QUENELLE DE BREST
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Herbert Tobias. Day-dream after «Querelle de Brest», 1952 |
Dans son célèbre roman Querelle de Brest, Jean Genet situe son récit d'amour-volage dans la ville portuaire de Brest. Publié en 1947, il nous raconte l'errance d'un marin homosexuel dans la ville considérée dans l'Entre-deux-Guerres comme l'une des plus insalubres de France. Brest sert de miroir à une nation vaincue, où les mœurs sont corrompues, déliquescentes, et devenues informes. Le décor portuaire même est une métaphore de l'âme des personnages. Ville obscure. Ville puante où les sodomites se donnent rendez-vous sur des terres humides d'où se dégage une forte odeur d'urine et où il faut faire attention de ne pas s'étendre sur des étrons. La seule valeur de mise reste la «possession» sexuelle. La fumée qui se dégage des petits bistrots où s'entassent marins et prostitués des deux sexes, les amours, les
trahisons, les délations enfin le meurtre gratuit participent de l'éros de Genet. Pas de véritable passion amoureuse sans la prémonition de la mort imminente, inscrite dans le jeu des corps. La vie ne vaut plus rien dans l'univers de Brest. Seul le sexe signifie encore quelque chose, et l'amour n'est que l'ombre de la fonction orgasmique des corps. La chair elle-même n'est plus au rendez-vous. Seulement des pénis qui enfoncent des trous de cul. L'odeur même du varech amplifie celle du sperme répandu entre les fesses des matelots alourdis par l'alcool et la came. Les vieux murs de Brest suintent la gourme. De ce terreau de décomposition organique, on pourrait dire également qu'est née la quenelle.

Qu’est-ce que cette quenelle qui se met soudain à fleurir bon la France post-sarkozienne? (Je ne dirais quand même pas une France «hollandaise»!). Une heure et demie de spectacle non-stop antisémite de Dieudonné? Quand même pas! Entendre parler une heure et demie de temps contre les Juifs, ça doit devenir lassant assez vite. Autant lire l’un de ces bons vieux pamphlets paranoïaques de Céline. Voir une bande de jeunes soraliens (et non soreliens) applaudir à tout rompre les salmigondis humoristiques d’un faiseur, et payer pour ça! Vraiment, c’est de l’arnaque …française. Bref, quelle que soit sa signification, la quenelle est en train de devenir le signe de ralliement de tous les imbéciles de la terre. L’on cherche fort loin les origines de sa provenance, et sans doute en trouvera-t-on une quelque part, lors les guerres
de religions ou de la révolution. D’ailleurs, on ne s’entend pas trop, comme vous allez le voir, sur la façon de la faire. Le bras tendu des fascistes vers le Duce ou le Führer, c’était facile, n’importe quel idiot pouvait apprendre à le faire. Mais pour la quenelle, c’est différent. Il faut presque donner un cours 101 à ceux qui ne savent pas trop si c’est un bras d’honneur vers le bas ou le renversement du salut nazi (le fameux Sieg Heil!). En attendant qu'un quelconque sémioticien parvienne à résoudre le problème et nous donne un cours sur la direction que prend la main perpendiculaire au bras avec les degrés de l’échelle sur la manche, il est permis de mesurer : un peu, moyen, beaucoup, à la folie, quenelliens!

Avant donc que les universitaires s'en emparent, l'histoire de la quenelle nous apparaît plus ordinaire dans les faits. En 2003, Dieudonné, sur le réseau France 3, se présente vêtu d'un treillis, en cagoule, avec des papillotes et un chapeau de juif orthodoxe sur la tête. À la fin du sketch, il lève le bras et lance «IsraHeil»! Tout
de suite, c'est la polémique. «C'est le moment où il bascule, nous dit l'historien Stéphane François de l'Université de Valenciennes, spécialiste des contre-cultures et de l'extrême-droite. Pour lui, «Dieudonné a un problème identitaire, il se réfère alors à des groupes radicaux racialistes américains noirs, comme par exemple la Nation de l'Islam, pour expliquer que les Juifs ont eu des parts dans la traite négrière. À ce moment-là, une fracture se crée chez lui, il glisse dans le conspirationnisme» (Le Figaro). Dans la foulée des attentats de 2001, il faut dire que le conspirationnisme se retrouvait partout en Occident! Plus les spectacles de Dieudonné seront dénoncés ou interdits, plus l'idée conspirationniste fera son chemin. La vulgarité y ajoutant le piment de la révolte. Mis en candidature en 2009, il lâche : «L'idée de glisser ma petite quenelle dans le fond du fion du sionisme est un projet qui me reste très cher». Pas besoin des leçons du docteur Freud pour comprendre ce que cela veut dire. Et, de fait, son épouse s'empressera de déposer comme marque (trade mark) l'invention de la quenelle. Depuis, monsieur se défoule et madame encaisse.
Les ennemis de Dieudonné colligent toutes les images qui circulent sur les média sociaux illustrant les swings de la quenelle. Au départ, on trouve ça odieux, puis puérile. Les jeunes des banlieues s’en donnent à
cœur joie vilipendant l’ennemi sioniste pour les torts faits aux Palestiniens, et, pourquoi pas, à la terre entière? Bien que je doute que tout cela marque un pli sur la différence pour les Palestiniens expulsés des territoires occupés et ceux qui vivent dans la bande de Gaza ou autres territoires contrôlés par le Hamas, ces jeunes musulmans de banlieue croient participer à la grande aventure de la conquête de Jérusalem par l’Islam et l’expulsion définitive des Juifs de Palestine. Ces jeunes gens sont plus pathétiques que vraiment hideux. Ce sont encore des enfants et la facilité avec laquelle on les manipule – par qui? Les intégristes musulmans? Des agents du Mossad? Des belettes du Front National? – n’est pas très éloignée de la manière dont on recrute des enfants-soldats en Afrique. Quand certains sont finalement armés et lancés contre un café juif ou une synagogue ou pire, une école; généralement, ça fait des dégâts terribles. Pour ceux qui prennent la quenelle comme une mode transitoire et sans gravité, il faudrait y penser.

Ensuite, il y a ces Français de la petite-bourgeoisie toujours bien-pensante, c’est-à-dire poujadiste, même si elle ne se souvient plus exactement qui était Pierre Poujade. Le syndrome de Vichy a caché bien d’autres petites bavures de la droite
petite-bourgeoise en France depuis un demi-siècle. Vichy a bon dos d’encaisser toutes ces racailles relevant de générations successives et qui ont réussi à miner la gauche pour la remplacer par un socialisme de riches d’hommes d’affaires aussi corrompus que pervers. Que l’on pense : sans le scandale de New York, aujourd’hui, ce serait la crapule à D.S.K. qui serait Président de la République! Après Félix Faure, il aurait probablement été le second Président de la République a voir son âme s'envoler dans les bras d’une «connaissance». Mais c’est l’insipide Hollande qui a tiré le bon jeton à la loterie du pouvoir bourgeois. Et son ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, montre l’incurie de ce gouvernement à résoudre la question de la quenelle en l’alimentant de l’interdit de spectacle de Dieudonné. Inutile de souligner que ce n’est pas l’humoriste ici qui va frapper «le Mur».
Car tout de suite, les détracteurs de la censure et les défenseurs du droit à la liberté d’expression se rejoignent, droite et gauche confondus, sur le même côté de la barricade contre le gouvernement. Que signifie la décision de Valls? Ce qu’inconsciemment elle nous dit est assez simple. Elle dit que les Français sont
trop cons pour distinguer un show d’humour ennuyeux et le boycotter plutôt que de s’y rendre en groupes et se taper sur les cuisses en prenant le bon vieux Youpin comme tête de turc. Mais qui a voulu que les Français deviennent un tel troupeau d’imbéciles? Les mêmes sans doute qui, en Italie, ont versé une larme quand ils ont vu ces braves Italiens sympathiser avec il Cavalieri lorsqu’il a reçu un modèle réduit d’église sur la tronche. Ces mêmes qui ont transformé un fasciste actif comme Brevik en malade mental après la tuerie d’UtØya pour lui éviter un procès politique. Les mêmes qui rassemblent des foules de Britanniques célébrer la naissance de Baby Georgie. Les mêmes qui chaque année se rassemblent sur la Place des Spectacles de Montréal participer aux jokes épaisses du Festival Juste pour Rirequi a enrichi ce pelotteurde petites boniches (comme D.S.K.) qu'est Gilbert Rozon. C’est-à-dire, toutes ces bonnes bourgeoisies
nationales qui pour mieux contrôler le marché et la société ont besoin, pour que la démocratie ne leur nuise pas, d’aliéner, dès la garderie, les Français à des objets transitionnels dont le spectacle est devenu la marotte symbolique. Être «dans» le spectacle, perdu parmi une foule d’anonymes semblables à soi et écouter «le leader» nous raconter de bonnes plaisanteries qui frôlent la vulgarité et l’outrageous, voilà, depuis les grands rassemblements religieux, comment on soumet un peuple libre, car un peuple soumis est un peuple béni …par sa bourgeoisie. Si l’on dénonçait la pédophilie de conscience avec la même fureur que la pédophilie des corps, les règlements de comptes seraient inouïs.


Et c’est donc en toute bonne conscience que l’on se rend au show de Dieudonné – comme le prénom du Roi-Soleil -, écouter les plaisanteries grasses qui transformeront un spectacle haineux selon M. Valls, en rassemblement politique! Voilà le gouvernement qui confirme les attentes des Soral, Dieudonnéet autres de
l’extrême-droite en dénonçant, en persécutant la liberté d’expression de ceux qui aimeraient bien la couper aux gens qui ne partagent pas leurs fixations mentales. On ne saurait faire meilleure propagande à la victimisation des Juifs que de voir Dieudonné défier la mesure Valls. Tel-Aviv doit regarder ça en se tenant les côtes. Une fois de plus, les Français vont faire des fous d’eux-mêmes. «La droite la plus bête au monde», disait Léon Daudet au début du XXe siècle. S’il revenait, il verrait qu’elle n’a pas changée. Comme les corruptions et les lâchetés de la IIIe République ont fait le nid de Vichy, voici les socialistes de Hollande s’apprêter à faire le nid d’un futur Sarkozy en se ridiculisant dans le débat publique. Plutôt que des réformes sociales qui participeraient à une meilleure intégration des jeunes des banlieues dans la société – réformes qui coûteraient trop chers aux bourgeois français -, mieux vaut sortir le pantin antisémite et faire encore une fois du Juif le pushing bag de l’extrême-droite. Une fois que tout sera bien en place, un second Vel d’Hiv pourrait accueillir aussi bien M. Dieudonné, sa femme et leurs 9 enfants que les Juifs dont il se sera bien payé la tête, avant d’être réexpédiés d’où sont venus ses ancêtres : dans l’ancienne colonie du Cameroun, colonie allemande héritée par la France au Traité de Versailles en 1919.

Le viol des consciences se paie cher et l’affaire de la quenelle en est le prix. Si les farces de Dieudonné troublent aujourd’hui le confort des petites gens, c’est que les bourgeoisies nationales ne veulent pas d’une participation populaire aux affaires de l’État. Pour elles, il est important de maintenir le niveau de dépendance des foules contre la liberté de l’esprit afin de pouvoir la dominer, la divertir continuellement
pour l’empêcher de penser ou de se préoccuper; l’amuser avec des spectacles où chacun, réduit dans son isolisme, se croit participer à une rencontre collective fraternelle. Le niveau d’instruction doit toujours être révisé à la baisse, car moins on en sait, mieux c’est. Le niveau d’éducation atteint le degré zéro dans son maternage distribué tout azimut, ce qui permet une recrudescence de la brutalisationde l’Entre-deux-Guerres. Non pas encore celle, à l’exemple des ligues fascistes, bandes organisées et armées prêtes à intimider aussi bien le Juif que le Musulman, le petit boutiquier que les immigrants; non, mais une violence qui efface la mémoire, sérialise les stéréotypes, partage selon le diptyque manichéen non plus en bons et méchants, en purs et impurs, mais ceux qui sont avec nous et ceux qui sont contre nous, sans trop savoir précisément qui est ce «nous» dépouillé de toute idéologie structurée sinon des sempiternels ressentiments de perdants. Jamais n’aura-t-on vu autant d’imbécillités se répandre dans l’arène publique. Des pantins comme Soral servir d’intelligence alors qu’il est
lui-même une insulte à la vaillance et à la noblesse de ce qu’il y a de meilleur dans la culture française. Des orateurs troublions comme Dieudonné qui mangent à toutes les gamelles pour passer ses frustrations de bâtard entre ses racines de vieille noblesse bretonne (car c’est ainsi que le personnage de Jean Gabin, dans La Grande Illusion de Renoir, se moque du Juif) et ses racines tribales camerounaises. Peut-être aimerait-il avoir de lointaines racines juives, à l’exemple des Rothschild, pour donner une «leçon» aux goys sur ce qu’il en coûte d’avoir humilié tant de peuples par le pouvoir militaire et colonial?
Malheu-reusement, l’histoire ne se réécrit pas et les morts injustes ne se rachètent jamais. Aussi, insulter la mémoire des victimes de la Shoah est une façon de se venger par procuration : «Vous nous avez oubliés, nous, les Africains victimes de la traite pendant des siècles!» Nous en sommes-là : la surenchère des souffrances victimaires de masse, des injustices du passé, comme un rachat insolvable, car les six millions de Juifs tués par les S.S., avec la complicité souvent des autorités locales, partout en Europe et surtout en France, ne rachèteront les millions de Noirs déportés dans des conditions inhumaines dans les colonies françaises ou anglaises. Ce Dieudonné rappelle-t-il
que les modes d’extermination nazies (camps de concentration, tortures, mises à mort) ont été expérimentés par les Allemands lorsqu’ils possédaient le protectorat du Sud-Ouest africain et qu’un certain général Lothar von Trotha extermina la tribu des Hereroes avec autant de sang froid et d’aplomb qu’un Custer ou un Sheridan à qui on doit la célèbre boutade qu’«un bon indien est un indien mort»? La mémoire sélective de Dieudonné – comme celle de Soral – n’est pas due à la légèreté d’esprit des individus, mais à leur publicité personnelle, à leur vanité au dépend de l’animosité politique doublée des inquiétudes économiques. Ce qui distingue ces histrions du modèle qu'est Hitler, c'est leur absence d'hystérie. Et peut-être est-ce là une chance pour nous tous.




Comme tous les saluts fascistes, la quenelle est un geste mécanique. Il s’agit de tendre son bras vers le bas et de poser simultanément la paume de son autre main
sur l’épaule. Geste attribué à l’imagination de Dieudonné dans un spectacle au début du siècle, il aurait voulu être une variante de bras d’honneur «comme ceux d’en haut». Ce n’est que progressivement, avec la radicalisation des spectacles de Dieudonné qu’une référence au salut hitlérien a été apportée. En 2009, le geste était devenu strictement politique lorsque Dieudonné s’est présenté aux élections européennes sous l’étiquette du parti antisioniste de l’Île-de-France (Paris) Sur ses affiches, il se montrait avec son döppelganger, Alain Soral, en train d’effectuer le geste de la quenelle. Le mot d’ordre lancé depuis par ces «sœurs Papin
de l’antisémitisme», est de se faire photographier exécutant la fameuse quenelle dans des lieux insolites. Soral l’a fait au monument des morts de la Shoah à Berlin. D’autres à Auschwitz même. Tout devient prétexte à faire ce geste épileptique et les rictus qui vont avec : mariages, cérémonies publiques, devant une synagogue où un lieu où un crime antisémite a été commis. C’est la tarte à la crème du XXIe siècle. Ceux qui font les meilleurs coups – artistes, sportifs, saltimbanques – peuvent se voir gratifier annuellement d’une «quenelle d’or» pour l’ensemble de leur «œuvre». Enfin, dans notre société marquée par la tyrannie de l’humour, on découpe au photoshop la tête du quenelliste pour y substituer un ananas, en référence à la condamnation de Dieudonné pour une chanson vulgaire –
Shoahnanas– qui appuie le discours négationniste de la vedette. Ce Dieudonné qui, comme bien des Juifs qui se sentent exclus de la loi des goys, ne paie pas les amendes auxquelles il a été condamné et que l’État hésite à aller saisir par le huissier. À la rigueur, la puérilité de tout ça devrait faire hausser les épaules, mais lorsqu’on s’y arrête le temps de mesurer les significations et les moralisations de cet imaginaire vide, on ne peut que rester soupçonneux.



Reconnaissons sans gêne qu’Israël est le plus sale petit État qui existe. Un État-voyou comme l’entendait George W. Bush, un punk State. Comme le phénix, il
est né des ruines en flammes du Troisième Reich, dont il est l’enfant naturel. C’est le dernier résidu des nationalismes du XIXe siècle. Sa raison d’être n’a jamais été démontrée historiquement. Défi lancé par un intellectuel juif autrichien, Theodor Herzl au moment où l’assimilation des Juifs en Europe allait bon train, le mouvement sioniste s’est appuyé sur la richesse des fortunes juives occidentales et la masse de Juifs dépossédés des shtetls d’Europe de l’Est, victimes des pogromes de la Russie tsariste. Ayant immigré dans les territoires allemands et
français au début du XXe siècle et après la Grande Guerre, ces petites gens, qui ont inspiré les tableaux ludiques de Chagall de même que le truculent Violon sur le toit, ont vécu les persécutions nazies et de la Milice vichyssoise. Des fumées dégagées par les cheminées des crématorium d’Auschwitz, l’État en devenir de Palestine, attendant que l’Angleterre tienne sa promesse de la Déclaration Balfour, s’organisait. Entièrement orienté vers l’avenir, souhaitant modeler un État occidental en terre d’Orient, ces premiers sionistes ne crurent pas les évadés d’Allemagne qui racontaient ce qu’ils y avaient vu, les surnommant les bouffons, les clowns. Quand la sombre vérité s’est imposée en 1945, le dynamisme d’un Ben Gourion a suffi pour entraîner nombre de rescapés et de financiers, pour la plupart américains, à se lancer dans le sillon de l’Exodus. L’État qui est né en 1948 partageait des traits troublants avec le IIIe Reich, mais personne ne voulut le voir par honte ou par culpabilité. Il est vrai qu’on était en pleine Guerre Froide et que l’État d’Israël pouvait servir de tête de pont au Moyen-Orient menacé de tomber sous la coupe soviétique.


La proximité, sinon la parenté, de l’État hitlérien et de l’État sioniste saute aux yeux. D’abord, les deux États sont nés d’un esprit de vengeance. Le premier contre la défaite de 1918 et le honteux traité de Versailles, le second des pogromes à répétition en Europe de l’est et dans le IIIe Reich. Ils ont donc été tous deux animés par un même esprit négatif de vengeance et de ressentiments à assouvir, le premier
contre ses populations marginalisées (politiques, raciales, homosexuelles, minorités religieuses), le second contre les Palestiniens et les Arabes qu’ils avaient expulsés de Jordanie. L’État hitlérien est un État totalitaire, au mieux, absolutiste. L’État juif est un État théocratique. Le premier était le messie du pangermanisme outragé, le second est l’État-messie attendue depuis la chute de la royauté davidienne. Le Reich avait été récupérer le symbole solaire indo-européen (préalablement inversé) de la svastiska, le second l’étoile de David. La propagande du premier a été de défier la Société des Nations, le second méprise
les résolutions de l’Organisation des Nations-Unies. Les deux sont un mélange d’archaïsme (au niveau des mœurs) et de futurisme (au niveau de la technologie, de la guerre, de l’armement). Les deux sont des États paranoïdes vivant dans la psychose de l’ennemi qui, à force d’être appelé, finit toujours par se présenter. Et l’État juif a été le meilleur élève des leçons à tirer de la défaite du Troisième Reich. Celui-ci, en effet, n’avait pas, avant guerre, un système d’espionnage bien organisé, seulement des équipes de prosélytes qui
allaient cueillir des fonds et des appuis dans les autres pays : en France, en Angleterre, aux États-Unis, au Canada. L’État d’Israël s’est doté du Mossad. Cette branche armée du terrorisme israélien agit partout dans le monde là où les intérêts d’Israël peuvent se sentir menacés. Machiavélique à l’excès, il peut organiser des attentats terroristes contre ses propres ressortissants seulement pour créer un état de panique parmi les communautés juives des pays occidentaux et forcer les autres États à lui garantir une «amitié servile» à laquelle les gouvernements se plient volontairement. Le syndrome de la culpabilité occidentale face à l’extermination nazie des Juifs d’Europe tend à se dissiper toutefois avec le temps. Israël n’impressionne plus au début du XXIe siècle comme il impressionnait vingt ans plus tôt. L’Occident n’en a
plus autant besoin contre les menaces du communisme soviétique et si ce n’était des attentats talibans et la recrudescence de l’islamisme (et de l’islamophobie), l’État d’Israël aurait perdu sa raison d’être devant l’Occident. Par le fait même, des campagnes comme celles des soraliens et de Dieudonné sont une manne dans le désert. Leur antisémitisme sert les intérêts de l’État sioniste dans la mesure où elle entretient ce capital de sympathie sur lequel il vit depuis plus d’un demi-siècle : les six millions de morts de la Shoah. Plus les quenellistes vont se ridiculiser devant les symboles judaïques, plus ils vont entretenir la paranoïa parmi les Juifs et ressourcer la culpabilité occidentale en déclin.




Voilà pourquoi ce qui ressort en premier lieu, c’est le manque total d’intelligence de l’entreprise antisioniste. Le discours hitlérien était un discours riche de sens. Il
faisait référence, pêle-mêle sans doute, aux archaïsmes les plus éculés et aux futurismes les plus fantastiques du millénaire que durerait le IIIe Reich. Ses folies antisémites furent au départ peu sérieuses, une obsession compulsive issue de l’enfance de Hitler passée en Autriche. Ce n’est qu’au fur et à mesure que la confrontation s’est imposée soit avec l’Europe occidentale, soit avec les bolcheviques de Russie, que l’antisémitisme se diffusa non seulement en Allemagne et en Europe de l’Est, mais s’associa à la vieille culture antisémite française déjà établie dès le coup manqué du général Boulanger et propulsée par l’Affaire Dreyfus. Les ligues fascistes furent à un doigt de renverser
la République pourrie par les scandales en 1934, puis la prise du pouvoir par le Front Populaire avec le «Juif» Léon Blum attisa la fureur de la droite politique française. La botte donnée par l’armée allemande à l’armée française en 1940 fit le reste. En entraînant le renversement de la République et l’instauration d’un gouvernement «associé» à Vichy, ce dernier se trouva muni de corps d’élite du genre de la Milice, dirigée par Joseph Darnand, corps supplétif à la Gestapo et aux S.S., ce même Darnand, fusillé dans la suite de l’Épuration, voit aujourd’hui sa tombe fleurir
par ces mêmes gens qui font des quenelles dans le métro. Comme le chien retourne à son vomi, l’extrême-droite française retourne à ses héros déchus. Modèles de virilité, d’ordre, de fierté bourgeoise, ces idoles qui trouvaient toujours un Brasillach, un Rebatet, un Céline ou autre Drieu La Rochelle pour servir de références intellectuelles pour lancer des appels aux meurtres haineux qui justifiaient leurs assassinats, aujourd’hui elle va chercher le même appui «littéraire» chez un ancien boxeur qui joue au lettré et par un mulâtre qui fait des shows entourés de disciples sortis tout droit des sectes ésotériques.



Avec les réseaux sociaux, cette peste se diffuse partout dans le monde francophone et même à l’extérieur. Ici même, au Québec, de jeunes écervelés se
font des quenelles d’écoliers mal mouchés. Que comprennent-ils dans toutes ces histoires d’antijudaïsme, d’antisémitisme et d’antisionisme? Comment font-ils pour suivre ce gogo qui a l’art de sauter sur le plateau de l’antisionisme lorsqu’on l’accuse d’antisémitisme, et de revenir sur celui de l’antisémitisme quand ses disciples l’interrogent sur son négationnisme? Ce n’est pas très courageux et si Brasillach et Céline se sont montrés ignobles, ils ont été courageux dans leur franchise jusqu’à affronter le peloton d’exécution ou le bannissement. Ce n’étaient pas des anguilles sous roches. Au Québec, la quenelle a trouvé preneur parmi certains carrés rouges guidés par des «survivalistes» hôte de l'ineffable Soral.



Car si Dieudonné veut faire rire et réfléchir sur l’action nocive d’Israël dans le monde, Soral, cet ancien boxeur, aspire à être le Charles Maurras de la nouvelle
extrême-droite. C’est prétentieux et vite dit, mais surtout c’est faire insulte à l’intelligence de Maurras. Jamais Maurras ne se serait abaissé à faire volontairement des fautes d'orthographes dans les panneaux de l'Action Française! Ce s.d.f. de la pensée politique, sans autre talent que la rhétorique et les effets du maraudeur, a tout pour entraîner des esprits ignares et dogmatisés dans des rites symboliques dont la quenelle n’est que la plus insignifiante. Associés au Front National, Soral et Dieudonné invitent le vieux Le Pen à faire de la quenelle. Le gâtisme ouvrant sur des comportements
libidineux, comment aurait-il pu refuser? Dans sa campagne de 2009, Dieudonné publie son affiche propagandiste, avec l'indispensable présence de Soral, qui porte le mot d’ordre totalement absurde : «Pour une Europe libérée de la censure du communautarisme des spéculateurs et de l’OTAN». Politiquement, ça n’a
aucun sens. Mais, bien sûr, les Juifs sont en dessous de tout ça! Il n'y manque que les Francs-Maçons et la série serait complète! Campagne de pure démagogie, comme toutes celles qui marquent l'achèvement de la démocratie, elle n'est qu'un symptôme de plus de la débilité de la démocratie libérale occidentale. N'importe quel gouailleur peut se forger un slogan, l'articuler sur des sophismes et lever le poing - ou descendre la quenelle - pour se rallier des égarés de la liberté. Soral et Dieudonné finissent d'épuiser la pensée et la rhétorique de l'histoire des droites en France, tout ce qui leur reste, c'est l'ignominie et le fangeux.



Côté ignominie, nous avons cette mise en scène grotesque où l’on voit une poupée
à l'effigie d'Anne Frank avec un quenelliste à ses côtés : c’est à se demander en quoi Anne Frank était mêlée au capitalisme ou au communisme? Dirigeait-elle un syndicat de poupées rouges? Était-elle à la tête d’une entreprise multinationale dont le but était d’appauvrir les Palestiniens en leur siphonnant leur huile d’olive? Si le ridicule tuait encore, MM Soral et Dieudonné seraient déjà tombés au champ d’honneur!

Côté fangeux, comme dans le Brest du roman de Genet, la quenelle est née dans les immondices, et pour croître elle se nourrit essentiellement de deux choses –
d’air et d’eau? – que non! La quenelle n’est point une plante organique. Elle est miasme de décom-position putride de vieilles pensées mortes. Elle se nourrit d’un financement interlope que les pratiquants de la quenelle, s’ils étaient sérieux et s’y connaissaient en politique des complots, interrogeraient la provenance. D’où vient l’argent, nerf moteur de la guerre? Pour le moment à qui profitent tous ces niasages? À la cause palestinienne? Non. À la cause des beurs de banlieues? Sûrement pas. À la lutte de libération de la censure, du communautarisme et de l’OTAN? Voyons donc, un peu de sérieux. Répétons-le, les organismes
pro-sionistes seuls sont en mesure de bénéficier de la sympathie de ceux qui ont encore des remords face aux anciennes lâchetés ou qui vivent de «l’industrie de l’Holocauste» et dont les intérêts sont plus machiavéliques qu’honnêtes. Quand verra-t-on exposer les comptes financiers de Soral, Dieudonné et autres hauts marionnettistes de cette campagne? Pourquoi certains espions juifs du Mossad, puisqu’il m’est permis également de jouer au paranoïaque, ne seraient-ils pas le bras financiers de la quenelle? Après tout, des financiers juifs, tel Max Warburg, pensaient acheter la paix avec Hitler ou avec Vichy en finançant leurs propagandes antisémites! La chose ne serait donc pas aussi absurde, voire exceptionnelle qu’elle en l’air à première vue.

À un pas d’inviter au terrorisme, les quenellistes ouvrent la porte toute grande au (contre-)terrorisme d’État qui bénéficie de ce type de campagne. Car si les Français
ne prennent pas garde, ils finiront par se retrouver sous un second gouvernement vichyste sans l’excuse cette fois de l’occupation allemande. C’est-à-dire une terreur encore plus grande que celle qui régnait durant la guerre d’Algérie lorsque les bombes de l’O.A.S. explosaient à Paris et menaçaient de créer une nouvelle guerre civile. Et nous connaissons tous le parti politique qui serait prêt à assumer l’ignominie d’une telle résurrection.

Nous savons que la bourgeoisie française est constituée de salauds de la pire espèce. Cette classe, qui a corrompu tous les régimes successifs depuis deux siècles, n’est pas qu’un produit des romans de Balzac ou de Zola. Comme Louis XVIII, ils n’apprennent jamais rien et n’oublient jamais que leurs intérêts prédominent sur toutes choses nobles et éthiques. Voilà ceux que servent les Soral et les Dieudonné. Espérons seulement que, comme pour le poujadisme des années 50, ce mouvement s’essoufflera avant d’empester le reste du monde. Et si les Français veulent continuer à décliner comme des dépendants de troisième catégorie, libre à eux. On ne peut sauver une culture contre sa propre défécation, si grand qu’eût été son passé⌛
Montréal
7 janvier 2014