonial les instruments aratoires pour parfaire la colonisation du territoire? Ont-ils été victimes des Autochtones souvent cruels et peu amènes envers les étrangers? Sont-ils morts de faim, de soif ou de maladie en se rendant chez un médecin ou le curé? Pour peu, on croirait que ce sont les Québécois qui sont étrangers sur leur propre terre!

Certes, ils sont en droit, comme tous Québécois d'ailleurs, de se plaindre de l'État provincial. Un État sans doute byzantin comme le sont tous les États. Un État submergé par sa quantité de formulaires, de paperasses, de policiers brutaux et insolents, mais dans quel pays trouveraient-ils meilleur accueil?  «Nous sommes tolérants jusqu’à la bêtise» disait Pierre Bourgault, et c’est vrai. La réaction naturelle de ces immigrants, c’est que nous sommes plus colonisés qu’eux encore. Des larves paresseuses et immorales qui ne survivraient pas sans tous ces dévots de Ganesha, de YHWH, d’Allah, d’un Jésus tantôt Christ-Roi, tantôt tit-pâtira de plâtre sur sa croix de bois? Persécution haineuse nazie qui interdirait de brandir ces «signes ostentatoires» dans un bureau de Loto-Québec où la foi du charbonnier se joint au financement légal des services publics que tous ces immigrants ont vite repérés en arrivant, avant même de savoir parler français et de savoir qui même nous étions? Voltaire, celui qui nous a méprisé avec ses «quelques arpents de neige», verrait sans doute cela avec son œil ironique et malicieux. «Je vous l’avais dit qu’il n’avait rien de bon à tirer de ces vastes et mornes contrées sinon que des troupeaux de bigots et de sauvages». Cette marche du 29 septembre lui donnerait parfaitement raison.

Disons-le carrément. Tous ces joyeux inclusifs partagent une chose en commun et dont ils n’ont pas parfaitement conscience : la crainte devant la naissance de l’Être existant pour soi et par soi au Québec. Ce qui existe partout ailleurs et les confronte – en Angleterre, en France, aux États-Unis, en Allemagne, etc. – et qui n’existe ici que sous le mode colonisé et aliéné à l’Autre. À tout Autre : À l’Autre français d’abord. Puis à l’Autre britannique. À l’Autre canadien. À l’Autre romain. Maintenant que l’Autre migrant se lève et s’arme de sa croisade superstitieuse, voulant ne pas être laissé pour compte devant les manifestations de ce réveil identitaire, il se braque, instinctivement. Entrer au Canada, ça ne cause aucun problème puisque la nation canadienne est constituée d’électrons libres qui ne parviennent à former un tissu réel, organique. Elle se fondrait en moins d’une génération si elle était absorbée par sa voisine américaine. Entrer au Québec, c’est autre chose. Il y a là un tissu organique longtemps tricoté serré et dont les mailles tendent rapidement à se défaire. Chaque trouée est vite pénétrée par les partisans du fédéralisme dont les immigrants servent de bélier pour imposer la norme du Non-Être canadien que favorise l’économie néo-libérale. L’isolisme du chacun pour soi contre tous.

Mais il arrive parfois, comme un orage inattendu, qu’un courant de choc non voulu traverse le ciel serein du mouroir québécois. Pendant trois siècles, nous n’avons été qu’un Étant sans existence autrement que subie. Autant dire, un «étang». Le Québec? Une immense swamp peuplée d’insectes marécageux, bouillon de «cultures» malpropres, contagieuses, transmettant le scorbut, le typhus, les fièvres malignes de toutes sortes soignés au sirop Lambert, à la petite politique des corrompus et à la bondieuserie catholique. De ces remèdes qui nous ont maintenu dans la «pose cadavérique» pendant tout ce temps, nous réagissons, comme un sursaut devant la phase finale de l’agonie : la disparition du français devant l’anglais; la coagulation immigrante autour de la métropole, Montréal; la dépopulation des régions et surtout la désertion des jeunes… Québécois «de souche», nous saisissons que nous sommes devant ce que mon ami, Michel Bélisle, retient sous la formule : «Le néant nous rejoint tous de l’intérieur». Face à cette révélation existentielle horrifiante, deux choix s’offrent à nous. Régresser dans les voies traditionnelles (le «splendide isolement» québécois, le culte fétiche des valeurs du passé, l’intolérance face à ceux qui dérogent aux règles morales strictes basées sur le droit naturel prêché à la fois par l’Église et par l’État baroque; régresser dans le religieux surtout, se vautrer dans une haine de soi masochiste, orgueilleuse, vaniteuse, entretenue sournoisement depuis toujours par les vieux maîtres), ou participer à une maïeutique de l'Existence qui serait pratiquée par un Socrate, meilleur philosophe que ne l’est M. Taylor. En tout cas, ce ne sont pas ces immigrants qui peuvent nous libérer de notre haine de soi, tant qu’ils contribuent à l’alimenter directement (par les accusations vicieuses et indécentes proférées par ces «Québécois ouverts») qu’indirectement (par le fantasme de culpabilité propre à ce que Pascal Bruckner appelle les sanglots de l’homme blanc et que nous nous approprions, face à la problématique amérindienne par exemple). Nous ne devons. Nous ne pouvons demander aux autres ce que nous devons et pouvons faire que par nous-mêmes et pour nous-mêmes.

La charte des valeurs québécoises n’est qu’un document administratif mis de l’avant par un gouvernement timoré et lui-même inquiet depuis le printemps québécois, qu’un Être nouveau naisse sous les cendres de l’étant brûlé par ses propres émanations de méthane. Feux follets. Il est temps de refuser et non plus de refouler les insultes, les injures, les mépris, même ceux que nous nous portons à nous-mêmes. Voilà à quoi servent ces démonstrations pitoyables, tant d’un côté que de l’autre. Du mal peut naître le bien, et le bien commence par se faire respecter de ceux qui sont d’abord nos invités, puis nos concitoyens.

Une véritable Charte de la citoyenneté québécoise veillerait à faire respecter non pas des clauses, des applications partielles (égalité hommes-femmes), mais des principes de base auxquels tous citoyens nouvellement arrivés devrait se soumettre.

1e La reconnaissance spécifique du droit civil français, avec toutes ses clauses qui sont la base des lois de la Province de Québec.

2e L’apprentissage obligatoire et suivi, pour ceux qui ne l’ont pas, de la langue française.

3e Le respect appliqué, sous peine de sanctions, du français langue de travail.

4e L’apprentissage obligatoire et suivi de cours sur la géographie, l’histoire et les cultures au Québec.

5e La reconnaissance du droit criminel britannique.

6e La sanction d’expulsion du Québec si ces préceptes ne sont pas suivis, s’ils sont bafoués, méprisés ou contournés d’une manière ou d’une autre.
7eLa rétroaction de ces mesures pour tous les immigrants au Québec depuis 1990.

Si la Charte des droits et libertés est octroyée à toutes personnes résident au Québec, il y a des devoirs que cette Charte devrait imposer, comme elle le fait si généreusement pour les demandeurs d'aide sociale. Jusqu’à présent, ces devoirs se limitaient au stricte minimum par rapport aux avantages sociaux que procurent le fait d’être résident et citoyen. Bien des pays ne donnent pas le tiers de ce que nous offrons, et nous devons en être fier. Ne pas rogner la Charte des droits et libertés (y compris en matière religieuse), mais revendiquer, demander et exiger des devoirs qui sont à la base d’une égalité commune de respect entre les individus et les groupes culturels. Ces gens qui ont quitté leurs pays respectifs vivent dans un nouveau pays auquel ils doivent participer. Ce ne sont pas des Algériens vivant au Québec, des Marocains vivant au Québec, des Haïtiens vivant au Québec, des Chinois vivant au Québec. Ce sont des Québécois, peu importe leurs origines, et ce fait doit désormais passer avant tout autre. Ce n'est pas à nous à passer des examens d'histoire de l'Algérie, du Maroc, de Haïti ou de Chine pour être en état d'accueillir les immigrants! Si cette réalité ne leur convient pas, il y a d'autres provinces au Canada qui seraient heureuses de les accueillir (je pense aux Maritimes, par exemple). Sinon, le reste de la planète leurs appartient tout autant.

Le multiculturalisme, c’est le rêve du Salade bowl, dans lequel chacun vit isolé sur son quant-à-soi. L’interculturalisme n’est qu’un autre nom donné au melting pot américain où les «tribus» co-habitent ensemble sans se toucher, autrement que lors des confrontations pour le Mundial. Ce ne sont-là qu'utopies pour des anges vivant dans des tours d'ivoire universitaires. Et les hommes, si religieux soient-ils, ne sont pas des anges. Ce sont de mauvais modes d’adaptation à la modernité migrante. Nous devons donc imposer ce respect qui nous est dû et qui nous est refusé par un grand nombre d’immigrants que nous avons reçus dans notre sein. Contre une charte moumoune de valeurs québécoises – qui sont en fait les valeurs occidentales actuelles -, il faut une charte qui aura des dents et qui obligera les mal-pensants à y penser deux fois avant de nous cracher à la figure. Le temps de se laisser-faire est passé.

Montréal
30 septembre 2013

Entre Bainville et Thoreau, Alain Soral et le Jell-O culturel

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Alain Soral

ENTRE BAINVILLE ET THOREAU, ALAIN SORAL ET LE JELL-O CULTUREL

Ah là là! Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour satisfaire son lectorat! On me demande qu’est-ce que je pense d’Alain Soral. Pour dire simplement les choses. Rien. Les télévisions francophones sont remplies de commentateurs, d’animateurs, de spécialistes de toutes sortes de choses, de porteurs d’opinions, tantôt de droite, tantôt de gauche. Et, dans l'ensemble, ils n’apportent rien que je ne sâches déjà. On parle beaucoup dans le vide alors qu’on devrait parler du vide, et ça, c’est une autre histoire. Mais lorsqu’on m’a dit qu’il avait un commentaire de Soral sur Jacques Bainville et son Histoire de France, je m’y suis dit : allons-y voir (http://www.egaliteetreconciliation.fr/La-video-de-vacances-d-Alain-Soral-13141.html).

Soral est incontestablement un grand communicateur. Il a compris ce que voulait dire Marilyn Monroe lorsqu’elle disait qu’il fallait être devant la caméra comme si on lui faisait l’amour.  Aussi, Soral est-il un grand baiseur médiatique. Ce communicateur, malgré sa dénonciation des grands réseaux voués aux socialistes et à l’Empire américain, reprend entièrement la recette qu'il dénonce à son compte. Durant toute son entrevue, il ne fait que nous vendre les produits Soral, sans doute comme Mme Bettencourt et Sarkozy auraient vendu ensemble des produits L’Oréal dans une pub télé.

Les produits Soral commencent par lui-même. Dans une «vidéo de vacances», il commence par nous embêter avec ses démêlés judiciaires, assénant insultes et mépris à ceux qui lui font noise. Cela ne me dérange pas tant qu’il y a une touche humoristique, mais M. Soral dramatise tellement les poursuites qu’il en vient presque à nous quêter notre sympathie. Élargissant son univers, il nous parle de «Vérité et réconciliation» qu’il rattachera bientôt au Cercle Proudhon. Le Cercle Proudhon était une invention des monarchistes de l’Action Française dans une volonté de rencontrer - et de puiser dans - la classe ouvrière au moment où elle était en conflit avec la République. De 1911 à 1914, avec la publication des Cahiers du Cercle Proudhon, les monarchistes tentèrent de créer une jonction avec les syndicalistes révolutionnaires. Ceux qui étaient sortis de l’activité coopérative d’un Fernand Pelloutier, qui méditaient les écrits de Georges Sorel et qui se sentaient frustrés par la CGT liée au socialisme de Jean Jaurès, apportaient leur goût de la violence sociale et politique à l’Action Française, journal et regroupement qui faisaient de la monarchie la solution à la dérive républicaine noyée depuis son apparition en 1870 par les scandales, les actions terroristes et les pamphlets haineux. La guerre et la crise qui suivit durant «les années folles» firent jaillir de cette rencontre le protofascisme français dont les discours idéologiques allaient se diffuser en Italie, en Allemagne et à peu près dans toutes les nationalités européennes qui venaient d’hériter d’un État par la bonne volonté inconsciente du Président Wilson.

Une fois que Soral nous a vendu son groupe de «Vérité et réconciliation» comme un moyen de sortir de la crise de la pensée unique où se fondent la droite et la gauche dans un marais plutôt sirupeux, il nous présente son idéologie du «trans-courants», c’est-à-dire une «culture» qui traverserait l’ensemble des courants idéologiques afin d'en dégager - d'en libérer en fait - une «France» ressourcée, reconquise de son esprit national. Les pointes antisémites fusent ici et là. Une jambette en passant au Grand Orient (la Franc-Maçonnerie) et un avertissement amical aux musulmans. Bref, ceux à qui s'adressent les baffes lancées par Soral sont les quatre ordres que Charles Maurras  - son maître spirituel - désignait comme les torpilleurs de la France : les Juifs, les Franc-Maçons, les Protestants (à travers son anti-impérialisme américain) et les métèques (les immigrants). À bien les regarder, Soral n’a même pas pris la peine de les dépoussiérer. Ils sont là comme les avait laissé Maurras aux belles années de l’Action Française. Tout ça est mené par Soral avec une maîtrise médiatique que je dois reconnaître accrocheuse, fascinante.

Bien entendu, tout cela n’est que de la télé. À l’écouter, on se sent devant un «maître», un «homme savant», «curieux», «intellectuel». Non pas l’un de ces démagogues habitués des trash radios. Ses gifles sont envoyées avec une telle souplesse qu’on les reçoit sans même s’en apercevoir, ce qui doit enrager les victimes qui ne les ont pas vues venir. Comme de telles gifles ne conduisent plus, à l’aube, au terrain de rencontre, Soral peut donc y aller sans crainte d’être convoqué en duel, comme du temps où Déroulède et Clemenceau s’affrontaient aux pistolets. Mais notre vendeur n’est qu’un brocanteur de camelotes. Une fois son système idéologique vendu (avec toute la vertu qu’il suppose, c’est-à-dire son «sens commun» dont Descartes disait que c’était la chose la mieux partagée au monde), et son club de fidèles (il rappelle au caméraman qu’il lui doit son emploi!) de «Vérité et réconciliation», on passe aux bouquins de sa maison d’Édition : Kontre-Kulture. Notre ancien instructeur de boxe se fait pédagogue de la «grande» culture. Finies l’ignorance et la bêtise, le savoir est le meilleur instrument pour dépasser la pensée unique.

Comme on est jamais aussi bien servi que par soi-même, Soral commence par nous présenter la traduction russe de l’un de ses bouquins, Comprendre l’Empire. Un tantinet déçu par le format qu’il trouve ressemblant «aux manuels de mécaniques appliquées des années cinquante», il n’hésite pas à comparer sa photo de quatrième de couverture avec un portrait de Dostoïevski, pour nous dire, finalement, qu’il n’aime pas tellement la photo choisie (alors que c’est probablement lui qui l’a fait parvenir au traducteur ou à l’éditeur). Puis, il nous fait défiler, l’une après l’autre, les dernières parutions de Kontre-Kulture (dont le second terme est visiblement allemand). Les deux éléments de vente sont, comme dans toutes bonnes pub télévisées, la jaquette soignée et le bas prix. Soral parle de la réédition de ses «classiques» selon le modèle des célèbres Que sais-je? Chaque bouquin est exposé sur toutes ses faces comme un mannequin qui défilerait sur le plancher afin que nous le voyons de face, de dos, du côté droit et du côté gauche. Avec son discours de trans-courants, Soral nous invite à dépasser les catégories traditionnelles de la politique française. Comme les protofascistes de l’Entre-deux-Guerres, il nous lance Ni droite, ni gauche.

Il entend se situer au-delà de la partisannerie vulgaire et des procédures byzantines. Pour équilibrer les nourritures terrestres avec les nourritures spirituelles, il nous propose d’abord la célèbre conférence d’Ernest Renan«Qu’est-ce que la nation?» (6 €), publiée en 1887, cinq ans après la première audition. Soral nous dit que la définition que Renan donne de la nation est celle à laquelle «Vérité et réconciliation» adhère. C’est-à-dire le fameux «plébiscite quotidien» accordé par chaque citoyen au-delà des particularités de la langue, de la race et de la religion, pour vivre sous la même souveraineté française. Soral se sert ensuite de son édition de Marx, La question juive pour y aller de deux droites une gauche sur l’édition du même livre par les Éditions de La Fabrique. Enfin, on arrive au plat de résistance, deux livres qu’il présente côte à côte, comme l’un de droite (l’Histoire de France de Bainville) et l’autre de gauche (Walden ou la vie dans les bois de Henry David Thoreau). Soral reviendra plusieurs fois sur la qualité de la jaquette des deux volumes et surtout leur faible coût de marché par rapport à l’épaisseur du volume : le Bainville, 550 pages, est à 20 €; le Thoreau, 400 pages, à 12 €. Or, la même Histoire de France de Bainville a été rééditée encore récemment chez Tempus (Perrin) et offert gratuitement toute l’année à l’achat de deux autres volumes de la collection (2011), tandis que le Walden de Thoreau est disponible pour 11 € 90 chez Gallimard dans la collection L’Imaginaire. Cette fausse publicité est celle d’un baratin de vendeur d’autos d’occasion. Il en va de même du discours que Soral porte sur les deux livres. Ne reste qu’à rire lorsque Soral invite les penseurs de gauche à lire l’historien de droite…

Soral prétend inviter les jeunes intellectuels - car c’est surtout aux jeunes qu’il s’adresse - en reprenant la manière dont Maurras avait un temps cru rallier la classe ouvrière au mouvement d’Action Française. Il avait même fondé un groupe d’activistes, les Camelots du roi, pour se confronter aux socialistes et aux communistes. Georges Bernanos et Robert Rumilly en firent partis. Le cercle Proudhon est également issu de cette volonté d’en appeler aux travailleurs pour restaurer les privilèges de la monarchie et de ses cadres aristocratiques. Évidemment, la jonction ne parvint jamais à se faire et le mouvement d’Action Française resta un mouvement essentiellement de petits bourgeois conservateurs et chargés de ressentiments. Il n’atteignit même pas le niveau réactionnaire (la droite révolutionnaire de Sternhell) qui fut le fait des Ligues des années 20 et 30 et commandées par des Mussolinis d’opérette. Il faudra attendre la défaite de 1940 et le régime de Vichy pour voir Maurras, rentré dans les fourgons de Pétain, accéder à l'antichambre du pouvoir …et y rester.

Et Bainville dans tout ça? Bainville était une intelligence, il faut le reconnaître. Soral a raison de dire qu’il reste toujours captivant à lire. Journaliste, d’un esprit diversifié - il tenait des chroniques variées, aussi bien sur le théâtre que sur l’économie -, ses textes étaient repris par toute une série de  revues ou de journaux de provinces. À côté de l’intelligence de Bainville, celle de Maurras apparaît de la dimension d’un petit pois. Ce poète, que plus personne ne lit alors que Claudel peut encore émouvoir et Barrès enthousiasmer, était aussi toqué que sourd. Et probablement toqué parce que sourd. Comme jeune journaliste, il avait couvert les premiers Jeux Olympiques de l’ère moderne tenus en Grèce en 1896. C'est là que, frappé d'une «illumination», il aurait découvert la perfection de l’idéal classique. De là à passer au «siècle de Louis XIV», triomphe du classicisme français avec Boileau, Racine, Perrault, Rigaud, Hardouin-Mansart, il n’y avait qu’un pas à franchir. Maurras en fit un second en identifiant la monarchie comme étant le régime «naturel» de la France. Cette idée, c’est celle que s’employa à démontrer Bainville avec son Histoire de France(1924). Ce livre fut édité à l’origine par Arthème Fayard dans une nouvelle collection, «Les Grandes Études historiques». De cette collection devaient être publiés une série de livres historiques écrits dans la même veine que celle de Bainville, d’où l’existence d’une véritable école historiographique bainvillienne, déconsidérée ou tout simplement niée par les historiens universitaires, mais encensée par les académiciens littéraires. L’Histoire de France fut l’un des premiers ouvrages réédités en format de poche dans la collection historique du Livre de poche dans les années 50 alors que l’édition originale était toujours disponible. Puis, depuis les années 1990, Bainville est ressurgi du purgatoire. Gallimard a publié son essai célèbre contre le traité de Versailles, Les conséquences politiques de la paix, dans le même livre où l'on retrouve l'avertissement de Keynes, Les conséquences économiques de la paix. La même collection, «Tel», a réédité son Napoléon qui n’est pas de la meilleure eau. La Collection Bouquins, de Robert Laffont, a publié un gros volumes contenant nombre des Lectures et autres critiques journalistiques de l’auteur. Bainville était un diplomate frustré - «J’étais fais pour occuper le fauteuil de Vergennes», aimait-il déclarer non sans mélancolie -, et son intense activité littéraire était faite pour combler cette frustration.

Pour Soral, c’est l’«esprit français» qui se dégage de la lecture de Bainville. Contre ceux qu’il appelle les «identitaires» dont le nationalisme est subjectif, Soral oppose le nationalisme objectif, dans la pure tradition d’avant-guerre du «nationalisme intégral» de Maurras. Les individus sont soumis à un principe transcendant incarné dans la monarchie. Celui de l’ordre. Maurras et Bainville étaient des élèves d’Auguste Comte. C’étaient des positivistes et jamais ils ne s’intéressèrent au catholicisme autrement que par leur goût de la hiérarchie pontificale et curiale. Léon Daudet, le fils d’Alphonse, journaliste dont les traits d’humeur et les perpétuelles poursuites en diffamation le font ressembler le plus à Soral, parlait de Jésus comme d’un bolchevique de l’Antiquité. Le catholicisme de l’Action Française était l’Église sans le Christ ce qui finit par convaincre Pie XI d’excommunier l’organisme en 1926. Dix ans plus tard, sous la poussée du cardinal Villeneuve de Québec, le nouveau pontife, Pie XII réinstaura l’Action Française au sein de l’Église.

Si le sarkozysme baigne dans le parfum L’Oréal, c’était le parfumeur Coty qui se montra l’un des principaux bailleurs de fonds de l’Action Française durant les années 20. Cet autre forcené travailla toutefois à vider l’Action Française, trop politiquement timorée à son goût, pour alimenter les Ligues fascistes qui organisèrent la célèbre journée du 6 février 1934 où Paris fut à un doigt de la guerre civile et de voir son régime politique renversé. Deux ans plus tard, l’élection du Front Populaire avec le juif Léon Blum au Conseil apparu comme la revanche de la gauche sur le coup de droite. C’est cette année-là que Bainville, dévoré par un cancer, meurt. Son cortège funèbre, escorté par les Camelots du roi, croise la voiture de Léon Blum qui est prise à parti, blessant légèrement le Président du Conseil.

Bainville avait commencé sa carrière d’historien par une biographie médiocre de Louis II de Bavière, sujet romantique et romanesque pour l’époque. Son Histoire de France n’est pas aussi originale qu’on le prétend. Sa Poétique est assez simpliste en fin de compte. Sans être un volume pour élèves sages, c’est un contrappostó du manuel scolaire de la République, le Petit Lavisse, du nom d’Ernest Lavisse, historien officiel. Dans ce manuel, toute la période qui va des origines à la Révolution est présentée comme une série de désordres violents, de guerres dynastiques, de mépris de la plèbe et des paysans, de l’insolence des rois et de l’arbitrarité de la justice. Avec la Révolution, tout commence à prendre un ordre logique. À l’anarchie de la période royaliste, répond la loi et le gouvernement responsable des républicains, les efforts des révolutionnaires libéraux pour abolir les inégalités de droits, la libération des petits producteurs, tant au niveau agricole qu’urbain. La démocratie vient coiffer la nouvelle légitimité qui ne provient plus de Dieu (donc d’en-haut), mais de la participation des citoyens libres et égaux en droits (donc d’en-bas). Le Poétique de lHistoire de France renverse ce schéma. La période monarchique est celle de l’ordre, des libertés communales, de la discipline des nobles et du rayonnement de la culture classique dont le parangon est le siècle  de Louis XIV - le Grand Siècle. Reprenant la vision de la fin de l’Ancien Régime incluse dans la Révolution par Taine, Bainville soutien que l’ère des désordres commence avec la désobéissance des nobles, la résistance du Tiers-État à Louis XVI, puis la guerre civile, les guerres napoléoniennes qui conduisent à l’invasion du territoire national par les armées ennemies. Depuis, rien ne va plus. Tout n’est que désordres, crises, instabilités, invasions. Ces deux diptyques doivent être vus l’un comme le négatif de l’autre.

Si Soral peut écorcher Michelet au passage, Bainville n’est pas plus «professionnel» que son illustre prédécesseur libéral. Il ne travaille pas sur les sources premières. Son Histoire contient des erreurs d’information notables, sur la loi salique par exemple, que les médiévistes de son temps avaient déjà identifiées. N’importe. Le travail de Bainville consiste à livrer une démonstration d’une idéologie partisane. En tant que comtien et agnostique (sinon athée), Bainville, comme ses vis-à-vis marxistes, fonctionne sur une conception moniste de l’Histoire : la transcendance du principe national. Il ne contredit pas Michelet qui affirmait que la France était un peuple creuset d’ethnies de différentes provenances. Nulle trace de complots juifs dans les heurs et malheurs de la modernité. Voilà pourquoi il est plus intelligent que Maurras. Il n’a pas besoin de recourir à des arguments saugrenus racistes ou antisémites. Tout philosophe qu’il est, Bainville érige un familienroman transcendant où l’on retrouve un Enfant-Peuple toujours à la limite de la turbulence,  (bien) dirigé par un Père-Roi ou (mal) par un Parlement et un Président «inaugurateur de chrysanthèmes», pour reprendre le méchant mot du général De Gaulle et une Mère-Nation heureuse et prolifique (sous la monarchie); malheureuse et hystérique (sous la République). Il faudra donc 550 pages pour développer exemplairement ce schéma à la symbolique simpliste mais efficace. Contre la Marianne, la Gueuse; la Monarchie, le principe de l’ordre.

Cet Imaginaire de l’Histoire est posé par Bainville, mais il sera repris et développé par d’autres. Déjà, en 1923, la collection avait publié unLouis XIV de Louis Bertrand, autre académicien. Un élève de Bainville, Pierre Gaxotte, après avoir publié un Siècle de Louis XV, présente une Révolution française où résonne l’écho du traumatisme de la Révolution russe. Ainsi, l’auteur parle-t-il de la «Terreur communiste» pour qualifier la Grande Terreur de 93-94. Le vieil historien Pierre de Vaissière offre un Henri IV (1925) qui demeure toujours, même aujourd’hui selon Jean-Pierre Babelon, un ouvrage de référence. Louis Bertrand récidivera avec son Histoire d’Espagne, Charles Bonnefon donne une Histoire d’Allemagne, toutes deux conformes au diptyque bainvillien. Frantz Funck-Brentano, autre historien établi, donnera un bon livre sur L’Ancien Régime. L’Histoire de Russie de Brian-Chaninov et l’Histoire des États-Unis de Firmin Roz sont des ouvrages médiocres. Le vieux journaliste Mermeix, dont le rôle dans l’affaire Boulanger avait été plutôt ambiguë, donne une Histoire romaine. Plus tard, le marquis de Roux donnera une Restauration, Jean Lucas-Dubreton un Louis-Philippe, Octave Aubry un Second Empire, enfin, Bainville livrera une Troisième République. Côté relations internationales, seuls les rapports de la France avec l’Allemagne - une France nourricière et une Allemagne traitresse - suffisent à satisfaire la collection avec une Histoire de deux peuples de Bainville et un Français et Allemands de Louis Reynaud. La thèse générale est que le romantisme, produit détourné de Rousseau, a donné naissance au romantisme allemand, puis par la philosophie de Fichte et de Hegel au nationalisme porteur d’une agressivité dont l’objectif est la destruction ou la réduction de la nation française. Ce qui fait dire que Bainville aurait été prophète de la Seconde Guerre mondiale et de l'Occupation allemande. On comprend que, dans le contexte français de l’Entre-deux-Guerres, ce type de philosophie de l’histoire a nourri le glaive et le bouclier, c’est-à-dire le Général De Gaulle et le Maréchal Pétain. En ce sens les rhétoriques de l’Idéologique sont claires et nettes. Nationaliste, militariste, cléricaliste et surtout monarchiste, comme le résultat d’une démarche positiviste, Bainville et les lecteurs de l’Action Française considéraient que tous les maux partaient de la même source, maux intérieurs comme maux extérieurs. Jean-Jacques Rousseau. Et si M. Soral déplore le jugement exécutoire de Bainville sur le vicaire Savoyard, c’est qu’il ne comprend pas la dynamique que soutient Bainville. Rousseau est à la fois la racine de la Révolution française et celle du romantisme allemand; et que ces deux plantes ont miné la santé de l’équilibre de la nation, entraîné sa décadence, puis la condamnent à plus ou moins brève échéance à mourir de son désordre intérieur lié à l’agressivité germanique menaçante.

L’opposition entre le nationalisme et le patriotisme a toujours mis face à face la droite réactionnaire et la gauche progressiste. Il en sera de même encore entre la Collaboration et la Résistance. Le discours de la tradition n’est qu’un écran auquel jamais l’Action Française ni Jacques Bainville n’eurent véritablement recours. Ce n’est pas par nostalgie autant que par conception historiciste que Bainville en appelle à la monarchie. Celle-ci est un principe complémentaire à celle de la Nation. Monarchie et Nation vont ensemble comme République et Patrie pour les républicains démocrates. L’excès du discours bainvillien est de passer imperceptiblement de la nation à la monarchie sans crier gare Qui parle nation pense monarchie. Si Robespierre, lors du jugement du roi, pouvait s’exclamer : «Louis doit mourir pour que la patrie vive», Bainville et les siens affirment sans détour que la «Nation doit mourir pour que le roi vive». Et c’est dans ce sens que l’on verra Maurras végéter auprès de Pétain. C’est moins la restauration des traditions et le principe national qui sont les objets indépassables des monarchistes, mais le principe du tout incarné par l’État, ou plus précisément le Père-État. Non plus l’État fonctionnaire des ronds-de-cuir de la République, mais l’État des grands commis rassemblés autour du roi. Auguste Bailly, auteur d’un Richelieu pour la collection des «Grandes Études historiques» finit par déclarer que Mussolini est une sorte de Richelieu auprès du roi Victor-Emmanuel comme l’original l’était auprès de Louis XIII. Et cette figure symbolique collective du Père est liée à la virilité. C’est le roi Charles VIII qui emmène la France dans l’aventure italienne et qui en rapportera les fruits de la Renaissance comme son successeur, Louis XII, sera désigné comme «le père de la France» pour être retourné en Italie et affirmé l’alliance avec Milan. Il n’y a d’Éros qu’entre la France et ses Rois. Et à choisir entre les deux, l’Enfant-Peuple doit préférer le Père-Roi, premier porteur du principe unificateur et d'ordre social et national. Le complexe œdipien classique, traditionaliste ou réactionnaire dissimule ici un complexe ganymédien. C’est le Père pris comme objet d’investissement érotique qui fait décrire la statue du Roi-Soleil sur la terrasse du Peyrouà Montpellier par Louis Bertrand : «À l’extrémité de l’ancienne rue Royale à travers le cintre d’un arc de triomphe, - une silhouette équestre, - qui, avec un grand geste dominateur, semblait s’emparer de tout l’espace. En sa marche aérienne, le Cavalier de bronze s’enlevait d’un tel élan d’apothéose que tout s’abaissait autour de lui. Les jambes nues, collées au ventre du cheval, la casaque militaire serrée aux flancs, avec ses lanières lamées de cuivre et ourlées de frisures en basane, les pectoraux énormes en saillie sous la cuirasse de parade, toute bosselée de reliefs comme celle de l’Auguste du Vatican, la crinière apollinienne rejetée en arrière et ceinte du bandeau de lauriers, il brandissait, par-dessus les plaines, le bâton de commandement… Pas d’inscription, pas même un nom sur le socle, comme si la ville moderne était honteuse d’une telle gloire» (L. Bertrand. Louis XIV, Fayard, réed. Livre de poche col. Historique, 1923, p. 7). Qu’est-ce à dire? Louis Bertrand se met dans la position de Ganymède soudain soulevé de terre par Zeus qui a pris la forme d’un aigle. La ville est honteuse d’une gloire qui ne dit pas son nom.

Et comme l’inconscient s’adresse aux autres inconscients par la voie du Symbolique, l’ancien éducateur de boxe Soral comprend intuitivement la symbolique de l’État dans le discours bainvillien. Par deux fois, il rappelle la «virilité» de la France monarchique, virilité qui repose moins dans la France que dans le monarque. Napoléon fut une mauvaise figure de Père pour Bainville qui écrit tout de go : «…il n’eût probablement mieux valu qu’il n’eût pas existé» (J. Bainville. Napoléon, Paris, Fayard, rééed. Livre de poche, Col. Historique, 1931, p. 496), ce qui est peu amène de dire cela de son modèle pour un biographe! C’est que la bonne figure de Père est venue après la mort de Bainville. Comme dans une continuité historique qui serait oxymoron baroque, la bonne figure de Père s’est incarnée dans le Maréchal Pétain - qui reprochait à ses enfants, le peuple, d’être victime de l’esprit de jouissance - et du général De Gaulle, qui, à travers la constitution de 1958 qui fonda la Ve République, a redonné à la France une véritable figure de Père-État avec le nouveau statut du Président de la République. Comme je l’ai dit, Pétain et De Gaulle étaient deux grands lecteurs de Bainville et partageaient sa même vision de l’Histoire de la France.

Soral est en deçà de bien réaliser ce qui l’attire consciemment et inconsciemment à ce retour à la rhétorique maurrassienne ou bainvillienne. Ce communicateur profite moins de son manque d’érudition que de la pauvreté intellectuelle d’une jeunesse sortie des classes de la République qui a été victime, en France comme ailleurs, des réformes pédagogiques inefficaces ou dont les choix de spécialisation ont été orientés en fonction de la production économique. La pauvreté de la culture signifie la pauvreté de l’esprit et un communicateur de talent comme Alain Soral profite d’un exercice facile pour convaincre un auditoire qui ne cherche qu’à se laisser convaincre …de n’importe quoi qui catalyse ses rancunes, ses frustrations et son manque d’espérance dans la venue d’une solution «messianique». Voilà pourquoi il complète le tour avec le livre de Thoreau, Walden. Le monde de Thoreau est pour lui l’équivalent de l’esprit français… en Amérique. Contre les fricoteurs de Wall Street et les gays de San Francisco, c’est l’esprit américain sain, libre, autonome que représente l'auteur de Walden. Thoreau, c’est le promoteur de la désobéissance civile qui est la stratégie de «Vérité et réconciliation» contre la République bourgeoise «enjuivée», comme on aurait dit à l’époque de Bainville. Mais Soral en a encore moins à dire sur ce «classique» qu’il pouvait s’épancher sur les leçons offertes par l’Histoire de France de Bainville.

Le livre de Thoreau apparaît comme l’un de ces bûcherons errant dans l’épaisse forêt telle que décrite dans Walden. C’est une œuvre sortie de nulle part et qui reflète une idée convenue de l’esprit américain. Comme si une philosophie, même anarchisante, pouvait jaillir d’une tabula rasa. Le Thoreau présenté par Soral naît davantage de son imaginaire personnel et se trouve érigé comme antithèse de «l'Empire»; voilà ce qui en fait un Thoreau assez pauvre en soi. Soral ignore visiblement que derrière Thoreau, il y a Emerson et sa philosophie spiritualiste qui essaie de réinventer les rapports entre l’individu et la société afin de résoudre cette grande contradiction qu’est le rêve et l’histoire dans la durée américaine. Une femme comme Margaret Fuller et le mouvement transcendantaliste qui balayait progressivement l’ancien puritanisme qui avait fait la Nouvelle-Angleterre à l’époque du colonialisme pré-révolutionnaire. Enfin son exact contemporain et proche voisin Walt Whitman dont Les Feuilles d’herbe baignent dans une atmosphère onirique et homoérotique que la censure ne parvient plus à dissimuler. Thoreau en vient à développer un individualisme assez monté contre la société de son époque. C'est le révolté «à la fois violent et d'un heureux naturel» (dixit H. W. Schneider. Histoire de la philosophie américaine, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des Idées, 1955, p. 234) que célèbre Soral, et non ce besoin de solitude méditative, «pieuse» mais sensuelle qui finira tournée vers la Bhagavadgîtâ. Emerson, Fuller, Thoreau et Whitman sont des non-conformistes qui ne vont pas avec l’historicisme de Bainville au niveau idéologique, mais qui se rejoignent étrangement, via l’inventaire de Soral, au niveau symbolique.

Quelles motivations peuvent se cacher derrière la pédagogie archaïsante d’Alain Soral? Une communication transparente et riche ou une rhétorique de séduction sectaire et potentiellement dépravante? Les maîtres de vertu sont rarement animés par des intentions vertueuses et lorsqu’on s’en aperçoit, le mal est souvent fait. En tout cas, de lui rien ne sort qui puisse transcender les cul-de-sac qui sont ceux de la civilisation occidentale actuelle. Sa grande culture est faite de résumés d’attachés littéraires, son érudition est quasi nulle, son art de l’interprétation mène sa raison plus que sa raison son interprétation et sa pédagogie se limite à une praxis idéologique où la confusion des classiques «de droite» et «de gauche» donne une fausse impression de neutralité objective par delà bien et mal. La pensée d'Alain Soral? Du Jell-O, cette poudre mélangée à de l’eau bouillante et des glaçons qui donne une forme inconsistante mais suffisamment substantielle pour y plonger sa cuiller. À côté de lui, Bainville était un grand intellectuel, substantiel même lorsque l’idéologie asservissait son professionnalisme dans sa volonté de restaurer la cellule organisée autour de la monarchie, de la nation et du peuple soumis à travers un sens de l’unité que reprend M. Soral, mais sans les compétences et les stratégies politiques qui pourraient reprendre le vieux projet  avorté de Maurras. De Maurras, M. Soral a hérité un narcissisme frondeur jumelé à un caractère indécis, apeuré des conséquences s'il devait aller trop loin. Ce verbomoteur qui nous prêche à l’écran son Évangile sans verset cache un homme mal formé, peu cultivé, brutal et méprisant, méprisable parce que suffisant dans ses insuffisances. Bref, un radis immature recouvert d’un vernis de culture. La Civilisation n’a rien à attendre d’un tel homme⌛

Montréal
12 octobre 2013

Les métamorphoses d'un cloporte

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Paul Desmarais Senior (1927-2013)
LES MÉTAMORPHOSES D’UN CLOPORTE

«Le cloporte, nous dit Wikipedia, est le seul crustacé entièrement terrestre. Il est muni d'un exosquelette rigide, segmenté, de couleur jaunâtre-brun pâle (plutôt chez les jeunes) à noirâtre en passant par le gris ardoise. Sa carapace est parfois presque transparente. Elle est composée de calcaire, phosphate de calcium et de chitine. Le cloporte vit entre 2 et 3 ans en effectuant des mues mensuelles. Il atteint la maturité sexuelle à l'âge de 3 mois à 1 an selon les espèces. Certaines espèces de cloportes peuvent se rouler en boule quand ils se sentent menacés, ne laissant que leur dos blindé exposé (volvation). Ils se distinguent des gloméris (mille-pattes) par le nombre plus important de plaques tergales, lorsqu'ils sont en boule».

l.  Paul Desmarais Sr.

Il est intéressant de parcourir ce que les journaux ont publié depuis la mort de Paul Desmarais Senior, le 8 octobre 2013. Des hommages dithyrambiques jusqu’aux blasphèmes les plus ressentis, la personnalité de Desmarais était déjà semi-mythique du vivant même de l’individu. Avec sa mort, le mythe commence à se former et tout le monde y contribue de ses vindictes ou de ses admirations. Or, c’était un homme peu visible, peu connu. Il ne défrayait plus la manchette depuis longtemps et on ne sait trop si son rôle ésotérique était réel ou imaginé par les songes creux des affaires. Sorte de Jean Rivard sorti tout droit de l’imagination d’un Antoine Gérin-Lajoie du XXIe siècle, il donne l’impression d’appartenir à un autre monde. Son capitalisme était archaïque, perdu dans l’admiration qu’il avait, étant jeune, pour des magnats américains du genre Rockefeller ou Morgan. Comme Vanderbilt, il s’est fait construire (en partie) un château baroque en Europe et déménagé dans le comté de Charlevoix. Desmarais était le parfait représentant de ce que Jean Bouthillette appelait le Canadien Français et son double, c’est-à-dire une personnalité schizophrénique qui porterait à la fois le chapeau du colonisateur et le fardeau du colonisé. Et c’est ce qui est formidable. Toute la fortune extraordinaire empilée par ce Citizen Kane canadien-français n’a pas suffit à extirper de lui la culture de la pauvreté qui, comme chez les Lavigueur devenus soudainement millionnaires, s’est campée dans des œuvres caritatives et la construction d’un «tombeau vivant», une sorte d’Escurial kitsch, semi-Renaissance, semi-Baroque, qui aurait dérivé, dans les pires conditions, de la Loire jusqu’à la Malbaie.

La mythologie était donc déjà amorcée bien avant sa mort, et celle-ci n’ajoute rien au portrait général du personnage sinon qu'une amplification rhétorique démesurée. Les fantaisies, pour ne pas dire les fantasmes sortis tout droit du monde des affaires, de la politique, des arts, de l’éducation et de la philanthropie sont tout simplement délirants, pour ne pas dire totalement hystériques. Un saint n’aurait pas eu d’éloges funèbres aussi nourris. À côté, les borborygmes lancés à la mort de Mère Térèsa ou de Jean-Paul II sont rien à côté des élans superfétatoires inventés pour décrire l’idole du jour.

D’abord, qui était ce Paul Desmarais senior? Un affairiste. Né le 4 janvier 1927, il est le fils d’un chauffeur d’autobus de la région francophone d’Ontario, Sudbury. Très jeune il se lance en affaires. Diplômé des Universités d’Ottawa et de McGill (Montréal), il commence sa carrière dans le cabinet d’expertise comptable Courtois, Fredette & Cie à Montréal. À 24 ans, il retourne à Sudbury - en 1951 - et achète l'entreprise de transport par autobus de son père, Sudbury Bus Lines, alors en quasi-faillite et qu'il paie symboliquement $ 1.00. Il étendra son premier empire en achetant des voies d’autobus interurbaines en Ontario et au Québec tout aussi déficitaires. Desmarais les rassemble toutes sous sa main, jouant sur les déplacements financiers pour consolider les lignes profitables et abandonner les lignes déficitaires. De cette concentration naîtra la célèbre compagnie des autobus Voyageur. En tant que comptable, à l’exemple de J. D. Rockefeller, son modèle, il profite de ses talents pour amasser une fortune sans trop risquer une mise en capital qui l’entraînerait vers la ruine. C’est ainsi qu’en 1965, il acquiert la société holding Trans-Canada Corporation Fund (TCCF). Trois ans plus tard, en 1968, Desmarais fait une offre d'échange des actions de celle-ci avec celles de Power Corporation du Canada (PCCP), dont le siège social est à Montréal. En 1970, Paul Desmarais en devient l'unique président et chef de la direction, en tant qu'actionnaire majoritaire. Il s'associe, également en 1968, à Claude Pratte, beau-fils d'Onésime Gagnon (ancien ministre de l’Union Nationale, sous Duplessis) pour former Prades.

Au moment où Desmarais met la main sur Power Corp., c’est une compagnie en mauvaise position financière. Fondée en 1925, quarante ans plus tard, c’est une entreprise, un holding, en mauvaise posture, soit à cause de la dégradation de la conjoncture économique, soit pour de grossières erreurs d’administration. Desmarais va donc reproduire avec le holding ce qu’il s’est pratiqué à faire avec sa toile de réseaux d’autobus interurbains. Cela commence avec la valeur de la Consolidated-Bathurst, née en 1966 de la fusion de deux principales participations de Power dans les pâtes et papiers qui est emportée, comme toutes les autres entreprises de ce secteur au Canada, par la surproduction et les difficultés d’écoulement. Puis vient la Dominion Glass, fabricant de contenants en verre, en état de crise également. La célèbre Canada Steamship Lines, un groupe de transport maritime et de constructions navales qui croule sous les conflits syndicaux. Le redressement de cette compagnie passera par la nomination de Paul Martin Jr - autre franco-ontarien venu du monde des affaires et de la politique - à la tête de l’entreprise. Puis, encore, Inspiration Limited, une filiale de construction, qui subit un ralentissement de la demande et essuie des pertes sur deux importants contrats. Et si la Financière Laurentide parvient à surmonter la crise de confiance envers le secteur financier canadien, causée par la faillite d’Atlantic Acceptance au milieu des années 1960, elle doit omettre les dividendes de ses actions privilégiées et ordinaires. La brusque chute du bénéfice de Power n’est alors compensée que par la vente à profit de certains actifs, notamment la participation dans Congoleum-Nairn et les actions de la Banque Royale, de British Newfoundland Corporation et d’International Utilities.

Ce contexte précaire, Desmarais va en profiter. Peter Thomson et son conseil d’administration acceptent, au début de 1968, l’échange d’actions avec la Corporation de Valeurs Trans-Canada, un holding de $ 75 millions déjà contrôlé par Desmarais qui assume aussitôt la direction de Power. Le portefeuille de Trans-Canada comprend la totalité des actions de Transport Provincial, la compagnie d’autobus de Desmarais. Ce dernier participe majoritairement à L’Impériale, Compagnie d’Assurance-Vie de Toronto, position récemment acquise de 25% dans le Groupe Investors, une société de fonds communs de placement de Winnipeg (qui détient environ 25% du capital du Montreal Trust), de Placements Mackenzie et de la société américaine Putnam Investments et un champ de course, une station de radio et des immeubles.

Ce goût de l’investissement dans les communications le conduit à contrôler Gesca Ltd, détentrice en toute propriété du quotidien La Presse, le plus important quotidien montréalais de langue française. À cela s’ajoute 62% de trois quotidiens et 10 hebdomadaires québécois, les Journaux Trans-Canada. Gesca ne sera cédée à Power qu’en 1970. S’établit ainsi un premier contrôle politique par la concentration de la presse et des média.

Desmarais est un «fin renard» dans la mesure où il profite du morcellement des actions de ses holdings pour devenir un actionnaire minoritaire mais puissant. Conformément à l’entente, il est nommé président du Conseil et chef de la direction de la Société alors que Peter Thomson est président délégué du conseil. Comme chacun détient environ 30% des droits de vote, ils ont ensemble le contrôle de Power Corp. La convention de vote qu’ils ont passée entre eux restera en vigueur jusqu’à ce que Desmarais rachète la part de Thomson en 1970, la plupart des actions privilégiées participantes conférant dix voix que M. Thomson détenait encore (source: Power Corporation du Canada. Soixante-quinze années de croissance, 1925-2000).

Le milieu des média (presse écrite et radio-télé - il échoue à prendre le contrôle de Télé-Métropole) et celui des Assurances vont faire la force de l'empire Desmarais. Il détient ainsi, par l'entremise de Corporation Financière Power, trois poids lourds du secteur de l'assurance : la Great West, la London Life et Canada Vie. L'empire Desmarais est par ailleurs très présent en Europe, grâce à son association avec le milliardaire belge Albert Frère. Par l'entremise de Pargesa Holding S.A., une société de portefeuille d'envergure internationale qui a son siège à Genève, l'empire détient ainsi une participation dans plusieurs groupes industriels européens, comme Lafarge, la pétrolière Total et le géant des spiritueux Pernod-Ricard. Power Corporation détient par ailleurs près de 5 % de la société chinoise CITIC Pacific.


S’il n’a pas un créneau spécifique, comme le pétrole pour Rockefeller ou la presse pour Hearst, ses habiletés comptables lui permettent de faire fructifier des entreprises strictement financières. S’associant à des partenaires américains, français et autres, il devient ainsi un «impérialiste» de la Finance qui, sans toutefois égaler les fortunes américaines et européennes, parvient à devenir l’une des plus grosses fortunes du Canada au tournant du XXIe siècle. Ce qui est extraordinaire, précisément, c’est comment un travail aussi minutieux de comptabilité et de gestion, réalisé sans tambour ni trompette, atteignant une fortune colossale sans jamais faire la une des manchettes, parvient-elle à déclencher un flot de louanges ou de haines inouïes à la mort du comptable de Sudbury?

2.  La métamorphose d’un homme d’affaire en financier

Évidemment, les premiers hommages jaillissent du Conseil du Patronat du Québec, par la bouche de Yves-Thomas Dorval : «Si son départ constitue certainement une immense perte pour le milieu des affaires et pour l'ensemble de la société québécoise et canadienne, sa contribution et son exemple resteront des modèles pour les futures générations d'entrepreneurs qui lui succéderont». Le même personnage célèbre la contribution «inestimable de Paul Desmarais à la prospérité du Québec et du Canada». Nous baignons ici dans la confusion entre les intérêts privés et l’intérêt général. Depuis quand une fortune amassée par un milliardaire représente-t-elle la «prospérité» pour l’ensemble de la collectivité? Ne pensons seulement qu'à Haïti. C’est donc là un pur sophisme. Et les mythes commencent souvent par un raisonement sophiste.

«La communauté d'affaires a aussi tenu à rendre hommage à l'influent homme d'affaires. "M. Desmarais a sans nul doute été le plus grand entrepreneur francophone de l'histoire canadienne. Il a démontré qu'il est possible pour les francophones de réussir en affaires de brillante façon. Il va ainsi rester une source d'inspiration importante pour les prochaines générations d'entrepreneurs" a dit le président et chef de la direction de la Banque Nationale du Canada, Louis Vachon», poursuit La Presse, le journal de Power Corp. Cet aveu latent dans la déclaration montre la persistance de l’idée de «l’infériorité économique» des Canadiens Français dans l’esprit des «entrepreneurs», car tout entrepreneur n’est pas nécessairement un industriel, ce que n’a visiblement jamais été Paul Desmarais. Le manque de distinction entre les deux activités dénote l’incurie à discerner l’économie de la finance. Il faudra retenir ceci lorsque nous reviendrons sur l’archaïsme qui hante l’esprit Desmarais.

Le principal concurrant des Desmarais dans le secteur des média, ce sont les entreprises gérées par Pier-Karl Péladeau. De Desmarais, Péladeau a appris le type de gestion, fort contrastant avec celui de son père, fondateur du Journal de Montréal, et son goût d’intervenir dans les affaires publiques et politiques. Desmarais était un fédéraliste enragé; Péladeau folâtre avec le Parti Québécois. Mais, (est-ce ironie?), c’est le «philanthrope» que tient avant tout à saluer M. Péladeau. Même allusion de Michaël Sabia qui le décrit comme «un homme généreux». Le pharmacien Jean Coutu lui aussi le présente comme modèle : «J'ai eu le plaisir de le rencontrer à quelques reprises et chaque fois, les entretiens que nous avions m'éclairaient sur des situations complexes ou délicates». Ici, Senior Desmarais apparaît comme le Pater Familias du monde des affaires québécois. Le Parrain du Québec Inc. Le chef de la direction de Bombardier, Laurent Beaudoin, célèbre chez lui les vertus cardinales de l’entreprenariat : «Lorsqu'on regarde d'où il est parti et ce qu'il a fait avec Power Corp., c'est un exemple qui montre ce qu'on peut faire quand on a de l'ambition, qu'on a du jugement et qu'on n'a pas peur du travail». Ici, nous entrons carrément dans la fable : travaille et tu seras récompensé. Pour quelqu’un qui, en 1999, présidait la collecte du Diocèse de Montréal, c’est équivalent à la notice du révérand Malthus sur le danger d’être 13 à la table quand il y a à manger que pour 12!

Et ça continue, le président et chef de direction des dépanneurs Couche-Tard considère Paul Desmarais comme une «référence incontournable». Il est le seul pourtant qui souligne la discrétion de Desmarais. Lui aussi, comme Louis Vachon insiste sur le combat «héroïque» dirions-nous de l’ambition de Desmarais contre la «frilosité» des Québécois en matière économique : «Avec le décès de Paul Desmarais, le Canada et le Québec perdent un grand entrepreneur qui a choisi de s'établir au Québec avec sa famille et ce, malgré l'adversité parfois et la frilosité des Québécois devant la réussite et la richesse en général». Comme dans le western où le bon shériff doit protéger la population peureuse d’une ville contre elle-même, la figure de Desmarais prend des proportions hors-normes.

«Guy Savard, qui a été président-directeur-général de la Caisse de dépôt et placement du Québec de Merrill Lynch pour le Québec» - autre phrase mal formulée propre aux journalistes de La Presse -, pour sa part, croit que le Canada a perdu un ambassadeur : «Le Canada tout entier a perdu un grand ambassadeur et un homme d'affaires remarquable. C'est une très lourde perte pour sa famille et pour ses nombreux amis. Monsieur Desmarais Sr a su cultiver des relations de premiers plans avec les grands de ce monde et bâtir des amitiés solides sur le plan national et international.  À son mérite, il a su avant tout transmettre à ses successeurs tous ses attributs laissant derrière lui un héritage exceptionnel». Outre le superlatif, Savard a raison toutefois de noter une chose : la méthode administrative de Desmarais avait ceci de particulièrement nouveau : le sens du réseautage. Depuis que Desmarais Jr avait pris le contrôle des entreprises familiales, le père jouait de la diplomatie, négociait des ententes, bref, agissait via les réseaux financiers et politiques dont il était un nœud important.

«Le Canada perd un grand homme», affirme Lino Saputo père, l’homme des fromages et du soccer à Montréal. Raymond Royer, membre du conseil d’administration de la Corporation Financière Power, s’inscrit également dans la persistance de l’infériorité québécoise en affaires : «C'est un grand Canadien qui a toujours eu à coeur les intérêts du Canada. C'est le Canadien français qui a le mieux réussi dans le secteur de la finance, qui était davantage réservé aux anglophones à l'époque. C'est un grand visionnaire et un grand mécène. Nous perdons quelqu'un de très bien». Tout cela relève d’un esprit qui est davantage celui des années soixante que celui en ce début de XXIe siècle. La Chambre de Commerce de Montréal se dit pour sa part «en deuil d’un grand Montréalais», célèbre sa vision et «ses grands talents de gestionnaire». Le rappel du retard économique est réactivé par son entreprise, Power Corporation, qui «rappelle à tous les Québécois que nous pouvons réussir ici et sur la scène internationale».

Bernard Mooney (et non Money), dans le journal spécialisé Les Affaires, définit Desmarais comme «un grand bâtisseur». Ici, ce sont les milliards qui rutilent aux yeux du journaliste. On ne bâtit que sur de l’argent. D’abord, «il a fait de Power Corporation un conglomérat international avec une valeur boursière de près de 14 milliards de dollars […] Parmi ses plus grands coups, on ne peut oublier la vente de Consolidated Bathurst en 1989 […], juste avant la récession de 1990 et juste au début du long déclin de l’industrie des pâtes et papiers». C’est là que nous voyons le mieux les talents de Desmarais. Fin financier, il voit que les pâtes et papiers sont sans avenir. Il ferme moulins et entrepôts. Il encaisse les millions et laisse les régions sans ressources de remplacement. À ce titre, les décisions d'affaires de Desmarais ont été parmi les sources du dépeuplement de bien des régions au Québec, d’où la critique acerbe de Jacques Parizeau, que M. Desmarais n’avait jamais investit son argent au Québec. Ce que le délirant Bernard Landry, péquiste d’opérette, évite de mentionner dans son éloge à Tout le monde en parle. Mais si nous revenons à Mooney, ce dernier est hypnotisé par les informations du magazine Forbes qui évalue la fortune de Desmarais à $4,5 milliards en date de mars 2013, ce qui le plaçait au quatrième rang des grosses fortunes du Canada et au 276e aux États-Unis. Voilà pourquoi le même hurluberlu considère que «M. Desmarais a été un bâtisseur de classe mondiale». C’est la seule question qu’il est en mesure de tirer de sa réflexion : «Comment peut-on créer autant de richesse dans une seule vie? me suis-je demandé. Pourtant, la réponse est assez simple. En travaillant, en dépensant moins que ses revenus, en bâtissant, en investissant et en réinvestissant, année après année pendant des décennies. C’est la seule façon de créer de la richesse durable». Nous voilà ramenés à la morale du «travaille et économise», la morale que Max Weber établissait dans la constitution du capitalisme calviniste au XVIe siècle. Travailler et économiser. Dépenser moins que ses revenus (consensus avec les obsédés de la dette). Bâtir, investir et réinvestir comme un forçat cassant des cailloux. Morale de la petite école qui a peu avoir avec l’édification réelle des richesses. C’est du niveau de l’infantilisme économique d’un Alain Dubuc.

Lorsque nous passons à Radio-Canada, le mythe du «bâtisseur en opposition avec la frilosité» de la société québécoise se nourrit de commentaires fédéralistes. Ici, on parle «de l’ascension d’un Canadien Français» comme on parlait jadis de l’ascension du Christ. On ne parle pas du financier, du magouilleur politique ni du mécène ou du philanthrope, mais du Canadien Français, espèce que l’on croyait disparue depuis que nous nous appelions «Québécois», et c’est en tant que Québécois que Desmarais a poussé son dernier soupir. Donc, une dimension religieuse sous-entendue dans la perception «catholique», «cosmopolitique» de Desmarais Senior. «On le voyait peu devant les caméras, pourtant, l'homme était un géant du monde des affaires. Assurances, énergie, services financiers, médias, Paul Desmarais était présent dans presque tous les secteurs, sur presque tous les continents. Un magnat qui est parti de presque rien, doté d'un flair hors du commun, Paul Desmarais a légué à ses fils le plus grand empire financier du Québec. Avec le décès de Paul Desmarais vient aussi de disparaître l'un des principaux symboles de la promotion économique des francophones durant la Révolution tranquille». On constate la pauvreté de l'argumentaire économique de cet éditorialiste. Si l’économie d’une nation se fondait sur les assurances, l’énergie, les services financiers et les médias, cette économie nationale s’effondrerait en assez peu de temps. Certes les mots ont leurs poids en monnaie sonnante et trébuchante, mais face à la production industrielle, ce ne sont que des ressources naturelles et des services. Une industrie a certes besoin d’assurance, mais les assurances n’ont pas besoin d’industries. Là réside la grande mutation de l’économie du Québec au cours du dernier demi-siècle. D’une société de production, nous sommes passés à une société de consommation et de services. Desmarais n’a donc pas participé à la création de richesses tangibles au Québec. Il a profité de l’énergie hydroélectrique comme l’ensemble de la province, une énergie financée à même les fonds publiques. La panégyrique ne dit pas tout. Le reste relève de la mythologie américaine du self-made man que l’on cultive depuis Jean Rivard défricheur. Mais Jean Rivard défricheur ne pouvait vivre Jean Rivard rentier, ce dont s’accommoda fort confortablement Paul Desmarais avec ses rêves de châteaux en Charlevoix.

Puis, on passe au compte de fées : «Le "p'tit gars" de Sudbury, en Ontario, est parti de zéro. En 1951, à l'âge de 24 ans, il rachète de son père pour 10 $ une quinzaine d'autobus en piteux état de la Sudbury Bus Lines. Il doit sauver la compagnie de la faillite et est contraint de payer certains de ses employés avec des billets d'autobus». Cette démagogie a aussi son revers : en effet, Desmarais paiera toujours ses salariés au minimum. Ce qui devait entraîner des grèves houleuses et célèbres que notre conteur idyllique préfère plutôt taire.

3. La métamorphose d’un Fédéraliste en Nationaliste

Les hommes politiques ont sans doute dépassé les bornes de la reconnaissance tant ils ont été des clients satisfaits de l’empire Desmarais. On a pu voir - et mesurer - l’onctuosité baroque avec laquelle ils ont badigeonné le cadavre non encore refroidi du macchabée. Avec les affairistes, ils partagent l’image du «grand bâtisseur». Chéops ou l’empereur moghol Shâh Jahân. Pauline Marois, la Première Ministre du Parti Québécois, la seule, reste laconique : «Le Québec perd l'un de ses plus grands bâtisseurs». Son vis-à-vis fédéral, le Conservateur Stephen Harper ne parle que du «leadership et de l’intégrité de l’homme d’affaires». C’est lui qui souligne le premier «sa vision d'envergure internationale et son profond attachement à son pays. Il participait aussi activement au milieu des services communautaires, ainsi qu'à ceux de l'éducation et des arts», ce qui nourrira les oraisons ultérieures publiées dans les journaux, n’hésitant pas à ajouter au portrait du saint : «On se souviendra de M. Desmarais comme d'un chef d'entreprise unique, qui a amélioré la vie des Canadiens, par les emplois qu'il a créés et par son travail caritatif». L’ex-Premier Ministre du Canada, Jean Chrétien, avec qui les liens familiaux sont tissés serrés avec le clan Desmarais, est dit, par le journal La Presse, «ébranlé» par la perte du beau-papa. «C'était un homme extraordinaire, un francophone de Sudbury qui est devenu probablement l'homme d'affaires francophone le plus éminent qu'on ait connu dans l'histoire du Canada. Je le connaissais depuis très longtemps. Évidemment, nos familles sont réunies. Nous partageons quatre petits-enfants», a affirmé l'ancien premier ministre, joint par La Presse en Italie. «C'était un homme très gentil, un très bon homme d'affaires et très cultivé aussi. Il était très fier de ses origines françaises. Il était aussi très généreux au Canada, au Québec et même en France. Il a fait des contributions importantes. Ce n'était pas toujours connu, mais cela lui faisait toujours plaisir de le faire. C'était un sacré bon homme, comme on dit». Jean Chrétien, qui n’a jamais fait dans la dentelle et à plus forte raison distingué ses rêves de la réalité, ajoute que le parcours de M. Desmarais représente «une histoire fantastique». Certains diraient plutôt une «histoire extraordinaire», …à la Edgar Poe.

Bob Rae, ancien Premier Ministre néo-démocrate d’Ontario et chef transitoire du Parti Libéral du Canada ajoute : «Pour beaucoup de monde, c'était un représentant d'une certaine classe. Mais pour moi, c'était un homme qui aimait la vie, qui était très généreux avec son amitié et ses conseils et c'est avant tout le souvenir que j'aurai». Il faut ajouter que le frère de Bob, John, travaille pour Power Corp depuis plusieurs années. Justin Trudeau - Mini-PET - a communiqué sur twitter : «Triste d'apprendre le décès de Paul Desmarais - un bon ami de mon père, un entrepreneur canadien exceptionnel et un généreux philanthrope». On le voit, l’entrepreneur d’affaires et le philanthrope ne cessent de se renvoyer l'un à l'autre. Pour le Néo-démocrate libéral Thomas Mulcair, «le Canada perd aujourd’hui un grand homme». On ne douterait pas qu’il eût dit cela à la mort de Michel Chartrand, mais, enfin… Et le toujours aussi subtile et versatile Daniel Paillé, chef du Bloc Québécois affirme: «Dans un Québec dont les divisions socio-économiques s'entendaient à la langue parlée, il a démontré que les plus hauts sommets étaient aussi à la portée d'un francophone».

La servilité du milieu politique est confirmée par ce que rappelle le sénateur Jean-Claude Rivest. Se souvenant d’une conversation téléphonique avec l’ancien Premier Ministre du Québec, Robert Bourassa : «Une fois, je lui avais dit : "Pourquoi tu parles à Paul Desmarais? Il est toujours en désaccord avec toi!" Il m'avait répondu: "Paul Desmarais, ça vaut 15 délégués du Québec à l'étranger"». Et Rivest d’ajouter : «Le Québec opère bien sûr auprès des grands banquiers sur le plan de ses investissements, de ses emprunts, du financement de ses grands projets. Paul Desmarais était très familier avec eux et il n'a jamais hésité à aider le Québec et le gouvernement du Québec». Jean Charest, ami du duo Desmarais/Sarkozy reprend la même antienne : Desmarais était un «réel ambassadeur du Québec et du Canada». «Son histoire et son cheminement font de lui un leader de son siècle et de sa génération», a dit par voie de communiqué, M. Charest, aujourd'hui associé au cabinet McCarthy Tétrault. M. Charest a tenu à rendre hommage à M. Desmarais bien qu'il soit en déplacement vers Hong Kong pour un voyage d'affaires», tient à rappeler le journaliste de La Presse. Parmi les relations mondiales de Desmarais on retiendra l'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, Paul Volker, ancien président de la Réserve fédérale américaine, les présidents Reagan, Bush père et …Clinton, de même que le cheik Ahmed Zaki Yamani, ancien ministre du Pétrole de l'Arabie Saoudite.

De même, deux candidats à la mairie de Montréal affiliés au Parti Libéral, Denis Coderre et Marcel Côté, chantent les louanges du disparu : «Paul Desmarais est un grand pionnier du monde des affaires et un grand Montréalais. Il a beaucoup fait pour le Canada, pour son rayonnement international. Pour plusieurs entrepreneurs, c'est un exemple qu'on peut aller loin quand on a une vision et une passion», radote le premier, Denis Coderre, alors que «C'est un grand Montréalais et un grand homme d'affaires. Il savait quand acheter mais aussi quand vendre une entreprise. Chez Power Corporation du Canada, il a instauré une structure exceptionnelle de gestion et de gouvernance. Il fut aussi de loin le plus grand philanthrope à Montréal. Il était très discret, mais il a donné plus d'argent que quiconque», déclare le second, Marcel Côté. Paul Desmarais, montréalais? Pourquoi pas. Ce que nous dit Côté, c'est que Paul Desmarais serait à l'origine d'une «culture d'entrepreneurship francophone» qui n'existait pas avant lui, ce qui n'est pas loin de la vérité.

Les Indépendantistes et les syndicalistes ne sont pas moins lèche-bottes de l’homme d’affaires. Lucien Bouchard est un habitué de Sagard. Le biographe de Jacques Parizeau et maintenant ministre de l’Éducation supérieur dans le cabinet péquiste, Pierre Duchesne, va plus loin que Pauline Marois : «Le ministre de l'Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, a salué la mémoire de cet “homme d'influence important au Québec, au Canada et dans le reste du monde”. “Il avait une finesse d'esprit dans la façon de faire des choix économiques importants. Il a été longtemps dans les pâtes et papiers. Il a vu venir les cycles défavorables, il s'est retiré, il est allé dans d'autres domaines énergétiques. Il a vu le marché chinois avant bien d'autres”. Le ministre Duchesne a aussi rappelé le mécénat de M. Desmarais dans le domaine des arts. “Il en a fait profiter tout le Québec, a-t-il souligné. Son siège social est toujours demeuré à Montréal. Il a toujours cru au Québec. Il y a eu toutes sortes de débats économiques et politiques, mais il a toujours cru au Québec”». Un bon vieux libéral n’aurait pas dit mieux. Claude Lamoureux de Teachers (le régime de retraite des enseignants ontariens, devenu fonds d’investissement à l’image du Fonds de Solidarité) célèbre cet «homme qui avait du flair», et ce «qu’il a fait, c’est pas mal fantastique». Enfin, il en vient à souhaiter pour l'avenir «plusieurs Paul Desmarais».

Sur le front international, Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez, réagit depuis Paris : «C'était bien sûr une grande figure des affaires, une figure rare, mais avant tout un industriel [sic!]  et un homme de vision, un grand bâtisseur. Il avait l'entreprise dans le sang. C'était une personnalité très attachante, d'une grande simplicité, fidèle à des valeurs, à un territoire et ouvert sur le monde, un humaniste. Notre Groupe lui doit beaucoup. Aux côtés d'Albert Frère, avec ses fils, il a accompagné, comme actionnaire, pendant près de 20 ans, tous les grands moments de l'histoire de notre Groupe : la mutation de Suez en un groupe industriel, les différentes fusions et mouvements (Lyonnaise des Eaux, Société Générale de Belgique, Tractebel, Electrabel) jusqu'à la création de GDF SUEZ. J'avais à coeur chaque année de participer à la Conférence de Montréal, qu'il avait inspirée avec son fils Paul Junior pour réunir des décideurs du monde entier sur les grands enjeux internationaux. Il était en effet toujours très attentif à anticiper, mais aussi à lutter contre les déséquilibres, les inégalités. Il était attaché à l'idée d'un progrès partagé», a-t-il déclaré à La Presse. Paul Desmarais, humaniste. L'un parmi Pétrarque, Érasme et Montaigne.

Pour la presse régionale, les édiles de Charlevoix projette la figure du bon Père sur le financier : «C'est quasiment un père pour moi. Quand je le rencontrais, c'était comme père et fils», a affirmé M. Asselin, qui précise que cette relation, de type familial, s'est poursuivie lors de son passage à la mairie et comme préfet. Paul Desmarais et sa famille ont fait des donations de plusieurs millions de dollars à des organisations régionales comme l'hôpital de La Malbaie, le Musée de Charlevoix et le Domaine Forget. Le Domaine Laforest (du nom du patronyme maternel de Desmarais) de Sagard, évalué à $ 50 millions, est une entreprise majeure dans Charlevoix. Durant la saison estivale, près de 200 personnes travaillent à l'entretien de ses vastes terrains, incluant un terrain de golf classé comme étant l'un des plus beaux du Québec». Bref, Desmarais, dans l’esprit d’un féodalisme anachronique, est le suzerain d’un troupeau de serfs salariés entretenus par ses rêves mégalomanes.

Radio-Canada présente les liens politiques sur un aspect plus général, moins personnalisé. Même si Desmarais était fédéraliste et conservateur, il jouait de ses influences autant sur les Premiers Ministres du Canada que du Québec, toutes tendances confondues. Sagard est devenu une antichambre des milieux politiques : «Dans son domaine de Sagard, Paul Desmarais a reçu des personnalités parmi les plus haut placées du monde : les ex-présidents Bill Clinton et George Bush père, le roi d'Espagne Juan Carlos, le cheikh Yamani, ex-ministre saoudien du pétrole, les richissimes industriels français Serge Dassault et Bernard Arnault, ainsi que des artistes comme Luc Plamondon ou Robert Charlebois. Son fils André Desmarais est marié à France Chrétien, la fille de l'ex-premier ministre du Canada Jean Chrétien. Leur fille Jacqueline-Ariadne Desmarais, 23 ans, s'est mariée avec un membre de la famille royale belge, Hadrien de Croÿ-Roeulx». Bailleur de fonds de Sarkozy, ex-président de la République comme il l’a été de Charest au Québec.

Ces fréquentations tournent très souvent autour de réceptions d'hommages, de médailles et de rubans. «En 2008, il a reçu la grand-croix de la Légion d'honneur, la plus haute distinction qu'accorde la France, en présence de sa famille, mais aussi d'invités de marque, tels que le PDG de LVMH et première fortune de France, Bernard Arnault, l'homme d'affaires Martin Bouygues et l'industriel et sénateur Serge Dassault. “Si je suis aujourd'hui président de la République, je le dois en partie aux conseils, à l'amitié et à la fidélité de Paul Desmarais”, avait alors déclaré Nicolas Sarkozy. Paul Desmarais a souvent dû se défendre d'avoir une trop grande proximité avec certains hommes politiques. Il a également nié avoir la capacité de tirer les ficelles, comme le prétendaient notamment des manifestants qui, lors de la grève étudiante du printemps 2012, ont manifesté devant l'hôtel où avait lieu l'assemblée annuelle des actionnaires de Power Corporation».

Plus officiellement, l’Assemblée nationale du Québec discoure sur l’héritage de Desmarais. À commencer par le chef de l’opposition officielle, le Libéral Jean-Marc Fournier qui rappelle que «né Franco-Ontarien, il avait fait le choix du Québec en installant à Montréal le siège social de Power Corporation», comme s’il avait eu le choix de l’établir à Sudbury… Comme les affairistes, Fournier perpétue l’idée de «l’histoire exceptionnelle de réussite» d’un francophone à une époque où peu de Canadiens français s’illustraient dans le monde des affaires. Qu’est-ce que ça veut dire implicitement. Que si on est francophone en Amérique du Nord, vaut mieux rester dans le Canada pour devenir millionnaire. Pour Pauline Marois, on l’a dit, si Desmarais conserve sa figure de «grand bâtisseur», il n’est qu’un parmi d’autres. Pour le chef de la Coalition Avenir Québec (C.A.Q.), François Legault, «Paul Desmarais a été pour moi une inspiration». «Il a marqué le monde des Affaires au Québec et ailleurs dans le monde, et su faire profiter les entrepreneurs d'ici de ces contacts internationaux établis au fil des ans. […]  Sa réussite exceptionnelle dans le monde des affaires offre un exemple à tous les jeunes et moins jeunes Québécois qu'à force de travail, de détermination, de savoir-faire et d'audace on peut réussir au Québec». Puis Legault reprend l’antienne libérale en prêtant à Desmarais qu’il a «ouvert la voie aux francophones du Québec et du Canada qui voulaient se lancer en affaires». Cette vision qui nous ramène au retard économique du Québec est reprise également par le chef du Parti Libéral, Philippe Couillard. Bref, sans Desmarais, pas de Québec économiquement moderne.

Jean Charest, on l’a vu, reprend le thème du «modèle d’inspiration pour les gens d’affaires»; c’est l’image de «l’ambassadeur du Québec et du Canada» : «Son histoire et son cheminement font de lui un leader de son siècle et de sa génération». On a parlé de Jean Chrétien pour qui «c'était un bon ami à moi et à ma famille et c'est une très très lourde perte pour tout le monde». Paul Martin, pour sa part : «C'est un homme qui avait une vision très optimiste de son pays». Pour Bernard Landry, c'est à une secrète humiliation qu'il s'en réfère : «Lors d’une mission en Chine, les dignitaires chinois m’ont dit que lorsque Paul Desmarais allait en Chine, il était reçu comme un chef d’État», ce qui n’était pas son cas. Brian Mulroney, pour sa part, évoque des souvenirs personnels, comme toujours : «Je conserverai toujours de lui le souvenir d'un grand homme, d'un homme d'État» a affirmé l'ancien leader conservateur. «Comme il me disait souvent […] si moi, je peux arriver, jeune Canadien-français d'un petit village dans le nord de l'Ontario avec rien, puis j'arrive au Québec et je peux bâtir une affaire comme ça, tous les jeunes québécois sont en mesure de le faire». Bref, la démagogie politique du «P’tit gars de Baie-Comeau» répondait la réussite financière du «P’tit gars de Sudbury»; inutile de préciser qu’il n’y a ici aucune équivalence.

Mais que sait-on exactement de ce que Paul Desmarais pensait de la politique? Son opinion du P.Q. en 1979 dans La Presse? «Le PQ semble un bon gouvernement du point de vue administratif et social. C'est un désastre en économie parce qu'ils ont envoyé tout le monde chez le diable. Ils ne sont pas intéressés». Au sujet d’un oui au référendum de 1980? «Power serait davantage protégée par les lois puisque le Québec prendrait garde à sa seule multinationale». L’opinion de Desmarais était donc plus opportuniste que fondamentalement idéologique. Au sujet du projet souverainiste : «Je n'ai pas reçu ni trouvé de réponses adéquates à ces questions qui seraient susceptibles de modifier ma profonde conviction que l'expérience canadienne doit continuer». Cette déclaration était faite devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain en février 1991, et reprise dans Le Devoir. Desmarais est toujours resté un fédéraliste, lorgnant seulement du côté de l'indépendance du Québec si les choses venaient à tourner mal pour ses entreprises. Quand on a les Premiers Ministres du Canada dans sa poche et une certaine influence auprès de chefs d'État étrangers, pourquoi aurait-il eu besoin de la souveraineté du Québec en matière d'État libre et indépendant?

4. La métamorphose d’un mécène en Mozart

Il fallait s’y attendre que les invités de Sagard, Robert Charlebois, Marc Hervieux, le directeur d’orchestre Yanick Nézet-Séguin et le pianiste Alain Lefebvre rendent hommages à la mémoire de leur mécène. Était-il nécessaire toutefois de pousser aussi loin? «Je suis effondré», dit Charlebois, comme surenchérissant le «Je suis ébranlé» de Jean Chrétien. «Il est trop tôt pour raconter comment j'ai pu rire avec cet homme-là […] La première chose qu'il m'a donnée, c'était une veste en jeans avec Fucking Frogs derrière. Il y avait deux grenouilles qui baisaient. […] J'en aurais tellement des choses à vous dire. Et curieu-sement, c'est toujours des éclats de rire, et je pense que la journée n'est pas propice à ça», a-t-il laissé tomber en entrevue au Réseau de l'information. «Il me sortait. On allait à Broadway, on allait écouter de la musique... Vraiment, il m'a donné des cadeaux bien au-delà de l'argent», a-t-il dit, en soulignant que Paul Desmarais était un «génie absolu» et un «poète», «très au-dessus de l'argent et de la finance». «Quand il me disait : "Robert, chante-moi donc cette chanson-là" dans son salon, c'est toujours un immense plaisir. On a toujours fait des choses extrêmement gratuites», a souligné Robert Charlebois, en précisant qu'il n'a jamais eu d'appui financier de sa part. Possible, mais comme un pantin, Charlebois ne refusait pas de s’exhiber au bon plaisir du roi.

Mais un mécène qui ne dépense pas d’argent n’est pas un véritable mécène. Or, la réputation de mécène de Desmarais est bien fondée. Pour le pianiste Alain Lefebvre, Desmarais était un homme «affectueux», doté d’«une vision incroyable» : «Tout ça m'a rendu heureux parce que vous savez, la cause de l'art, de par l'histoire, a toujours été intimement liée au pouvoir financier et politique. Qu'on le veuille ou qu'on le veuille pas, c'est une réalité […] Je connais des hommes d'affaires qui ont des capacités de tueurs. Et lui, je ne pense pas qu'il l'avait. [...] Il avait toujours, d'abord et avant tout, à cœur [d']aider la communauté, la collectivité. C'est comme ça que je l'ai perçu». Paul et Jacqueline sont de même adulé par le ténor de fantaisies Marc Hervieux : «Moi, ce que j'ai vu qui m'a le plus impressionné, autant de monsieur que de madame, c'est le respect qu'ils avaient pour les artistes qui venaient sur place ou qu'ils aidaient» De même, il souligne la «grande simplicité» et la «gentillesse extrême» de Paul Desmarais. «Je suis allé plusieurs fois en Grèce entre autres à cause de M. Desmarais. Je suis allé un peu partout en fait, à New York, à cause de M. et Mme Desmarais. Ça a vraiment été un support incroyable». Si Charlebois peut revendiquer le fait qu’il n’a pas reçu d’argent de Desmarais, Hervieux, lui, ne le nie pas : «Les premières fois, on est très très très intimidé. Après, finalement, on discute de tout. C'est un passionné de photos, entre autres. Donc, les fois où je suis allé chanter, entre autres à Sagard, on est parti ensemble dans son Suburban faire de la photo de paysages, de fleurs et tout ça». La naïveté du ténor est à tirer les larmes.

Quand Charlebois parle d’un «devoir de mémoire», on croirait entendre un rescapé de la Shoah. «Robert Charlebois reconnaît qu'il ne partageait pas l'option fédéraliste qu'a toujours défendue Paul Desmarais. Il souligne cependant à quel point l'homme d'affaires était fier de sa langue, et qu'il pensait souvent aux franco-phones d'Amérique en général, et aux Franco-Ontariens en particulier. Selon lui, les épreuves qu'a subies Paul Desmarais en tant que francophone issu d'un milieu minoritaire ne sont pas étrangères à sa réussite. «S'il n'était pas né à Sudbury, je pense qu'on n'aurait pas connu le grand homme qu'il est devenu». C’est l’optique d’une morale où la force des contraintes stimule la combativité des individus. Ce qui est loin d’être évident. Alain Lefebvre, pour revenir à lui, affirme : «Je pense que pour nous, au Québec, il faudra, il faut aller vers la maturité d'un peuple, c'est-à-dire d'accepter, de rendre hommage à l'homme qui a fait quand même que le Québec devienne ce qu'il est. C'est très très important. C'est une grande perte et on ne soupçonne pas à quel point elle aura des répercussions». Desmarais pouvait bien promener ses vedettes en Suburban, les inviter à Broadway, mais de là à écouter ce qu'ils avaient à dire, ce n'était pas suffisamment sérieux pour en tenir compte.

Voilà pourquoi il est facile de laisser tomber des déclarations ridicules. Décrit comme un «empereur», un «titan» du monde des affaires, «éminence grise» des chefs d’État, mécène discret et généreux, il ne restait plus qu’un pas à faire pour verser dans l’amplification délirante. Avec le directeur Yannick Nézet-Séguin, nous sommes encore en bordure : «Je n'oublierai jamais les moments passés en sa compagnie: sa grande culture, son humour, son intelligence, son émerveillement... À travers ses yeux bleu vif, on voyait une grande bonté, une envie de mieux vous connaître et une curiosité insatiable. Surtout, je n'oublierai jamais sa confiance, ses mots d'encouragement. C'est avec gratitude et émotion que je me souviendrai toujours de ce grand homme qu'on appelait affectueusement Monsieur». Pour le directeur artistique de l’Opéra de Montréal, Michel Beaulac : «La famille Desmarais constitue un véritable modèle d'engagement dans le milieu des arts et de la culture. M. Paul Desmarais lui-même, et à travers sa très noble ambassadrice Jacqueline Desmarais, aura participé fondamentalement au rayonnement de l'art lyrique au pays et à l'étranger. L'Opéra de Montréal et la multitude de jeunes chanteurs qui ont bénéficié de la générosité indéfectible de la famille Desmarais pleurent aujourd'hui le départ de ce grand Canadien». Avec Alain Lefèvre, son regard se dessille : «Un grand homme vient de partir... Le moment est venu pour la société québécoise d'accéder à la maturité de reconnaître ce que ses bâtisseurs nous lèguent en héritage. Sur une note plus personnelle, toutes les fois où j'ai rencontré M. Paul Desmarais, il est évident que j'étais devant un être d'une intelligence supérieure, perspicace et aussi très sensible à ce que les autres avaient à lui dire». Après avoir éveillé les Canadiens Français au monde des affaires, le voici qui l'éveille au monde de l'art, et surtout de la «grande culture», mais surtout d'une conception académique de la «beauté». Tout ça, comme si on avait attendu après les Desmarais pour ce faire?

«J'ai rencontré Paul Desmarais et son épouse Jackie en 1978, peu après mon arrivée à Montréal. Ils étaient souvent accompagnés par Pierre Béique [alors directeur général de l'OSM] et nous entretenions déjà une relation très amicale. D'une célébrité, Paul devint très vite une légende... À lui, ainsi qu'à toute sa famille, nous devons une part importante de l'essor artistique de Montréal durant ces dernières décennies. C'est avec une profonde émotion que nous voyons ainsi se tourner une page indélébile de la vie du Québec et du Canada tout entier», déclare pour sa part Charles Dutoit, l’ancien chef de l'OSM, ce à quoi fait écho la déclaration de Peter Gelb, directeur général du Metropolitan Opera de New York : «De mon point de vue, à New York, Paul Desmarais était le plus grand mécène des arts et de l'éducation au Canada. Avec sa femme Jacqueline, qui siège au conseil d'administration du Met, Paul donnait l'impression de s'impliquer avec autant de passion dans les arts que dans les affaires. Peut-être était-ce parce qu'il aimait vraiment la musique et l'opéra et qu'il les appuyait avec un enthousiasme sans limite. Grâce en grande partie au mécénat des Desmarais, le Met peut être vu dans des salles de cinéma partout au Canada, rendant ainsi l'opéra plus accessible à tous les Canadiens qui aiment l'art lyrique».

Plus loufoque : «Un Mozart dans son domaine. Il a bâti un empire financier aux ramifications mondiales avec des réseaux de confiance partout sur la planète. En parallèle, c'était un homme d'une grande culture, un passionné et un grand connaisseur d'art et d'architecture. Parce que je connais la famille, je trouve que sa femme et lui ont transmis des valeurs et des principes exceptionnels à leurs enfants. Tous ceux qui connaissent la famille Desmarais sont impressionnés par leur qualité d'écoute, leur capacité à poser des questions, leur curiosité, leur sens de l'amitié et de la loyauté. Ils ne jugent pas, ils t'acceptent tel que tu es». Humoriste, conservateur néo-libéral, créateur de l’empire Juste pour rire et peloteuse de petite bonne, Gilbert Rozon s'y connaît en Mozart de la finance! La pluie de fleurs continue à tomber comme un orage en août : «Un homme d'une grande humanité et un altruiste. Quand il a commencé dans le milieu des affaires, il y avait toujours des gens qui voulaient lui dire quoi faire. Il m'a dit: «Moi, je ne suis pas ici pour ça. Continue dans ta voie et on va t'appuyer». Quand Mme Desmarais et lui m'ont donné le Stradivarius [de] la Comtesse de Stainlein, il était présent pour m'entendre en jouer pour la toute première fois devant quelques personnes seulement, dont le luthier venu de Boston. On sentait toujours qu'il s'intéressait au plus haut point à ce qu'on disait et si on avait un problème, il essayait toujours de le résoudre. Ça devenait sa priorité, pas juste la nôtre», affirme Stéphane Tétreault, violoncelliste. Enfin, une autre niaiserie du gros Hervieux : «C'était un homme sympathique, très humain, un conteur exceptionnel doté d'une mémoire phénoménale. Il connaissait à peu près tout le monde qui travaillait à Sagard par son petit nom. Il aimait l'art lyrique, mais il voulait surtout faire plaisir à sa femme Jacqueline. Ce qui m'impressionnait le plus, c'était de voir combien ils étaient amoureux après toutes ces années».

Dans ce florilège, les arts plastiques ne sont pas oubliés : «Un des premiers grands mécènes francophones, le premier qui a donné son nom à un pavillon dans notre complexe muséal. Le nom du pavillon Jean-Noël Desmarais, c'est celui de son père, parce que c'était vraiment important pour lui de rendre hommage à sa lignée. M. Desmarais et Power Corporation nous ont fait des dons d'oeuvres de Riopelle et de Pellan, des prêts en art canadien et en art québécois. Il a beaucoup contribué non seulement à la reconnaissance de certains talents québécois, mais aussi à la démocratisation des arts. C'était un homme des Lumières, qui aimait l'art néo-classique, notamment la période Empire, et un passionné d'architecture, ce qui correspond à son destin de bâtisseur. En visitant avec lui l'expo sur Catherine la Grande, j'ai remarqué sa grande culture et son grand intérêt pour l'histoire. Les gens comme lui sont plus grands que nature et ils ont des destins totalement hors normes à l'échelle de la planète», déclare la «péteuse» Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts de Montréal.

Enfin, dans la même voie que la déclaration farfelue de Rozon, celle du «clown de l’espace», le créateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté, qui ne peut s'empêcher de voir Desmarais comme l'un de ses trapézistes :
«Paul Desmarais était un artiste. Son art était l’entrepreneuriat. Il a développé son art pour atteindre les plus hauts sommets. Cette réussite mérite nos applaudissements et notre reconnaissance puisqu’il nous a donné la possibilité à nous, les autres, d’avoir une référence, un guide artistique pour nous développer à notre tour.

Aujourd’hui, je joins ma voix à celles des autres entrepreneurs pour le remercier d’avoir tracé la voie du développement international aux entreprises d’ici.

Paul Desmarais aimait les artistes. C’était un mécène hors du commun qui a permis à des artistes et à des artisans de vivre leur passion.

Aujourd’hui, je joins ma voix à celles de tous ces artistes pour le remercier de ces gestes généreux.

Paul Desmarais souhaitait que nos communautés puissent se développer. En soutenant les nombreuses institutions du savoir et de la santé, il a contribué à notre mieux-être collectif.

Paul Desmarais était un philanthrope. Souvent faits dans l’ombre, ses dons importants ont contribué à créer un monde meilleur.

Aujourd’hui, je joins ma voix et celle de ONE DROP à celles des nombreuses causes et organisations, toutes vouées à bâtir un monde meilleur, qui ont bénéficié de sa grande générosité.

Paul Desmarais a connu des débuts modestes. Sa persévérance et sa passion entrepreneuriale lui ont permis de fonder une entreprise forte, devenue un fleuron à l’échelle internationale. Nous devons être fiers qu’il n’ait jamais oublié le Québec et le Canada et qu’il en était un ambassadeur extraordinaire.

Je remercie Paul Desmarais de sa grande générosité à partager son savoir et ses connaissances, et d’avoir démontré une grande sagesse.

N’oublions pas que nous avons des gens de talent, de grands entrepreneurs, des mécènes, des philanthropes et des mentors que nous devons saluer vivement, car ils tracent la voie aux générations futures que nous souhaitons tout aussi généreuses à leur tour».
C’est ainsi que le vice rend hommage à la vertu.

Ce qui est moins le cas d’un Roger D. Landry, vedette du Temps des bouffons, le film-pamphlet de Pierre Falardeau. Landry parle de Desmarais comme d’un «être d’exception» et de porteur de «vision». Pour lui, Desmarais était «affable, généreux : un homme de cœur plus qu'autre chose. «J'ai eu les meilleures années de ma vie à La Presse», affirme Landry, qui souligne que jamais M. Desmarais n'interférait dans ses décisions, lui déléguant sans concession toute autorité pour mener le quotidien comme il l'entendait». Il reste étrange, toutefois, que la position éditoriale de La Presse a toujours été dans le même sens que celle de Desmarais. Ici, nous sommes en plein dans le mythe de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. Ce qui était possible avec des artistes ne l’était pas avec les quotidiens, preuve que Desmarais ne tenait pas pour aussi importante l’implication des artistes que celle des journalistes. Desmarais avait choisi Landry comme il avait choisi Roger Lemelin avant lui; c'est-à-dire comme une paire de chaussures. Il n'y a pas état de s'en plaindre après.

Gilles Loiselle, conseiller personnel de Desmarais, ramène l’image du Pater Familias dans l’apologétique : «De Paul Desmarais, Gilles Loiselle retient avant tout son sens aigu de la famille, son attachement à ses enfants et son amour pour son épouse, Jacqueline. “Sa fameuse Jacqueline! Belle et pétillante blonde de sa jeunesse, qui est devenue sa femme et qui l'a beaucoup aidé. M. Desmarais était un homme un peu timide, audacieux, mais réservé. Jacqueline organisait sans cesse des réceptions et des diners pour lui faire rencontrer des gens d'affaires et ça l'a beaucoup aidé dans sa carrière. Elle était toujours là quand il y avait une décision à prendre. Et, pour lui, Jacqueline, c'était sacré”». «Sa Jacqueline, c’était sacré!» insiste Loiselle. Jacqueline, c’est Jacky. Pour eux, il «avait son rêve : Sagard». Pendant vingt années, Desmarais aspirant architecte avait dessiné l’esquisse d’une house on the hill. Ce n’était encore qu’une vision buccolique de la résidence familiale. Moins organisée que sa vie d’affairiste, le goût de l’art chez Desmarais relève de l’éclectisme, un peu comme Thomas Jefferson. Le domaine de Charlevoix, tout comme la maison en Floride, dont les plans ont été esquissés également de la main de Paul Desmarais, étaient de hauts lieux de négociations d'affaires. Gilles Loiselle rapelle qu’il y venait des gens qu’il rencontrait. C'était «un homme qui tient à être informé. Il était très curieux et mon rôle consistait justement à le conseiller : les biographies, l'évolution des présidences dans certaines compagnies etc. Il a fait réformer un comité multidisciplinaire de chefs d'entreprises et il a échangé avec eux parce que c'était un homme de vision. Il fallait qu'il voit très loin». L'ex-ministre conservateur parle de l'analyse "fulgurante' dont M. Desmarais était capable lorsqu'il se penchait sur des dossiers, des transactions, des acquisitions. «Il pouvait im-
médiatement déceler faiblesses et opportunités, tout de suite il voyait cela. Un génie des affaires et un homme d'une simplicité désarmante et gentille. Plein d'humour». Gilles Loiselle, qui a côtoyé Paul Desmarais sur une période de 60 ans et qui fut pendant les vingt dernières années le conseiller spécial de ce dernier Patron exigeant, M. Desmarais voulait que les choses arrivent à temps, tout en sachant faire preuve de tolérance, explique Gilles Loiselle qui insiste aussi sur la capacité qu'avait son patron de s'intéresser aux gens d'une manière attentionnée. "Je venais de me casser l'épaule sur la glace et lui venait d'être opéré pour le cœur, se souvient M. Loiselle. Quand il est revenu, je pensais qu'il avait failli mourir. Or, la première chose qu'il m'a dite c'est : 'comment va ton épaule? '"...» On le voit, les petites attentions personnelles sont hissées à la hauteur d’une générosité édifiante, un peu comme le camarade Enver Hoxha quand il rappelait comment, en arrivant au Kremlin, la première indication que lui donna Staline fut de lui désigner l’endroit des w.c.

5. Métamorphose d’un affairiste en docte

On ne s’arrête pas sur une si belle lancée. Après la philanthropie, les arts, c’est au tour de l’éducation a perdre un grand protecteur. Philippe Teisceira-Lessard, dans La Presse, parle «d’une grande perte pour le monde de l’éducation au Canada». C’est l’alma mater de Desmarais, l’Université d’Ottawa, qui, par la bouche de son recteur, l’ex-ministre libéral Allan Rock, rend le premier les hommages dus à «l’un de nos plus illustres diplômés». L’un des plus importants pavillon de l’institution, au cœur d’Ottawa, porte déjà son nom. L’infame Guy Breton, recteur de l’Université de Montréal, y va à son tour de sa servilité : «M. Desmarais et sa famille ont été aux côtés de l'Université de Montréal depuis des décennies, a-t-il affirmé par voie de communiqué. Ils ont été des pionniers de la philanthropie au Québec et ont bien compris le rôle transformateur que peut jouer un partenaire de nos établissements. Sensible à la culture, à la science et au pouvoir de l'éducation pour l'avancement de toute la société, M. Desmarais n'a jamais ménagé ses efforts pour soutenir notre université». À McGill, les drapeaux seront mis en berne le jour des funérailles. En 1992, Desmarais y avait reçu un doctorat honorifique. De fait, comme les médailles, Paul Desmarais Sr. collectionnait les diplômes honoris causæ.

L’importance de l’événement, pour ajouter quelques statistiques d’occasion, nous est signifiée par le fait que le nom de Paul Desmarais a été mentionné dans 155 articles dans les journaux du Québec, le jour de son décès, plus que durant toute l’année qui a précédé (104 articles). De même, son nom est apparu trois fois plus souvent que celui de Pauline Marois, au second rang. Pour sa part, Power Corporation est l’entreprise dont il a été le plus question dans les journaux, ce même jour. Son nom est cité dans 86 articles. En temps normal, elle fait l’objet d’environ une mention tous les deux jours. Façon gratuite de se faire de la publicité sur le dos d'un cadavre exquis. Ce que cela nous dit, c’est qu’il y a là une frénésie pour la personne du disparu qui, dans quelques semaines, retournera à l’anonymat.

6. La métamorphose du poète et du philanthrope en cloporte.

Bien entendu, il y a des esprits chagrins peu sensibles aux louanges concernant Paul Desmarais. Ceux-ci trouveront dans le livre publié par le journaliste Robin Philpot le côté sombre du héros du jour. Le quotidien Le Devoir, après le temps de l’apologie passe au bilan, le 15 octobre 2013. Et ce bilan commence par un paragraphe frontal : «Les éloges à l’endroit de Paul Desmarais convergent sur ce que l’homme d’affaires aurait donné au Québec. Mais peu s’attardent sur ce que le Québec et son État ont donné à M. Desmarais. Il y a une réponse courte à cette question : tout!». Desmarais doit bien plus au dynamisme du Québec à s’émanciper de ses liens coloniaux avec le Canada que le Québec a profité de l’immense fortune du magnat. C’est en tant que refuge pour les Canadiens Français hors-Québec menacés dans leurs entreprises par l’influence anglo-saxonne que Paul Desmarais a pu consolider ses activités. Les biographes Peter C. Newman et Diane Francis attribuent l’ascension de Desmarais au fait qu’il était «French Canadian and politically correct». Fédéraliste canadien-français, le Québec restait son refuge ultime au cas où l’establishment de Toronto avait décidé d’avoir sa tête. Ceci explique l’ambiguïté des déclarations de Desmarais concernant l’indépendance du Québec en 1979.

Autre anti-mythe, Desmarais ne fut pas l’entrepreneur qu’on a dit qu’il était. C’était un «bâtisseur d’empire», mais d’un empire financier et non industriel comme il a déjà été proclamé. C’est dans une quête constante de liquidités permettant d’accroître sa fortune personnelle qu’il était engagé. Il n’hésitait pas à utiliser l’État et ses services pour obtenir les liquidités d’une ampleur importante pour acquérir des entreprises déficitaires qu’il remontait en conservant les bénéfices. Yves Michaud, la «robin des banques» et plus tard les Premiers Ministres Lévesque et Parizeau ont dédaigné servir de bailleur de fonds comme le faisaient leurs adversaires libéraux. On ne sache pas que Desmarais en ait particulièrement souffert.

Ses ingérences politiques sont loin d’être toujours honorables. «On parle de la fausse fuite des capitaux en 1967 à laquelle Paul Desmarais a participé pour amener Daniel Johnson à effectuer une volte-face sur l’indépendance après pourtant avoir été élu sur le slogan “Égalité ou indépendance”. Mais on parle moins de la vraie fuite de capitaux du début des années 1990 dont il a été l’architecte, mais cette fois en douceur et sous le nez de son fidèle ami Robert Bourassa. Début 1989, dans la plus importante transaction financière de l’histoire du Canada, Desmarais vend à des Américains pour plus de 2,6 milliards de dollars la Consolidated-Bathurst, joyau de l’industrie papetière québécoise qui avait profité depuis des dizaines d’années des largesses du gouvernement du Québec. Suit la vente de Montréal Trust pour 550 millions. Voilà un pactole de 3 milliards arrachés aux ressources naturelles et à la sueur des travailleurs et travailleuses du Québec». Ce bilan est le plus lourd car il ne fait pas que déstructurer une industrie importante du Québec, il laisse un vide, une tabula rasa en régions, là surtout où les papetières étaient importantes, dans presque toutes les régions forestières du Québec. D’où que le succès financier n’est aucunement une garantie de l’enrichissement économique et qui fait que c’est le Québec, finalement, qui a payé une partie des rêves mégalomanes du si gentil financier. Cette âme pleine de compassion pour les sans-abris. Après 1990, Desmarais n’a plus rien investi au Québec, et s’il se montra si philanthrope et si mécène, ce n’était, comme dit Le Devoir, que «pour amadouer la basse-cour».

Comme il a été dit également, l’art de la gestion chez Desmarais consistait à se protéger tout en risquant des mises audacieuses. «Il a choisi le rôle de minoritaire prospère, comme il l’a expliqué à Peter C. Newman : un modèle oui, mais un modèle sévère avec ses co-minoritaires. Or, lorsque l’establishment canadien lui assénait des camouflets successifs (Argus 1975, Canadien Pacifique 1982), il avait deux options : accepter son statut ou embrasser le credo collectif québécois incarné par les souverainistes - le gouvernement Lévesque a fait des appels en ce sens, notamment sur la propriété du Canadien Pacifique via la Caisse de dépôt en 1982. Son choix a été de rester le minoritaire prospère, probablement par crainte pour sa fortune personnelle mais aussi parce que le projet collectif québécois était foncièrement social-démocrate tandis que lui se disait “résolument conser-vateur” - Ronald Reagan “était le meilleur”, selon lui». Car l’esta-blishment anglophone ne lui a pas été aussi favorable que Desmarais lui-même l’a vanté. Il lui a mis des bâtons dans les roues - c’est le cas de le dire - dans sa tentative d’acquérir le Canadien Pacifique et le C.R.T.C. lui a refusé la prise de contrôle de Télé-Métropole. En retour, c’est avec vigueur qu’il mena la guerre aux grévistes de La Presse en 1971. L’année précédente, le fameux Manifeste du F.L.Q. lu sur les ondes de Radio-Canada le nommait parmi ceux que les «révolutionnaires» qualifiaient d’«exploiteurs» des Québécois. Le conflit syndical à La Presse fut une occasion de justifier l'accusation des «terroristes». Frappé d'un lock-out, le 29 octobre 1971, plus de 10 000 manifestant dénoncèrent Power Corps au journal La Presse. La Confédération des syndicats nationaux (C.S.N.), la Fédération des travailleurs du Québec (F.T.Q.) et la Corporation des enseignants du Québec (C.E.Q.) - le fameux front commun des salariés de l'État -, organisèrent cette manifestation de solidarité qui se solda par près de 200 arrestations. Les affrontements furent d'une rare violence entre policiers de la ville du citoyen Desmarais et les manifestants.

Voilà comment Paul Desmarais en arrive à illustrer la thèse de Jean Bouthillette sur Le Canadien Français et son double, cette personnalité collective schizophrénique, à la fois nationaliste (comme le sont les Libéraux du Québec) et collaboratrice (asservi au fédéralisme «rentable», c’est-à-dire à l'appartenance opportuniste au Canada). D’un côté, le chapeau du colonisateur, de l’autre le fardeau du colonisé. En ce sens, la métamorphose de l’affairiste en cloporte donne bien ce que Wikipedia nous dit du cloporte. Exosquelette à la carapace dure, mais totalement dénué de squelette interne, il se roule sur lui-même lorsqu'il se sent menacé. Ce n'est donc pas une identité fixée capable de mener à toutes ces «créations» artistiques qu'on lui prête. Sagard était sa carapace érigée pour contenir sa mort; son tombeau vivant autour duquel grouillait sa cour de politiciens huppés, d’affairistes besogneux, d’artistes chics et bon genre. À l’inverse, la culpabilité catholique le saisissait et une obole aux sans-abris (c’est-à-dire sans Sagard), pour y trouver leur confort bourgeois, faisait jouer aux pauvres le rôle traditionnel du rachat de l’âme du riche coupable. Là s’arrête le conte de fées et commence la tragédie personnelle.

7. Les métamorphoses aux yeux des quidams.

Le vox pop de La Presse permet de mieux mesurer comment les métamorphoses sont perçus par l’opinion publique. Venant du journal même de Power Corp, on ne peut pas dire qu’une pré-sélection orientée émerge de la chaîne des témoignages apportés par les correspondants du quotidien.

Si on considère les valeurs positives rattachées à la figure de Paul Desmarais Sr, c’est celle du Pater Familias qui émerge en premier. Une lectrice de Thurso (la ville natale de Guy Lafleur, le hockeyeur) : «Les Desmarais véhiculent de vrais valeurs que nos jeunes n'ont pas connu[es]. Celle[s] d'avoir une femme dans sa vie, que les 2 s’unissent pour la vie et former une famille, par le travail ils ont réussi dans la vie. Un vrai contraste avec toues les familles de divorces, de familles reconstitués, de jeunes qui ont perdu le sens réel du vrai amour. Quand dans la vie tu travailles et que tu as des principes et des valeurs et bien le succès est la [sic!]». Nous retombons en plein dans le vieux mythe de la réussite par la fidélité aux valeurs traditionnelles du couple, de la famille et du travail. D'autres débats s’engagent où mythes et contre-mythes s’affrontent parmi les lecteurs.

Une dame, Nicole Langlois de Senneterre écrit, le 9 octobre 2013 : «C'est un deuil, c'est sûr, mais à ma souvenance, les Desmarais ne payaient pas d'impôts ici, leurs actifs étant aux Bahamas! Moi, je paye mes impôts soit 45% de ma paye, et j'aurai bientôt 65 ans, à ma retraite, je n'aurai pas les moyens de payer mes médicaments ni les soins que je pourrais nécessiter. Donc, les riches.....hum». Face à elle, Denis Vincent, de Laval, réplique : «Plus de 30 compagnies, $ 500 milliards d'actifs, plus de 18,000 employés et vous pensez que cela ne rapporte aucun impôt? Vous êtes totalement déconnecté [sic!] ou quoi?» En retour, Sandra Lefebvre d’Anjou réplique «Mme Lamglois parle du holding de M. Desmarais, pas des employés. Ne mélangez pas les choses, vous, non, plus».

Josée Bouchard, de Pointe-Claire aime taquiner le cloporte. «Paul Desmarais a fait construire sa réplique de Versailles à Sagard, situé à St-Simeon comme l'autre magnat de la presse Hearst a fait construire sa réplique de chateau italien à San Simeon en Californie... drôle de hasard. 2 magnats de la presse, 2 châteaux, 2 Saint Simeon». L’archaïsme de Desmarais n’échappe pas à ceux qui savent observer. «Cet homme était plus puissant que le premier ministre du Canada... Le roi est mort - Vive le roi! Mais qui sera donc le prochain roi?» Ce à quoi Raymonde Dupuis, de Québec, rétorque : «L'héritier!». Les Desmarais, comme les Buddenbrook de Thomas Mann n’en sont qu’à la seconde génération, mais déjà la troisième pointe à l’horizon et on peut se demander si la ferveur des affaires la tiendra tout autant. Un anonyme (608675) répond à Mme Bouchard de Pointe-Claire : «Merci Josée, tu me rassure[s] je n'étais plus capable de vivre seul au royaume des taupes!» Sonia Djenandji de Saint-Laurent s'oppose à ce concert négatif : «Hélas, le temps des bouffons n’est pas terminé…» Georges Desmarteaux de Montréal rigole en demandant : «Avait-il un traîneau d’enfant nommé Rosebud ou MonMinou?», plaisanterie coquine en relation avec le film de Orson Welles, Citizen Kane, inspiré de la mégalomanie du magnat de la presse américaine W. R. Hearst. «Citizen Can?Ada? Sonia Djenandji reprend sa critique des impolis : «Ça s'appelle la fidélité dans l'amour! Chapeau Mr. Desmarais! Vous aviez des principes solides qui vous ont aidé à avoir plus confiance en vous et en votre Dieu!» Ce à quoi Raiko Alexandrov Todorov de Saint-Jean-sur-Richelieu réplique : «Je ne vois pas ce que dieu vient faire dans cette histoire». Et Louis Cantin de Eastman de l’appuyer : «Les Québécois voient du bon dieu partout...Un peuple religieux s'il en est... Il y a eu beaucoup de Saint et Sainte au Québec comme en font foie [sic!] tous ces villages (St-Simeon-St-Jean-St-Paul-St-Denis-Ste-Jaqueline-St-Gilles-St-Etc». Le ton gouailleur ici est de mise. Et Georges Desmarteaux revient : «Chameau... riche... chas d'une aiguille... Marc 10, 23. Voilà pourquoi, moi qui aspire à être riche, suis sans dieu, parce que je ne suis pas contortionniste». Comme tous les débats populaires, la dérive finit par conduire n'importe où.

Conclusion

Qui était Paul Desmarais? Un homme d’affaires parmi tant d’autres, dont l’habileté à déplacer les fonds de placement et les capacités comptables avaient permis d’édifier une fortune peu commune au Canada Français. Il n’est représentatif en rien d’une habileté canadienne-française ou québécoise à faire de l’argent mieux ou moins bien que ses voisins anglo-saxons. Il a joué le jeu du capitalisme et il a gagné. Inspiré par les tycoons américains du tournant du XXe siècle : John D. Rockefeller, William Randolf Hearst, Cornelius Vanderbilt et tant d’autres, il a érigé une fortune en jouant «fessier» comme on disait autrefois lorsqu’on jouait au 500. Aventureux mais jamais assez audacieux pour miser tout sur un coup de dé, son capitalisme était bien celui des vieux Français. Il préférait être le plus gros des minoritaires et dominer ses partenaires pour se faire confier des postes de direction. Pingre avec ses employés, il a misé, comme les protestants de Max Weber, sur la philanthropie et le mécénat pour se donner un vernis d’altruisme et de sensibilité artistique. Tous ceux qui gravitaient autour de lui le prirent au sérieux, ignorants qu’il se servait d’eux pour se construire une légende. Ce à quoi ils ont participé avec enthousiasme, le corps à peine refroidi.

À l’inverse, le regard critique posé par l’analyste montre la fausseté du mythe. L’enrichissement par la voie de la finance ne coïncide pas nécessairement avec l’enrichissement collectif; jouer les éminences grises auprès des politiciens au caractère faible et manipulable à volonté conduit à faire voter des lois publiques pour complaire aux intérêts privés; le nationalisme et le fédéralisme sont incom-patibles autrement que par opportunisme avec un coût identitaire élevé; l’archaïsme est une voie stérile lorsqu’il s’agit d’élever la création artistique au rang de l’authenticité et de l’originalité. Sagard, érigé comme un substitut au ventre maternel (mamie Laforest) est aussi un tombeau, comme le symbolisme égyptien nous le rappelle. Tel Edgar Poe, Paul Desmarais s’est aménagé un tombeau à son goût : grandiose, prétentieux, copié/collé d’un modèle étranger, européen, anachronique, kitsch. En ce sens, il perpétue la tentation coloniale que les Canadiens-français manifestaient tout au long du XIXe siècle, en reproduisant ici des modèles réduits de monuments européens : la colonne Nelson de Trafalgar Square, la Cathédrale Marie-Reine-du-Monde sur le modèle du Vatican, l'Hôtel de Ville de Montréal sur le modèle de celui de Bordeaux, ou quoi encore. Tout cela va finir probablement en une sorte de Résidence Soleil pour retraités millionnaires aux goûts de philistins. Comme le roi d’Espagne Philippe II, ce château perdu dans un site enchanteur, où la bibliothèque serait le centre principal, a servi de contemptus mundi afin d’apporter la sérénité à quelqu’un qui l’avait vendue, jadis, pour la modique somme de $1.00⌛

Montréal
15 octobre 2013

La Porte Sainte de Notre-Dame-de-Québec : mieux que le pont d'Avignon?

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Le cercle indique l'endroit du mur de la basilique-cathédrale où sera percée la Porte Sainte.
LA PORTE SAINTE DE NOTRE-DAME-DE-QUÉBEC : 
MIEUX QUE LE PONT D'AVIGNON?

Cet après-midi, 8 décembre 2013, les gens de la ville de Québec – qui ne portent plus de nom collectif depuis que le terme de «Québécois» a pris une extension nationale -, vont célébrer l’inauguration de la Porte Sainte dans la Basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec. Inscrite dans la commémoration du 350e anniversaire de fondation de la première paroisse catholique de l’Amérique du Nord, cette Porte Sainte est la septième au monde et la première en dehors de l’Europe. Mgr Gérald Cyprien Lacroix, archevêque métropolitain de Québec et primat du Canada sera présent ainsi qu’un émissaire du pape François qui en a fait mention, ce matin, dans son homélie de la fête de l’Immaculée Conception. Un grand nombre de membres des autorités civiles et religieuses assisteront à ce raout d’honneur clérical. Moins d’une semaine après les ignobles célébrations en l’honneur de Paul Desmarais à la Basilique Notre-Dame de Montréal, c’est au tour de Québec a faire la fête avec les riches et les politiciens. L’année jubilaire se terminera en décembre 2014 par la fermeture de la Porte Sainte, scellée jusqu’à la prochaine cérémonie de circonstance. 

Après l’Italie, après la France, après l’Espagne, les puissances européennes les plus catholiques, c’est au Québec que la Porte Sainte– constituée de deux panneaux de bronze sculptés représentant le Christ et la Vierge Marie – va permettre aux pèlerins de passer entre les deux panneaux pour méditer sur le chemin de la vie chrétienne. Devant cet exercice de haute spiritualité mondaine, il est certain que bien des gens qui en étaient venus à douter de leur foi, se ressourceront, prêts à affronter les nouveaux Infidèles qui se manifestent à Montréal. Verrons-nous, comme lors de la quatrième croisade, les Croisés de Québec partir chasser l’Infidèle des Lieux-Saints, passer par Montréal pour brigander les reliques afin de retirer qui, une rotule du Frère André ou qui, une molaire de Sainte Marguerite Bourgeoys des reliquaires (souvent en or ou incrustés de bijoux), de tous ces nouveaux saints dont nous ont gratifiés les Jean-Paul II et Benoît XVI de ce monde? Mais non, ne vous effrayez pas. Si les gens de Québec devaient venir profaner les autels de Montréal, ces partisans mordus de l’équipe fantôme des Nordiques se précipiteraient par la porte vitrée du Centre Bell pour taillader la Sainte-Flanelle et souiller la patinoire de l’équipe de hockey du Canadien. La foi a changé de vecteurs depuis la jeunesse du cardinal Ouellet, probablement deus ex-machina de cette fanfaronnade.

Les Romains ont toujours été des experts en portes. Déjà, du temps de la République, les portes du temple de Janusétaient fermées en temps de paix et ouvertes en temps de guerre. Elles le furent d'ailleurs presque toujours tant Rome passait d'une guerre à l'autre, de sa conquête de l'Italie à celle de l'Europe, puis du monde connu. La religion romaine était surtout constituée de superstitions domestiques qui se retrouvèrent, quasi inchangées, projetées au niveau de l'État. Comme État successeur, l'Église chrétienne en hérita de plusieurs qui resurgirent tout au long de son histoire. Ainsi, ce serait le pape Martin V qui, le premier en 1423, ayant mis fin cette année-là au Grand Schisme (une guerre entre papes et antipapes) en concentrant tous les pouvoirs entre ses mains au concile de Pavie-Sienne, aurait ouvert la Porte Sainte de l'archibasilique Saint-Jean de Latran. C'est à la Noël 1499 que le pape Alexandre VI Borgia ouvrit la première Porta santa, au Vatican. Depuis, jusqu'à l'ouverture de la Porte Sainte de Québec, seulement 7 portes ont eu ce privilège, la plupart étant situées à Rome même, d'où cet aspect particulièrement «romain» lié à ce rite. Car, en effet, où sont passés ces temps critiques où saint Augustin, à qui on ne peut pas reprocher de ne pas avoir été un chrétien (catholique) des plus orthodoxes, pour se moquer de l’esprit superstitieux des Romains, écrivait dans sa Cité de Dieu ( Livre IV, § 8) : «On ne place qu’un portier à sa maison; ce portier suffit, c’est un homme.  Pour le même office, il ne faut pas moins de trois dieux; Forculus à la porte, Cardea aux gonds, Limentinus au seuil. Forculus serait-il capable de garder tout ensemble la porte, le seuil et les gonds?» (Saint Augustin. La Cité de Dieu, t.1, Paris, Seuil, Col. Points-Sagesses # Sa75, 1994, p. 172). Aujourd’hui, à l’ère de la Raison et de l’efficacité technique, l’Église chrétienne prend sa revanche en consacrant une porte. Ce n’est pas Forculus qui lui donne son investiture transcendantale, mais le pape François. Le jour de la fête de l’Immaculée Conception n’est pas non plus un hasard, pas plus que le 350e anniversaire de la fondation de la paroisse. Cette fête, qu’on observait pieusement jadis mais qui ne comptait pas parmi les fêtes chômées, a toujours été associée à la volonté de reprise en main de l’Église romaine de ses pouvoirs perdus. Née avec la Réforme catholique du XVIIe siècle, elle s’est vue instituée par Pie IX au moment où son pouvoir temporel vacillait et qu’il reprenait sa vengeance puérile avec le dogme de l’infaillibilité pontificale au concile de Vatican I. Prochainement canonisé entre Jean XXIII et Jean-Paul II, ce même Pie IX était la principale source d'inspiration de Mgr Bourget de Montréal, le père de l’anti-modernisme au Québec. Si saint Augustin voulait purger l’Église des rites superstitieux romains, après vingt siècle, on doit admettre que son combat a été vain et que c’est Rome qui, encore aujourd’hui, bénit les Forculus catholiques aux portes des églises.

Cette démonstration de restauration catholique arrive en plein dans le contexte de la question épineuse de la Charte de la laïcité québécoise. Ne disons pas, je le répète, la charte des valeurs puisque les valeurs québécoises ne sont rien de plus que l’ensemble des valeurs occidentales. Cette Charte ne peut donc ne pas reconnaitre la liberté de la religion et de sa pratique. Ce qu’elle ne veut pas, c’est le port ostentatoire de signes religieux dans l’exercice des fonctions publiques. Rien pour fouetter un chat. Très vite, le projet a été récupéré par l’idéologie féministe qui cible les pratiques vestimentaires musulmanes qui rappellent constamment la soumission de la femme à l’homme (père, frère, mari) et par le fait même font ressurgir les traditions qui ne passent plus dans les mœurs québécoises. De l’Islam, à moins de s’y être intéressé particulièrement, avouons que nous connaissons peu de choses. Nous connaissons plutôt l’islamisme en tant qu’idéologie haineuse qui s’est développée alternativement à la fois contre le nationalisme des pays arabes ou des plateaux asiatiques, et du socialisme qui jouissait d’une grande influence morale et politique lors des luttes pour la décolonisation. Après avoir supporté les groupes religieux parce qu’ils reconnaissaient l’essence de la propriété contre tous les intellectuels qui seraient tentés par l’aventure communiste, les puissances occidentales, à commencer par les États-Unis, en armant les fanatiques musulmans contre l'influence soviétique en Afghanistan ou en Égypte, ont appris à leurs dépens que les ennemis de nos ennemis ne sont pas nécessairement nos amis. Et l’islamophobie a vite pris la place de la paranoïa communiste. Les spectaculaires attentats du 11 septembre 2001 ont cimenté la crainte, et par le fait même, la haine de l’Islam dans un Occident traumatisé, comme sévissait jadis la haine du communisme marxiste. Surtout que, contrairement au communisme, l’islamisme recourait volontiers aux attentats terroristes et meurtriers pour parvenir à ses fins.

Beaucoup de ces islamistes détiennent le pouvoir des communications par des postes de radio et de télévision. Comme nos poubellistes, on peut les entendre dans les pays musulmans, gueuler leur haine de l’Occident, le Grand Satan. Pour ceux, qui vivent dans les années 1300 selon le calendrier de l'Hégire, ils réagissent exactement comme nous, Occidentaux, le faisions lors des dernières croisades, puis plus tard durant la chasse aux sorcières (aujourd’hui, pour eux, les musulmanes qui veulent se décoiffer, envoyer leur burka aux oubliettes, se maquiller et se coiffer pour mettre en valeur les attributs que la nature leurs a donnés, enfin et surtout, qui entendent s'instruire, aller à l’école et considérer le monde autrement que de l’humiliation quotidienne de la soumission), la même gynophobie les rattrape. Comme nous encore dans les années 1300, les différentes tribus des différents pays musulmans se livrent actuellement à des querelles dynastiques afin de savoir qui sera «élu» démocratiquement «au suffrage universel», président de la République ou Premier ministre de la monarchie, ce que nous prenons, naïvement, pour des mouvements révolutionnaires. Pour ce faire, la légitimité ne réside pas dans le droit, ni même dans le processus électoral qui trompe-l’œil des gauchistes, mais dans la force des armées et des pouvoirs policiers. Comme nous également, au XIIIe siècle, leur Islam chéri, indéfectible, divin, est déchiré par des guerres religieuses, guerres civiles, où shiites et sunnites s’entretuent de gaieté de cœur pour savoir lequel des deux Islams a raison sur l’autre. Et dans tout cela, des réseaux d’intégristes qui ne connaissent de l’Islam que les appareils de répression, voire d’extermination, se disent, eux seuls, les porteurs du véritable Islam. 

Tous ces délires sanglants se déroulent loin de notre Porte Sainte. Pourtant, dans 300 ans d’ici, ce qui restera de l’Islam, probablement, entendra se ressourcer avec des portes et des fenêtres patios qu’un imam consacrera comme protégées par leur Forculus. Que dire d’une religion lorsqu’il ne reste plus grand chose de la connaissance de ses dogmes théologiques et que les mœurs sont définitivement passées sous la coupe des lois civiles, donc laïques? Il ne reste plus que ses superstitions. Ce qui faisait bidonner saint Augustin des pratiques superstitieuses romaines de son temps, nous fait bidonner, pour les mêmes raisons, des Portes Saintes bénies par François Ier de Rome. On n’y croit plus que comme on craint les chats noirs ou de passer sous les échelles. Cette pauvreté de la foi montre que la dynamique, les motivations du sentiment religieux divergent profondément des courants traditionnels. Nous nous apercevons que les institutions religieuses sont déboutées, se cherchent, c’est-à-dire cherchent à retrouver leurs anciens pouvoirs sur les consciences et les comportements. Comme l’avait montré le père Chenu dans sa critique de la doctrine sociale de Léon XIII et de l’idéologie catholique, ce rapetissement idéologique coïncide avec une exhibition ostentatoire de la pratique de la foi. Dans son essence, force est de constater que le catholicisme n’a rien appris de ses défaites historiques. Nous voyons l’archevêque de Montréal, Mgr Lépine, ex-militaire, sulpicien, magicien qui rêve de transformer les gays en hétéros par un discours moralisateur et gnian-gnian, célébrer en grandes pompes un in memoriamau millionnaire Paul Desmarais. L’image des riches et des puissants sous la soutane de l’évêque est la même que celle des panneaux peints à la fin du Moyen Âge présentant la Vierge rassemblant le monde sous son manteau. Le fantasme impérial des princes de l’Église dénonce par le fait même la soi-disant réconciliation de la liberté de conscience et de la foi, qui sont incompatibles par définition et par visée dogmatique. Bref, la religion opium du peuple est toujours aussi valable aujourd’hui qu’hier. Mais, comme l’Occident est passé de l’opium au pot, puis à l’héroïne, la cocaïne et la morphine, nous en sommes aujourd’hui aux jeux vidéo, aux parties de hockey visionnées à La Cage aux Sportsdevant une assiette d’ailes de poulets en guise d’hosties, et le combat de bien et du mal transposé dans des luttes de partisans (hockey ou politique, la distinction compte peu). Cette réalité, malgré le succès de la consécration d’une porte de bronze, ne fait que rendre encore plus pathétiques ceux qui pensent qu’en franchissant le seuil, Limentinus va bénir le fidèle en lui faisant gagner la 649, ou qu’en baisant les gonds de la porte, Cardea va donner des jumeaux à un couple stérile et qu’en définitive, Forculus va sécuriser un logement mieux qu’un avertisseur automatique. Si les divinités et les patentes-à-gosses consacrées ont changé, la médiocrité morale de ceux qui s’abaissent à ces rites superstitieux demeure telle qu’au temps des Romains.

Tout cela sent le parfum d’une agonie pathétique. La science et la technique ont repris pour elles le sentiment religieux, dans ce qu’il a de meilleur mais surtout dans ce qu’il a de pire. On n’a pas besoin de remonter jusqu’à l’usage ambigu du nucléaire entre le traitement des cancers et la bombe atomique. Nous sommes rendus plus loin que ça. La science offre des savoirs tangibles sur le monde alors que le dogme nous livre des savoirs sur un monde d’ailleurs, inconnaissable, insaisissable par les moyens de la pensée et des sens et qui exigerait toute notre attention parce qu'il relèverait du surnaturel divin! La technique, par ses réussites, ne fait que présenter la prière et les miracles comme des effets placebo. Bien sûr, les partisans du pari de Pascal entendront bénéficier à la fois de la science et de la foi aveugle; de la technique et des bénédictions thaumaturgiques. Ils trouveront parfois une synthèse, pour ne pas dire un syncrétisme, dans les psychothérapies ou autres formes de charlatanismes au prix fort. L’obole, ici comme ailleurs, s’est transformée en valeur d’échange, et cela bien avant la modernisation du sentiment religieux.


La Vierge lisant son bâtonnet de test de grossesses
Voilà pourquoi il faut une bonne dose d’humourpour prendre tout ça au sérieux! Le fait de surenchérir sur des musulmans, en minorité parmi les Québécois, en montrant que nous pouvons être aussi sots qu’eux n'est pas pour hausser l'estime de soi. Après tout, diront-ils, faire des simagrées en passant et repassant sous une Porte Sainte vaut bien défiler pendant des heures autour d’une roche à La Mecque. À chacun ses pèlerinages mais les attentes bassement matérialistes, sécuritaires ou sexuelles qui garantissent les intérêts sont assez semblables d'une foi à l'autre. Ce type de superstitions appartient-il à une tradition québécoise? Sans doute, mais une tradition totalement inactuelle et qui ne peut penser pénétrer dans le folklore autrement que comme une manifestation kitsch propre à toutes décadences de civilisation. La seule différence? Il n’y a pas de saint Augustin catholique, ou même chrétien, pour ridiculiser de telles singeries prises au sérieux par tous les média. Singeries parce qu’elles ne font honneur à l’intelligence ni à la grandeur de l’homme et ne sont sûrement pas non plus à l’honneur d’une divinité qui a souffert sang et eau pour libérer l’homme du péché et qui se voit célébré aujourd’hui, par une porte qui n’ouvre sur rien, sinon que le vide, le néant le plus dérisoire⌛


Montréal

8 décembre 2013.

Célébrons nos valeurs québécoises

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E. Z. Massicotte. La quête de l'Enfant Jésu
CÉLÉBRONS NOS VALEURS QUÉBÉCOISES
 
N.D.L.R. Suite au succès, aussi impressionnant qu’inexplicable, de la campagne des zélétrons municipales animée par M. P. Cornudet et sa gracieuse et charmante épouse, nous entendons récidiver avec cette chronique quotidienne sur nos valeurs québécoises que nous entendons bientôt célébrer avec une charte promotionnelle.

Car quelle période de l’année se prêterait-elle mieux à célébrer quotidiennement nos valeurs qui reposent toutes dans la tradition et nos mœurs festives et bien arrosées? Non, ne vous inquiétez pas mes bons amis, malgré la reproduction d’E. Z. Massicotte qui illustre cet article, nous ne vous offrirons pas une autre ennuyeuse série de Soirées canadiennes du bon vieux temps. Nous reculerons, tout au plus, un demi-siècle en arrière, afin de nous reporter dans le contexte de la jeunesse des baby-boomers.

Là, vous aurez l’immense plaisir de vous rappeler des conseils de nos anciens directeurs de conscience : Me Alban Flamand, de Janette et Huguette (Bertrand et Proulx), du Père Marcel-Marie Desmarais (le frère de l’autre) O.P. Leur pétillant esprit demeure à jamais parmi nous.

Comme pour l’article précédent, nous exposerons des images gaies et primesautières, toutes de bon goût, sur la vie familiale du Québec à l’orée de la modernité; à cette époque où la joie d’être Canadiens Français était incontestable et difficile à pondérer. Cette fois-ci encore, nous aurons recours à un porte-parole, M. Crackpot Poutine (nuls liens de parenté avec l’autre). Remercions M. Sylvain Bolduc qui a abandonné sa physionomie à l’esprit ductile de M. Alain Francœur dont l’habileté à manipuler photoshop rendra le visage de notre guide tout à fait approprié aux commentaires de notre sélection d’images nostalgiques et mélancoliques.

Les Valeurs Québécoises du temps des fêtes

Monsieur. Dites à votre épouse combien vous l'appréciez. Ne la considérez pas moins que votre animal domestique préféré. Songez qu'elle vous a donné une belle petite fille et qu'elle vous prépare trois repas par jour. Plus votre bière, vos chips Hostes, vos pantoufles feutrées et votre revue des sports. Témoignez-lui de l'affection en la tapochant de temps en temps, car une femme battue est une femme chaude au lit. Enfin, retenez bien ceci, monsieur. Vous êtes descendant de colons et de bûcherons, sachez conserver le meilleur de votre héritage.



Quand j'étais petit, je n'étais pa grand, et pour faire plaisir à ma maman, je suis devenu Scout. Mon nom de totem était Pudding Chômeur. Aussi, ma maman faisait-elle souvent de la crème fouettée pour décorer mon gâteau préféré. Elle léchait toujours la cuiller de bois pour savoir si elle était assez épaisse, ou assez sucrée… la crème, pas la cuiller. Elle en mettait partout, partout, tellement elle était fière de moi : comme garniture sur la soupe chaude, avec du steak à place des patates pillées, et même au bout de mon zizi qu'elle léchait avec la même frénésie que la cuiller. Aah! les mamans un peu trop attentionnées… On ne les oublie jamais.

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Le temps dans l'œuvre de Frédéric Back - un aperçu

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Frédéric Back, Crac!
 
LE TEMPS DANS L’ŒUVRE DE FRÉDÉRIC BACK – UN APERÇU

Frédéric Back est mort la veille de Noël 2013. Il ne pouvait sans doute imaginer meilleure journée pour nous quitter. À la veille du jour même où la lumière du soleil reprend sur la nuit obscure, annonçant l’espérance d’un monde nouveau qui culminera au printemps, espérance trompeuse sans doute, espérance sotte dirons certains, mais espérance tout de même, son destin rejoint l’œuvre du grand artiste. Noël, c’est le cri évangélique qui annonce la naissance d’un sauveur. Noël, c’était aussi le cri de victoire que les Orléanais lançaient à Jeanne, la bonne Lorraine, lorsqu’elle entra avec les troupes du Dauphin pour libérer la ville de la domination anglo-bourguignonne. Promesse et victoire, deux attitudes motrices de l’œuvre de Back.

En visionnant les deux films d’animation oscarisés de Frédéric Back (1924-2013) Crac!(1981) et L’homme qui plantait des arbres (1987), j’ai surtout été frappé par l’importance que la dimension du temps prenait dans son œuvre. Certes la cinématique du dessin animé est un discours temporel en soi. En ce sens la forme repose tout autant dans la succession des images que dans l’œuvre graphique elle-même. Là où la magie de Back fonctionne, c’est dans la façon où la dynamique filmique donne à l’art plastique sa forme définitive, que le dessinà lui seul ne suffit pas à rendre. Ainsi, la narration se trouve-t-elle complémentaire aux dessins : narration musicale dans Crac!, narration par Philippe Noiret de la nouvelle de Giono dans L’homme qui plantait des arbres. À la rigueur, les deux films seraient muets qu’ils ne perdraient rien de leur pouvoir de communiquer le message qu’ils ont à livrer. Dans «Magtogoek» Le fleuve aux grandes eaux, le texte deviendra même pesant à porter.

Né à Sarrebuck en Allemagne, jeune blondtypiquement aryen comme Adolf Hitler les rêvaient pour sa Hitlerjungend, Back est passé par la France avant de trouver épouse au Québec. C’est un enfant du cinéma muet. Il a vécu son adolescence avec le cinéma parlant. C’est dire que c’est l’histoire même du cinéma qui rythme la vie de Back, n’oubliant pas l’importance du dessin d’animation du temps où le muet dominait encore dans les salles de cinéma européennes. J’ai entendu répéter l’ineptie qui place Back tout à côté de Walt Disney. Ce sont-là deux mondes totalement différents. Back aimait les enfants, Disney les exploitait.


Établi à Montréal après la Seconde Guerre mondiale (1948), il devient le successeur de Borduas à l’École des beaux-arts de Montréal où il se fait ami avec Pellan. Quelques années plus tard, en 1952, on le retrouve à la Société Radio-Canada où il travaille comme illustrateur, créateur d’effets visuels, de décors, de maquettes pour de nombreuses émissions d’ordre culturel, éducatif et scientifique. Reconnu par l’establishment montréalais, il réalisera plusieurs verrières d’églises et de lieux publics telle la fameuse verrière du métro de la Place des Arts, avec René Derouin. C’est en 1968 qu’il rejoint l’équipe de studio d’animation de Radio-Canada, créé par son ami et collègue Hubert Tison. Jusqu’en 1993, il réalisera 10 courts-métrages ainsi que diverses présentations spéciales de Radio-Canada. C’est à lui qu’on doit les maquettes qui servirent à la série d’Iberville. Lorsqu’on regarde aujourd’hui les épisodes passablement vieillis de cette série, son ton racinien-toupin, les effets semblent appartenir au même ordre que ceux des Thunderbirds (Sentinelles de l’air), les comédiens tenant la place des marionnettes pendues au bout des fils.

Son œuvre télévisuelle est immense. À l’époque où Radio-Canada avait sa propre équipe de décorateurs, Back s’est ingénié à mettre en pratique son art du dessin, de la création et de l’onirisme. Des émissions jeunesse, de Pépinot et Capucineà la Boîte à surprises, l’ont déjà initié à la magie des métamorphoses par la surimpression des images télévisuelles. Avec Back, la télévision se faisait réellement magie. De sorte qu’avec l’apparition de la couleur, il était fin prêt à livrer ses compositions originales. En 1970, c’est Abracadabra, un an plus tard, Inon ou la conquête du feu, en 1973, La Création des oiseaux, en 1974, Illusion, en 1977, Taratata la parade,en 1979 il participe à la création de L’oiseau de feu de Stravinski. Puis, c’est Crac! Première œuvre de longue haleine et, six ans plus tard, L’homme qui plantait des arbres. Enfin, en 1993, sa dernière œuvre majeure, «Magtogoek» Le Fleuve aux grandes eaux, hommage à la beauté marine et à la vie qui s’éteint dans le fleuve Saint-Laurent. Les préoccupations écologiques marquent les deux derniers courts-métrages d’animation de Frédéric Back. Militant qui n’hésitait pas à paraître sur les scènes de grandes manifestations, son œuvre est inséparable de ses repères sociaux et politiques.

L’œuvre graphique et le militantisme de Frédéric Back sont les points qui surgissent dès que l’on entend le panégyrique de l’artiste. Mais, comme je l’ai dit, ce qui m’intéresse c’est comment cet artiste, ce poète, a usé du temps pour transmettre la vie à ses créatures. La chaise berçante de Crac! comme la forêt de L’homme qui plantait des arbres ou le fleuve sont les «étants» (les choses) qui supportent l’ensemble du film. Ils se métamorphosent, se combinent sous nos yeux, se transforment, s’étoffent et font avancer la progression de la narration. Jamais discours idéologique n’aura été porté par la suggestion temporelle comme dans les films de Back. Pas besoin d’insister. Pas besoin d’expliquer la leçon. Le temps s’expose à nu. La succession des dessins dépouille l’interprétation de son discours. La netteté, la précision de la langue allemande semble se transposer dans la manière d’opérer la filmographie de Back. Rien de la longue discursivité cartésienne : comprenez-vous que c’est en plantant des arbres que le processus écologique redonne vigueur à une terre déserte mais en attente de… Mêmes les esprits les moins formés à la philosophie auront compris le message. En ce sens, Back est un magicien du langage, un magicien du langage cinématographique d’animation.

On présente Crac! comme une synthèse de l’histoire du Québec. Ce n’est pas vrai. Crac!, ce n’est rien de plus que l’histoire d’une berçante – on pourrait dire une berceuse – où se retrouvent les métamorphoses réciproques du dessin animé et de l’histoire de l’art du Québec. Les airs folkloriques chantés par le groupe Le rêve du Diable illustrent le tempo des origines de la chaise berçante, déjà contenue dans l’arbre qu’on abat, puis son traitement à la scierie, les planches dont use l’habitant pour l'ébénisterie de la chaise, son ornementation, avec un dossier qui évoque un visage tantôt gai, tantôt triste selon les étapes de son existence. En toute fin, elle se retrouvera dans un musée, environnée d’œuvres abstraites contemporaines qui continueront de giguer et danser sur les rythmes du folklore traditionnel. Ce qui peut être considéré comme «historique», c’est l’évolution parallèle entre les états de la chaise et le développement du Québec.

La chaise n’est pas qu’utile. Elle est joyeuse, pleine d’entrain, magique. Back rend hommage à la richesse de l’imaginaire québécois en passant des mythes à la réalité de l’habitant. L’épouse est-elle sur le point de donner naissance à un enfant? Aussitôt nous voyons arriver un «sauvage» apportant un bébé dans ses langes et le remettre au père. Bien sûr, derrière cette expression passée dans le folklore québécois, Back nous parle de la revanche des berceaux (du ber dans ce cas-ci). Les grossesses se multiplient et les enfants s’accumulent. Tous se bercent dans la chaise enchantée. Elle sortirait pour peu tout droit de La boîte à surprises. Qu’un enfant brise la bascule. Il n’y aura là rien de grave. Tout est réparable en ce monde pour peu qu’on a déjà inventé le meuble. Ainsi, la chasse-galerie passe-t-elle au-dessus du village au moment où les gens quittent la veillée. L’intime harmonie entre la légende et la vie est ainsi restaurée et non plus divisée entre le monde littéraire et celui de l’anthropologie. La convergence de la nature et de la surnature est indénouable dans l’œuvre de Back. Le texte de Giono est là pour le rappeler dans L’homme qui plantait des arbres.

La métamorphose n’opère pas seulement sur le mode de l’inversion de la légende en histoire ou de l’histoire en légende. Elle opère également dans le sens de l’idée de progrès qui est sévèrement critiquée par le destin de la berçante. Tant qu’il y a l’art, le travail honnête, la famille, les enfants, le rapport avec la nature, la fête, le chant, la danse (métaphore du rite sexuel), la communauté, la chaise enregistre les battements du cœur. Lorsque tout cela se métamorphose dans un monde nouveau, technologique, la chaise change d’humeur. Son sourire est remplacé par la tristesse. Comme dans le vieux roman de Gérin-Lajoie, Jean Rivard, l’habitant devenu rentier perd sa raison de vivre, se retrouve seul dans sa maison qu’il met en vente et qui se dégrade au gré des saisons. Un panneau, bilingue, annonce la vente de la terre délabrée. Le vieil homme ne répare plus la bascule brisée et lance la chaise comme un objet sans valeur aux détritus. On voit littéralement pousser des maisons du sol, puis se surajouter des immeubles appartements. Il n’y a plus d’art dans les constructions standardisées, plus de travail honnête, plus de famille, d’enfants. Le rapport avec la nature est brisé par l’imposante technologie que représente la centrale nucléaire d’Hydro-Québec. La fête, le chant, la danse sont remplacés par le téléviseur où chaque couple, dans son appartement moderne, suit Les Belles Histoires des Pays d’En-haut évoquées par l’ouverture célèbre sur un thème de Glazounov, L’automne. Le passé vécu est devenu passé-spectacle. La communauté s’est faite société. Finalement, la maison de l’habitant est arrachée du sol par les mâchoires d’une grue comme une main enlèverait une fleur de son terreau. La mort semble condamner le monde ancien.

La morale de cette histoire est donnée file:///Users/jeanpaulcoupal/Desktop/D_1521.jpgà partir du moment où suite à des coulées de matière radio-active, des manifestants emportent la centrale qui est transformée en musée d’art contemporain. Cette métamorphose est un retour à l’origine, à l’essentiel. Un gardien de musée sauve la chaise de son issu fatal, la repeint, lui redonne son sourire et s’en sert pour qu’elle berce les enfants des visiteurs au musée. Les musiques folkloriques s’éveillent du passé où on les avait enfouies dans l’oubli et lorsque les lumières s’éteignent après la fermeture des portes, le fantôme du passé revient hanter les lieux, entraînant les tableaux abstraits dans la farandole. Pour Back, il est clair que l’activité politique est essentielle. Elle relaie la tradition dans la mesure où elle ramène la vie dans le monde, dans le peuple qui refuse de mourir comme la déchéance de la chaise le laissait supposer.

Mais la métamorphose du temps apparaît à un troisième niveau qui concerne plus spécifiquement l’évocation de l’histoire de l’art. Personne ne manquera l’allusion à Cornélius Krieghoff ni à ses scènes de l’hiver en campagne peintes au milieu du XIXe siècle. Ce n’est pas là le plus intéressant. Bien sûr, on peut citer à loisir la touche impressionniste des dessins de Back. On la retrouvera encore plus «authentique» dans L’homme qui plantait des arbres. On peut en référer à Marc Chagall, avec ses joueurs de violons qui semblent propulsés sur les toits, emportés par les tourbillons de neige ou de vents d’automne. On peut penser également à Sempé. Tout ça est vrai. Mais ce n’est pas voir toutes les allusions, tous les hommages que Back rend aux créateurs du XIXe siècle.

Comme dans la métamorphose de la légende en histoire, on voit les scènes de la vie rurale crayonnées par Back se métamorphoser en tableaux célèbres. La sortie de l’auberge de Krieghoff (Merrymaking), bien entendu. Mais aussi les Bœufs à l’abreuvoird’Horatio Walker ou le fameux tableau Lever de soleil sur le Saguenay,de Lucius O’Brien. Le croquis impressionniste de Back s’immobilise pour que l’on puisse bien reconnaître l’œuvre vers laquelle il pointe du doigt. Ces références à l’histoire de l’art annonce ce que sera le post-modernisme en art canadien selon Mark A. Cheetham. Autant qu’à l’énergie et à l’inventivité du peuple québécois, Back rend hommage à ses artistes peintres dont il se veut l’héritier, lui, l’enfant aux cheveux blonds et aux yeux bleus venu de la lointaine Allemagne.

Le temps se manifeste autant par la durée que par les métamorphoses. La rupture qui conduit au renversement des valeurs est une rupture temporaire, non définitive. Tant que les racines, la mémoire, le sentiment d’appartenance et un certain sens de l’unité demeurent, rien de ce qui peut se produire n’entraînera une irréversible disparition. Back ne plaide pas la survivance comme l’ancien discours littéraire ou artistique nationaliste, mais la persistance. Tant que nous persistons dans notre durée, quels que soient les transformations et leurs effets, sains ou délétères, il est toujours possible de se rattacher au déjà-fait, de le redresser, de le restaurer, de le réhabiliter. Crac!, c’est la persistance d’une tradition saine post-référendaire. La défaite du référendum de 1980 pour l’émancipation collective ne marque pas la fin de l’histoire du Québec. Nous retrouvons ici le porteur d’espérance que nous parlions plus haut. De sa position nationale à sa position écologiste, Back est le plaideur de la détermination, de la contestation et de l’affirmation de la volonté collective sur les intérêts particuliers qui profitent seuls des transformations techniques, trop souvent au mépris de la collectivité elle-même.

Ce message d’espoir porte encore plus loin dans L’homme qui plantait des arbres. Ce court-métrage en dessin animé prit six ans pour se faire. Il y a le texte de Giono bien sûr. Mais les préoccupations de Back témoignent d’une inquiétude différente. Les incidents nucléaires de Three Mile Island (1979) et de Tchernobyl (1986), ce dernier à la veille de la dernière touche du film, nous ont fait prendre conscience, avant que ne se révèle la confirmation du réchauffement climatique, que la terre pourrait bien devenir un désert si l’homme continuait sa folle exploitation des ressources énergétiques dont il ne maîtrise pas entièrement la production ni le contrôle des effets secondaires. C’est donc sur une terre déserte que le narrateur arrive …en 1913. Ce narrateur tien la place de la chaise dans Crac! C’est par ses regards, ses réflexions, ses commentaires que nous verrons confirmer ce que nos yeux voient. Malgré le ton apaisant donné par la voix doucereuse de Philippe Noiret, le décor et les événements de L’homme qui plantait des arbres sont terribles, sinon terrifiants. Écrit en 1953, Giono raconte, rêverie d’un promeneur solitaire comme il y en a tant dans la littérature française, la rencontre d’un jeune homme avec un berger d’une cinquantaine d’année, Elzéar Bouffier. Homme silencieux, méticuleux de son troupeau, accompagné d’un chien qui est sa seule compagnie, Bouffier offre gîte et refuge au promeneur. Ce jeune homme, qui fume déjà la pipe et se prend sans doute pour un adulte raisonnable, observe cet homme qui tire un petit sac d’où il sélectionne soigneusement des glands de chênes. Le suivant de loin, le lendemain, il s’aperçoit que l’homme, munit de sa seule tringle de fer, creuse un trou et y sème un gland. Bouffier lui avoue qu’il envisage planter des milliers d’arbres sur toute cette terre déserte où jadis les Gallo-Romains vivaient de bois, de ses jardins, de ses eaux de sources qui depuis, se sont vues fauchés, ensablés et taries. À la place survivent des villages où les villageois hargneux et haineux s’entre-déchirent en vivant de l’exploitation du charbon de bois. Producteurs d’énergie polluante, les survivants ressemblent à leur source d’énergie : sales, rebutants, barbares. Pour Back, la civilisation ne repose pas nécessairement, et encore moins totalement, sur le progrès technique.

Ce n’est pas pour rien que Giono, et Back après lui, situent la fiction dans un espace situé entre les Alpes et la Provence «délimitée au sud-est et au sud par le cours moyen de la Durance…; au nord par le cours supérieur de la Drôme, depuis sa source jusqu’à Die; à l’ouest par les plaines du Comtat Venaissin et les contreforts du Mont-Ventoux». Le mont Ventoux, c’est le mont où Pétrarque, l’humaniste, le poète, le troubadour de Laure de Sade, tout en inventant l’alpinisme, renoue avec l’esprit de l’homme antique. C’est ce qui va arriver au narrateur qui met ses pas dans ceux de Pétrarque. Bouffier sera son idéal de l’homme antique. Il porte en lui la Renaissance de cet espace désertifié avec le temps. Le monde industriel qui s’est érigé sur les fossiles de la forêt disparue apparaît ainsi comme un «Moyen Âge» sombre et fanatique. C’est du moins ainsi que Giono décrit la sombre barbarie issue du commerce et de l’industrie du charbon de bois :
«…je connaissais parfaitement le caractère des rares villages de cette région. Il y en a quatre ou cinq dispersés loin les uns des autres sur les flancs de ces hauteurs, dans les taillis de chênes blancs à la toute extrémité des routes carrossables. Ils sont habités par des bûcherons qui font du charbon de bois. Ce sont des endroits où l’on vit mal. Les familles serrées les unes contre les autres dans ce climat qui est d’une rudesse excessive, aussi bien l’été que l’hiver, exaspèrent leur égoïsme en vase clos. L’ambition irraisonnée s’y démesure, dans le désir continu de s’échapper de cet endroit.

Les hommes vont porter leur charbon à la ville avec leurs camions, puis retournent. Les plus solides qualités craquent sous cette perpétuelle douche écossaise. Les femmes mijotent des rancœurs.
Il y a concurrence sur tout, aussi bien pour la vente du charbon que pour le banc à l’église, pour les vertus qui se combattent entre elles, pour les vices qui se combattent entre eux et pour la mêlée générale des vices et des vertus, sans repos. Par là-dessus, le vent également sans repos irrite les nerfs. Il y a des épidémies de suicides et de nombreux cas de folies, presque toujours meurtrières.»
On ne saurait mieux décrire la barbarie actuelle qui dévore la civilisation occidentale depuis au moins trois siècles.

Du haut de sa retraite, Bouffier observe tout ça, et plutôt que manifester avec des organisations jugées par Gionoplutôt stériles, il manifeste lui-même, silencieusement, en triant et en choisissant les glands qu’il ira ensemencer. L’acte de Bouffier est authentiquement révolutionnaire dans l’esprit de Back. Il réconcilie là où l’homme s’est séparé du temps, là où il a rompu avec la tradition, le passé, l’histoire pour se lancer dans une rupture qui, elle aussi, ne sera que temporaire. Le déjà-fait n’attend plus qu’à être refait, et c’est la tâche révolutionnaire que s’est donnée Bouffier et que le narrateur finira par reprendre à son compte.

Le temps s’inscrit dans la chair de Bouffier. Il a perdu sa femme et son enfant; il n’a plus que son vieux chien de berger et son troupeau de moutons. Pourtant, il est la persistance même. Le narrateur apprend qu’Elzéard plante depuis trois ans des arbres : «Il en avait planté cent mille. Sur les cent mille, vingt mille était sortis. Sur ces vingt mille, il pensait encore en perdre la moitié, du fait des rongeurs ou de tout ce qu’il y a d’impossible à prévoir dans les desseins de la Providence. Restaient dix mille chênes qui allaient pousser dans cet endroit où il n’y avait rien auparavant». Qu’est-ce à dire? Si on considère qu’une forêt met trente années à s’enraciner et à se développer, Elzéard Bouffier projette l’avenir devant lui. Qu’importe le tort qui a été fait par le passé, la terre sera toujours là, et ses capacités de jadis ne sont qu’en sommeil. Que l’homme s’arme de patience, se donne le temps et le monde se reconstruira. L’humaniste pétrarquien triomphera de l’ingénieur technicien.

Pourtant, malgré cette déchéance dont les deux guerres mondiales apparaissent comme l’amplification au niveau civilisationnel de l’esprit de concurrence des petits villages où vivent les familles tassées les unes sur les autres – à la différence des familles québécoises de Crac! -, le narrateur, après l’expérience de l’infanterie et des tranchées, revient sur les lieux, constate qu’après dix ans, la forêt prend vie. Le sol se transforme, la métamorphose opère. Les feuilles apparaissent aux branches des jeunes pousses et déjà les chênes ont de la vigueur, l’eau s’est remise à couler dans le lit des anciennes rivières asséchées, la vie reprend le dessus sur le désert. Les abeilles, qui ont remplacé les moutons d’Elzéar Bouffier, contribuent à la pollinisation. Comme on le voit, cet homme est un véritable stratège. Il s’est donné le temps et le temps va lui donner raison.

Bien sûr, Back, à la suite de Giono, ne peut dissimuler le ridicule des institutions devant le «miracle» de la forêt dont on attribue la cause à Dieu ou à la spontanéité capricieuse de la nature. Personne ne connaît Bouffier et ne serait prêt à lui reconnaître le moindre mérite. Contrairement aux humanistes pétrarquisants, Bouffier est un solitaire et un homme dont l’humilité est ce qui saute aux yeux du narrateur dès leur première rencontre. En 1933, un garde-forestier sermonne Bouffier de ne pas faire de feu afin de ne pas «mettre en danger la croissance de cette forêt naturelle. C’était la première fois, lui dit cet homme naïf, qu’on voyait une forêt pousser toute seule». En 1935, c’est au tour d’une délégation administrative à venir examiner la forêt : un grand personnage des Eaux et Forêts, un député, des techniciens. On prononce des discours - «beaucoup de paroles inutiles»; on décide «de faire quelque chose et, heureusement, on ne fit rien, sinon la seule chose utile : mettre la forêt sous la sauvegarde de l’État et interdire qu’on vienne y charbonner». C’est bien que l’État s’occupe de la nature, à condition de ne pas trop insister dans ses interventions. Enfin, un ami du narrateur, capitaine forestier, l’accompagne auprès du vieillard, cet «athlète de Dieu», qu’est maintenant Elzéard Bouffier.
«Avant de partir, mon ami fit simplement une brève suggestion à propos de certaines essences auxquelles le terrain d’ici paraissait devoir convenir. Il n’insista pas. « Pour la bonne raison, me dit-il après, que ce bonhomme en sait plus que moi. » Au bout d’une heure de marche - l’idée ayant fait son chemin en lui - il ajouta : « Il en sait beaucoup plus que tout le monde. Il a trouvé un fameux moyen d’être heureux
C’est grâce à ce capitaine que, non seulement la forêt, mais le bonheur de cet homme furent protégés. Il fit nommer trois gardes-forestiers pour cette protection et il les terrorisa de telle façon qu’ils restèrent insensibles à tous les pots-de-vin que les bûcherons pouvaient proposer
Bien sûr, comme le rappelle le narrateur, la persistance d’Elzéar n’était pas que le produit de sa patience. La richesse humaine de Bouffier réside dans sa capacité de mesurer le temps. Il ne voit pas les choses selon l’œil des entrepreneurs qui mettent sur le compte des passifs les imprévus du marché. Comme il n’y a pas de polices d’assurance possibles, il faut donc investir dans le capital moral. Comme le souligne le narrateur : «Je ne l’ai jamais vu fléchir ni douter. Et pourtant, Dieu sait si Dieu même y pousse! Je n’ai pas fait le compte de ses déboires. On imagine bien cependant que, pour une réussite semblable, il a fallu vaincre l’adversité; que, pour assurer la victoire d’une telle passion, il a fallu lutter avec le désespoir. Il avait, pendant un an, planté plus de dix mille érables. Ils moururent tous. L’an d’après, il abandonna les érables pour reprendre les hêtres qui réussirent encore mieux que les chênes». À peine émergée de terre, la forêt est la proie des hommes. Les trois gardes-forestiers seront là pour diminuer plutôt que pour empêcher la destruction massive. La coupe à blanc n’est pas recevable.

Et la métamorphose – le miracle – s’accomplit sur la nature humaine même. Après la guerre, le narrateur revient. C’est un homme mûr maintenant. De l’autocar, il ne reconnaît plus l’endroit de ses promenades solitaires. Il découvre ce qui semble être de nouveaux endroits, dont un village, Vergons.
«En 1913, ce hameau de dix à douze maisons avait trois habitants. Ils étaient sauvages, se détestaient, vivaient de chasse au piège : à peu près dans l’état physique et moral des hommes de la préhistoire. Les orties dévoraient autour d’eux les maisons abandonnées. Leur condition était sans espoir. Il ne s’agissait pour eux que d’attendre la mort : situation qui ne prédispose guère aux vertus.
Tout était changé. L’air lui-même. Au lieu des bourrasques sèches et brutales qui m’accueillaient jadis, soufflait une brise souple chargée d’odeurs. Un bruit semblable à celui de l’eau venait des hauteurs : c’était celui du vent dans les forêts. Enfin, chose plus étonnante, j’entendis le vrai bruit de l’eau coulant dans un bassin. Je vis qu’on avait fait une fontaine, qu’elle était abondante et, ce qui me toucha le plus, on avait planté près d’elle un tilleul qui pouvait déjà avoir dans les quatre ans, déjà gras, symbole incontestable d’une résurrection.
Par ailleurs, Vergons portait les traces d’un travail pour l’entreprise duquel l’espoir était nécessaire. L’espoir était donc revenu. On avait déblayé les ruines, abattu les pans de murs délabrés et reconstruit cinq maisons. Le hameau comptait désormais vingt-huit habitants dont quatre jeunes ménages. Les maisons neuves, crépies de frais, étaient entourées de jardins potagers où poussaient, mélangés mais alignés, les légumes et les fleurs, les choux et les rosiers, les poireaux et les gueules-de-loup, les céleris et les anémones. C’était désormais un endroit où l’on avait envie d’habiter.
A partir de là, je fis mon chemin à pied. La guerre dont nous sortions à peine n’avait pas permis l’épanouis-sement complet de la vie, mais Lazare était hors du tombeau. Sur les flancs abaissés de la montagne, je voyais de petits champs d’orge et de seigle en herbe; au fond des étroites vallées, quelques prairies verdissaient.
Il n’a fallu que les huit ans qui nous séparent de cette époque pour que tout le pays resplendisse de santé et d’aisance. Sur l’empla-cement des ruines que j’avais vues en 1913, s’élèvent maintenant des fermes propres, bien crépies, qui dénotent une vie heureuse et confortable. Les vieilles sources, alimentées par les pluies et les neiges que retiennent les forêts, se sont remises à couler. On en a canalisé les eaux. A côté de chaque ferme, dans des bosquets d’érables, les bassins des fontaines débordent sur des tapis de menthes fraîches. Les villages se sont reconstruits peu à peu. Une population venue des plaines où la terre se vend cher s’est fixée dans le pays, y apportant de la jeunesse, du mouvement, de l’esprit d’aventure. On rencontre dans les chemins des hommes et des femmes bien nourris, des garçons et des filles qui savent rire et ont repris goût aux fêtes campagnardes. Si on compte l’ancienne population, méconnaissable depuis qu’elle vit avec douceur et les nouveaux venus, plus de dix mille personnes doivent leur bonheur à Elzéard Bouffier.»
Voilà, non seulement la résurrection de hameaux abandonnés, pollués et divisés; non seulement le triomphe de l’esprit humaniste sur la bureaucratie technologique, mais la métamorphose même de l’homme. Les hommes, pour Back, sont sculptés par la nature dans laquelle ils vivent. Si l’homme laisse l'environnement se dégrader, il perdra sa dignité et les valeurs qui sont le propre même de l’humanité. Sa décadence, sa déchéance tient à ce qu’il a laissé son environnement se dégrader pour des intérêts particuliers, corporatistes ou capitalistes. Le redressement psychologique et moral passe par la restauration de l’environnement. Comme la violence n’est pas l’instrument de Back, il faut alors passer par l’engagement individuel qui ramène le combat de David contre Goliath. Au temps du nihilisme et du cynisme hargneux, c’est là un défi digne de Bouffier.


Back poussera donc la morale de Giono à son extrême limite : 
«Quand je réfléchis qu’un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable.
Mais, quand je fais le compte de tout ce qu’il a fallu de constance dans la grandeur d’âme et d’acharnement dans la générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d’un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien cette œuvre digne de Dieu.
Elzéard Bouffier est mort paisiblement en 1947 à l’hospice de Banon.»
Ce qui dépasse l’entendement, c’est comment une nouvelle, rédigée parce que commandée à Giono par la revue américaine Reader’s Digest, soit devenue l’un des chefs-d’œuvre du cinéma d’animation.

Le dernier court-métrage en dessin animé de Back, «Magtogoek» le fleuve aux grandes eaux (1993) possède les mêmes mérites que les deux précédents. Le fleuve Saint-Laurent – Magtogoek comme l’appelait les Autochtones du temps des premiers explorateurs français – reprend ici la magie et la course du temps que l’on trouvait portées par la berçante dans Crac! et Elzéar Bouffier dans L’homme qui plantait des arbres. Mais ici le militance idéologique affecte le film. Le texte possède des défauts qui vient gâcher ce que le dessin, à lui seul, suffisait à faire comprendre. Là où le texte de Giono accompagnait et complétait le court métrage d’animation, ici le texte le redouble, l’écrase de ses informations scolaires. La poésie, qui fait apparaître des visages et des mains dans les eaux jaillissantes du fleuve dans l’étape de sa genèse, est écrasée par la somme d’informations qui se déversent sur le spectateur. Des associations – on parle «d’amour» pour y désigner deux baleinesen voie d’accouplement - résonnent comme des anthropomorphismes disneyiens. Vue en silence, sans cette narrativité discursive, la magie du mouvement opère toujours. Nous n’avons pas besoin d’entendre. Voir nous suffit.

Mais ce qui était évoquée avec terreurs et menaces dans les films précédents apparaît ici sur un mode manichéen que l’on retrouve dans les plus mauvaises rhétoriques écologistes. À l’harmonie entre Magtogoek et les Amérindiens dont ils sont représentés comme le fruit, à l’égal de la flore et de la faune des rives du fleuve, les explorateurs français menés par Cartier, «hantés par l’esprit de richesses et de conquêtes» apparaissent ici comme jadis chez Ferron (Historiettes), comme l’intrusion du Mal dans le jardin de Magtogoek. Là où la faible démographie autochtone permettait l’accroissement spectaculaire de la faune maritime et des forêts sur de grands espaces, la cupidité et la rapacité font leur entrée. Un véritable massacre à faire frémir Brigitte Bardot se déroule sur les côtes du Saint-Laurent. Le manichéisme impose ici un double tempo. Ceux qui s’apprivoisent au fleuve et ceux qui veulent domestiquer, dominer le fleuve. On retrouve chez Back la philosophie de l’histoire de la contre-culture québécoise des années 1970. D’abord les impérialistes français vont laisser un peuple québécois métissé de la culture amérindienne et ainsi valider leur passeport nord-américain, ensuite les impérialistes anglais viennent ajouter une couche de domination à ce qui existait déjà. Organisant entreprises commerciales et industrielles gigantesques, la prédation est la seule dimension qui jaillit de leurs entreprises, mettant les ressources du fleuve en péril. Cette seconde colonisation laisse toutefois des villes peuplées de bourgeois de belles familles, des femmes et des enfants identiques à ceux que nous présentait Crac!, mais une troisième vague, encore plus brutale et plus barbare, entraîne la naissance de «mégalopoles» qui, en vidant le fleuve, ajoutent les décharges de matières polluantes, des déchets qui assassinent la vie purement et simplement, sans raison ni nécessité. Voilà toute la leçon de «Magtogoek» Le fleuve aux grandes eaux.

Comme dans L’homme qui plantait des arbres, la nature civilise et l’humanité barbarise. Du côté du fleuve : les autochtones, les habitants, les familles qui séjournent dans les stations balnéaires; de l’autre, les envahisseurs européens, les entrepreneurs affairistes, les pollueurs sans scrupules. Bien sûr, le film s’achève également sur un appel à l’espoir, mais on ne retrouve pas ici la révolte des manifestants de Crac!, ni la résistance opiniâtre d’Elzéar Bouffier.  C’est le film lui-même qui revêt cette mission de faire prendre conscience que le pire est en train de se produire et qu’il faudra y mettre un terme, tout autant de la survie de l’espèce que par respect à la grandeur majestueuse du fleuve aux grandes eaux.

Film poétique. Film didactique. Film idéologique aussi. Oserai-je dire trop idéologique. Comme si Back aurait soudainement douté de sa capacité d’évocation à travers ses dessins aux effets impressionnistes incomparables. Comme si la métamorphose ne suffisait plus pour rappeler que toutes ruptures ne sont que temporaires alors que la mégalopole par sa mégalomanie qui appuie la folie sur la mégapole (Toronto, Montréal) pouvait parvenir à abolir l’œuvre même de Dieu. De ce Dieu dont la face fuyante et les mains créatrices illustrent la genèse du fleuve. Comme si le processus de métamorphose lui-même n’était plus qu'entraîner dans le sens de la profanation et de la barbarie, sans possibilité de reprendre, de réparer le déjà-fait. La finale reste dubitative malgré la foi humaniste de renaissance de Frédéric Back :
«Contaminé, asservi. le courant millénaire a-t-il perdu sa force vivifiante?
L’énergie secrète des eaux proclame sa volonté de renaissance et convie les hommes à célébrer un nouveau printemps, une alliance originelle avec Magtogoek, le fleuve aux grandes eaux».
Comme la terre stérile de la Provence de la nouvelle de Giono, le fleuve n’attend que la volonté humaine pour renaître de sa cloaque. Restera-t-il sans réponse?

Lorsque nous regardons le méticuleux travail de Frédéric Back, nous aussi nous réfléchissons à ce qu’un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir de ses dessins animés de tels chefs-d’œuvre. Frédéric Back appartient à cette condition humaine la plus admirable. Et quand il faut faire le compte de tout ce qu’il a fallu de constance dans la grandeur d’âme et d’acharnement dans la générosité pour obtenir ces résultats, nous ne pouvons qu’être pris d’un immense respect pour ce jeune passionné de cinéma venu d’une culture lointaine et fort décriée en ce milieu de XXe siècle mais qui a su mener à bien cette œuvre digne de Dieu et des Québécois.

Frédéric Bach est mort paisiblement en 2013 entouré de tous les siens⌛

Montréal
25 décembre 2013

Quenelle de Brest

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Faire la quenelle devant un portrait d'Anne Frank

QUENELLE DE BREST


Herbert Tobias. Day-dream after «Querelle de Brest», 1952
Dans son célèbre roman Querelle de Brest, Jean Genet situe son récit d'amour-volage dans la ville portuaire de Brest. Publié en 1947, il nous raconte l'errance d'un marin homosexuel dans la ville considérée dans l'Entre-deux-Guerres comme l'une des plus insalubres de France. Brest sert de miroir à une nation vaincue, où les mœurs sont corrompues, déliquescentes, et devenues informes. Le décor portuaire même est une métaphore de l'âme des personnages. Ville obscure. Ville puante où les sodomites se donnent rendez-vous sur des terres humides d'où se dégage une forte odeur d'urine et où il faut faire attention de ne pas s'étendre sur des étrons. La seule valeur de mise reste la «possession» sexuelle. La fumée qui se dégage des petits bistrots où s'entassent marins et prostitués des deux sexes, les amours, les trahisons, les délations enfin le meurtre gratuit participent de l'éros de Genet. Pas de véritable passion amoureuse sans la prémonition de la mort imminente, inscrite dans le jeu des corps. La vie ne vaut plus rien dans l'univers de Brest. Seul le sexe signifie encore quelque chose, et l'amour n'est que l'ombre de la fonction orgasmique des corps. La chair elle-même n'est plus au rendez-vous. Seulement des pénis qui enfoncent des trous de cul. L'odeur même du varech amplifie celle du sperme répandu entre les fesses des matelots alourdis par l'alcool et la came. Les vieux murs de Brest suintent la gourme. De ce terreau de décomposition organique, on pourrait dire également qu'est née la quenelle.

Qu’est-ce que cette quenelle qui se met soudain à fleurir bon la France post-sarkozienne? (Je ne dirais quand même pas une France «hollandaise»!). Une heure et demie de spectacle non-stop antisémite de Dieudonné? Quand même pas! Entendre parler une heure et demie de temps contre les Juifs, ça doit devenir lassant assez vite. Autant lire l’un de ces bons vieux pamphlets paranoïaques de Céline. Voir une bande de jeunes soraliens (et non soreliens) applaudir à tout rompre les salmigondis humoristiques d’un faiseur, et payer pour ça! Vraiment, c’est de l’arnaque …française. Bref, quelle que soit sa signification, la quenelle est en train de devenir le signe de ralliement de tous les imbéciles de la terre. L’on cherche fort loin les origines de sa provenance, et sans doute en trouvera-t-on une quelque part, lors les guerres de religions ou de la révolution. D’ailleurs, on ne s’entend pas trop, comme vous allez le voir, sur la façon de la faire. Le bras tendu des fascistes vers le Duce ou le Führer, c’était facile, n’importe quel idiot pouvait apprendre à le faire. Mais pour la quenelle, c’est différent. Il faut presque donner un cours 101 à ceux qui ne savent pas trop si c’est un bras d’honneur vers le bas ou le renversement du salut nazi (le fameux Sieg Heil!). En attendant qu'un quelconque sémioticien parvienne à résoudre le problème et nous donne un cours sur la direction que prend la main perpendiculaire au bras avec les degrés de l’échelle sur la manche, il est permis de mesurer : un peu, moyen, beaucoup, à la folie, quenelliens!

Avant donc que les universitaires s'en emparent, l'histoire de la quenelle nous apparaît plus ordinaire dans les faits. En 2003, Dieudonné, sur  le réseau France 3, se présente vêtu d'un treillis, en cagoule, avec des papillotes et un chapeau de juif orthodoxe sur la tête. À la fin du sketch, il lève le bras et lance «IsraHeil»! Tout de suite, c'est la polémique. «C'est le moment où il bascule, nous dit l'historien Stéphane François de l'Université de Valenciennes, spécialiste des contre-cultures et de l'extrême-droite. Pour lui, «Dieudonné a un problème identitaire, il se réfère alors à des groupes radicaux racialistes américains noirs, comme par exemple la Nation de l'Islam, pour expliquer que les Juifs ont eu des parts dans la traite négrière. À ce moment-là, une fracture se crée chez lui, il glisse dans le conspirationnisme» (Le Figaro). Dans la foulée des attentats de 2001, il faut dire que le conspirationnisme se retrouvait partout en Occident! Plus les spectacles de Dieudonné seront dénoncés ou interdits, plus l'idée conspirationniste fera son chemin. La vulgarité y ajoutant le piment de la révolte. Mis en candidature en 2009, il lâche : «L'idée de glisser ma petite quenelle dans le fond du fion du sionisme est un projet qui me reste très cher». Pas besoin des leçons du docteur Freud pour comprendre ce que cela veut dire. Et, de fait, son épouse s'empressera de déposer comme marque (trade mark) l'invention de la quenelle. Depuis, monsieur se défoule et madame encaisse.

Les ennemis de Dieudonné colligent toutes les images qui circulent sur les média sociaux illustrant les swings de la quenelle. Au départ, on trouve ça odieux, puis puérile. Les jeunes des banlieues s’en donnent à cœur joie vilipendant l’ennemi sioniste pour les torts faits aux Palestiniens, et, pourquoi pas, à la terre entière? Bien que je doute que tout cela marque un pli sur la différence pour les Palestiniens expulsés des territoires occupés et ceux qui vivent dans la bande de Gaza ou autres territoires contrôlés par le Hamas, ces jeunes musulmans de banlieue croient participer à la grande aventure de la conquête de Jérusalem par l’Islam et l’expulsion définitive des Juifs de Palestine. Ces jeunes gens sont plus pathétiques que vraiment hideux. Ce sont encore des enfants et la facilité avec laquelle on les manipule – par qui? Les intégristes musulmans? Des agents du Mossad? Des belettes du Front National? – n’est pas très éloignée de la manière dont on recrute des enfants-soldats en Afrique. Quand certains sont finalement armés et lancés contre un café juif ou une synagogue ou pire, une école; généralement, ça fait des dégâts terribles. Pour ceux qui prennent la quenelle comme une mode transitoire et sans gravité, il faudrait y penser.

Ensuite, il y a ces Français de la petite-bourgeoisie toujours bien-pensante, c’est-à-dire poujadiste, même si elle ne se souvient plus exactement qui était Pierre Poujade. Le syndrome de Vichy a caché bien d’autres petites bavures de la droite petite-bourgeoise en France depuis un demi-siècle. Vichy a bon dos d’encaisser toutes ces racailles relevant de générations successives et qui ont réussi à miner la gauche pour la remplacer par un socialisme de riches d’hommes d’affaires aussi corrompus que pervers. Que l’on pense : sans le scandale de New York, aujourd’hui, ce serait la crapule à D.S.K. qui serait Président de la République! Après Félix Faure, il aurait probablement été le second Président de la République a voir son âme s'envoler dans les bras d’une «connaissance». Mais c’est l’insipide Hollande qui a tiré le bon jeton à la loterie du pouvoir bourgeois. Et son ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, montre l’incurie de ce gouvernement à résoudre la question de la quenelle en l’alimentant de l’interdit de spectacle de Dieudonné. Inutile de souligner que ce n’est pas l’humoriste ici qui va frapper «le Mur».

Car tout de suite, les détracteurs de la censure et les défenseurs du droit à la liberté d’expression se rejoignent, droite et gauche confondus, sur le même côté de la barricade contre le gouvernement. Que signifie la décision de Valls? Ce qu’inconsciemment elle nous dit est assez simple. Elle dit que les Français sont trop cons pour distinguer un show d’humour ennuyeux et le boycotter plutôt que de s’y rendre en groupes et se taper sur les cuisses en prenant le bon vieux Youpin comme tête de turc. Mais qui a voulu que les Français deviennent un tel troupeau d’imbéciles? Les mêmes sans doute qui, en Italie, ont versé une larme quand ils ont vu ces braves Italiens sympathiser avec il Cavalieri lorsqu’il a reçu un modèle réduit d’église sur la tronche. Ces mêmes qui ont transformé un fasciste actif comme Brevik en malade mental après la tuerie d’UtØya pour lui éviter un procès politique. Les mêmes qui rassemblent des foules de Britanniques célébrer la naissance de Baby Georgie. Les mêmes qui chaque année se rassemblent sur la Place des Spectacles de Montréal participer aux jokes épaisses du Festival Juste pour Rirequi a enrichi ce pelotteurde petites boniches (comme D.S.K.) qu'est Gilbert Rozon. C’est-à-dire, toutes ces bonnes bourgeoisies nationales qui pour mieux contrôler le marché et la société ont besoin, pour que la démocratie ne leur nuise pas, d’aliéner, dès la garderie, les Français à des objets transitionnels dont le spectacle est devenu la marotte symbolique. Être «dans» le spectacle, perdu parmi une foule d’anonymes semblables à soi et écouter «le leader» nous raconter de bonnes plaisanteries qui frôlent la vulgarité et l’outrageous, voilà, depuis les grands rassemblements religieux, comment on soumet un peuple libre, car un peuple soumis est un peuple béni …par sa bourgeoisie. Si l’on dénonçait la pédophilie de conscience avec la même fureur que la pédophilie des corps, les règlements de comptes seraient inouïs.

Et c’est donc en toute bonne conscience que l’on se rend au show de Dieudonné – comme le prénom du Roi-Soleil -, écouter les plaisanteries grasses qui transformeront un spectacle haineux selon M. Valls, en rassemblement politique! Voilà le gouvernement qui confirme les attentes des Soral, Dieudonnéet autres de l’extrême-droite en dénonçant, en persécutant la liberté d’expression de ceux qui aimeraient bien la couper aux gens qui ne partagent pas leurs fixations mentales. On ne saurait faire meilleure propagande à la victimisation des Juifs que de voir Dieudonné défier la mesure Valls. Tel-Aviv doit regarder ça en se tenant les côtes. Une fois de plus, les Français vont faire des fous d’eux-mêmes. «La droite la plus bête au monde», disait Léon Daudet au début du XXe siècle. S’il revenait, il verrait qu’elle n’a pas changée. Comme les corruptions et les lâchetés de la IIIe République ont fait le nid de Vichy, voici les socialistes de Hollande s’apprêter à faire le nid d’un futur Sarkozy en se ridiculisant dans le débat publique. Plutôt que des réformes sociales qui participeraient à une meilleure intégration des jeunes des banlieues dans la société – réformes qui coûteraient trop chers aux bourgeois français -, mieux vaut sortir le pantin antisémite et faire encore une fois du Juif le pushing bag de l’extrême-droite. Une fois que tout sera bien en place, un second Vel d’Hiv pourrait accueillir aussi bien M. Dieudonné, sa femme et leurs 9 enfants que les Juifs dont il se sera bien payé la tête, avant d’être réexpédiés d’où sont venus ses ancêtres : dans l’ancienne colonie du Cameroun, colonie allemande héritée par la France au Traité de Versailles en 1919.

Le viol des consciences se paie cher et l’affaire de la quenelle en est le prix. Si les farces de Dieudonné troublent aujourd’hui le confort des petites gens, c’est que les bourgeoisies nationales ne veulent pas d’une participation populaire aux affaires de l’État. Pour elles, il est important de maintenir le niveau de dépendance des foules contre la liberté de l’esprit afin de pouvoir la dominer, la divertir continuellement pour l’empêcher de penser ou de se préoccuper; l’amuser avec des spectacles où chacun, réduit dans son isolisme, se croit participer à une rencontre collective fraternelle. Le niveau d’instruction doit toujours être révisé à la baisse, car moins on en sait, mieux c’est. Le niveau d’éducation atteint le degré zéro dans son maternage distribué tout azimut, ce qui permet une recrudescence de la brutalisationde l’Entre-deux-Guerres. Non pas encore celle, à l’exemple des ligues fascistes, bandes organisées et armées prêtes à intimider aussi bien le Juif que le Musulman, le petit boutiquier que les immigrants; non, mais une violence qui efface la mémoire, sérialise les stéréotypes, partage selon le diptyque manichéen non plus en bons et méchants, en purs et impurs, mais ceux qui sont avec nous et ceux qui sont contre nous, sans trop savoir précisément qui est ce «nous» dépouillé de toute idéologie structurée sinon des sempiternels ressentiments de perdants. Jamais n’aura-t-on vu autant d’imbécillités se répandre dans l’arène publique. Des pantins comme Soral servir d’intelligence alors qu’il est lui-même une insulte à la vaillance et à la noblesse de ce qu’il y a de meilleur dans la culture française. Des orateurs troublions comme Dieudonné qui mangent à toutes les gamelles pour passer ses frustrations de bâtard entre ses racines de vieille noblesse bretonne (car c’est ainsi que le personnage de Jean Gabin, dans La Grande Illusion de Renoir, se moque du Juif) et ses racines tribales camerounaises. Peut-être aimerait-il avoir de lointaines racines juives, à l’exemple des Rothschild, pour donner une «leçon» aux goys sur ce qu’il en coûte d’avoir humilié tant de peuples par le pouvoir militaire et colonial? Malheu-reusement, l’histoire ne se réécrit pas et les morts injustes ne se rachètent jamais. Aussi, insulter la mémoire des victimes de la Shoah est une façon de se venger par procuration : «Vous nous avez oubliés, nous, les Africains victimes de la traite pendant des siècles!» Nous en sommes-là : la surenchère des souffrances victimaires de masse, des injustices du passé, comme un rachat insolvable, car les six millions de Juifs tués par les S.S., avec la complicité souvent des autorités locales, partout en Europe et surtout en France, ne rachèteront les millions de Noirs déportés dans des conditions inhumaines dans les colonies françaises ou anglaises. Ce Dieudonné rappelle-t-il que les modes d’extermination nazies (camps de concentration, tortures, mises à mort) ont été expérimentés par les Allemands lorsqu’ils possédaient le protectorat du Sud-Ouest africain et qu’un certain général Lothar von Trotha extermina la tribu des Hereroes avec autant de sang froid et d’aplomb qu’un Custer ou un Sheridan à qui on doit la célèbre boutade qu’«un bon indien est un indien mort»? La mémoire sélective de Dieudonné – comme celle de Soral – n’est pas due à la légèreté d’esprit des individus, mais à leur publicité personnelle, à leur vanité au dépend de l’animosité politique doublée des inquiétudes économiques. Ce qui distingue ces histrions du modèle qu'est Hitler, c'est leur absence d'hystérie. Et peut-être est-ce là une chance pour nous tous.

Comme tous les saluts fascistes, la quenelle est un geste mécanique. Il s’agit de tendre son bras vers le bas et de poser simultanément la paume de son autre main sur l’épaule. Geste attribué à l’imagination de Dieudonné dans un spectacle au début du siècle, il aurait voulu être une variante de bras d’honneur «comme ceux d’en haut». Ce n’est que progressivement, avec la radicalisation des spectacles de Dieudonné qu’une référence au salut hitlérien a été apportée. En 2009, le geste était devenu strictement politique lorsque Dieudonné s’est présenté aux élections européennes sous l’étiquette du parti antisioniste de l’Île-de-France (Paris) Sur ses affiches, il se montrait avec son döppelganger, Alain Soral, en train d’effectuer le geste de la quenelle. Le mot d’ordre lancé depuis par ces «sœurs Papin de l’antisémitisme», est de se faire photographier exécutant la fameuse quenelle dans des lieux insolites. Soral l’a fait au monument des morts de la Shoah à Berlin. D’autres à Auschwitz même. Tout devient prétexte à faire ce geste épileptique et les rictus qui vont avec : mariages, cérémonies publiques, devant une synagogue où un lieu où un crime antisémite a été commis. C’est la tarte à la crème du XXIe siècle. Ceux qui font les meilleurs coups – artistes, sportifs, saltimbanques – peuvent se voir gratifier annuellement d’une «quenelle d’or» pour l’ensemble de leur «œuvre». Enfin, dans notre société marquée par la tyrannie de l’humour, on découpe au photoshop la tête du quenelliste pour y substituer un ananas, en référence à la condamnation de Dieudonné pour une chanson vulgaire – Shoahnanas– qui appuie le discours négationniste de la vedette. Ce Dieudonné qui, comme bien des Juifs qui se sentent exclus de la loi des goys, ne paie pas les amendes auxquelles il a été condamné et que l’État hésite à aller saisir par le huissier. À la rigueur, la puérilité de tout ça devrait faire hausser les épaules, mais lorsqu’on s’y arrête le temps de mesurer les significations et les moralisations de cet imaginaire vide, on ne peut que rester soupçonneux.

Reconnaissons sans gêne qu’Israël est le plus sale petit État qui existe. Un État-voyou comme l’entendait George W. Bush, un punk State. Comme le phénix, il est né des ruines en flammes du Troisième Reich, dont il est l’enfant naturel. C’est le dernier résidu des nationalismes du XIXe siècle. Sa raison d’être n’a jamais été démontrée historiquement. Défi lancé par un intellectuel juif autrichien, Theodor Herzl au moment où l’assimilation des Juifs en Europe allait bon train, le mouvement sioniste s’est appuyé sur la richesse des fortunes juives occidentales et la masse de Juifs dépossédés des shtetls d’Europe de l’Est, victimes des pogromes de la Russie tsariste. Ayant immigré dans les territoires allemands et français au début du XXe siècle et après la Grande Guerre, ces petites gens, qui ont inspiré les tableaux ludiques de Chagall de même que le truculent Violon sur le toit, ont vécu les persécutions nazies et de la Milice vichyssoise. Des fumées dégagées par les cheminées des crématorium d’Auschwitz, l’État en devenir de Palestine, attendant que l’Angleterre tienne sa promesse de la Déclaration Balfour, s’organisait. Entièrement orienté vers l’avenir, souhaitant modeler un État occidental en terre d’Orient, ces premiers sionistes ne crurent pas les évadés d’Allemagne qui racontaient ce qu’ils y avaient vu, les surnommant les bouffons, les clowns. Quand la sombre vérité s’est imposée en 1945, le dynamisme d’un Ben Gourion a suffi pour entraîner nombre de rescapés et de financiers, pour la plupart américains, à se lancer dans le sillon de l’Exodus. L’État qui est né en 1948 partageait des traits troublants avec le IIIe Reich, mais personne ne voulut le voir par honte ou par culpabilité. Il est vrai qu’on était en pleine Guerre Froide et que l’État d’Israël pouvait servir de tête de pont au Moyen-Orient menacé de tomber sous la coupe soviétique.

La proximité, sinon la parenté, de l’État hitlérien et de l’État sioniste saute aux yeux. D’abord, les deux États sont nés d’un esprit de vengeance. Le premier contre la défaite de 1918 et le honteux traité de Versailles, le second des pogromes à répétition en Europe de l’est et dans le IIIe Reich. Ils ont donc été tous deux animés par un même esprit négatif de vengeance et de ressentiments à assouvir, le premier contre ses populations marginalisées (politiques, raciales, homosexuelles, minorités religieuses), le second contre les Palestiniens et les Arabes qu’ils avaient expulsés de Jordanie. L’État hitlérien est un État totalitaire, au mieux, absolutiste. L’État juif est un État théocratique. Le premier était le messie du pangermanisme outragé, le second est l’État-messie attendue depuis la chute de la royauté davidienne. Le Reich avait été récupérer le symbole solaire indo-européen (préalablement inversé) de la svastiska, le second l’étoile de David. La propagande du premier a été de défier la Société des Nations, le second méprise les résolutions de l’Organisation des Nations-Unies. Les deux sont un mélange d’archaïsme (au niveau des mœurs) et de futurisme (au niveau de la technologie, de la guerre, de l’armement). Les deux sont des États paranoïdes vivant dans la psychose de l’ennemi qui, à force d’être appelé, finit toujours par se présenter. Et l’État juif a été le meilleur élève des leçons à tirer de la défaite du Troisième Reich. Celui-ci, en effet, n’avait pas, avant guerre, un système d’espionnage bien organisé, seulement des équipes de prosélytes qui allaient cueillir des fonds et des appuis dans les autres pays : en France, en Angleterre, aux États-Unis, au Canada. L’État d’Israël s’est doté du Mossad. Cette branche armée du terrorisme israélien agit partout dans le monde là où les intérêts d’Israël peuvent se sentir menacés. Machiavélique à l’excès, il peut organiser des attentats terroristes contre ses propres ressortissants seulement pour créer un état de panique parmi les communautés juives des pays occidentaux et forcer les autres États à lui garantir une «amitié servile» à laquelle les gouvernements se plient volontairement. Le syndrome de la culpabilité occidentale face à l’extermination nazie des Juifs d’Europe tend à se dissiper toutefois avec le temps. Israël n’impressionne plus au début du XXIe siècle comme il impressionnait vingt ans plus tôt. L’Occident n’en a plus autant besoin contre les menaces du communisme soviétique et si ce n’était des attentats talibans et la recrudescence de l’islamisme (et de l’islamophobie), l’État d’Israël aurait perdu sa raison d’être devant l’Occident. Par le fait même, des campagnes comme celles des soraliens et de Dieudonné sont une manne dans le désert. Leur antisémitisme sert les intérêts de l’État sioniste dans la mesure où elle entretient ce capital de sympathie sur lequel il vit depuis plus d’un demi-siècle : les six millions de morts de la Shoah. Plus les quenellistes vont se ridiculiser devant les symboles judaïques, plus ils vont entretenir la paranoïa parmi les Juifs et ressourcer la culpabilité occidentale en déclin.

Voilà pourquoi ce qui ressort en premier lieu, c’est le manque total d’intelligence de l’entreprise antisioniste. Le discours hitlérien était un discours riche de sens. Il faisait référence, pêle-mêle sans doute, aux archaïsmes les plus éculés et aux futurismes les plus fantastiques du millénaire que durerait le IIIe Reich. Ses folies antisémites furent au départ peu sérieuses, une obsession compulsive issue de l’enfance de Hitler passée en Autriche. Ce n’est qu’au fur et à mesure que la confrontation s’est imposée soit avec l’Europe occidentale, soit avec les bolcheviques de Russie, que l’antisémitisme se diffusa non seulement en Allemagne et en Europe de l’Est, mais s’associa à la vieille culture antisémite française déjà établie dès le coup manqué du général Boulanger et propulsée par l’Affaire Dreyfus. Les ligues fascistes furent à un doigt de renverser la République pourrie par les scandales en 1934, puis la prise du pouvoir par le Front Populaire avec le «Juif» Léon Blum attisa la fureur de la droite politique française. La botte donnée par l’armée allemande à l’armée française en 1940 fit le reste. En entraînant le renversement de la République et l’instauration d’un gouvernement «associé» à Vichy, ce dernier se trouva muni de corps d’élite du genre de la Milice, dirigée par Joseph Darnand, corps supplétif à la Gestapo et aux S.S., ce même Darnand, fusillé dans la suite de l’Épuration, voit aujourd’hui sa tombe fleurir par ces mêmes gens qui font des quenelles dans le métro. Comme le chien retourne à son vomi, l’extrême-droite française retourne à ses héros déchus. Modèles de virilité, d’ordre, de fierté bourgeoise, ces idoles qui trouvaient toujours un Brasillach, un Rebatet, un Céline ou autre Drieu La Rochelle pour servir de références intellectuelles pour lancer des appels aux meurtres haineux qui justifiaient leurs assassinats, aujourd’hui elle va chercher le même appui «littéraire» chez un ancien boxeur qui joue au lettré et par un mulâtre qui fait des shows entourés de disciples sortis tout droit des sectes ésotériques.

Avec les réseaux sociaux, cette peste se diffuse partout dans le monde francophone et même à l’extérieur. Ici même, au Québec, de jeunes écervelés se font des quenelles d’écoliers mal mouchés. Que comprennent-ils dans toutes ces histoires d’antijudaïsme, d’antisémitisme et d’antisionisme? Comment font-ils pour suivre ce gogo qui a l’art de sauter sur le plateau de l’antisionisme lorsqu’on l’accuse d’antisémitisme, et de revenir sur celui de l’antisémitisme quand ses disciples l’interrogent sur son négationnisme? Ce n’est pas très courageux et si Brasillach et Céline se sont montrés ignobles, ils ont été courageux dans leur franchise jusqu’à affronter le peloton d’exécution ou le bannissement. Ce n’étaient pas des anguilles sous roches. Au Québec, la quenelle a trouvé preneur parmi certains carrés rouges guidés par des «survivalistes» hôte de l'ineffable Soral.

Ce qui est le plus écœurant dans tout cela, c’est le manque complet d’humanité, de compassion, de respect de la dignité humaine que ces gogos manifestent lorsqu’ils se font photographier par leurs jouets numérisés, faisant la quenelle devant un vieux wagon qui servait à transporter les Juifs entassés jusqu’à mourir asphyxiés. Ou encore sur les rails mêmes qui conduisent à Auschwitz où un médecin nota jadis que c’était là l’anus du monde – Anus mundi – en référence à l’Axis Mundi que l’on retrouve dans toutes les religions et les représentations du monde. Et que dire de ces jeunes quenelleux devant un panneau présentant la petite Anne Frank qui resta, avec les membres de sa famille, cachée dans un réduit de sa maison d’Amsterdam pour échapper aux occupants nazis et qui fut saisie par les S.S. seulement quelques semaines avant la Libération, suffisamment de temps pour aller mourir à Bergen-Belsen? Qu’on s’imagine ces jeunes cons se faire agripper par le chignon et conduire à un poste de police. On les entendrait pleurnicher qu’on ne respecte pas leurs droits individuels garantis par la Déclaration des Droits et Liberté garantie par la Constitution de la République. Mais valent-ils réellement plus que cette fillette? Sûrement pas. Voilà les résidus foireux des inepties de Dieudonné et de Soral.

Car si Dieudonné veut faire rire et réfléchir sur l’action nocive d’Israël dans le monde, Soral, cet ancien boxeur, aspire à être le Charles Maurras de la nouvelle extrême-droite. C’est prétentieux et vite dit, mais surtout c’est faire insulte à l’intelligence de Maurras. Jamais Maurras ne se serait abaissé à faire volontairement des fautes d'orthographes dans les panneaux de l'Action Française! Ce s.d.f. de la pensée politique, sans autre talent que la rhétorique et les effets du maraudeur, a tout pour entraîner des esprits ignares et dogmatisés dans des rites symboliques dont la quenelle n’est que la plus insignifiante. Associés au Front National, Soral et Dieudonné invitent le vieux Le Pen à faire de la quenelle. Le gâtisme ouvrant sur des comportements libidineux, comment aurait-il pu refuser? Dans sa campagne de 2009, Dieudonné publie son affiche propagandiste, avec l'indispensable présence de Soral, qui porte le mot d’ordre totalement absurde : «Pour une Europe libérée de la censure du communautarisme des spéculateurs et de l’OTAN». Politiquement, ça n’a aucun sens. Mais, bien sûr, les Juifs sont en dessous de tout ça! Il n'y manque que les Francs-Maçons et la série serait complète! Campagne de pure démagogie, comme toutes celles qui marquent l'achèvement de la démocratie, elle n'est qu'un symptôme de plus  de la débilité de la démocratie libérale occidentale. N'importe quel gouailleur peut se forger un slogan, l'articuler sur des sophismes et lever le poing - ou descendre la quenelle - pour se rallier des égarés de la liberté. Soral et Dieudonné finissent d'épuiser la pensée et la rhétorique de l'histoire des droites en France, tout ce qui leur reste, c'est l'ignominie et le fangeux.

Côté ignominie, nous avons cette mise en scène grotesque où l’on voit une poupée à l'effigie d'Anne Frank avec un quenelliste à ses côtés : c’est à se demander en quoi Anne Frank était mêlée au capitalisme ou au communisme? Dirigeait-elle un syndicat de poupées rouges? Était-elle à la tête d’une entreprise multinationale dont le but était d’appauvrir les Palestiniens en leur siphonnant leur huile d’olive? Si le ridicule tuait encore, MM Soral et Dieudonné seraient déjà tombés au champ d’honneur!

Côté fangeux, comme dans le Brest du roman de Genet, la quenelle est née dans les immondices, et pour croître elle se nourrit essentiellement de deux choses – d’air et d’eau? – que non! La quenelle n’est point une plante organique. Elle est miasme de décom-position putride de vieilles pensées mortes. Elle se nourrit d’un financement interlope que les pratiquants de la quenelle, s’ils étaient sérieux et s’y connaissaient en politique des complots, interrogeraient la provenance. D’où vient l’argent, nerf moteur de la guerre? Pour le moment à qui profitent tous ces niasages? À la cause palestinienne? Non. À la cause des beurs de banlieues? Sûrement pas. À la lutte de libération de la censure, du communautarisme et de l’OTAN? Voyons donc, un peu de sérieux. Répétons-le, les organismes pro-sionistes seuls sont en mesure de bénéficier de la sympathie de ceux qui ont encore des remords face aux anciennes lâchetés ou qui vivent de «l’industrie de l’Holocauste» et dont les intérêts sont plus machiavéliques qu’honnêtes. Quand verra-t-on exposer les comptes financiers de Soral, Dieudonné et autres hauts marionnettistes de cette campagne? Pourquoi certains espions juifs du Mossad, puisqu’il m’est permis également de jouer au paranoïaque, ne seraient-ils pas le bras financiers de la quenelle? Après tout, des financiers juifs, tel Max Warburg, pensaient acheter la paix avec Hitler ou avec Vichy en finançant leurs propagandes antisémites! La chose ne serait donc pas aussi absurde, voire exceptionnelle qu’elle en l’air à première vue.

À un pas d’inviter au terrorisme, les quenellistes ouvrent la porte toute grande au (contre-)terrorisme d’État qui bénéficie de ce type de campagne. Car si les Français ne prennent pas garde, ils finiront par se retrouver sous un second gouvernement vichyste sans l’excuse cette fois de l’occupation allemande. C’est-à-dire une terreur encore plus grande que celle qui régnait durant la guerre d’Algérie lorsque les bombes de l’O.A.S. explosaient à Paris et menaçaient de créer une nouvelle guerre civile. Et nous connaissons tous le parti politique qui serait prêt à assumer l’ignominie d’une telle résurrection.

Nous savons que la bourgeoisie française est constituée de salauds de la pire espèce. Cette classe, qui a corrompu tous les régimes successifs depuis deux siècles, n’est pas qu’un produit des romans de Balzac ou de Zola. Comme Louis XVIII, ils n’apprennent jamais rien et n’oublient jamais que leurs intérêts prédominent sur toutes choses nobles et éthiques. Voilà ceux que servent les Soral et les Dieudonné. Espérons seulement que, comme pour le poujadisme des années 50, ce mouvement s’essoufflera avant d’empester le reste du monde. Et si les Français veulent continuer à décliner comme des dépendants de troisième catégorie, libre à eux. On ne peut sauver une culture contre sa propre défécation, si grand qu’eût été son passé⌛

Montréal


7 janvier 2014

Harper à Jérusalem

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HARPER À JÉRUSALEM

Une fois de plus, beaucoup de Canadiens se sont sentis humiliés de voir leur Premier ministre, parti avec une suite impériale constituée d'hommes d'affaires de différents secteurs, de fondamentalistes chrétiens, d'entrepreneurs de beignes à la Tis'Motons et autres valets-service, le tout sur le bras de la Reine - et entendons ici que «la Reine, c'est moi» -, ajouter le masochisme moral à la curée des contrats d'argent. Lorsque Jean Chrétien allait faire ses missions commerciales en Chine, les affairistes payaient leurs billets de transport de leur poche. Avec Harper, c'est la population qui défraie, aux taux des coupures sur l'assurance-emploi et autres vandalismes dans les biens culturels du pays et des services publiques, des gestes ou des paroles de soumission à l’égard spécifiquement de l’État d’Israël. Cet exhibitionnisme veule, qui enchaîne une population complète à ses dirigeants, est proprement écœurant.

Comprenons-nous bien. Ce n’est pas que le gouvernement Harper avec son chef, ses ministres, ses sous-fifres, ses journalistes embedded et autres bouffons de cour, se rendent en Israël ou à Jérusalem. Ce n'est pas qu'un ramassis de commentateurs conservateurs, proto-fascistes grotesques, aient du temps d'antenne pour nous convaincre de l'innommable - pas même les commentaires insipides d'Emmanuelle Latendresse sur les ondes de Radio-Canada - qui choquent. Nous sommes habitués au fait que les média d'informations nous servent les plats les plus indigestes pour notre intelligence, non. Ce n'est pas, non plus, tant qu'ils y aillent faire, comme Harper avec une kippa sur le fond de tête, des salamalecs devant le Mur des Lamentations ou qu'il s’adresse à la Knesset qui frustre les consciences canadiennes. Il n’est pas le premier, ni le dernier à le faire. Ce qui passe difficilement la rampe de la bienséance et du respect de soi, c’est toujours ces serments répétés de l’«indéfectible» amitié du Canada envers Israël qui heurtent les consciences.

Cette formule est d'ailleurs reprise partout : Obama à l’égard d’Israël; Poutine à l’égard de la Syrie; ou même que Israël aurait été un allié indéfectible de la politique d’apartheid en Afrique du Sud! Cette expression semble sortie tout droit du langage diplomatique. Or, nous constatons qu’elle n’existe pas de manière aussi courante dans la langue anglaise, langue diplomatique par excellence depuis la Seconde Guerre mondiale. Ici, nous allons des expressions «unswerving ally», à «staunch allies», «unflinching» ou même «to be Israel’s unfailing and stalwart ally». Bref, aucune formulation n’est véritablement canonisée dans la langue anglaise, bien que toutes veuillent dire la même chose, alors que l’expression française consacrée d’indéfectibilité est régulièrement répétée chaque fois que l'un ou l'autre des chefs d'État vient faire son petit tour chez son indéfectible allié. Voilà pourquoi nous ressentons un malaise méprisant de soi lorsque nous l'entendons sortir de la bouche de Harper, moins que de Netanyahou lorsqu'il vient faire son brin de jasette devant les Communes, les Sénateurs et les Juges de la Cour Suprême, nous disant qu'il reconnaît que le Canada est un allié indéfectible d'Israël!

Si le langage juridique de la diplomatie ne l’a pas encore consacrée, c’est que cette expression pose véritablement problème. En effet, que peut vouloir dire l’expression d’«alliés indéfectibles»? Remarquons que, dans le cas d’Israël, nous entendons rarement la réciprocité de l’affirmation. Quand le Premier ministre Benjamin Netanyahou a-t-il proclamé officiellement qu’Israël était un «allié indéfectible» du Canada, ou même des États-Unis? Cette expression va toujours dans le même sens et n'oblige nullement au renvoi d'ascenseur. Que ce soit pour la France, pour les États-Unis et pour le Canada, je ne me souviens pas d'avoir vu les dirigeants israéliens promettre une pareille «indéfectibilité» à leurs alliés. Serait-ce que cette formule n'est qu'unidirectionnelle?

Une fois l’expression lâchée, qu’entendons-nous? Ou plutôt, que ressentons-nous à l’intérieur de nous-mêmes? Indéfectible suppose une fidélité réciproque (comme dans le mariage). Or, le mariage entre États est aussi contre-nature que le mariage (procréatif) des personnes du même sexe. Pourquoi se scandalise-t-on pour celui-ci et non pour celui-là? L’alliance indéfectible est contraire à la Raison d’État où le machiavélisme fait en sorte que n’est bon pour l’État que ce qui sert l’État. Si un État est profitable ou partage les mêmes intérêts que soi, mieux vaut son alliance, mais si cette alliance finie par nous peser ou nous coûter, la fidélité passe au défaut et il est souhaitable que, pour les intérêts de l’État, de lâcher l'allié. Malgré tout ce qu’on peut trouver à dire contre Adolf Hitler, il contrevint à cette sagesse de la Raison d’État lorsqu’il se montra toujours le soutien indéfectiblede son allié Benito Mussolini qui, lui-même, refusa les avances du gouvernement Churchill pour rester aux côtés de son allié allemand alors qu’il perdait le pouvoir dans son propre pays en 1943. Voilà ce qu’on peut appeler une «alliance indéfectible», et je dois reconnaître qu’elle est particulièrement exceptionnelle dans l’Histoire. Pire, elle apparaît comme le modèle de toutes alliances indéfectibles.

Depuis que les États-nations se sont constitués à partir du XVe-XVIe siècle, nous voyons des traités d’alliance qui peuvent fonctionner durant un certain temps, ainsi la paix de Lodi passée entre les différentes cités-États italiennes sous l’audace de Laurent de Médicis, le 9 avril 1454, et qui marqua la fin de plus d'un siècle de conflits entre Florence, Rome, Milan, Naples et Venise. Cette «paix de l’équilibre» n’était pas l’équilibre de la terreur, tel que nous le connaissons depuis l’invention de la bombe atomique. La trêve dura 25 ans, jusqu’à ce que Milan appelle l’aide de la France pour s’opposer à ses rivales Venise et Rome. À partir de ce moment, l’Italie deviendra un vaste champ de batailles entre les troupes impériales dirigées par Charles-Quint et les troupes françaises du roi François Ier.

Le cardinal de Richelieu, qui fut l’âme du concept de Raison d’État légué dans son célèbre Testament, n’hésita pas, contre ses propres conceptions religieuses et sa fidélité à l’Église, à passer des alliances avec les princes protestants, dont le Prince-Électeur du Brandebourg (futur roi en Prusse), protestant, contre la puissance Autrichienne, catholique. Le traité de Westphalie est le succès diplomatique qui, sans établir une «paix de l’équilibre» en Europe, devait tracer les frontières des grandes puissances européennes jusqu’au XXe siècle. Le XVIIIe siècle, qui fut celui de la «guerre en dentelles» et de la «diplomatie de cabinets», eut autant de traités d’alliances «indéfectibles» que ces alliances se brisaient et se renversaient régulièrement. La guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) place d’un côté les alliés indéfectiblesque sont la France, la Prusse, la Bavière et l’Espagne qui s’opposent à la succession de Marie-Thérèse au trône d’Autriche, et celle-ci qui peut compter essentiellement sur la Grande-Bretagne, les Provinces-Unies et un tantinet le Royaume de Piémont-Sardaigne et le duché de Saxe. Huit ans plus tard, les alliances sont renversées. Avec la Guerre de Sept-Ans (1756-1763), la France et l’Autriche sont maintenant alliées contre la Prusse et la Grande-Bretagne qui se retrouvent du même côté. La Russie, un temps alliée avec l’Autriche, fait défection à la mort de la Tsarine et le nouveau Tsar, Pierre III, passe du côté de la Prusse. On le voit, les alliances, en diplomatie, sont temporaires, éphémères et opportunes. Elles se rompent beaucoup plus facilement qu'elles ne parviennent à se conclure. Une «alliance indéfectible» n’est pas pensable autrement que pour la rhétorique. Or, au XXe siècle, lorsqu’il s’agit d’avouer son «alliance indéfectible» à l’État d’Israël, il en va tout autrement.

Pourtant, nous l’avons dit, le concept d’alliance demeure toujours corollaire de la Raison d’État. Les alliances se négocient sur tous les points de détails qui n’entraînent, que rarement, une alliance totale. Le temps de la Triple Alliance (ou Triplice), (Angleterre, France, Russie) et de la Triple Entente (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) qui s’affrontèrent au cours de la Première Guerre mondiale est passé. Même durant la Grande Guerre, des négociations secrètes ne cessèrent d'ébranler ces alliances internationales, allant parfois jusqu'à les rompre : la Russie, après Octobre, quitta le camp de la Triplice, tandis que l’Italie laissa l'Entente pour rejoindre la Triplice après le pacte secret de Rome sur les terres irrédentes. C’est la Turquie qui devint l’alliée (pour des raisons opportunes dans les Balkans et le financement du train Berlin-Bagdad) de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. Les Américains eux-mêmes, lorsqu’ils rejoignirent le parti de l'Alliance, en 1917, se dirent les «Associés» et non les Alliés de leurs partenaires. La période de l’Entre-deux-Guerres ne fut qu’une suite d’alliances rompues dont la plus remarquable fut lorsque la France abandonna ses alliées de la Petite Entente (la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie et la Roumanie devant l’agressivité allemande. Si les Américains firent partie entièrement des Alliés à partir de 1941, ce fut parce que désormais la diplomatie américaine se mettait à la tête des alliances. C’est sous le contrôle de l’État-major américain que les grandes entreprises de débarquements (l’opération Torche en Méditerranée, l’opération Overlord sur les côtes de la Normandie) furent conduites avec succès. L’entente de Yalta ne consolida pas des alliés, mais partagea le monde. Jamais la diplomatie n’avait été aussi loin du consensus d’«alliance indéfectible» qu’aux lendemains de 1945, et ce ne fut pas «la paix de l’équilibre» cette fois qui en sortie, mais «l’équilibre de la terreur» sur fond de Guerre Froide.

Après ce bref survol de la politique internationale des États-Nations, pourquoi l’État-nation israélite peut-il se permettre d’avoir tant d’alliés qui lui promettent un soutien indéfectible? Dans le contexte de l’Exodus et de la création de l’État d’israël, bien des voix discordantes des pays occidentaux s’étaient laissés entendre. On sait que l’historien britannique Arnold J. Toynbee avait déconseillé au Ministère anglais des affaires étrangères de supporter la création d’un État qui reposait sur des bases culturelles inexistantes. Que la nation israélienne ne pouvait être qu'un pur produit de l’esprit et non une réalité existentielle qui méritait de se réaliser dans un État-nation constitué sur le modèle belliqueux des États paroissiaux du XIXe siècle. Il fut pour cela honni des sionistes partout dans le monde. Le lobby juif se développa pendant les années où Israël était en formation. La crise de Suez (1956), où un accord tacite entre Américains et Soviétiques expulsa les anciennes métropoles de France et d’Angleterre de la Méditerranée orientale, aida grandement Israël à se trouver un allié qui se servait de lui comme plate-forme au Moyen-Orient. Plutôt que la France capricieuse et l'Angleterre opiniâtre, les Américains avaient, avec Israël, une puissance flexible pour leur permettre de pénétrer au Moyen-Orient. En retour, l’Union soviétique se fit l’alliée des peuples arabes, en particulier de la Syrie, de l’Égypte et du Yémen qui formèrent la République Arabe Unie entre 1958 et 1961. L’impossible alliance des pays arabes contre l’ennemi commun permit à Israël d’imposer sa dictature diplomatique non seulement dans la région, mais au sein des organismes internationaux. Israël put ainsi défier les condamnations de l’O.N.U. tout en siégeant toujours comme membre actif. Elle avait désormais, au sein du Conseil de Sécurité, trois alliés indéfectibles. 1961, c'est également l'année où commence le procès Eichmann, et je pense qu’en se penchant sur la célèbre affaire, nous pouvons trouver une stratégie lumineuse qui permet d’identifier les sources de cette comédie navrante des soutiens indéfectiblesà Israël.

Rappelons rapidement les faits. L’ancien fonctionnaire de l’Allemagne nazie préposé à l’application de la «Solution finale» en 1941, Adolf Eichmann(1906-1962), avait été enlevé par un escadron du Mossad dans la ville de Buenos Aires en Argentine, où il s’était réfugié, et déplacé à Jérusalem pour y subir un procès qui fut suivi avec diligence. Premier procès d’un criminel de guerre depuis le procès bâclé de Nuremberg. Au départ, ce ne devait être qu’un règlement de comptes déguisé en spectacle procédurié. Mais Hannah Arendt, qui suivit avec détail, non seulement le procès mais aussi les coulisses du procès, nous a livré un portrait sans complaisance sur la façon dont l’État sioniste entendait utiliser l’affaire sur la scène mondiale. Sa critique ne plut ni aux Juifs, ni aux Américains, mais elle soutint l’une des analyses les plus brillantes de l’après-guerre de la nouvelle politique israélienne en matière internationale, justifiant tous les coups fourrés que l’État héritier du Troisième Reich dans son esprit (racial) et ses méthodes (la violence totalitaire), allait développer au cours des décennies à venir.

L'affaire Eichmann posait d'abord la question de la légitimité du tribunal qui l'entendait. Eichmann étant d'origine allemande gardait sa citoyenneté, aussi pourquoi Jérusalem devait-elle être le siège de cette mascarade de justice vengeresse? C'était en tant que citoyens allemands que les Juifs qui inaugurèrent les camps de concentration y subirent les sévices que l'on connaît. Les autres étant des prisonniers de guerre raflés dans les différents pays européens lors de la conquête de l'Europe par les armées du Reich. En aucun cas, l'embryon des colonies de peuplement en Israël, qui cohabitaient alors plutôt pacifiquement avec les Arabes palestiniens, ne subirent les effets désastreux de cette guerre. Voilà donc l'État d'Israël qui s'élève au-dessus du respect de la légitimité des autres États, et comme Israël n'a même jamais été dans l'alliance de 1939-1941 puisqu'il n'était pas fondé en tant que nation indépendante et autonome, il n'avait aucun droit - même pas en droit international -  de revendiquer la prise de corps et le procès imposé à l'Allemand Eichmann. La justice vengeresse aurait pu s'exécuter d'une façon dont le Mossad prit l'habitude, c'est-à-dire l'assassinat pur et simple du bandit. Mais Eichmann était une grosse prise et le Premier ministre de l'époque, David Ben Gourion (1886-1973), entendait s'en servir devant l'ensemble de la civilisation occidentale. C'est ce que nous raconte Hannah Arendt.

Si certains avocats tentèrent de faire du procès Eichmann une «pièce de théâtre» en suscitant des émotions et l'outrance du scandale, la chose ne parvint pas à se faire. Les témoins appelés au procès, sortis tout droit des camps de la mort, ne présentaient pas une image que l'État d'Israël voulait donner de lui-même au monde entier. Le procès Eichmann avait pour but d'ensevelir les survivants avec le corps pendu du tortionnaire. Ben Gourion visait autre chose selon Arendt. «Il y avait la leçon pour le monde non juif : "Nous voulons établir devant tous les pays du monde comment des millions d'êtres humains, parce qu'ils se trouvaient être juifs, et un million de bébés, parce qu'ils se trouvaient être des bébés juifs, ont été assassinés par les nazis". Ou encore, dans les termes de Davar, l'organe du Mapai, le parti de M. Ben Gourion : "Que l'opinion mondiale le sache, que l'Allemagne nazie n'était pas la seule responsable de l'extermination de six millions de Juifs européens". Ou encore, selon les termes de Ben Gourion lui-même : "Nous voulons que tous les pays du monde le sachent […] et qu’ils aient honte"» (H. Arendt. Eichmann à Jérusalem, Paris, Gallimard, Col. Folio-Histoire, # 32, 2002, p. 54). Pour la première fois, un État politique entendait utiliser le chantage affectif pour se permettre un acte au-dessus des lois de tous les pays dits civilisés. Les bébés juifs de Ben Gourion sont les ancêtres directs des bébés phoques de Brigite Bardot. Le génocide n’est pas présenté, contrairement dans les documents de fondation de l’O.N.U., comme un acte illégal, mais un acte immoral. La question passe de la raison aux jugements de valeurs. Les coupables sont étendus de l’Allemagne nazie à l’ensemble de la civilisation occidentale. Nous voulons que tous les pays du monde le sachent et qu’ils aient honte. Voilà pourquoi chaque chef d'État est tenu de visiter, non un planétarium, mais un musée de la Shoah présenté comme un cosmos d'atrocités ignobles, ce que Stephen Harper n'a pas manqué de faire lors de son voyage à Jérusalem. Une telle visite recrée le sentiment de honte qu'entendait imposer aux chefs d'États occidentaux Ben Gourion. En créant ce sentiment de honte et de regrets, l’État d’israël cristallisait sa légende d’État au nom des victimes (et non des survivants) de l’Holocauste. C'est ainsi que poursuivant l'ignominie de l'État nazi, l'État israélien «apprêtait» ses restes de victimes de l'infamie.

Mais, pour Arendt, Ben Gourion adresse également un message aux Juifs du monde entier : «Quant aux Juifs de la Diaspora, ils devraient se souvenir que le judaïsme, "vieux de quatre mille ans, avec ses créations spirituelles, sa quête morale et ses aspirations messianiques" avait toujours "affronté un monde hostile"; que les Juifs avaient dégénéré au point d’aller à la mort comme des moutons à l’abattoir, et que seule la création d’un État juif avait permis aux Juifs de "rendre coup pour coup" - ce que les Israéliens avaient fait au cours de leur guerre d’indépendance, dans l’aventure de Suez, et dans les incidents quasi quotidiens aux frontières menacées d’Israël. Et s’il fallait montrer aux Juifs résidant hors d’israël la différence entre l’héroïsme des Israéliens et l’humble soumission des Juifs, il y avait aussi une leçon pour ceux qui vivaient à l’intérieur d’Israël : "La génération d’Israélites qui a grandi après l’Holocauste" risquait de desserrer ses liens avec le peuple juif, et implicitement avec sa propre histoire. "Il faut que notre jeunesse garde en mémoire ce qui est arrivé au peuple juif. Nous voulons qu’elle connaisse les faits les plus tragiques de notre histoire"» (H. Arendt. ibid. pp. 54-55). Le message adressé aux Juifs reprenait la logique de celui adressé aux puissances occidentales : la poétique du temps de crime est étendue pour tous les crimes antisémites qui remontent jusqu’à l’empire assyro-babylonien. Les Juifs sont les parias de l’Histoire. Il faut que cela cesse, et cela ne peut ni ne doit cesser qu’avec l’établissement de l’État israélien. Ce n’est donc pas Hannah Arendt, contrairement aux accusations qu’elle dut subir de la part des sionistes, qui a inventé l’image du troupeau de moutons mené à l’abattoir. Ce troupeau de malheureux, entassés dans la salle du tribunal, montrait non pas la vaillance des fondateurs de l’État d’Israël, mais le Juif ancien, le bouc émissaire des montées biliaires des peuples occidentaux. Voilà pourquoi ils en sont venus à gêner le spectacle du procès Eichmann. Désormais, contre la dégénérescence (terme anthropologique à ranger sur le même plan que génocide et inventé au XIXe siècle par le «juif» Max Nordau) qui avait rendu les Juifs passifs devant leur mise à mort n’était plus recevable. Voilà aussi pourquoi, fait inusité cette fois, Stephen Harper rappelle la montée de l'antisémitisme tout autour de l'État d'Israël. Shimon Peres et Benjamin Netanyahou n'en attendaient pas tant, aussi faut-il croire que le Premier ministre du Canada s'est laissé dépasser par les orgies de quenelles des Français adulateurs du bouffon Dieudonné?

Les créations spirituelles et la quête morale d'Israël sont ramenées à la loi du Talion. «œil pour œil et dent pour dent» considérée comme le nec plus ultra de la morale humaine. La honte portée par le peuple juif - qui n'est pas nécessairement assimilable à celui de l'Israélien nouveau - doit être partagée par les peuples persé-cuteurs, c’est-à-dire la civilisation occidentale, chrétienne, libérale et démocratique. Désormais, tous les actes jugés immoraux devant les critères kantiens qui sont ceux des Droits de l'homme sont justifiables auprès de la loi juive héritée du Lévitique. L'expulsion des Palestiniens, les camps de détention des populations, les zones bombardées et pilonnées aussi bien au Liban que dans la bande de Gaza, la menace nucléaire, les attentats terroristes n’importe où dans le monde exécutés par le Mossad, sont légitimes dans la mesure où la palingénésie israélienne a accouché d’un homme nouveau, selon le pangermanisme qui lui servit de modèle : l’héroïsme de l’homme israélien qui réplique à la violence par la violence plutôt que la soumission de l’homme juif à son destin victimaire. Après avoir subi les outrages, les humiliations, la déshumanisation dans les camps de la mort, les survivants juifs, outre le syndrome du survivant, se voyaient étiquetés comme l’image négative du Juif contre celle, positive, des jeunes conquérants israéliens.

Au premier degré, note Arendt, cette stratégie ne servait en rien au procès d’Eichmann. Elle n’avait pas lieu d’être : «Si ces raisons avaient été les seules à justifier la comparution d’Adolf Eichmann devant le tribunal de district de Jérusalem, le procès aurait été un échec sur bien des plans. Par certains côtés, ces leçons étaient superflues, par d’autres elles induisaient carrément en erreur. L’antisémitisme a été discrédité grâce à Hitler, sinon pour toujours du moins pour le moment : non pas parce que les Juifs sont devenus plus populaires tout à coup, mais parce que, pour reprendre les termes de M. Ben Gourion lui-même, la plupart des gens "se sont rendu compte que de nos jours l’antisémitisme peut conduire à la chambre à gaz et à la fabrique de savon". La leçon destinée aux Juifs de la Diaspora était également superflue, ils n’avaient guère besoin de la grande catastrophe dans laquelle périt le tiers de leur peuple pour être convaincus de l’hostilité du monde. La conviction que l’antisémitisme existe partout et de tout temps n’a pas seulement été le facteur idéologique le plus puissant, depuis l’affaire Dreyfus, qui ait animé le mouvement sioniste; elle fut aussi la raison sans laquelle la bonne volonté de la communauté juive allemande à négocier avec les autorités nazies dans les premiers temps du régime resterait inexplicable. (Inutile d’ajouter qu’un gouffre séparait ses négociations de la collaboration postérieure des Judenräte [les Conseils juifs des ghetto mis sur pied par les nazis]. Il n’était pas encore question de problèmes moraux, il s’agissait seulement de prendre une décision politique, dont le "réalisme"était discutable : l’aide "concrète", tel était l’argument, valait mieux qu’une dénonciation "abstraite". C’était de la Realpolitik sans arrière-pensées machiavéliques, dont le danger n’apparut que des années plus tard, après que la guerre eut éclaté, lorsque les contacts quotidiens entre les organisations juives et la bureaucratie nazie permirent aux fonctionnaires juifs de franchir plus aisément le gouffre qui séparait deux formes d’aide : aider les Juifs à s’échapper et aider les nazis à les déporter.) C’est cette même conviction qui produisit chez les Juifs une dangereuse incapacité à distinguer leurs amis de leurs ennemis; et les Juifs allemands ne furent pas les seuls à sous-esti-
mer leurs ennemis parce qu’ils croyaient que les non-Juifs étaient plus ou moins tous les mêmes. Si le Premier ministre Ben Gourion, qui est à la tête de l’État juif, avait l’intention d’affermir cette sorte de "conscience juive", alors l’idée n’était pas bonne; car changer cette mentalité est l’un des préalables indispensables pour l’État en Israël - État qui, par définition fait des Juifs un peuple parmi les peuples, une nation parmi les nations, un État parmi les États, dépendant maintenant d’une pluralité qui exclut la dichotomie séculaire, malheureusement ancrée dans la religion, des Juifs et des non-Juifs» (H. Arendt. ibid. pp. 55 à 57).

Et c’est bien là la pierre angulaire de tout l’édifice de moralisation de l’Histoire de Ben Gourion. Israël se refuse à être un État parmi les États, un peuple parmi les peuples, une nation parmi les nations. La théologie de l’Histoire d’Israël fait du Peuple Élu un peuple supérieur aux autres; son État - qu’Yaweh refusait au départ - un État de nature théo-
cratique même si ses institutions respectent les cadres de la démocratie libérale; sa nation n’est pas une nation parmi les autres car de nation de soushommes qu'en avait fait le Reich allemand, la palingénésie israélienne en a fait des surhommes. Aussi, est-elle dotée d'une «mission historique» comme en avaient les nations impérialistes du XIXe siècle. Voilà la logique d’historicité qui semble échapper à Hannah Arendt dans sa présentation du procès Eichmann. Comment faire entendre raison à cette absurdité de l’Histoire que les héroïques israéliens seraient les descendants de ces dégénérés juifs qui se soumettaient et se laissaient embarquer dans les trains de la mort. Là est l’inexplicable. Là est le myste.

«Le contraste, poursuit Arendt, entre l’héroïsme des Israéliens et l’humble soumission des Juifs allant à la mort - arrivant à l’heure dite sur les lieux de transport, marchant de leur plein gré aux lieux d’exécution, creusant leur propre tombe, se déshabillant, faisant de leurs vêtements de petits tas bien ordonnés, et s’étendant par terre les uns à côté des autres pour être fusillés - semblait être un argument pertinent. Et le procureur l’a exploité à fond, qui demandait à tous les témoins : "Pourquoi n’avez-vous pas protesté?", "Pourquoi êtes-vous montés dans le train?’, "Il y avait quinze mille personnes et devant vous des centaines de gardes; pourquoi ne vous êtes-vous pas révoltés? Pourquoi n’avez-vous pas attaqué?". Mais la triste vérité est que cet argument était inopérant, car aucun groupe, aucun peuple non juif n’a jamais agi différemment. Il y a seize ans, toujours sous le coup des événements, David Rousset, ancien détenu de Buchenwald, décrivit ce qui - nous le savons maintenant - se passait dans tous les camps de concentration : "Le triomphe des SS exige que la victime torturée se laisse mener à la potence sans protester, qu’elle se renie et s’abandonne au point de cesser d’affirmer son identité. Et ce n’est pas pour rien. Ce n’est pas gratuitement, par pur sadisme, que les hommes des SS désirent sa défaite, ils savent que le système qui consiste à détruire la victime avant qu’elle ne monte à l’échafaud […] est, sans comparaison, le meilleur pour maintenir tout un peuple en esclavage, en état de soumission, il n’est rien de plus terrible que ces processions d’êtres humains allant à la mort comme des mannequins" (Les Jours de notre mort, 1947). Le tribunal ne reçut aucune réponse à cette question bête et cruelle». (H. Arendt. ibid. pp. 57-58). On comprend la gêne de la propagande israélienne de vouloir ériger l’homme nouveau, le héros israélien sur les cadavres de l’homme ancien, le juif soumis et obéissant à la fatalité de son destin. Voilà pourquoi l’État préféra faire porter l’attention sur les insurgés du ghetto de Varsovie. Voilà des héros qui pouvaient être revendiqués par les jeunes israéliens.

Là où Arendt a raison, cela ne correspondait pas à une opération de catharsis ni pour les Juifs ni pour les Occidentaux. Ben Gourion avait d'autres préoccupations plus immédiates que rappeler le passé pour le passé ou pratiquer un quelconque «devoir de mémoire». Il s'agissait de la déqualification des revendications arabes. «Dans un sens, les attentes de M. Ben Gourion ne furent pas déçues, poursuit Arendt : ce procès permit en effet de dénicher d'autres nazis et d'autres criminels; mais pas dans les pays arabes qui avaient ouvertement offert l'asile à des centaines d'entre eux. Les liens entre le grand mufti et les nazis pendant la guerre n'étaient un secret pour personne : le grand mufti avait espéré que les nazis l'aideraient à trouver quelque "solution finale" au Proche-Orient. C'est pourquoi les journaux de Damas, de Beyrouth, du Caire et de Jordanie ne dissimulèrent pas leur sympathie pour Eichmann; ou leur regret que celui-ci n'ait pas "fini son travail". Le jour de l'ouverture du procès, une émission radiophonique du Caire introduisit même une légère note anti-allemande dans ses commentaires : elle se plaignit du fait que "durant toute la dernière guerre mondiale pas un seul avion allemand n'a survolé ni bombardé une colonie juive". Il est notoire que des nationalistes arabes ont sympathisé avec le nazisme; leurs raisons en sont évidentes; et il n'était besoin ni de Ben Gourion ni de ce procès pour les "dénicher"; ils ne s'étaient jamais cachés. Le procès révéla seulement que tous les bruits qui avaient couru sur les rapports entre Eichmann et Hadj Amin et Husseini, ancien mufti de Jérusalem, étaient sans fondement. (On avait présenté Eichmann, ainsi que d'autres chefs de départements, au mufti lors d'une réception officielle.) Le mufti avait été en rapport étroit avec le ministère allemand des Affaires étrangères, ainsi qu'avec Himmler, mais il n'y avait rien là de nouveau» (H. Arendt. ibid. pp. 59-60).

Le pont arithmétique du 1+1=2 s'établissait à l'intérieur de cette conscience palingénésique israélienne. Les nazis, le mufti de Jérusalem, Eichmann et la presse arabe, c'était tout du même. La binarité du bien et du mal nécessaire à la justification de l'État d'Israël, son existence et ses politiques au Moyen-Orient y trouvaient leur raison d'être. Mais la logique israélienne pousse encore plus loin. Puisque l'antisémitisme est une pratique qui remonte à des millénaires et qu'il a été pratiqué par tous les États de la civilisation occidentale, il est donc conséquent d'impliquer tout soutien au monde arabe comme un acte dans la poursuite même de ce qui a conduit à la «solution finale». Ainsi, les Soviétiques peuvent bien appuyer Damas et le Caire, soutenir Nasser et financer la construction du barrage d'Assouan puisque les Soviétiques pratiquent encore l'antisémitisme en U.R.S.S. et empêchent leurs ressortissants juifs de se rendre en Israël. Le sophisme est élémentaire. Comme l'écrit encore Hannah Arendt : «Si la remarque de Ben Gourion concernant "les rapports entre les nazis et certains dirigeants arabes"était inutile, il était surprenant que, dans un tel contexte, il omette de mentionner l'actuelle Allemagne de l'Ouest. Il était, certes, rassurant d'entendre dire qu'Israël "ne tient pas Adenauer pour responsable de Hitler" et qu'"à nos yeux un Allemand convenable est un être humain convenable même s'il fait partie d'une nation qui, il y a vingt ans, contribua à l'assassinat de millions de Juifs". (On n'évoqua pas d'Arabes convenables.) La République fédérale allemande, même si elle n'avait pas encore reconnu l'État d'Israël - probablement par crainte que les pays arabes ne reconnaissent l'Allemagne d'Ulbricht - avait payé 737 millions de dollars à Israël à titre de réparation au cours des dix dernières années. Ces paiements devant bientôt prendre fin, Israël essaie maintenant de négocier un prêt à long terme avec l'Allemagne de l'Ouest. De ce fait, les relations entre ces deux pays, et particulièrement la relation personnelle entre Ben Gourion et Adenauer, ont été fort  bonnes; et si, à la suite du procès, des députés de la Knesset, le Parlement israélien, ont imposé certaines restrictions au programme d'échanges culturels avec l'Allemagne de l'Ouest, ce n'est certainement pas Ben Gourion qui l'avait prévu ni souhaité» (H. Arendt. ibid. p. 60). L'Allemagne comprit alors la menace que faisait peser Israël sur la réputation de la nouvelle Allemagne en organisant une véritable battue des criminels de guerre qui résidaient encore au pays et dont les dossiers étaient parfois bénins. Le chantage affectif, doublé du coup de force du Mossad, mettaient à genoux les puissances occidentales tenues pour complices aujourd'hui des crimes d'hier. Voilà pourquoi l'alliance indéfectible des puissances occidentales envers l'État d'Israël est demeurée, même s'il n'y a plus de criminels de guerre. Exceptés les musulmans, sunnites ou shì'ites, qui s'en prennent aux intérêts israéliens. La politique, très occidentale, du mur de containment s'est maintenant dessinée de manière architecturale dans Jérusalem même. Jusque dans son destin d'après-guerre, Israël ne peut s'empêcher de reproduire les bourdes allemandes : sitôt le mur de Berlin tombé, Jérusalem élevait le sien pour «séparer» la population palestinienne de la population israélienne.

Les décennies ont passé et le même chantage affectif donne encore de bons résultats. Les Français, culpabilisés au trognon par le syndrome de Vichy et de la collaboration; les États-Unis, longtemps dépendants d'Israël comme œil de l’Empire au Moyen-Orient, varient leur politique israélienne en fonction des menaces plus que des partis qui se succèdent au pouvoir. Après la chute du bloc soviétique, du temps de l’adminis-tration Clinton, les Américains montrèrent des velléités dans l’indéfectibilité de leur soutien à Israël. Après les attentats du 11 septembre 2001, «comme par miracle», Israël retrouvait son allié plus indéfectible que jamais. George W. Bush et Barak Obama ont maintenu cette politique depuis seize ans. L’Angleterre, par ses intérêts pétroliers dans des pays comme l’iraq et l’Afghanistan, a précédé les Américains dans la marche à la guerre, et se montre également un indéfectible allié de l’État d’Israël. Question de protection dans la guerre menée au terrorisme. Israël est encore le bouc émissaire de la défense de l’Empire contre les attentats dont seraient tentés les États iraniens ou pakistanais.

D’un autre côté, les lobbies israéliens ont appris beaucoup de leurs premières interventions auprès des puissances occidentales, lors de la fondation et pour le soutien à Israël. Devant l’Assemblée des Nations-Unies, le soutien indéfectible passe de la formule rhétorique à des votes qui montrent que toutes les nations ne sont pas égales entre elles, que tous les peuples ne sont pas traités équitablement et que les États ont des poids différents dans la balance. En retour, se dire allié indéfectible d’Israël, c’est s’assurer le poids de ces lobbies israéliens dans les différents États lorsque se discutent des questions écono-miques. Par exemple, au moment où le gouvernement canadien se fait difficilement entendre par son voisin américain pour le pipeline Keystone, qui transporterait le pétrole des sables bitumineux d’Alberta vers les points de raffinement ou de distribution aux États-Unis, l’aide indéfectible du lobby juif peut peser certainement en sa faveur à Washington. Plus l’aspect moral du chantage exercé depuis 1961 s’essouffle, plus l’aspect strictement business émerge, comme les prêts généreux de l’État allemand de l’Ouest que Ben Gourion attendait à l’époque du procès Eichmann. On comprend un peu mieux maintenant les raisons de tant de courbettes des États occidentaux face à l’État d’Israël. Le poids de la politique internationale a cédé sous celui des intérêts intérieurs. C'est de cette façon que la loi de la Raison d'État l'emporte derrière ce qui semblait être, pour Hannah Arendt, un non-sens politique.

Que l’on me comprenne bien. Le temps de la honte est passé - on le voit avec la réhabilitation de l’époque des colonies dans la conscience historique occidentale; le temps des sanglots de l’homme blanc est bien passé -; le temps de la culpabilité antisémite s’efface devant la remontée d’un anti-
sémitisme vulgaire, violent et dégradant par les média électroniques, télévisuels et même des spectacles sur scènes; la durée de la relation privilégiée avec Israël n'est plus aussi évidente. Pour les Occidentaux qui ne se laissent pas leurrer, l’État juif est aussi misogyne que les États musulmans qui l’entourent. La division entre Israël occidentalisé, dont Tel-Aviv est la capitale, et Israël théocratique de Jérusalem montre que le sentiment d’unité des Israéliens est fragile et qu’il tient à une présence menaçante commune : le Palestinien. La mentalité de garnison, qui est celle de la plupart des Israéliens, montre également que la condamnation des Occidentaux pour des millénaires de persécutions antisémites et l’application nazie de la «solution finale» persiste et que les Israéliens auront toujours une méfiance hostile envers les Occidentaux; de même qu’il y aura toujours un arrière-goût amer des Occidentaux envers les Israéliens qui ont abusé à la fois de leur patience et de leur complicité dans des double-standards de justice et d’équité internationale. Le contentieux entre les deux religions, les deux civilisations, dépassera toujours les situations immédiates de l'État israélien. D'autre part, l'inconscient des Israéliens cherche toujours à se faire haïr comme châtiment à la soumission des Juifs déportés, emprisonnés et tués. La haine de soi juive - la Selbsthab- telle qu’identifiée jadis par les intellectuels juifs allemands au tournant du XXe siècle : Paul Rhée, Otto Weininger, Arthur Trebitsch, Max Steiner, Walter Calé et Maximilian Harden, et qui fit rédiger une étude profonde par Theodor Lessing (qui devait être assassiné par des nazis en 1933, l’année même de la prise du pouvoir par Adolf Hitler) a pris une nouvelle forme dans l’antisionisme forcené de certains partis occidentaux, voire juifs. Voilà pourquoi si Harper à Jérusalem peut se permettre de répéter que le Canada est un allié indéfectible de l’État d’Israël, l’État d’Israël ne dira jamais qu’il est un allié indéfectible de l’État canadien.

Israël n’a pas besoin du Canada, mais le Canada a besoin des lobbies juifs établis un peu partout dans le monde. Il ne s’agit pas de sociétés secrètes ou d'actions complotistes; il s’agit seulement de la Realpolitik d’un État qui tient psychologiquement et militairement le destin de la paix mondiale entre ses mains. À tous moments, l’usage de l’armement atomique au Moyen-Orient pourrait déclencher une série d’effets qui conduirait à une guerre mondiale impitoyable. La société de consommation occidentale prie de toutes ses forces pour qu’Israël ne mette pas à exécution ses menaces de défense liées à ce que Ben Gourion déclarait dans le contexte du procès Eichmann. Le chantage, qui n’était qu’affectif en 1961, est devenu un chantage digne de n’importe quel punk, n’importe quel voyou qui sait qu’il a les moyens d’entraîner, comme en 1914, le jeu des alliances dans une crise mondiale majeure où sa propre destruction ne pèserait pas plus que la destruction du monde. La métaphore du battement d’aile d’un papillon qui entraîne le monde dans une catastrophe pourrait fort bien s’adresser à ce misérable héritier du Reich dont il peut, à tout instant, réaliser la prophétie millénariste. Voilà en quoi les Canadiens, et la plupart des Occidentaux, sont fatigués de ces courbettes humiliantes et de ces pèlerinages odieux à Jérusalem

Montréal
25 janvier 2014

Je me souviens que né sous le lys, j'ai grandi sous la rose

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JE ME SOUVIENS QUE NÉ SOUS LE LYS, J’AI GRANDI SOUS LA ROSE

En 1883, Eugène-Étienne Taché, architecte et commissaire des terres de la Couronne, fait graver dans la pierre de l’édifice du Parlement, cette seule locution :Je me souviens, sous les armoiries de la Province de Québec qui se trouvent au-dessus de la porte de l’entrée principale. Il faudra attendre 1939 pour que la locution soit associée définitivement aux armoiries, et 1978 pour la voir inscrite sur les plaques minéralogiques des véhicules du Québec. Armoiries et devises accompagnaient un projet de 40 statues appelées à orner la façade de l’Hôtel du Parlement; des héros du Régime Français, puis aussi quelques gouverneurs anglais particulièrement sympathiques à la cause des Canadiens Français. En 1978, une descendante de Taché, Hélène Pâque,t révèlait que le Je me souviens n'était que la première strophe d’un poème de Taché :
Je me souviens
Que né sous le lys
Je crois sous la rose.
Paradoxalement, il semblerait que Taché l’ait conçu en anglais :
I remember
That born under the lily
I grow under the rose
En fait, les deux dernières strophes seraient venues beaucoup plus tard, dans un projet de monument avec scène allégorique représentant la nation canadienne.

C’était une métaphore fréquente dans la rhétorique politique conservatrice de la fin du XIXe siècle que de lancer des Je me souviens à la fin de tous les banquets patriotiques. Thomas Chapais et Ernest Gagnon y ont été de leurs explications. Mais il appert que l’ensemble des trois vers est bien anachronique. Pourtant, comment se fait-il que nous la retrouvons dans un grand nombre de locutions rapportées par Jocelyn Létourneau dans son enquête menée depuis une décennie sur le passé du Québec dans la conscience de sa jeunesse?

Les résultats de cette longue enquête viennent de paraître chez Fides, dans un livre intitulé, précisément, Je me souviens?, avec un point d’interrogation ironique en prime. La première décennie du siècle, celle où l’enquête a été menée auprès de jeunes de 4e secondaire et de 5esecondaire, du Cégep et de l’Université répartis (plus ou moins équitablement) dans l’ensemble des institutions d’enseignement du Québec, est aussi celle qui a vécu la crise qui a accompagné la réforme de 2007, au moment où le cours d’Histoire du Québec et du Canada a été remplacé par le cours d’Histoire et d’éducation à la citoyenneté. J’ai discuté, ailleurs, dans un article élaboré, la nature et la complexité du conflit qui agita alors l’enseignement de l’histoire au Québec, je n’y reviendrai donc pas. Je m’en tiendrai aux résultats de l’étude de Létourneau.

L’auteur est fier de la couverture de son bouquin qui reproduit une caricature joyeuse de Garnotte, montrant une sorte de professeur Lauzon (ses traits faciaux sont assez ressemblants) faisant passer à un étudiant à la tronche malicieuse la révision au tableau noir des noms : Jacques Cartier, Jean Talon, Louis-H. Lafontaine, René Lévesque et les Patriotes. Le Cary Price de la classe (il porte un chandail du Canadien avec une casquette la palette en arrière) répond : «Un pont, un marché, un hôpital, un boulevard, pis, euh ! un club de football». Un club de football …américain. Puis, la baguette du professeur indique la formule soulignée Cours d’histoire citoyenne. Létourneau aurait dû prendre plus de temps pour analyser la caricature de Garnotte. Celle-ci est nettement dépréciative de la réforme de 2007 pilotée alors par le gouvernement libéral de Jean Charest. Le drapeau du Canada placé à côté de l’indispensable pomme renforce le sens de la caricature. Or, les élèves ou étudiants qui ont répondu à l’enquête de Létourneau sortent, pour la grande majorité, de l’ancien programme qui portait la traditionnelle historicité québécoise issue des générations cléricales et nationales antérieures. Voilà pourquoi Létourneau doit distinguer les résultats cueillis avant et après la Réforme. Reconnaissons, en bout de ligne, que les résultats ne seront guère différents d’une génération à l’autre.

Jocelyn Létourneau aime parler de la conscience historique. Il est probablement l’un des seuls chercheurs universitaires à vraiment enquêter sur cette conscience, mais il ne le fait pas gratuitement. Je veux dire par là, qu’il lutte dans un conflit qui l’oppose à la plupart des historiens québécois qui, du nationalitaire passent indistinctement au nationalisme. En lui se reproduit la vieille opposition entre les universitaires de Laval et ceux de Montréal; entre l’abbé Maheux et le chanoine Groulx. Il s’en prend parfois violemment aux historiens nationalistes campés aux universités montréalaises pour l’abus de «militance» qu’ils déploient dans leurs travaux. Éric Bédard est sa bête noire. Et cela revient constamment dans les conclusions qu’il tire de ses résultats. Cela ne veut pas dire que Je me souviens? est un livre tendancieux, du moins, il ne l’est pas davantage que les bouquins de ses «adversaires». Comme Maheux autrefois devant Groulx, il a peu de cordes à son arc pour asseoir une vision alternative à l’historicité basée sur l’identité nationale, et comme les cours d’Histoire du Québec ont toujours été porteurs d’intentions politiques – ce qui est universellement le cas -, le cours d’Histoire du Québec est d’abord un cours sur l’histoire de la nation québécoise. Et toutes les conséquences, les jugements, les appréciations qui ressortent des réponses des participants à l’enquête nous ramènent à cet état que Létourneau voudrait voir modifier, mais sans savoir précisément comment.

Quelle définition Létourneau donne-t-il de la conscience historique et en quoi celle-ci innove-t-elle? L’historien écrit, en page 13 : «Marginal dans la pensée française actuelle, mais toujours central dans la tradition intellectuelle allemande, le concept de conscience historique peut être défini, simplement, comme ce qui relève de la préhension et de la compréhension active et réfléchie de ce qui fut, sorte d’intellection ou de conceptualisation plus ou moins élaborée d’informations premières ou d’expériences brutes touchant le passé, informations et expériences dès lors portées à un niveau secondaire d’assimilation et d’appropriation. Précisons que, tout en entretenant avec elle une relation dynamique constante, la conscience historique n’est pas réductible à la mémoire historique : l’une et l’autre doivent être distinguées». Avant d’aller plus loin, je dirai que cette définition ampoulée, pleine de circon-locutions, n’est rien de plus que la représentation (mentale collective) sur laquelle je travaille depuis plus de trente ans. Et pour le fond, celle donnée par Raymond Aron dans Dimensions de la conscience historique, qui veut que «chaque collectivité [ait] une conscience historique, je veux dire une idée de ce que signifient pour elle humanité, civilisation, nation, le passé et l'avenir, les changements auxquels sont soumises à travers le temps les œuvres et les cités» (R. Aron. Dimensions de la conscience historique, Paris, Plon, 1964, p. 95). Il est vrai que Aron était l’héritier des néo-kantiens allemands, les Dilthey et les Rickert. Mais Létourneau n’apporterien de neuf à la fonction de cette conscience, saisie entre Psyché et Sociuus :«La conscience du passé est constitutive de l’existence historique. L’homme n’a vraiment un passé que s’il a conscience d’en avoir un, car seule cette conscience introduit la possibilité du dialogue et du choix. Autrement, les individus et les sociétés portent en eux un passé qu’ils ignorent, qu’ils subissent passivement… Tant qu’ils n’ont pas conscience de ce qu’ils sont et de ce qu’ils furent, ils n’accèdent pas à la dimension propre de l’histoire» (R. Aron. Ibid. p. 5).

Ce qui est nouveau, c’est que M. Létourneau tient à distinguer la conscience de la mémoire historique. «La mémoire historique découle de ce qu’un individu a vécu ou de ce qui lui a été transmis et qui, formant une espèce de bagage informatif primaire, habite ou garnit le fond de son esprit. En pratique, la mémoire historique est constituée de savoirs entassés, vaguement organisés et faiblement fécondés par la pensée réflexive [la pensée historique ou historienne]» (J. Létourneau. Je me souviens?, Montréal, Fides, 2014, p. 13). Il est pénible de voir que le travail que l’on fait est mis de côté par paresse ou par ignorance afin de se nourrir d’articles publiés en anglais et qui n’apportent plus souvent qu’autrement que la réinvention de l’eau tiède! Ce refus de reconnaître que nous pouvons, nous Québécois, parvenir par nous-mêmes à contribuer à la pensée théorique aussi bien qu’à une compréhension pratique du monde qui soit objective, fait de l’historien l’équivalent du cordonnier. C’est la conscience malheureuse qui fait son propre malheur, ce qui ressort le plus lorsque la mémoire historique s’est cristallisée en conscience historique.

«Ainsi, le jeune qui synthétise l’expérience québécoise par l’expression “On s’est fait avoir!” – et la formule revient souvent – admet implicitement qu’il appartient à une société ou à un groupe floué dans l’histoire et qui pour cette raison n’a pu accomplir sa destinée. Savoir comment la duperie s’est effectuée d’hier à aujourd’hui constitue une question secondaire par rapport à l’idée même de tromperie qui traverse comme un leitmotiv – sorte de programme de pensée ou de matrice à penser – toute la vision qu’il a du passé du Québec. Il en est de même de formules comme “La survie d’un peuple”, “Conquête” ou “Les français ont perdu”, toutes porteuses d’interprétations puissantes et souvent univoques de l’expérience québécoise. Dans ces trois phrases (représentatives de beaucoup d’autres), on ne saurait minimiser l’importance des visions du passé sur les données positives de l’histoire, celles-ci étant en quelque sorte appelées par celles-là qui les déterminent. Inutile de dire que le constat s’applique aux anglophones comme aux francophones, lesquels n’ont pas le monopole des conceptions simples ou simplistes du passé québécois» (J. Létourneau. Ibid. p. 17).


Avant donc que les résultats de l’enquête soient connus, Létourneau nous donne à penser ce qui constitue principalement la conscience historique des jeunes Québécois. Ces jeunes vivent, surtout en 5esecondaire, une conscience historique malheureuse parce qu’ils prennent de plus en plus faits et actes, en vieillissant, que leur histoire est une histoire négative. Et pour l’enquêteur, ceci relève de la représentation mentale de l’histoire nationale telle que véhiculée depuis toujours. Le revers de cette conscience malheureuse, c’est-à-dire l’expression d’une représentation qui se voudrait heureuse d’un passé québécois positif s’exprime surtout par des locutions. Létourneau le rappelle au moins à deux reprises : «…c’est la tendance de plusieurs d’entre eux à percevoir et remâcher le passé collectif à travers le filtre de leur condition personnelle au présent. La chose est particulièrement visible dans le cas des jeunes qui usent de formules positives et générales pour dépeindre l’expérience québécoise. La condition de ces jeunes étant sans doute agréable au présent, ils la projettent sur celle de leur société au passé. C’est ainsi que l’histoire collective devient le miroir de leur existence courante. Des énoncés comme “Le Québec est un pays jeune et plein de potentiel” ou “Nous sommes très chanceux de vivre ici” sont représentatifs de pareille mise en relation du sort individuel et du destin collectif» (J. Létourneau. Ibid. p. 74). Il m’apparaît paradoxal que Létourneau ne retient pas cette même projection du Moi sur le Nous québécois lorsqu’il parle de la conscience malheureuse qui semble relever totalement de la connaissance (mal assimilée) de la mémoire historique. De même, Létourneau retrouve la même ambivalence heureuse parmi les élèves anglophones : «Comme dans le cas des “francophones”, les cadets sont souvent vagues et joviaux dans leurs formules. En les lisant, on a presque l’impression qu’ils transposent leur bonheur personnel sur le destin de la collectivité qu’ils habitent. Par exemple : “The best place to live in”; “An honour to live in Quebec”; “Quebec history is about people spending their lives looking for our wonderful province”. En pratique, ceux qui usent d’une phrase positive pour représenter le passé québécois s’identifient fortement au Québec et assument allègrement leur québécité. Ainsi : “Quebec history is my past and how I came to be where I am”; “The growth of our lives”, et encore : “It has definned our nation”. Ces dernières formules sont intéressantes à considérer, car elles donnent à penser – l’hypothèse s’appuyant sur des cas également relevés en 4esecondaire – que si l’on est heureux de vivre au Québec ou content d’être québécois, on a tendance à voir le passé de la province sous un angle positif. Le cas échéant, il s’agirait d’une marque tangible de présentisme, ce qui n’est pas rare chez les jeunes non plus que dans la population en général» (J. Létourneau. Ibid. pp. 127-128). Ainsi, la connaissance du passé (exacte ou approximative) aurait peu à voir dans cette vision positive qui ira, avec les années, s’effaçant. Il s’agit que l’élève réagisse bien à son environnement et toute l’histoire du Québec aura été celle d’une heureuse famille travaillant pour le bien-être de tous et chacun. La faiblesse de la pensée de Létourneau est de ne pas considérer les différents états de crise de l’adolescence comme génératrice d’un phénomène analogue chez ceux pour qui l’histoire du Québec est un long calvaire humiliant et décevant.

En effet, cette variable psychologique est quasi-absente des considérations que Létourneau tire des déclarations des élèves de 5e secondaire. «Le tableau 5 rend compte, chez les élèves de 5e secondaire fréquentant des établissements francophones (on parle ici de 635 répondants), de la distribution des énoncés par genre de vision du passé. Une réalité saute immédiatement aux yeux : près de la moitié des jeunes de ce niveau (49,4%) ont une vision malheureuse ou mixte de l’aventure québécoise dans le temps. Par rapport aux élèves de 4esecondaire, il s’agit d’une augmentation de plus de 22 points de pourcentage, ce qui est majeur. Si l’on s’en tient aux seules locutions exprimant une vision malheureuse ou victimale du passé, la différence entre les jeunes des deux niveaux scolaires est également appréciable : en 5e secondaire, deux élèves sur cinq, par rapport à un élève sur cinq en 4esecondaire, ont du passé du Québec une vision pessimiste, défaitiste, tragique ou désenchantée. Il y a là quelque chose de significatif» (J. Létourneau. Ibid. pp. 77-78). Significatif est le mot juste. Entre le 4e secondaire et le 5e se passe quelque chose de plus profond chez ces élèves que seulement un cours d’histoire qui raconte en général la même histoire, sauf peut-être avec plus de détails. Létourneau parlera du rôle joué par la militance qui s’empare d’élèves plus vieux affectés par les débats politiques. À mon avis, c’est prendre le problème à l’envers. Ce qui prédispose à la militance, comme ce qui induit à changer totalement la vision du passé, c’est une identification intime des jeunes avec un monde actuel «en devenir, mais jamais aboutit». Un monde avorté qui produit des avortons; et des avortons qui avortent leur devenir. C’est la faiblesse déjà mentionnée de l’analyse de Létourneau : ne jamais creuser en profondeur les énoncés des élèves/étudiants pour se réfugier, aussi vite qu’il le peut, derrière la traditionnelle tarte à la crème positiviste (dans le cadre de nos connaissances actuelles, etc. etc.).

Au mieux, y entre-t-il, mais sur la pointe des pieds : «-passer en 5esecondaire semble coïncider avec la transformation du régime énonciatif des jeunes, qui sont beaucoup plus nombreux qu’auparavant à employer des phrases malheureuses ou victimales, y compris des phrases militantes, pour exposer la condition québécoise dans le temps. Comment expliquer cette situation? À partir de l’enquête menée, il n’est pas possible d’établir de lien causal entre le fait de suivre le cours d’histoire nationale et l’assimilation d’une vision victimale du passé québécois. Certes, la relation entre le cours d’histoire nationale et l’énonciation des jeunes est probable, dans certains cas, elle crève même les yeux. Dans d’autres cas, toutefois, le lien pourrait être indirect plutôt que franc. Rien n’interdit en effet de penser que, dans le cours d’histoire du Québec qui leur est obligatoire, les élèves cherchent ou trouvent ce qui conforte des points de vue acquis ailleurs ou autrement. Il faut comprendre que le cours d’histoire nationale n’opère pas dans un vacuum idéel. L’esprit des élèves est déjà habité de représentations historiques, soient-elles primaires. Par ailleurs, les jeunes sont parfaitement capables d’établir des liens entre les thèmes abordés dans le cours d’histoire, des points de vue qui circulent dans la société et certaines réalités qu’ils vivent au présent. Dans ce contexte, il pourrait bien s’orchestrer, entre le cours suivi et les situations vécues ou locutions entendues par les jeunes dans d’autres milieux sociaux ou cadres d’énonciation, des concordances de sens, des transferts d’opinion ou des accords de raisonnement dont témoigneraient les phrases forgées» (J. Létourneau. Ibid. pp. 79-80). Bien sûr que le résultat des cours est une chose, la culture de l’élève une autre. En fait, M. Létourneau ne fait que regarder le lien entre les cours d’histoire nationale et ce qu’en disent les élèves. Ce faisant, son enquête, par ses formulaires, les limites de leur diffusion auxquelles il a été contraint et le classement des réponses en vue d’obtenir des statistiques les plus indicatives de la réalité ne suffisent pas à tenir compte de facteurs exogènes aux cours d’histoire. Même la comparaison avec le questionnaire déposé au Musée de la Civilisation du Québecne suffit pas à ouvrir le champ des réponses, de sorte que nous sommes toujours dans le même rapport simple qui va du cours d’histoire donné à sa régurgitation par les élèves. Aussi, l’analyse en souffre-t-elle.

Comment? La conscience historique ne s’abreuve pas uniquement à la source scolaire et M. Létourneau le reconnaît. S’il identifie les vecteurs de ces visions exogènes - les familles, les amis, les proches -, jusqu’à tenir compte des nouveaux moyens de communication électronique (le Web), il ne s’aventure pas à nous rappeler le contenu et l’esprit que véhiculent ces visions. Depuis la Seconde Guerre mondiale au moins, il est évident que le cinéma américain est une source de connaissance historique (vraie comme fausse) qui contribue à fabriquer des mythistoires qui, en retour, influent sur les jeunes. Létourneau définit le mythistoire «comme, tout à la fois, une fiction réaliste, un système d’explication et un message mobilisateur qui rencontrent une demande de sens, si ce n’est un désir de croyance, chez ses destinataires. Précisons que la force et la persistance d’un mythistoire tiennent à l’arrimage existant entre la structure représentative et la matière représentée. Une structure représentative déliée de tout fondement empirique court en effet le risque de disparaître aussi vite qu’elle est apparue. Autrement dit, l’artificialité exagérée d’un mythistoire est préjudiciable à sa ténacité. A contrario, dans la mesure où une structure représentative s’enracine dans une factualité qu’elle recycle ou récupère à son profit, le mythistoire peut se durcir au point de devenir axiome et s’ériger comme prémisse et épilogue d’un imaginaire collectif» (J. Létourneau. Ibid. p. 239, n. 18). Bref, le roman historique (fort en vogue au Québec), les films, les séries télé, les téléromans, les bandes dessinées (Le Magasin général de Tripp et Loisel) sont d’aussi bons supports du mythistoire national tant ils sont en accord avec la connaissance historique. Mais lorsque nous disposons d’un équipement culturel de destruction massive comme en possèdent les États-Unis, il est possible de défier même la connaissance historique nationale pour la confondre avec les anciennes mythologies helléniques ou germaines. La guerre de Troie, Alexandre le Grand, la Rome des Gladiateurs ont remplacé Robin des Bois et les westerns au cours de la décennie où Létourneau a fait circuler son enquête. Mais il va de soi que derrière tous ces masques, c’est l’histoire américaine qui se profile à travers un regard fabriqué avec des intentions impérialistes (dans l’espace certes, mais aussi sur les temps). M. Létourneau aura beau dire que le mythistoire disparaîtra si ses liens avec le contenu réel de l’Histoire sont lâches; mais il oublie le premier facteur, celui de la croyance des récepteurs qui préfèrent le mythe à la connaissance. Depuis le temps où l’on espérait voir un mon oncle riche des États venir nous léguer sa fortune jusqu’à ceux qui jubilent devant les combats de gladiateurs alors que le Vésuve s’apprête à anéantir Pompéï, la foi dans l’espérance américaine pour le Québec est d’une constance indéfectible.

Ceci contribue fortement à faire évoluer le contenu positif de l’histoire du Québec des jeunes de 4e secondaire à une conscience malheureuse chez les jeunes de 5e secondaire. Cette évolution ne repose donc pas uniquement sur le développement, la maturité et la militance du jeune. Cela repose également sur les comparaisons que le jeune peut établir entre cette histoire apprise à l’école et celle des mythistoires importés de l’extérieur. Or, depuis le temps des westerns et des films sur la Seconde Guerre mondiale, on peut dire que les générations successives de jeunes Québécois se sont abreuvées des mythistoires américains et ont transformé un récit national déjà passablement triste sur plusieurs aspects en une véritable série de défaites et de trahisons. Le politically correctness des dernières décennies leur a appris à quel point les Français avaient exterminés les autochtones, non parfois sans un plaisir sadique. Ce qui est faux. À l’exception de la tribu des Renards, aucun peuple amérindien n’a été exterminé volontairement. Les raisons des mutuelles guerres entre Indiens puis contre les puissances coloniales sont plus complexes. Ce qui était héroïque de mon jeune temps est devenu honte nationale. Mais si l’on regarde les westerns classiques, la destruction de l’autochtone était présentée comme une nécessité tragique peut-être, mais indispensable à l’implantation de la civilisation et du progrès …américain. Lorsqu’à la fin d’un bon western, le héros et les survivants sortaient du cercle des charriots après un vilain combat entre des Indiens hurleurs et tireurs de flèches et des colons armés jusqu’aux dents, nous éprouvions un sentiment de victoire, d’indes-
tructibilité, de porter avec soi le sens de la Justice et de la Civilisation. Tout ça était mythique, mais nous croyions en tout cela, car ce sont non pas nos valeurs québécoises, mais nos valeurs occidentales qui triomphaient de la sauvagerie. Au lieu de cela, on nous enseignait des histoires malheureuses à fendre l’âme de Dollard des Ormeaux, du marquis de Montcalm, des Patriotes de 37-38 et de Louis Riel! Du coup, les vainqueurs – Madeleine de Verchères, d’Iberville, Lévis, Salaberry, et du 22e Régiment – disparaissent. Les héros québécois étaient mesurés à l’aulne des John Wayne ou des Burt Lancaster! Du coup, ils nous apparaissaient inférieurs. La torpille venait de frapper sous la ligne de flottaison de notre conscience heureuse de la vie.

Ce n’est pas tout. Certains élèves, dans l’enquête de Jocelyn Létourneau, ont l’impression que l’histoire du Québec est une histoire cyclique, et cette perception s’installe dès le 4esecondaire : c’est un «éternel recommencement», «nous refesons les mêmes erreurs similaire», «Peuple cerné dans une roue qui tourne», reprend un étudiant universitaire. C’est tout le contraire de la philosophie de l’histoire des États-Unis qui est le parangon du progrès linéaire. Je me souviens qu’étant enfant, j’aimais beaucoup plus l’histoire des États-Unis que celle du Canada, même si c’était l’histoire du Canada qui m’y avait conduit. Je retenais par cœur le nom des présidents des États-Unis, alors que les Premiers ministres canadiens ou québécois, allant et revenant au pouvoir, me donnaient l’impression d’un piétinement interminable (des «règnes» de 15 à 20 ans avec mandats interrompus). La philosophie américaine de l’histoire est construite sur une course sans retour. Alors que nous sautons, ici au Québec, d’un mode de domination à un autre (Régime Français, Régime Anglais, Impérialisme américain ou dominance d’Ottawa); aux États-Unis, tout est rectiligne : période coloniale, Révolution américaine, Constitution, Guerre de Sécession, Reconstruction, Guerres et entre-deux-guerres, Guerre Froide, société de consommation et de communication. Il n’y a aucun retournement, aucun piétinement, aucune avancée suivie de recul. Les Américains marchent avec une apparente confiance à toutes épreuves vers la Fin de l’Histoire, alors qu’ici tout est toujours à recommencer. C’est ce qu’un répondant appelle «la quête tranquille».

Il est certain que la maturité des élèves coïncide avec cette surconsommation de bourrage de crâne idéologique américain. Si les films portant sur l’histoire de l’Angleterre ou de la France font encore rêver de châteaux en Espagne, c’est de la culture américaine dont s’abreuvent essentiellement les élèves/étudiants, et celle-ci leur offre le côté réussi d’une histoire nationale. On comprend mieux la réflexion de cet élève qui écrit : «Je me souviens d’être né sous le lys, d’avoir grandi sous la rose et de ne pas avoir atteint la maturité» (Cité in ibid. p. 110). La conscience malheureuse se dédouble entre la crise d’adolescence et l’incapacité du peuple à se donner les instruments pour gérer sa propre croissance et sa propre auto-détermination.

L’impossible maturité de l’élève se reflète dans celle de la nation lorsqu’on lit ce qu’un autre écrit : «Québec : je me souviens… Le sentiment d’avoir été une colonie faible, minoritaire, fragile et abandonné. Toujours en quête d’une indépendance totale» (Cité in ibid. p. 110). Le drame de la comparaison explique aussi bien pourquoi les élèves anglophones éprouvent également l’histoire du Québec (plus souvent pensée en termes de canadienne) avec un sentiment d’incomplétude et une conscience malheureuse. Ce que l’on a atteint de meilleur au Canada restera toujours inférieure, voire inaccessible à ce que les Américains ont atteint durant la même période. Les Américains peuvent se croire maîtres du monde, mais ils sont, de fait, maîtres d’eux-mêmes, c’est-à-dire «Maître chez nous», le rêve avorté de la Révolution tranquille. Plutôt qu’une bande de barbares ayant exterminé une bande de sauvages pour devenir un peuple enfin «civilisé» (sans trop insister sur le jugement de valeur que comporte ce terme), l’histoire du Québec se révèle, comme dit l’un des répondants «Une bande de barbares ont presque exterminé une bande de sauvages pour être ensuite séquestrés par une bande d’anglophones» (Cité in ibid. p. 171). Le ressentiment ne repose pas ici dans l’extermination des uns et la séquestration des autres; il repose dans un échec, un manque comme dit Létourneau, «c’est-à-dire l’idée selon laquelle le parcours québécois tient de l’acte inachevé ou inaccompli, voire avorté» (J. Létourneau. Ibid. p. 174). Or, comme tout psychanalyste le reconnaît depuis Lagache, le manque est la source du désir. On ne désire pas ce qu’on possède. Si les Américains ne possèdent jamais assez et, comme les constructeurs de Babel, espèrent atteindre le sommet des cieux et égaler les dieux, le désir des Québécois, toutes tendances politiques confondues, demeure celui d’être, enfin, «maître chez soi», comme les Carbonaris des romans d’Alexandre Dumas. La frustration est d’autant plus grande que des occasions s’étaient présentées par le passé de se joindre aux Américains et qu’à chaque fois, pour faire plaisir, ici aux gouverneurs anglais là aux curés, on a refusé ces offres. Rappelons que la décennie, où se tient l’enquête dans les milieux d’enseignement – la première décennie du XXIe siècle -, est également celle où l’historien Gérard Bouchard, partout sur les ondes des radios et des télévisions, posait la question à propos des «nouveaux pays» nés de l’Europe : pourquoi le Québec seul n’avait pas accédé à l’indépendance? Sans connaître les faits exacts, chacun pouvait soupçonner que les occasions qui s’étaient présentées dans le passé avaient toutes été refusées, ce qui rendait les Québécois artisans ou responsables de leur propre malheur historique. Certes, on ne se demandait pas comment les autres étaient parvenus à cette émancipation. On n’osait pas regarder de trop près tellement notre malheur apparaissait grand, car il était évident que nous n’avions pas fait ce que eux avaient fait, c’est-à-dire que, comme des lâches, des paresseux ou des ivrognes, nous n’avions qu’hésiter, reculer, parloter, refuser, plutôt que tout simplement agir.

Une des réponses est à ce titre assez pathétique : «Un Québécois francophone et fédéraliste, sa l’existe et c’est très triste» (cité in ibid. p. 86). L’élève/étudiant conçoit ainsi une amertume envers son peuple, envers son histoire et entretient par le fait même une haine de soi, puisqu’il lit son propre développement personnel à travers celui de son peuple. Par le fait même, son combat personnel finit par prendre toute la place, et tous ses efforts sont portés en vue de son propre affran-chissement de la nécessité, ce qui laisse peu de place à la participation citoyenne. Le «chacun pour soi» dans une collectivité de moins en moins tricotée serrée, contribue à dévaloriser la conscience morale de l’élève/étudiant. C’est ainsi que le cinéaste Pierre Falardeau nous présentait son célèbre Elvis Gratton. Elvis Gratton, sans avoir la culture historique qui s’impose, exprime cette conscience malheureuse tout en s’efforçant de la nier. Comme lui, nous voudrions être des winners. C’est pour ça qu’il y a des fédéralistes convaincus, même parmi les nationalistes québécois, ce qui est, en effet, très triste. Chaque drame tragique que nous voyons dans le théâtre ou le cinéma québécois est une version condensée de cette conscience malheureuse, ce qui a longtemps donné l’impression que le cinéma québécois était morne et ennuyeux. Comment pourrions-nous être, une fois mature, heureux du récit de l’Histoire du Québec? Qui aime être perdant? Looser? Le malheur provient du fait que le nationalisme québécois s’est glissé dans le lit du masochisme moral propre au catholicisme. Toute histoire étant une histoire sainte, le mythistoire a eu beau se laïciser, il n’a rien perdu de son terreau mélancolique. Ce mythe pervers, où à défaut d’asseoir la liberté nous érigeons l’orgueil en vertu, nous a toutefois permis de nous entêter, de devenir opiniâtre face aux Anglos comme aux boss. Ainsi s’est organisée une résistance culturelle moins passive que la résistance politique. Résistance sans doute peu glorieuse à première vue, mais à certains degrés thérapeutiques. D’une thérapie que les Américains parviennent difficilement à suivre.

Et, paradoxalement, nous ignorons que les Canadiens Anglais ont également cheminé vers cette même conscience malheureuse. Il faut lire le livre de Margaret Atwood, Survival, thème supposément très québécois que celui de la survivance et que retiennent certains locuteurs ayant répondu à l’enquête de Létourneau; livre qui a bêtement été traduit en français sous le titre Essais sur la littérature canadienne-anglaise. On retrouve dans cette littérature les mêmes descriptions, les mêmes caractères du beautifulllooser, les mêmes rêves avortés ou déçus, les mêmes luttes contre la nature impitoyable, bref les mêmes souffrances que décrites dans la littérature «malheureuse» des Québécois. Le cinéma canadien-anglais des années 1970 était tout aussi déprimant que le cinéma canadien-français de l’époque.

Voilà pourquoi, lorsque nous considérons les mythistoires américains achevés sur un happy end, nous considérons tristes les mythistoires québécois qui s’achèvent dans le sang, à la prison ou dans la solitude. Il est vrai que dès qu’on se détourne des produits offerts aux blockbusters, il y a un cinéma américain de la misère des bas-fonds où la contre-culture s’épanouit. À la surface même, on peut regarder les films de Peckinpah, de Scorcese, de Kubrick ou lire les romans de Gore Vidal qui s’attaquent de front au mythistoire américain. Quand même! Lorsque les élèves/étudiants des High School ou des universités se lèvent le matin, c’est avec une vision édifiée et édifiante de leur pays; ils savent qu’ils sont des winners comme nous nous sentons des loosers dans l’âme. Nous ne les verrons pas, sauf exceptions, pleurnicher sur l’extermination des Amérindiens ou l’aliénation des immigrants. Il fallait passer par ces moments pénibles, sans doute pour devenir, grand, fort, uni, dominant. À notre masochisme ils préfèrent s’orienter vers une psyché sadique, machiavélique, impudique. Et c’est ce surplus de violence et de mépris qui finit par engendrer une certaine conscience malheureuse qui, sans perdre de son sadisme, se retourne contre eux. Les guerres mondiales furent vécues avec héroïsme et patriotisme; la guerre du Vietnam comme l’enfer d’une jeune génération sacrifiée à des escrocs de Wall Street et des magouilleurs de Washington. Le règne de Kennedy fut glorifié (à tort), mais ceux de Johnson et de Nixon ont conduit les américains à vivre une phase dépressive qui a duré vingt ans. Pour un temps, comme le chante Vigneault, tout le monde était malheureux en Amérique du Nord.

Dans l’indifférence, qui se généralisera avec la vie, déjà des élèves/étudiants ne se tracassent pas avec l’inconscient collectif : «Si, pour certains, “l’histoire est au cœur de [leurs] vies”, pour reprendre la formule d’un locuteur, chez d’autres, le rapport au passé semble n’avoir qu’une place résiduelle dans leur existence : “Je n’ai pas besoin de savoir l’histoire de ma ville [sic] pour vivre pleinement ma vie”, affirme ainsi un répondant» (J. Létourneau. Ibid. p. 218). Il ne faut pas s’en faire trop avec ce type de réponse. La plupart d’entre nous demeurons assez indifférents à l’histoire, et le cas est le même aussi bien pour les Américains que pour les Français ou les Britanniques. Lorsqu’il ne s’agit pas d’indifférence ou de mépris, Létourneau suppose qu’«en fait, il semble que les représentations dont se dotent les jeunes pour rendre compte du passé du Québec leur servent de stabilisateur psychique et d’outil stratégique. Elles leur permettent aussi de se satisfaire intellectuellement pour vivre et progresser dans une société où la complexité de ce qui s’offre à eux ne peut exiger de leur part, en tout temps et dans tous les contextes, les représentations ou connaissances les plus avancées et les plus élaborées en chaque matière. […] S’agissant de l’histoire collective, il se trouve des jeunes dont l’esprit curieux, le souci général, la motivation personnelle ou la volonté de dépassement les mène à se faire une tête aussi pleine que possible concernant l’expérience historique de leur société. La majorité semble toutefois animée d’autres desseins. Sans être désintéressés du passé québécois, un très grand nombre de jeunes se contentent en effet d’acquérir ou de se munir d’un savoirinstrumental et plus ou moins minimaliste…» (J. Létourneau. Ibid. pp. 218-219). Ce qui veut dire en gros que la réussite personnelle est une bonne façon de soulager la conscience malheureuse collective, et c’est ainsi que l’idéologie libérale voit essentiellement la fonction sociale de la connaissance historique : un incitatif à réussir sa vie personnelle en partant des échecs collectifs. C’est tordu sans doute, mais c'est surtout une stratégie profitable. Le seul point d’interrogation demeure : dans quelle mesure l’idéologie libérale ne joue pas le jeu de l’inconscient, d’opérer une alchimie psychique qui transforme un état collectif négatif en stimulant individuel positif? 

Ce point est assez tangible lorsque Létourneau aborde la situation des élèves/étudiants issus de l’immigration. Bien sûr, nombre d’entre eux n’éprouvent aucun intérêt pour les cours d’histoire ni pour la matière, et leurs réponses peuvent parfois se montrer aussi méprisantes que celles des Québécois dits de souche. Ce sont eux qui appartiennent au nombre de répondants issus de la réforme du gouvernement Charest de 2007. «Comment comprendre la situation? Se demande Létourneau. Bien que l’interprétation demeure conjecturale, il faut se rappeler qu’un nombre assez élevé de répondants de 4e ou de 5e secondaire, parmi les “réformés”, viennent de communautés culturelles. Par l’usage de phrases ironiques à propos du passé québécois ou de formules désenchantées à l’égard du cours suivi, se pourrait-il que ces derniers aient témoigné de leur distance ou de leur désintérêt envers le passé québécois par lequel ils se sentent peu ou pas concernés? Dans certains cas, la chose paraît évidente :“C’est intéressant, mais personnellement cela m’importe peu car je ne suis pas né au Québec”, avoue l’un; “C’est plate! Et j’[m]en cawliss”, affirme un deuxième. Dans d’autres cas, le détachement semble compensé par une certaine sympathie envers le Québec…» (J. Létourneau. Ibid. pp. 205-206). Rappelons-nous que nous sommes en pleine période où s’amorce la discussion sur les accommodements raisonnables et qui se terminera (momentanément) par la tenue de la Commission Bouchard-Taylor. Quelle que soit l’issue de cette confrontation de part et d’autre, on ne peut ignorer que la venue de ces néo-Québécois change la donne non, seulement de la conscience historique des élèves, mais du travail historien lui-même.

Létourneau tient à le souligner : «Par rapport aux “non-réformés”, il est vrai de dire que l’on trouve en proportion, chez les “réformés”, un peu plus de jeunes qui associent l’expérience québécoise aux thèmes de la diversité culturelle. Cela dit, ces thématiques demeurent nettement minoritaires. Lorsqu’elles surgissent, elles sont souvent le fait de jeunes néo-Québécois. Les phrases “Multiculturation”, “L’ouverture à plusieurs différentes cultures et religion”, “Vive la multiethnicité” et “Amérindiens + Français + fourrure + évolution + immigration = Québec”, par exemple, viennent toutes d’élèves fréquentant des écoles multiethniques de Montréal. Précisons que l’environ-nement pluriculturel n’est pas toujours propice au développement d’une altérité harmonieuse, comme en témoigne cet énoncé produit par un jeune Québécois d’héritage canadien-français : “On est au Québec ici, si t’es pas content décalisse!”…» (J. Létourneau. Ibid. pp. 210-211). Que l’on ne soit pas surpris que des immigrantes voilées se promènent après ça avec, écrit sur une pancarte : «Le Québec, sans nous, n’est rien»! D’autre part, on comprend du même souffle, l’engouement chez les Québécois dits de souche pour la Charte des valeurs québécoises proposée par le Parti Québécois. Tout ça a été préparé de longue date et sans le prévoir – bien au contraire -, par la réforme de 2007 du gouvernement Charest!

Voilà pourquoi le nœud du récit national qui structure l’unité d’intrigue de l’histoire du Québec pose problème en termes d’intégration des nouveaux arrivants. On ne peut faire des Québécois instantanés à partir de la poudre d’histoire. C’est l’occasion pour Létourneau de considérer le récit traditionnel comme inapte à opérer sur ce métissage ethnique nouveau. Pour lui, l’immigration sonne le glas de la tradition groulxiste. La conscience malheureuse persiste chez les élèves tant «il est fascinant de voir à quel pont les jeunes Québécois, dans les phrases qu’ils forgent pour faire état de leur vision du passé du Québec, s’inspirent ou reprennent directement les thématiques identitaires, figures rhétoriques, schèmes d’intelligibilité, séries culturelles, topiques narratives ou éléments de la doxa de leur groupement référentiel. Cette dynamique d’emprunt est visible chez les “francophones” autant que chez les “anglophones”» (J. Létourneau. Ibid. p. 220). Les thématiques identitaires sont l’obstacle majeur à une conscience heureuse de l’histoire et à la possibilité d’«ouvrir la mémoire apprise et la conscience simpliste par l’histoire comprise, de manière à défaire les représentations acquises et complexifier les visions assises pour parvenir à la conscience critique, tel est le but de l’éducation historique» (J. Létourneau. Ibid. p. 233). L’auteur entrevoit même l’amorce d’un processus d’ouverture dans certains types de phrases positives : «Au vu des phrases produites – souvent triviales, surtout dans le cas des formules à connotation positive – on se demande si les intéressés se détachent de cette représentation par choix, par candeur ou par inconnaissance. On ne contestera pas que certains jeunes s’écartent de la vision hégémonique du passé du Québec parce qu’ils adhèrent franchement à un point de vue non négatif de l’expérience québécoise. Ceux-là ont clairement une conscience différente du passé de la province. En délaissant les schèmes habituels d’intelligibilité de l’aventure québécoise dans le temps, peut-être font-ils preuve d’ailleurs d’une sorte de résistance active par rapport au récit dominant. D’autres jeunes, possiblement insatisfaits des représentations existantes du passé québécois, mais incapables de trouver une alternative qui leur convienne, finissent par employer, faute de mieux, une formule simpliste et peu historisée, à caractère positif, pour exposer leur vision de l’expérience québécoise. En pratique, ces jeunes pourraient être fiduciaires d’une conscience autre de l’aventure québécoise; cependant, ils n’ont pas (encore) déniché de quoi rassasier leur esprit sur ce plan. Si leur vision positive est fidèle à leur pensée, elle est également naïve et mal fondée sur le plan empirique, d’où la banalité des formules qu’ils emploient» (J. Létourneau. Ibid. pp. 225-226). C’est à l’ouverture sur une expérience positive de l’histoire qu’appelle l’utopie de Létourneau; la capacité d’offrir un discours alternatif à l’histoire nationale mélancolique enseignée depuis toujours aux élèves du secondaire à laquelle il veut œuvrer dans le contexte où les thématiques identitaires doivent céder le pas à la multivalence de la nouvelle société québécoise.

Ne nous cachons pas que Létourneau entend ici mettre K.O. l’Histoire du Québec pour les nuls d’Éric Bédard. Comme il le reconnaît dans une note, s’il existe des récits alternatifs de l’histoire du Québec – ceux de Little et Gossage, de Baillargeon, de Young et Dickenson et …Létourneau – ce qu’ils proposent est de peu de poids sur la masse des Québécois qui se sont nourris au gré du grand roman (familial) national les Lacoursière, Vaugeois, Bédard, etc., «qui vendent les ouvrages qu’ils produisent par dizaines de milliers d’exemplaires et qui sont continuellement présents sur les plateaux de télévision ou dans les émissions de radio!» (J. Létourneau. Ibid. p.100, n. 2). Je comprends parfaitement ta frustration, mon Jocelyn! Voilà la «vraie raison» qui motive l’auteur à se pencher sur «la possibilité de sortir les jeunes des trappes identitaires dans lesquelles ils semblent pris à un âge précoce, trappes qui hypothèquent lourdement leurs chances de renouveler les représentations historiques par lesquelles ils se voient – ainsi que les “Autres” – dans le temps et le théâtre de l’histoire…» Contre les mythistoires hérités de l’enseignement des Lacoursière et autres Bédard, Létourneau se demande : «Est-il pensable que les jeunes puissent s’extirper des mythistoires constitutifs de leur identité historique? Difficile de répondre à la question de manière assurée. L’enquête révèle en tout cas que l’entreprise ne sera ni facile ni rapide. Les récits identitaires fondés sur des mythistoires restent en effet largement structurants de la conscience historique des jeunes. On doit d’ailleurs se demander si l’être humain peut exister en dehors de récits mythistoriques par lesquels il conjugue son destin personnel aux temps d’ensembles sociaux qui, tout à la fois, lui offrent tremplin, refuge et réconfort identitaire. Pour plusieurs, la réponse à cette question est affirmative. Mieux, le moyen de cette sortie (salutaire) du cadre mythistorique est à portée de main : il s’agit de la pensée historique, qui libère les capacités réflexives individuelles et ouvre les portes de l’autonomie intellectuelle. Cette thèse est assurément séduisante. La réalité n’est pas aussi évidente. En vérité -, et c’est l’un des constats auxquels il faut bien parvenir au terme de cette étude – les récits identitaires à caractère mythistorique apparaissent comme des prêts-à-croire ou des prêts-à-penser avidement recherchés ou passivement adoptés par l’être humain en quête de sens» (J. Létourneau. Ibid. pp. 235-235). Mais, comme le remarquait Mircea Éliade dans son livre La nostalgie des origines, toutes démystification d’un récit entraînent automatiquement un processus qui remythifie le récit. Dans le cas de Létourneau, celui-ci proposera les métaphores.

«On dit que les hommes vivent par les métaphores. Il semble que ces procédés de langage, aussi utilisés comme figures rhétoriques, constituent de puissants mécanismes de captation, de compréhension, d’ordonnancement, d’interprétation et de restitution de l’expérience vécue et perçue. Dit autrement, c’est par la production ou l’emprunt de métaphores, notamment, que l’être humain s’empare de la complexité du monde et lui donne un sens fort, pratique et synthétique qui sert à la régulation de sa vie ordinaire. Bien sûr, la métaphore n’est pas une fin en soi; c’est même une erreur de la “déguster comme une intelligibilité toute faite”. Il faut au contraire la considérer comme une idée de base, pivot d’un processus d’élémentation du savoir, à partir de laquelle ou grâce à laquelle des idées plus complexes peuvent être élaborées». 

Admettons cette thèse dont on tirera une implication immédiate par l’énoncé d’une proposition conséquente : si les métaphores sont essentielles à la préhension par l’être humain du monde dans lequel il vit, c’est dire que de nouvelles métaphores pourraient faire “revivre” les hommes et leur ouvrir de nouveaux continents de compréhension, y compris à propos d’eux-mêmes. Suivant cette affirmation, produire de nouvelles métaphores serait un moyen d’offrir aux êtres humains et aux sociétés de nouvelles possibilités de compréhension et de retraduction de leur condition historique. De ce raisonnement découle un défi auquel les enseignants, les didacticiens et les historiens paraissent ensemble confrontés : celui de forger une nouvelle idée phare – sorte de métaphore percutante, pertinente et concordante avec la complexité du passé – pour saisir et représenter l’expérience québécoise en vue de la délivrer de ses oripeaux défraîchis» (J. Létourneau. Ibid. pp. 235-236).

Nous ne sortons pas de la problématique posée par le mythistoire en lui substituant la métaphore! Disons-le. Abolir le mythistoire de l’identité nationale pour la métaphore d’une société de contacts; c’est-à-dire une histoire de métissages successifs depuis les premiers contacts entre colons français et autochtones, puis avec les Britanniques au moment de la Conquête, et les différents groupes ethniques venus après : Irlandais, Écossais, Italiens, Haïtiens, Maghrébins, Vietnamiens, etc., pour faire ici ce qui avait été fait avant ou ailleurs, en Amérique ibérique comme aux États-Unis, mais de manières différentes. C’est l’histoire du Nous «inclusif» de Pauline Marois! «Le Québec comme société de contacts – en assumant tout ce que ces contacts peuvent avoir eu (et ont toujours) d’avantageux et de fâcheux, de positif et de négatif, de conciliant et d’heurtant, de structurant et d’affligeant, de libérateur et d’assujettissant -; voilà une idée-force qui pourrait (peut-être) permettre au Québec de passer à l’avenir [c’était le titre d’un autre livre de Létourneau] sans nier ce qui l’a fait tout en rehaussant ce qui le fera» (J. Létourneau. Ibid, p. 236). L’enjeu du livre interpelle le lecteur à choisir entre deux systèmes idéologiques clairement identifiés. Mais comme l’histoire de l’avenir n’a pas encore été écrite, il est difficile d’en tirer une alternative pratique.

Dans sa Philosophie de l’Histoire, le jeune Michelet disait de la France qu’elle était un lieu de contact sur le continent européen où toutes les migrations de peuples avaient fini par aboutir. Contrairement à ses successeurs réactionnaires, Michelet voyait justement la France comme une creuset où se formait la nation française, une société de contacts, une situation à laquelle aucun autre pays européen ne pouvait se comparer. Tout cela n’effaça pas la conscience historique malheureuse des Français de se retrouver toujours en perpétuelles guerres civiles.

La conscience malheureuse de l’Histoire n’est pas spécifiquement québécoise et la solution de Létourneau consiste à échanger 4 trente sous pour une piastre! Tous les peuples ont des historiens qui leur rappellent leur mauvaise conscience. Lorsque Howard Zinn publie une Histoire populaire des États-Unis, n’est-ce pas à cette mauvaise conscience fortement refoulée qu’il en appelle? Lorsqu'il passe en revue tous ceux qui ont été les laissés pour compte du rêve américain : Amérindiens, Noirs femmes, immigrants, esclaves, ouvriers, gays… la tonitruante histoire américaine ne découvre-t-elle pas son lot de culpabilités morales et, inquiétés par le vieux sentiment judéo-protestant du châtiment, les Américains ne savent-ils plus s’ils doivent regarder comme un signe d’élection ou de damnation le fait, qu’à leur tour, ils imposent (et à quels prix!) la pax americana à l’ensemble du monde? Nos «victoires morales» ne peuvent effacer nos défaites historiques, et qu’importe l’idée force (mythe identitaire ou métaphore de contacts), notre conscience part avant tout de ce que von Ranke appelait wie es eigentlich gewesen, ce qui s’est réellement passé. Et continue de se passer présentement. L’historiographie moderne est née avec les concepts de nation, d’État, de cultures et si la mondialisation doit changer tout cela, la société de contacts ne sera pas québécoise mais universelle, car ce n’est que là qu’elle peut imposer son paradigme de mythistoire du futur. En attendant, nous vivons encore dans des sociétés nationales, dominées par des institutions d’État et dont la culture est la célébration de son identité collective. Libre à M. Létourneau d’y croire ou pas

Montréal
26 février 2014

Le cours d'histoire de l'art à Xavier Dolan

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Chat-Cri-Munch
LE COURS D’HISTOIRE DE L’ART À XAVIER DOLAN

Un journal traîne sur une table dans un café. Je le parcours vite des yeux tant il y a fort peu de choses qui accroche mon regard. Soudain, je vois une photo du comédien et cinéaste Xavier Dolan nous informant qu’il s’est inscrit à l’Université McGill en histoire de l’art. Xavier Dolan retourne sur les bancs d’école. Lui, qui avait traîné son carré rouge sur la croisette, à Cannes; qui scande haut et fort son adhésion à l’indépendance du Québec; le voici, juché sur les estrades de la plus grande université canadienne! Dans peu de temps, on l’entendra parler de Leonardo da Vinchi ou d’Eugine Delacrwa. Du moins ne s’embarrassera-t-il pas des délires de chémiotichiens et suivra-t-il un bon programme, empirique, comme seules les institutions anglophones savent en donner.

Mon ami Facebook, Kiki Spermato, un gnostique des temps post-modernes, qui se révèle pour les spermatozoïdes à peu près ce que Raid est pour nos insectes, vient de produire un album sur son site internet (https://www.facebook.com/kiki.spermato.1/media_set?set=a.1410865599170843.1073741848.100007422492541&type=1) intitulé Peintures détournées. C’est un album d’art qui se veut spirituel. Le nouveau regard qu’aucun historien de l’art n’est véritablement en mesure de percevoir. Après les amusantes compositions de Hillary White, avec les personnages de Sesame Street et du Muppet Show, Kiki a pris jusqu’à ce jour 24 œuvres marquantes de l’histoire de l’art occidental sur lesquelles on a effectué une déformation qui amène la relecture de ces œuvres avec des paradigmes «détournés», comme le dit le compilateur, mais qui interpellent une relecture même des originaux. L’art évolue. Non pas dans le sens de la forme mais dans celui de l’esprit, de l’interprétation. Plus que jamais la phrase de Croce, toute histoire est histoire contemporaine, s’applique aux arts.
 
Kiki Spermato explique ainsi son entreprise : «Tout ce qui relève de l'ironie, de la parodie ou de la caricature a toujours été considéré comme insuffisamment "sérieux" par les historiens de l'art - qui considèrent sans doute que la "légèreté" est une catégorie sans noblesse qui n'a pas sa place dans leur discipline! N'ont jamais été consacrés que ceux des producteurs de biens symboliques qui acceptaient de s'inféoder aux théories spéculatives dominantes d'une époque, en d'autres termes, ceux qui se laissaient déposséder du sens à donner à leur activité par quelques parasites de la légitimation discursive. Baudrillard a bien résumé la situation - en limitant malheureusement son analyse, et c'est là sans doute une grossière erreur, au seul domaine de l'art contemporain - en qualifiant cette activité de "délit d'initiés"! Selon moi, c'est à l'art dans sa totalité, en tant que paradigme de la valeur, que cette expression doit s'appliquer! Il me semble que la théorie critique de l'art que j'ai élaborée depuis 40 ans (en traitant cette matière comme un corpus idéologique structurellement lié au capitalisme et à ses valeurs) n'a d'autre équivalent, en France - du moins -, que la théorie critique du sport élaborée par Jean-Marie Brohm!» 

Il va sans dire que toute déformation formelle entraîne un détournement de sens, pour autant qu’idéologiquement on entendait situer qu’un sens à l’œuvre. Mais ce sens, ou plus exactement cette valeur, négligeait la liberté d’interprétation des spectateurs de l’œuvre. En fait de sens, ceux-ci sont multiples et émanent essentiellement de la fonction psychique de l’œuvre d’art. Pensons au chef-d’œuvre du Caravage, La mort de la Vierge, peinte sur commande pour l’égliseSanta Maria della Scala in Trastevere de Rome et dont les moines, à la réception du tableau, furent outrés que le maître ait peint une femme au ventre gonflé et à la peau livide, le refusèrent. Le Caravage faisait entrer le réel dans les fantaisies néo-platoniciennes de la Renaissance. Parallèlement, en Espagne, on s’insurgea contre la saleté collée sous la plante des pieds des paysans dans les tableaux de Murillo. Plus récemment, au Québec, la fameuse murale de Jordi Bonet portant une phrase du poète Péloquin disant : «Vous êtes pas écœurés de mourir bande de cave! C’est assez!», devant le Grand Théâtre de Québec souleva de même le scandale. Le gouvernement de l’Union nationale, qui avait commandé l’œuvre, exigea de Bonet, comme jadis les moines, qu’il retire la phrase et retint le dernier versement de $5,000 d’honoraire, représentant 10% du total. Bonet devra attendre l’arrivée au pouvoir des libéraux, en 1970, pour obtenir le versement de son montant. L’opposition unioniste se déchaîna. L’ancien ministre, le sirupeux Jean-Noël Tremblay, déclare : «Le problème, au fond, en ce qui concerne M. Bonet, c’est une affaire de bière, de taverne, de mépris de la société québécoise». Dans toutes œuvres d’art, il y a des sens et des valeurs, symboliques et idéologiques, qui émanent et qui interpellent, de différentes façons, les spectateurs de l’œuvre. Pourquoi s'imaginer alors qu'il ne puisse y avoir qu'une réception incontournable de l'œuvre d’art?

Aujourd’hui, le discours sur l’œuvre d’art est devenu un salmigondis d’abstractions et d’«effets spéciaux» chargés de montrer comment retenir le regard du spectateur. Sont oubliées ou méprisées la sociologie de l’art de Francastel comme la psychanalyse de l’art de Huyghe. Que dire, alors, de la critique marxiste de Nicos Hadjinicolaou, Histoire de l’art et lutte des classes, (Paris, Maspéro, Col. Textes à l’appui, 1973), et la critique féministe de Françoise d’Eaubonne, Histoire de l’art et lutte des sexes, Paris, Éditions de la différence, 1977)? L’album de Kiki Spermato consiste précisément à dénoncer qu’il n’y a plus de véritable critique d’art. En fait, seul le travail de l’artiste demeure le lieu où peut s’élaborer une véritable critique de l’histoire de l’art en établissant un dialogue, comme le suggère George Steiner pour la littérature, avec les œuvres du passé. C’est ainsi que les déformations en détournant le sens de l’œuvre classique contribue à la critique d’art, en torpillant, par exemple, le stéréotype qui consisterait à penser qu’il n’y a qu’une réception possible de l’œuvre d’art. Nous allons voir ce que nous pouvons apprendre des œuvres détournées de l’album de Kiki Spermato.

Prenons ce classique de la sculpture de la Renaissance. Le David de Michel-Ange. Cette œuvre est mondialement connue. Kiki en a choisi deux détournements tout à fait post-modernes. Dans le premier, notre David tient un chien en laisse. D’une part, je pense à ces jeunes de la rue pour qui leur chien est leur principal, sinon leur seul ami. Bien que revêtus de différentes guenilles, ce sont, de manière métaphorique pour être poli, des «tout-nus». Des corps qui pourraient être ceux de l’éphèbe, abîmés, outragés, violentés, errent par les rues et ruelles de la métropole, le chien souvent sans laisse, contre les lois de la municipalité. D’autre part, je pense à tous ces petits bourgeois qui, sortant de leur logement, descendent l’escalier et promènent leur chien dans le parc, leur font faire leurs petits besoins qu’ils s’empressent de ramasser pour les déposer dans une poubelle publique et vite s’en retourner chez eux. Le petit chien prêté au David peut sans doute s’accommoder d’un appartement urbain, mais lorsque je vois le majestueux danois ou ce lévrier au corps mince et élancé, enveloppé d’un petit manteau et les pattes chaussées de petites bottes, marchant dans la neige et grelottant sous un froid intense, je me demande quelle vie de chien ils peuvent bien vivre en ville!

Comme ces jumeaux qu’un artiste de la Renaissance ajouta à la louve étrusque pour reproduire la légende des origines de la Rome antique, il y a modernisation du mythe du meilleur ami de l’homme; un ami à qui on installe une laisse et que l’on traîne derrière soi, toujours comme son fidèle serviteur - ce qu’on attend d’un ami, quoi! Ce lien d’instrumentalisation entre l’homme et la bête, jusqu’à ce que l’automatisme vienne peu à peu la renfermer dans une cage dorée d’un appartement d’un quelconque arrondissement, n’est quasiment plus utilitaire, sinon que zoothérapeutique. Aussi, la brave bête devient-elle notre miroir, et nous la traitons comme nous nous traitons nous-mêmes. Dans le second montage que nous offre Kiki, voici le David devenu obèse. Monstrueusement obèse. D’une obésité morbide. Les joues gonflées, les seins pendants sur le ventre, la bedaine gélatineuse, les culottes de cheval aux cuisses, les jambes atteintes de phlébites, les pieds rendus rondelets par l’enflure. Seul son «paquet» est resté petit et disparaît sous les bourrelets du bas-ventre. L’obésité, pour un gnostique, n’est sûrement pas signe de santé, ni physique, ni spirituelle. Le David, c’est celui dont toute sa vie, l’exercice physique s’est bornée à promener le chien. Et son chien est mort depuis longtemps, parce qu’il a été nourri avec de ces conserves ou de ces croquettes qui ne conviennent pas à leur vie plutôt sédentaire. Le chien cherche à courir, mais la laisse du maître le retient comme une courroie. De ce fait, la prise de poids, chez le maître comme chez le chien, se fait simultanément. Bientôt, ne restera plus que l’obèse pauvre, nourri de junk food distribuée à la porte arrière des McDo et des Burger King; et son double, l’obèse riche, nourri de caviar ou de fromages crémeux. Dans les deux cas, l’énormité de la forme trahit les extrêmes de la civilisation de consommation. Une masse de mal nourris et une caste de bien nantis dont la graisse a cessé depuis longtemps de nourrir le cerveau pour se répandre dans les pores adipeux de l’homme civilisé. Les obèses de Botero font rire, les Davids de Michel-Ange sont pathétiques.

Michel-Ange a encore interpellé Kiki, mais à travers un détail cette fois, celui du doigt de Dieu dans la fresque du plafond de la chapelle Sixtine, lorsqu’il se tend vers Adam pour signifier la création de l’homme. Ici, l’homme concret, l’homme réel, tiré de la poussière et animé par un vent, s’est transformé en homme virtuel dont il ne reste que la main doigté du logo facebook. Au moment où Michel-Ange dessinait la dernière reproduction anthropomorphique de Dieu, le néo-platonisme des Nicolas de Cues, Marsile Ficin et autres Pic de la Mirandole faisait passer le concept de Dieu dans la métaphysique et l’abstraction. Les média modernes, et encore plus rapidement depuis la diffusion des média sociaux, parviennent à dépouiller l’homme de son enveloppe charnelle, réelle, concrète, pour en faire un être abstrait, quasi métaphysique, réduit souvent à des signes, symboles ou logos. Cette déshumanisation opérée par la violence de la technologie informatique demeure fidèle à la loi de McLuhan. L’homme est miniaturisé, abstractifié, devenu l’équivalent d’une gig, d’un octet, d’un bit, par l’ordinateur même. Ce qui s’échange sur ces réseaux n’enrichit pas le communicateur devant son écran, mais le réduit, pour tous ceux qui sont à l’autre extrême du réseau, au rang d’élément qui relève d’un réel imperceptible, difficile à imaginer. Dieu vient de donner vie et l’homme-informatique se rétrécit à sa main et son doigt; sa puissance, peut-on dire, réside dans le fait que le doigt de l’utilisateur Facebook touche le doigt de Dieu, alors que dans la fresque de Michel-Ange, les deux doigts ne se touchent pas. La puissance s’est inversée de l’original au pastiche. Si Dieu, par sa surnature, pouvait donner naissance à l’homme réel sans le toucher, l’homme virtuel, réduit à une abstraction liquide, donne sa puissance à la nouvelle divinité informatique.

L’homme digitigrade, accouplé avec le clavier de l’ordinateur ou de son mobile cellulaire, toujours à texter à un rythme qui n’épure ni les fautes d’orthographes ni les formes syntaxiques maladroites, est la version société de communication de l’obésité de l’éphèbe de Michel-Ange qui nous rappelle que nous sommes plus que jamais dans la société de consommation. On retrouve le même thème détournant le tableau de Breughel l’Ancien. Ici, le miracle de Cana consiste à transformer l’eau en Coca-cola et les pains en hambergers McDo. L’auberge des Pays-Bas est devenue la réplique médiévale d’une franchise de restaurants à chaîne, où le festin n’est plus la compensation à l’âpreté des repas de l’ordinaire, mais le surplus d’une abondance qui amplifie un lunch jusqu’à l’obscénité. La multinationale McDonald’s, qui a détourné le sens de tant de grandes œuvres d’art pour les réduire en publicité kitsch, voit son jeu pervers retourné contre elle. Ce sont les grands maîtres du passé qui l’introduisent dans leurs œuvres. Ils rendent dérisoire nos prétentions à évaluer l’art en fonction de son aspect pratique, utilitaire, pragmatique, bref publicitaire. Ils posent un regard sévère sur nos mœurs, nos attentes sordides, nos solidarités imaginaires. Coke et McDo empoisonnent progressivement aussi bien les petites gens vivant au ras des pâquerettes que les riches et les puissants qui vivent comme autant de busards qu’on retrouve dans les grands déserts de l’Amérique. Perchés sur des panneaux publicitaires lumineux ou remplissant de capsules avec jingles les émissions de télévision, Coke et McDo battent la cadence de l’oralité. Il n’y a plus ces pains et ces brioches, ces viandes de sangliers ou de cailles du Moyen Âge. Là où la rareté était oubliée le temps de passer une journée au pays de Cocagne, l’accumulation de la nourriture fantasmatique constituée du trio McDo extra-big ne signifie plus qu’un passage dans un décor semblable à mille autres répandus sur la surface de la planète. Le détournement du tableau de Breughel donne un air hirsute à nos salles de verres, de bétons et de céramiques.

C’est avec une ironie encore plus mordante qu’est détourné le portrait de Louis XIV par le peintre Rigaud. Le bâton du roi est remplacé par un skateboard et le roi porte des lunettes d’un véliplanchiste. Le détournement de sens, ici encore, peut s’ouvrir à de multiples interprétations qui franchissent les barrières du temps. Le regard post-moderne y reconnaîtra, sans doute, le garçon espiègle et détestable du dessin animé, Bart Simpson. Notre monde étant celui de l’Enfant-Roi, il est normal que la trans-formation donne un Roi-Soleil se perdant dans une course folle sur une planche juchée sur deux essieux et quatre roues. La vitesse, la rapidité, le mouvement, qui n’ont plus rien du menuet rythmé à la mesure, restent quand même l’héritage de la cour du Roi-Soleil. «J’ai failli attendre!», la célèbre boutade attribuée à Louis XIV au moment de l’arrivée de son carrosse royal, est dépassée, dans la société post-moderne par les appareils de transports chronométrés au millième de seconde près : trains, avions, métros, fusées, autos de course… L’attente devient insupportable comme elle l’était pour Louis, car la toute-puissance de l’homme virtuel renvoie la patience parmi les vertus éculées. L’absolutisme prétendait régner sur l’espace et le temps à l’image du soleil rythmant le cycle des planètes qui gravitent autour de lui. Ainsi, la cour toute entière se trouvait-elle «prisonnière» à Versailles, cage dorée par la grâce de la toute-puissance royale. Nos appartements, nos lofts, nos condos ne sont que des fractions insignifiantes du Palais de Versailles dans la post-modernité du petit propriétaire spéculateur. Il devient donc normal, pour le Roi, de se déplacer en skateboard puisque son carrosse le fait attendre!

Cette toute-puissance de l’Enfant-Roi virtuel n’est plus celle d’un roi angoissé par les méchants tours que ses parents de la dynastie royale pouvaient lui jouer, comme au temps de la Fronde, ni par les revers de la guerre. Elle est devenue l’illusion symbolique de n’importe quel individu qui ne supporte ni le poids du temps ni l’emprisonnement de l’espace. Le Ritalin, devenu indispensable pour fixer les enfants à leurs sièges en classe en modérant leur hyperactivité, ressemble à ces médecines d’apothicaires qui devaient soigner tous les petits bobos incommodants du «corps du roi». Le détournement de sens du portrait de Rigaud ne nous fait plus voir le Roi-Soleil, ce personnage qui a «trop aimé la guerre», ni les symboles coperniciens qu’il portait en sa reproduction en Majesté, et autour duquel gravitaient les provinces liées par le sang aux membres de la maison des Bourbon. C’est bien, plutôt, Bart Simpson, ou mieux, le chien Poochie, qui apparaît au cours d’un épisode de la populaire série, portant à la fois le skateboard et les verres fumés de Louis XIV! Rapeur et portant la casquette la palette en arrière, comme un pastiche de la longue perruque du Roi-Soleil, Louis XIV devient le stéréotype de l’Enfant-Roi à qui on ne refuse rien et qui s’attend à ce que rien ne lui soit refusé. Niant le principe de réalité de la Psyché autant que les contraintes du Socius, il nousrappelle le diagnostic de Blaise Pascal sur la maladie qui grevait déjà les cours de l’absolutisme : l’ennui. Éprouvé par les courtisans, le passage de l’activité d’un monde réel à celui, fantaisiste, d’un théâtre de cour, l’ennui s’est démocratisé au même rythme que la poussée de l’automatisation. La distance entre le réel et le virtuel se trouve déjà là, en germe, dans le monde baroque, et le kitsch de nos sociétés post-modernes ne fait qu’en affirmer la pleine démocratisation.


Passons rapidement sur la déformation d’un Rembrandt célèbre, La leçond’anatomie du docteur Tulp ou, hommage à Duchamp : le cadavre disséqué est remplacé par le célèbre urinoir. La banalité du quotidien post-moderne ressort davantage lorsqu’il s’agit de reproduire l’art d’un Vermeer de Delft. Ici, nous ne sommes plus dans le monde des courtisans mais dans celui des affaires courantes. Nous reconnaissons La jeune fille au turban bleu(dite parfois à la perle) qui transporte la post-modernité dans la ville de Delft, avec ses intérieurs bourgeois et sa luminosité symbolique. Première version : la tête de la jeune fille est perchée sur un corps absolument actuel – gilet et jeans – dans une pièce tout à fait surréaliste, au plancher dont la perspective est déformée jusqu’à paraître comme un damier ondulant à la Escher. La table, la lampe, le service à thé, tout semble sortir tout droit du catalogue Ikéa ou vu dans un magasine de rénovation. Mais ne manque pas l’indispensable : la fenêtre ouverte, avec l’entrée de la lumière extérieure qui balaie la pièce. La post-modernité entre de plain pied dans le XVIIe siècle, avec son lot de produits bon marché. La barrière du temps s’en trouve définitivement abolie.

Seconde version. Nous retrouvons la jeune fille au turban bleu (ou à la perle) cette fois-ci dotée d’un i-phone avec lequel elle se photographie, comme font les adolescents à la journée longue. La fonction même du tableau est ramenée à celle de cet objet de consommation courante d’un appareil photo dont l’objectif s’ajuste souvent de lui-même. La main, qui se tend comme un coup de poing, surgit en brandissant l’appareil technique entre le sujet du tableau et le spectateur. Nous assistons, quotidiennement, à l’irruption incongrue de tous ces téléphones «intelligents», ces twitters, ces i-phones, qui surgissent à tous moments : au restaurant, dans les transports publiques et ici, dans un tableau où la douce jeune femme agresse le spectateur au moment où il croit s’être évadé de son temps, de son époque, en allant contempler une vision paisible du XVIIe siècle. Si, dans la célèbre publicité de la Caramilk, la Joconde pouvait tenir une palette de chocolatentre ses doigts, l’incongruité du jeu n’agressait pas le spectateur. Dans la déformation, ici, c’est tout le contraire. Le i-phone photographique est une arme culturelle de destruction massive. Son utilisation relève de la barbarie, car il s’interpose entre le spectateur et l’œuvre. Il anéantit la délicatesse et la mélancolie du chef-d’œuvre de Vermeer pour nous heurter le regard avec cette main disproportionnée et cet appareil qui est lui-même un œil vide; comme le regard voilé de la mort qui se projette sur le spectateur, d’où cette sensation de malaise que peut ressentir le spectateur devant la composition. Tous ces appareils de la post-modernité sensés ouvrir les communications entre les hommes, en vérité, les interrompent, les embrouillent, et cette déformation trahit le détournement de sens de la communication internaute. Bref, le geste de la douce jeune fille au turban aurait sans doute rendu Proust aveugle.

Ce monde de confort et d’ennui laisse s’étioler les êtres. Derrière l’embonpoint de l’éphèbe David se cache une structure squelettique. C’est celle que nous voyons, depuis des décennies, exhibée par millions, de ceux qui meurent de faim dans tous les endroits du monde. Si l’Occident croule sous la surconsommation et la mal-bouffe, le rachitisme et les maladies liées à la sous-nutrition se retrouvent partout, et sur cette déchéance de la plus grande partie des hommes s’édifient nos empires de richesses indécents. Considérons la nudité pulpeuse de mademoiselle O’Murphy, peinte par François Boucher, qui se retrouve dépouillée de son épaisse couche de graisse et devient, soudainement, un corps rachitique, squelettique, étendue moins par concupiscence que par agonie, dans un décor qui a laissé, lui aussi, le style rococo sombrer dans la même déchéance que le corps de la demoiselle. Dans une société où l’hypersexualité est le vice qui fait rouler une puissante économie fantasmatique du rêve par la publicité et la pornographie, le pastiche de Boucher déformé devient une gifle morbide qui a perdu toute la fantaisie des anciennes danses macabres.

Kiki Spermato a retenu, dans trois versions différentes, le thème du célèbre Marat assassiné du peintre jacobin David. Les trois déformations sont différentes l’une de l’autre. La première est une reproduction en trois dimensions de la scène du tableau. Elle reprend la mise en scène que l’on retrouve dans le tableau connu. La seconde est une reproduction du visage du Marat dans le décor convenu, mais son torse a été recouvert du chandail bleu de Superman, tandis que ses cheveux noirs sont dénoués et tombent sur le drap imbibé de sang. Le personnage sanguinaire n’est plus tout à fait le journaliste de L’Ami du Peuple, mais pas encore le superhéros de la bande dessinée. Le troisième Marat a le visage d’une femme, le torse d’une femme, mais l’encrier, la plume et le papier que tenait le journaliste ont été remplacés par un laptop, un portable. Le transgenre reflète ici le détournement fondamental de l’écrit. Je sens que, devant ce pastiche, Xavier ne se possèderait plus.

C’est ce dernier détournement qui représente le plus d’intérêt à mon point de vue, précisément par l’inversion des codes qu’il fait subir au tableau de David. Marat a beau rester journaliste. Il a beau avoir été tué, poignardé dans son bain, mais le monde dans lequel le crime s’est déroulé a visiblement changé! Le sombre, verdâtre, Ami du Peuple est devenu une jeune fille au visage délicat et à la poitrine menue, et les anciens modes d’écriture sont maintenant une machine automatisée, avec souris, écran et fil collecteur. Ce qui était, pour David, la scène classique d’un martyr de la République devient une sorte de parodie de la sacralité de la liberté d’expression. Le corps, frappé au moment où il écrivait une dénonciation de faux patriotes, est maintenant un corps meurtri détaché de l’écriture, joint de loin par l’intermédiaire d’un appareil dont la complexité remplace la légèreté de la plume. Dès que les formes sont dé-formées, les sens et normes le sont à tous les niveaux. Le Marat historique devient un Marat de la bande dessinée, puis un Marat régénérée en femme. Marat transgenre, c’est le Marat de la révolution du XXIe siècle. Sa sexualité ambiguë ne cesse d’en faire un corps bisexuel (à travers le Superman), puis transexuel (avec le dernier tableau). De même, l’encrier, la plume, le papier se fondent dans un laptop avec écran ouvert donnant à voir le texte de la fameuse lettre. D’une part, le transgenre allège le corps; de l’autre le transgenre rend la communication fluide mais distanciée, imprécise, ambiguë. Ce que représente le couteau de Charlotte Corday comme instrument de supplice change également de signifié. Tuer le «monstre» ne sert plus à rien, car son message va suivre les réseaux et se diffuser sur l’ensemble de la planète. L’impossible dénonciation des ennemis de la République, c’est-à-dire de la fraude, de l’acca-parement, de l’espionnage de la vie privée et du terrorisme d’État, surgit de la déformation du Marat assassiné. Il ne suffit plus de tuer le communicateur, comme en 1793, il faudrait tuer la communication elle-même. Cette grande invention qui est née de la Révolution comme la Révolution l’a enfantée, le journalisme, qui s’est longtemps vanté d’être le quatrième pouvoir, n’est plus rien. Ni de l’intérieur, où l’inflation de l’information a entraîné l’implosion du médium; ni de l’extérieur, dans la mesure où une bonne couche de téflon isole la conscience de l’individu de cette pluie d’informations, vraies comme fausses, qui lui tombe dessus. Malgré les efforts d’Assange, de Wikileak, des révélations de Manning et de Snowden, tout ce qui devrait être tenu comme des gestes profanateurs de la liberté et de la dignité humaine sont acceptés comme des banalités sans importance. Le poignard peut bien tuer l’homme qui écrit sur le laptop, mais il doit surtout trancher le fil du réseau. Alors que la Civilisation s’effrite sous les coups de la barbarie médiatique et politique, le quatrième pouvoir n’attend plus que le poignard d’une seconde Charlotte pour trancher la fibre optique.

La bête noire de l’album de Kiki Spermato demeure le très esthétisant William Bouguereau. Trois œuvres de Bouguereau figurent dans son premier album. PremierDeuilest irrespectueusement repris afin de donner du corps de la victime, tranché en deux et les membres détachés du corps, une vision purement sadique. C’est un hommage rendu à la violence que pouvait déployer ce «peintre de la femme et des angelots» dans ses scènes de combats masculins. C’est, également, un rappel du goût pour l’esthétique du sang qui est un véritable trade mark de la bande dessinée et du cinéma de notre époque post-moderne. Du sadisme physique au sadisme moral, nous accédons au nu féminin deDouleur d’amour,une jeune femme penchée, en pleure, sur une tombe; sauf que la tombe de l’amant est remplacée par un immense Big Mac double avec boulettes de viande, tranches de tomates, laitue, tranches de fromages et épaisse sauce à base de mayonnaise. S’il n’était du nu, il est fort probable que les publicitairesde la multinationale auraient sûrement récupéré cette idée, qui est tout simplement la risée des idéaux romantiques. L’amour n’a rien de sacré aux yeux de la publicité, et il n’en allait guère autrement pour le peintre qui le reproduisait au goût de ses commanditaires.

Une troisième impertinence est commise sur un autre tableau de Bouguereau, un nu féminin étendu sur la plage où s’amènent de fortes vagues. Dans le détournement de sens, les vagues de la mer sont remplacées par des périscopes de sous-marins qui se rassemblent tous pour émerger en même temps et regarder la jolie proie prête à être emportée par les vagues. Cette grivoiserie dévoile l’hypocrisie bourgeoise de la clientèle de Bouguereau, qui les fournissait de nus sensuels non pour édifier le goût et l’esthétique, mais pour leur permettre d’acheter des «plaisirs privés» pour orner leurs salons ou encore, pour sa riche clientèle américaine, de décorer ses saloons du Far West de tableaux à l’ambiguïté perverse. Il en est encore ainsi du quatrième détournement de sens. Le tableau présente cinq femmes en admiration devant le jeune dieu Psyché (ou Éros). Le jeune dieu est remplacé ici par l’affreux Ioda du film La Guerre des Étoiles. (Une autre parodie, cette fois au dépend du tableau du peintre réaliste russe I. E. Répine, Le retour de Sibérie,présente Dark Vador entrant dans un salon (1884).)Si Bouguereau aimait fournir sa clientèle d’anges et de chérubins nubiles, un siècle plus tard, les anges sont devenus des créatures extraterrestres issues de l’étrange, du fantastique et de la mythologie propre à l’hypertechnicisation de nos sociétés. Si Lucas avait tourné sa Star War au XIXe siècle, il aurait mis des femmes nues autour de Luke Skywalker comme Bouguereau avait placé des femmes nues ou peu vêtues autour de Psyché; si Bouguereau avait été cinéaste au XXe siècle, il aurait peint des femmes vêtues d’uniformes autour de Ioda. C.Q.F.D. Qu’importe la matière et les formes utilisées, le kitsch est avant tout une affaire d’esprit. Et dans la mesure où la même classe bourgeoise régit comme minorité dominante depuis trois siècles, il est normal de toujours voir les mêmes formes resservies avec les sauces ornementales du jour.


Le Déjeuner sur l’herbe de Manet, source de scandale dès l’origine, a souvent été resservi en parodies de tous genres, soit en peinture, soit en photographie. Une femme vêtue avec deux hommes nus, etc.. Ici, nous retrouvons la pochette d’un enregistrement du groupe New Wave, Bow Wow Wow. Les messieurs biens mis du tableau original sont remplacés par des membres du groupe musical tandis que la soliste, âgée de 14 ans prend la pose de la femme nue du tableau. Le Manet avait fait scandale à l’époque; la pochette du groupe suscitera un scandale égal dans les années 1980. Les déformationsreprennent souvent la volonté de reproduire l’effet-choc que les œuvres originales avaient occasionnées. C’est ainsi que la déformation n’en devient véritablement pas une, car elle n’est pas suivie du détournement de sens que nous observons depuis le début de la revue de l’album de Kiki Spermato. C’est une entreprise artistique qui demeure kitsch sans pour autant entraîner une critique de l’œuvre d’art, à moins de tenir pour vaines les querelles bien-pensantes et les poursuites devant les tribunaux pour «atteinte à la pudeur», ce qui est parfaitement juste.

Les artistes impressionnistes se retrouvent peu dans l’album de Kiki Spermato. Il insiste surtout sur une œuvre de Jean-François Millet, de l’École de Barbizon, qui fut l’un des premiers à jouer avec les effets de lumières sur la rétine de l’œil du spectateur. Ses Glaneuses sont utilisées en deux circonstances. Dans le premier cas, le tableau est reproduit sans modification, puis, en dessous, nous voyons la troisième glaneuse qui décide de jouer à saute-mouton en s’appuyant sur le dos des deux autres, écartant les jambes ce qui soulève sa robe. Gaminerie, sans trop de conséquences herméneutiques. Par contre, dans la seconde pochade, nous voyons la silhouette de la glaneuse découpée du tableau, venue s’asseoir sur le cadre pour son heure de pause, en fumant une cigarette. Les deux parodies partagent le même inconfort d’un monde saturé de mouvements, nourri de scènes fortes, et dont la fixité, l’aspect figé des personnages dans leurs gestes, dans leur travail, nous les rend insupportables. Songeons qu’à l’ère du cinéma numérique où des images animées en studio font exécuter des mouvements à ce qui serait normalement tenu pour immobile, c’est-à-dire, voir des gratte-ciel projetés dans les airs; des bâtiments pulvérisés en miettes, des individus emportés entre ciel et terre par des tornades, des torrents de lave ou des tsunamis qui charrient tout sur leur passage, les glaneuses de Millet semblent «dormir sur la job»! En cette ère de haute définition des images, la peinture de Millet, qui avait à son époque cette fonction d’agir par la luminosité sur l’œil humain et donner une impression d’activité chez ses glaneuses, est totalement emportée et rendue incompréhensible pour les regards «formatés» par la post-modernité technologique.

Il n’y a pas jusqu’au peintre lui-même, ici Van Gogh, qui soit plongé dans son propre tableau, cueillant les tournesols placés en bouquet sur son bras. De fait, le tableau est totalement recomposé autour d’un des nombreux autoportraits de l’artiste. Les quelques tournesols sont devenus un véritable champ tandis que le ciel est parcouru des nuages sinueux qu’on retrouve dans certains tableaux du maître d’Arles. C’est le monde de Van Gogh qui est reproduit, avec les coups de pinceaux ou de spatules bien connus du peintre. Cette composition nourrit notre goût pour les peintres aux parcours malchanceux; à ces êtres poursuivis par le malheur et à l’indécence de ces spéculateurs qui placent, sur la rareté de leurs œuvres, des montants d’argent pour spéculer sur le temps qui passe et qui les fragilise. Adoration et profanation; les deux positions éthiques devant l’œuvre d’art sont renvoyées dos à dos dans cette composition. Le kitsch, comme l’avait prévu déjà Hermann Broch au milieu du XXe siècle, annonce tout bonnement la mort de l’art.

La toile par excellence pour tous les pastiches, par son climat de dérive mental, d’angoisses, de folie intérieure, sinon même extérieure; celle qui a frappé tout le siècle dernier, Le Cri, d’Edward Munch. Les trois pastiches retenus par Kiki Spermato associent Le Cri à des personnages de consommation. Une première parodie fait sortir le personnage du tableau. Si sa figure d’halluciné, aux yeux exorbités et à la bouche ouverte d’effroi nous rappelle la force intérieure de l’angoisse panique qui anime l’original de Munch, son aspect grotesque lui donne une dimension d’extravaganza qui n’apporte rien de plus à ce sentiment qui peut nous terroriser de l’intérieur lorsque nous regardons un quelconque tableau de Munch. De la Psyché au Socius, la seconde parodie nous présente une autre version du Cri dans laquelle nous sentons la panique naître du fond du tableau, par une volée d’hélicoptères qui s’avance vers le devant de la scène, dans un ciel déjà rougi par le feu. C’est le Cride Munch plongé dans Apocalypse Now, le filmde Francis Ford Coppola. Enfin, le troisième pastiche est pris directement d’un épisode de la série des Simpsonsoù, devant un fond où les couleurs se diluent, Homère prend la place du personnage de Munch. Pour autant que Homère Simpson représente l’Américain médiocre, vivant dans une ville moyenne des États-Unis, partageant les valeurs communes de l’Amérique, le personnage du dessin animé synthétise les deux pastiches précédents : l’angoisse panique intérieure, extra-vagante du premier et l’angoisse panique extérieure du second, ce qui laisse sous-entendre que le XXIe siècle pourrait être aussi sanglant que le précédent.


L’album composé par Kiki Spermato cumule, sans direction préconçue, un amalgame de clichés tirés de l’histoire de l’art. Ne cherchons ni une théorie sémiotique, ni un système idéologique en vue de cerner l’opération. Ces pastiches confirment-ils la mort de l’art ou l’échec de l’art contemporain dans ses ambitions, telles que les révolutionnaires du début du XXe siècle les avaient exprimées? De fait, l’art contemporain, qui voulait tant se distinguer de l’académisme des siècles précédents, est parti le rejoindre dans la conscience historique des Occidentaux. Dans notre monde, où la brutalisation des mœurs entraîne la désacralisation, aussi bien de l’art que des principes établis, nous sommes forcés de constater que les injures que nous faisons subir à ces œuvres disent quand même beaucoup de notre condition post-moderne. Voilà pourquoi l’enseignement de l’histoire de l’art s’oriente vers des dimensions essentiellement techniques de la composition des œuvres. La multivalence des interprétations laisse au spectateur désormais le choix de sa propre interprétation. Mais, ce faisant, le tableau se vide également de sa substance et rompt toute communication par-delà les siècles pour ne devenir qu’un simple miroir où nous projetons notre propre réalité immédiate. Le désir des artistes de vouloir laisser au spectateur le choix d’interpréter leurs œuvres est une marque de rupture entre le créateur artistique et le milieu humain et social qui l’entretient et le reçoit. Cette rupture est proprement antithétique aux fondements de l’activité artistique. Sous le prétexte d’une liberté absolue, on craint le vide de son expressivité. Alors, par lâcheté, on refuse le dialogue avec le spectateur. On refuse la faculté de juger de part et d’autre au nom de l’acceptation globale.

La conséquence d’une telle rupture dans le dialogue entre créateurs et spectateurs ne peut être que l’étrangement des œuvres comme des artistes; aussi bien d’autres cultures et civilisations que d’autres époques de nos propres cultures et de notre propre civilisation. Qui dit que le Cri de Munch est celui de nos angoisses existentielles devant l’isolement des individus dans un monde anonyme, ou encore la prémonition de la destruction massive qui allait se confirmer par les guerres à venir du XXe siècle? On le voit, non seulement l’histoire de l’art perd de sa fonction sociale mais aussi son essence qui est de maintenir la
Renato Guttuso. Conversations avec les peintres, 1973
solidarité entre les générations d’œuvres dans le temps et nous. Ces gamineries ne nous annon-cent-elles pas que, désormais, l’art ne peut être fait et compris car il est vidé de toute historicité. Ce qui est visiblement faux, puisque tout le monde se croit, à un niveau ou à un autre, un peu poète, un peu artiste. L’art instantané que célèbre la post-modernité est non seulement la négation ou le refus de l’histoire de l’art, mais également l’abolition de l’art même. Dans les zoos, des singes (M. O. Outan, dont les œuvres avaient été envoyées par son gardien à un jury d’experts en art, avait reçu le premier prix d’une sélection), un éléphant qui dessine avec sa trompe un derrière d’éléphant, nous offrent des œuvres plus excitantes que nos actuels Vermeer ou Van Gogh qui prétendent, à tort évidemment, avoir rompu tous liens avec le poids des créations antérieures. Pourquoi devrions-nous donc hésiter à considérer que le minet de la photo, que nous appellerons Xavier, comprend mieux Munch que nous-mêmes?

Montréal
1er mars 2014

Célébrons nos valeurs québécoises II

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CÉLÉBRONS NOS VALEURS QUÉBÉCOISES II

«Nous avons suivi avec grand intérêt, de notre hôtel à
Casablanca, toutes les capsules des valeurs québécoises.
 On avait pas le choix, on passait notre temps à se faire
réveiller par les hurleurs du haut des minarets».
M. Pineault.

«Lâche pas, Raymonde. T'é ma meilleure. Maintenant
faut que j'te laisse, on rembarque dans l'étobus.
Mme Caron
 
Au cours de la période de l’Avant et de Noël, nous avons accompagné le couple formé de Crackpot et son épouse, Raymonde, dans les différentes célébrations de nos valeurs québécoises. Le temps est venu de les suivre, deux fois par jour, lors des 40 jours qui séparent le mercredi des cendres, ce 5 mars, jusqu’à la fête de Pâques et au lundi qui suit, et ce, afin de voir comment cette famille exemplaire du Québec vit nos valeurs québécoises. Encore, grâce à la magie de M. Alain Francœur, il nous sera possible d’observer ce couple si représentatif et de bon goût suivre un carême électoral austère, comme dans le bon vieux temps, pour finir par célébrer la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Crack. 

Mercredi des cendres, 1erjour du carême

«Coucou! C'est moi, les enfants. Je suis de retour… Je…? Hein? Quoi? C'est pu Noël? Qu'est-ce que je fais depuis la fête des Rois, moi? Bah! J'ai lu les lettres de remerciements des enfants… Faut dire qu’il y en a jamais beaucoup. Quelques genres style : «Merci, vieux con!», «Tabarnak! c’est pas ça que j’t’ai demandé!» ou encore  «T'avais la poche pas mal vide c't'année gros soulons!». Plutôt déprimant. Alors, je me suis endormi, et quand je me suis réveillé, j’avais une pyramide de lettres à mes pieds. J’ai cru que j’avais dépassé l’heure. J’me suis rhabillé, et voilà. Wouin! Je devine maintenant que ce sont mes factures de cartes de crédit qui viennent d’entrer!» 
 

«Estie de gang de crottés! Vous v'la pris dans neige, dans l'verglas, dans la glace, pognés avec vos chars! Moé, pendant c'temps-là, je me fais griller sur la plage, je joue au ballon avec des pitounes américaines, American Pitounes, Ya! et je montre ma dextérité en faisant du B.B.Q. dans le jardin. À part les requins, il y a rien de tel que passer les fêtes, de Noël à Pâques, en Floride. Je me sens comme Vishnou : j'ai des bras partout et des mains …Mmm, des mains à tripoter toutes les paires de belles grosses fesses en maillot. Pis des fois, pas de maillots. Ça, c'est une vraie valeur québécoise dans laquelle on peut croire, pis que j'en vois pas un sacrament v'nir me l'enlever».


2e jour du carême

«Extra! Extra! Les enva-
hisseurs attaquent la ville. Le maire Coderre les reconnaît et déclare : “Ils se sont présentés d'abord comme d'honnêtes entrepreneurs en casinos, comment pouvais-je savoir que c'était une ruse pour occuper ma ville? Après tout, on ne peut pas mâcher de la gomme et penser en même temps!” Il semblerait que l'insectarium soit le seul endroit où les citoyens peuvent se réfugier, ils y trouveront chaleur, lumière et nourriture à volonté…»


«Oyez! Oyez! C'est le temps des fêtes…? Quoi, encore! Ah ben, c'te fois-ci, c'est pas de ma faute. Wall-Mart s'est gouré de fête religieuse. Voilà pourquoi je suis pour la Charte des valeurs québécoises. On devrait laïciser les fêtes, comme au Douleurama, j'aurais l'air moins cave quand je trinque à l'Enfant-Jésus alors qu'il n'est même pas né. De plus, les marchands doivent se résilier, après tout, Noël pour eux autres aussi, ça passe rien qu'une fois par année!»



Raymonde reçoit…

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RAYMONDE REÇOIT…
 
Bonjour mesdames.

Oui, mesdames, car cette série d’entrevues que je réalise avec des nobodiesde la politique a pour objet de vous aider à faire votre choix lors du prochain scrutin électoral de la PROVINCE de Québec. Car, mesdames, pour celles d’entre vous qui ne le sauriez pas encore, eh oui! le Québec est toujours une province de notre beau Dominion canadien.

Je m’inscris volontiers dans la lignée des Michèle Tisseyre, Huguette Proulx, Aline Desjardins, Denise Bombardier et Chantal Lacroix; de ces fâmmes qui veulent initier leurs semblables au monde de la politique qui a surtout été, jusqu’à présent, avouons-le, le monde des hommes. Mon travail consistera à m’entretenir, longuement, avec des candidats peu connus, mais qui forment l’épine dorsale des partis politiques et des gouvernements. J'interrogerai  donc, deux fois par jour avec l’un ou l’autre des candidats – l’autre, c’est-à-dire, une candidate fâmme –, dans le but d’élargir vos horizons sur la res publica – eh oui! Il n’y a pas que Bernard Landry qui ait fait son latin -, je veux dire, la chose publique. Et grâce à l’amabilité de mes excellents collaborateur, MM. Alain Francœur et le photographe Bernard Rivière, vous verrez défiler devant vous la variété de candidats de tous les partis, de toutes les causes et de tous les caractères.

Cette année, exceptionnellement, la campagne électorale coïncidera avec la durée du carême. Heureusement, elle sera plus courte que la quarantaine de jours de jeûnes. Aussi, je vous invite donc, mesdames, à me suivre tout au long de cette campagne électorale qui s’avèrera pleine de rebondissements et de débats animés concernant le développement de notre BELLE PROVINCE.

Ce matin, Raymonde reçoit Skipper Cornudet, candidat de la CrAQ dans la circoncision des Îles de la Madeleine

Q. En ce premier matin de la campagne électorale, je me fais un devoir de vous demander : Qu'est-ce que votre parti entend faire pour résoudre le problème du chômage aux Îles, considérant les exigences de la loi fédérale sur l'Assurance-emploi pour les chômeurs de se trouver du travail à une heure de route de leur foyer sous peine d'être coupé du service?

R. À la CrAQ, je suis prêt à me battre, à coups de poings s'il le faut, pour exiger le remorquage des Îles de la Madeleine proches de l'île d'Anticosti, soit arrimées par bateaux, soit tirées par des OVNI. Ce serait d'ailleurs le premier pas dans la voie du Projet Saint-Laurent qui est, comme vous savez, la clef de voûte de tout notre programme de développement économique. Avec Legault, Le go aux remorquage des Îles!

 
Ce soir, Raymonde reçoit Marie-France Bazzornudet, candidate Québec Solitaire dans la prestigieuse circoncision de Saint-Jérôme.
 
Q. En quoi vous considérez-vous comme une candidate progressiste capable de succéder au député Wiggum?

R. Je crois qu'avec Québec Solitaire, il est possible de faire de la politique de gauche avec un esprit de droite. C'est comme dire les idées de Francis Dupuy-Déry avec la voix de Vincent Marisal; comme il est possible de dire avec la voix de Mathieu Bock-Côté les idées de Gabriel Nadeau-Dubois. Pour ma part, je crois qu'il faut avoir les deux options en une, car en politique tout est interchangeable. C'est la voix d'Amir sortant de la bouche de Françoise ou les idées de Françoise sortant de la bouche d'Amir. Ça fait Twish! Twish! Comme un deux tasers au club Maso-Maso de Laval…  


Ce matin, Raymonde reçoit Anonyme Cornudet, candidat libéral dans la circoncision rurale de Brome-Missisquoi.


Q. Des gens de votre circoncision ont affirmé que vous viviez inconfortablement avec la position prise par votre chef à propos de la Charte des valeurs québécoises et que vous ne sortiez même pas de votre étable sans porter une tête de vache pour vous dissimuler des quolibets?

R. Tout cela est complètement faux. Montrez-moi une photo si vous en trouvez une! Ce sont des diffamations de mes adversaires politiques qui trouvent que ça fait trop longtemps que je suis député du comté! En fait, c'est parce que j'ai augmenté le prix de mes bidons de lait que les gens du coin médisent à mon sujet. C'est toff de faire avaler aux farmers les lois du libre marché…



Ce soir, Raymonde reçoit Bourdon Cornudet, candidat péquiste dans la circoncision de Lotbinière.

Q. M. Cornudet. Des apiculteurs de votre comté dénoncent l'inertie du gouvernement dans le problème de la diminution de la population des abeilles. En tant que candidat du gouvernement, que leur répondez-vous?

R. Je crois que ce sont des gens qui n'ont rien de mieux à faire que chialer. Pour moi, les abeilles, les bourdons, les maringouins et autres mouches à chevreuil, il y en a déjà trop! Ils n'ont qu'à me regarder sur Skype pour s'apercevoir que, se faire piquer à journée longue, c'est pire que se faire passer le papier sablé sur la différence…







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